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Deep Throat : la vérité

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Extrait de La Mondialisationdes industries du sexe. Prostitution, pornographie, traite des femmes et des enfants, éditions Interligne, 2004, p. 194-95, par Richard Poulin, professeur de sociologie à l'Université d'Ottawa.

« Les témoignages 'explicites' de 'hardeurs' ne sont certes pas nouveaux. [...] Mais le plus pathétique est sans doute celui de Linda Boreman (1981), alias Linda Lovelace, la star du film culte Deep Throat - Gorge profonde - produit en 1972. Deep Throat est l'histoire d'une femme qui n'arrive pas à obtenir de satisfaction sexuelle, jusqu'à ce qu'un médecin (après examen approfondi) découvre son clitoris enfoui dans le fond de sa gorge. La hardeuse explore au cours de tout le film les 'caresses sexuelles buccales'.

Gorge profonde a été un des premiers films pornographiques à obtenir une audience débordant les salles pornographiques. Il a défié les lois américaines sur l'obscénité et a été présenté dans des salles de cinéma 'ordinaires' ; il a ainsi participé à la 'libération' de la pornographie aux États-Unis et dans le reste du monde occidental. Il a fait de la pornographie un phénomène social acceptable qui ne pouvait être contesté que par des conservateurs, des groupes religieux et des femmes coincées. Près d'une décennie après la sortie du film, qui en a fait une vedette, la hardeuse publie son autobiographie, Ordeal (Épreuve).

Elle y narre l'histoire du film et celle de son rapport avec son ancien mari et souteneur, Jack Traynor. Ce récit n'est pas une apologie de la liberté sexuelle, du sexe gratuit et du porno chic, mais celui de l'humiliation, de l'esclavage et de l'abus sexuel. Loin d'être consentante, Lovelace est la victime d'un mari proxénète brutal, qui, après l'avoir droguée et prostituée, la place devant les caméras sous la menace d'une arme à feu et la frappe sans la moindre hésitation.

Afin de réussir les fellations du film sans s'étouffer, elle a dû subir un entraînement pour apprendre à avaler entièrement un pénis. Pendant les mois qui ont suivi, de nombreuses femmes ont été hospitalisées aux États-Unis, victimes de viols de la 'gorge' du fait que leurs petits amis ont tenté de leur faire réitérer à la maison l'exploit de Lovelace, dans un état second et sous la menace.

Deep Throat a été tourné en 17 jours en Floride et a coûté 26000 dollars américains à réaliser. Il a rapporté à ses producteurs 600 millions de dollars, dont 100 millions en argent  comptant. Linda Lovelace est vite devenue la première superstar du show-biz pornographique, le symbole sexuel de la femme 'libérée'. En fait, c'est un viol à répétition qui a permis à la pornographie de sortir de son ghetto.

Et son souteneur de mari ne lui a jamais versé un seul dollar pour ses 'prestations'. »

http://www.socialsciences.uottawa.ca/soc/fra/profdetails....

***

Inside Deep Throat, diffusé samedi 21 octobre sur Canal + à 23h25, la chaîne porno- et tauromaniaque.

« Après trente ans de distanciation critique, nous étions en droit d'attendre d'un documentaire sur le fameux film Deep Throat qu'il donne à penser le pornographique comme paradigme de la violence exercée sur les femmes, la porno n'en étant jamais, en effet, que l'exacerbation spectaculaire.

Or ce film est une exaltation continue de l'idéologie qui a permis de produire Deep Throat sans que jamais soit interrogée la logique du système qui l'a rendue possible. Sous le masque de la neutralité, divers intervenants racontent, avec une grivoiserie satisfaite, comment ils ont - avec un film à petit budget et sans acteurs professionels - contribué à la "libération sexuelle" des années 70.

Nous, en tant que sujets sexués au féminin, n'entendons pas le concept de libération ainsi qu'il nous est montré dans ce documentaire : tout entier voué à la célébration de la sexcision* et de la sexualisation* sous les formes les plus appréciées des spectateurs .

Le "génie" réalisateur du célèbre film est un ancien coiffeur convaincu du malheur sexuel des femmes condamnées, selon les confidences des clientes de son salon, à la triste position du missionaire dans l'amour ! Lorsqu'on lui offre une caméra, notre coiffeur se met en tête de LIBÉRER la sexualité de ces femmes. Il s'arroge le droit de décider de ce qui manque aux femmes : de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, à savoir découvrir et pratiquer la fellation.

Et c'est ici qu'entre en jeu l'héroïne de Deep Throat, l'actrice Linda Lovelace dotée, par le génie créateur de notre coiffeur, d'un clitoris artificiel au fond de la gorge lui permettant non seulement de jouir mais d'instruire le bon peuple américain de l'existence dudit organe (inconnu jusqu'alors des spectateurs, nous disent les sauveurs des femmes) et de l'orgasme clitoridien (inconnu aussi en 70). Bref, voici notre lascar propulsé au zénith par la grâce d'une gorge et d'un vit sucé ainsi qu'on ne le vit jamais (en tout cas sur écran géant).

Le documentaire prend le spectateur(trice) à la gorge (pardon pour cet involontaire jeu de mots...) en le sommant de se ranger, soit du côté du joyeux drille qui a inventé "le plaisir" pour tous au prix d'un billet de cinéma ou du côté des affreux censeurs à la Nixon qui ont interdit le film pour obscénité.

Faux dilemme et habileté remarquable du documentariste : choisir la liberté définie par qui détient les codes sexuels de la représentation ou refuser cette expression-là de la liberté au nom d'une idéologie puritaine. En dehors de cette apparente antinomie, point de salut. L'assujettisement sexuel du corps féminin et sa spécularisation anatomique ne sont jamais que l'autre visage de l'interdit d'exister du corps sensuel de la femme (toujours déjà rangée maman ou putain.)

La manifestation la plus évidente du faux dilemme est le traitement réservé aux discours féministes sur le film et sur la vie de Linda Lovelace, laquelle est l'auteur d'un ouvrage, Ordeal, relatant les sévices qui ont accompagné le tournage du film. Tel est le piège de la neutralité voulue : réduire le discours critique et politique de la porno par de célèbres féministes comme Steinem et les faire basculer dans le camp des censeurs obtus aux côtés de Nixon et de quelque procureur hanté par l'obscénité.

On peut se demander si la fonction de ce documentaire n'est pas d'empêcher toute réflexion sur la substance nourricière de la porno, à savoir un système où le phallus détient la production de la voix : la gorge de la femme ne servant qu'à recevoir le semen et le sémantique. Le film donne à voir ici dans sa littéralité comment le phallus produit l'aphonie des femmes.

Les vétérans autosatisfaits de la "libération sexuelle" (ils ont osé montrer une pipe, osé filmer du cul, etc.) se trouvent fort marris d'avoir été censurés par les tenants de la moralité puritaine américaine. N'ont-ils pas tout fait pour leurs concitoyens ? Et dès lors ne sont-ils pas victimes, d'une part de la censure puritaine de la droite conservatrice, d'autre part de la pègre qui leur a pris tous leur sous, via les mafias diverses du capitalisme qui les ont réduits au silence.

Le film porno était à l'origine, dans les années 70 - nous disent les protagonistes du documentaire - une innocente plaisanterie (où chacun et chacune aurait trouvé son compte) avant de devenir par la disgrâce de la globalisation, de la multiplication des vidéos, DVD et des circuits en tous genres, une industrie d'où feraient défaut le talent, l'invention, le dialogue et surtout l'esthétique. Qu'on se le dise !

Soigneusement gommée du documentaire, la violence du viol (pourtant soulignée par Linda Lovelace à plusieurs reprises). On ne retiendra que les larmes de l'amie d'enfance qui, voyant Deep Throat au cinéma, comprend la déchéance de Linda, à jamais stigmatisée comme "gorge à bite".

Ce documentaire fait apparaître comment la neutralité est nécessairement une adhésion à la source même de la domination (telle la Suisse qui, neutre pendant la guerre, garde l'or des nazis). »

Michèle Causse, écrivaine, Contre le sexage, Paris, Balland, 2000.
Katy Barasc, philosophe.

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