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Entretien avec Gary Francione sur l’abolitionnisme par opposition aux réformes sur le bien-être animal

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Gary L. Francione, spécialiste de la question animale en droit, a accepté de répondre aux questions de Virginie Bronzino du site d’information VegAnimal.

Cet entretien a été réalisé en décembre 2005 avec l’aide de Rebecca Palmer.

Gary L. Francione est professeur de droit à la Rutgers University School of Law de Newark, au New Jersey.

Il enseigne le sujet des droits des animaux ainsi que le droit depuis plus de 20 ans.

Il a donné des conférences sur les droits des animaux partout aux États-Unis, au Canada et en Europe et a été invité à de nombreuses émissions de radio et de télévision.

Il est l’auteur des ouvrages Animals, Property, and the Law (1995) [Les animaux, la propriété et la loi], Rain Without Thunder : The Ideology of the Animal Rights Movement (1996) [La pluie sans le tonnerre : l’idéologie du mouvement des droits des animaux] et Introduction to Animal Rights : Your Child or the Dog ? (2000) [Introduction aux droits des animaux : votre enfant ou le chien ?], ainsi que de plusieurs articles de journaux, rubriques encyclopédiques et articles de magazines portant sur les droits des animaux non humains.

Son dernier livre, Animals Rights, Animal Welfare, and the Law [Les droits des animaux, le bien-être des animaux et le droit], sera publié en 2007.

Il a écrit, en collaboration avec Anna E. Charlton, le livre Vivisection and Dissection in the Classroom : A Guide to Conscientious Objection (1992) [Vivisection et dissection en classe : un guide pour l’objection de conscience].

M. Francione a représenté, à titre gratuit, de nombreux défenseurs des animaux, ainsi que des groupes locaux et des organismes nationaux et internationaux de protection des animaux.

Gary Francione est un personnage bien connu du mouvement de protection des animaux pour sa critique du bien-être animal, sa théorie abolitionniste en faveur des droits des animaux fondés uniquement sur la conscience animale et sa promotion du véganisme à titre d’engagement personnel pour l’abolition.

* * *

Gary, en tant que juriste et professeur de droit, qu'entendez-vous par "droits des animaux" ? Qu'enseignez-vous exactement à vos étudiants concernant les droits des animaux ?

On peut difficilement condenser 25 années de réflexion ainsi que des milliers de pages écrites en une brève réponse, mais voici ma position.

Dans un premier temps, la réglementation de l’exploitation des animaux, comme les mesures visant à imposer des cages d’élevage en batterie plus spacieuses pour les poulets, n’a rien à voir avec les droits des animaux.

Il s’agit d’ailleurs de l’argument central de mon livre Animals, Property, and the Law. La position en faveur des droits entraîne l’ abolition et non la réglementation de l’exploitation des animaux.

Dans un deuxième temps, comme je le soutiens dans Introduction to Animal Rights : Your Child or the Dog ? , l’abolition exige la reconnaissance d’un droit moral, soit celui de ne pas être traité comme une propriété ou comme une chose.

Le problème vient du fait que nous voyons les animaux comme des marchandises qui ne possèdent que la valeur que nous voulons bien leur attribuer.

J’insiste sur le fait que le droit de ne pas être une propriété constitue principalement un droit moral et non un droit légal.

Plus concrètement, si notre manière de traiter les non-humains doit subir une transformation importante et significative, celle-ci ne se concrétisera que s’il se produit un changement de paradigme dans notre réflexion morale et qu’un grand nombre de personnes acceptent que l’esclavage animal est une pratique condamnable.

La loi pourrait par la suite contraindre l’observation de cette position morale, mais celle-ci ne peut être imposée par la loi.

Nous sommes toutefois loin d’un changement de paradigme dans la réflexion morale qui est nécessaire à une telle transformation.

Dans un troisième temps, l’action de sensibilisation la plus significative que peuvent mener les tenants de la position en faveur des droits est de devenir végans, et par conséquent de rejeter le statut de propriété des non-humains de leur propre vie.

Ensuite, c’est de sensibiliser d’autres personnes au véganisme.

Je doute fort que l’utilisation du système juridique produise de bons résultats à ce point-ci puisque le mieux qu’on puisse espérer est une réglementation encore plus portée vers le bien-être, ce qui allège peu, voire pas du tout, la souffrance animale et va au contraire à l’encontre du but recherché.

Comme j’en discute dans Rain Without Thunder : The Ideology of the Animal Rights Movement, si les défenseurs des animaux souhaitent canaliser leurs énergies dans des campagnes législatives ou juridiques, ils devraient demander l’interdiction, et non la réglementation, des diverses facettes de l’exploitation des animaux.

Par exemple, j’ai prétendu qu’il était préférable d’interdire l’utilisation de non-humains dans des types particuliers d’expérimentation plutôt que d’établir des règles visant à poursuivre ces expériences de façon plus "humaine".

Nous pouvons, grâce à des interdictions, nous diriger de plus en plus vers l’abolition du statut de propriété des non-humains.

Mais j’insiste sur le fait qu’aucune forme de défense des animaux ne peut se substituer ou être supérieure au véganisme et aux campagnes visant à sensibiliser les gens au véganisme, plus particulièrement à cette étape-ci.

Dans un quatrième temps, je ne crois pas que la solution consiste à octroyer aux animaux une qualité d’agir en justice afin qu’ils puissent intenter des poursuites, ni à augmenter les pénalités imposées pour avoir enfreint les lois contre la cruauté envers les animaux, lesquelles ne s’appliquent du reste qu’à seulement à un petit nombre d’entre eux.

La question n’est pas de savoir si la vache devrait avoir le droit légal de poursuivre le fermier pour traitement cruel ; la question est de savoir pourquoi la vache existe au départ.

Si nous prenions les animaux au sérieux d’un point de vue moral, nous cesserions de faire naître des animaux domestiques pour nos propres besoins et n’officialiserions pas cette exploitation en demandant davantage de réglementation au sein du système juridique.

Dans un cinquième temps, si nous cessions de faire naître des animaux domestiques, les seuls conflits qui subsisteraient concerneraient les humains et les animaux vivant à l’état sauvage.

Si nous considérions que ces non-humains ont une valeur intrinsèque, nous devrions alors respecter leur milieu et ne pas résoudre les conflits en utilisant des méthodes pouvant leur faire du mal ou les tuer.

Autrement, nous devrions les laisser tranquilles.

L’animal n’est-il pas le meilleur client au monde pour un avocat ? Il ne pourra jamais protester et virer son avocat s’il ne le défend pas correctement.

Pensez-vous que certaines personnes choisissent d’être défenseurs et porte-parole des animaux pour cette raison ?

Je ne prétends pas être en mesure de connaître les motivations des autres personnes.

Mais je pense toutefois que votre question soulève un problème corollaire important qui concerne le mouvement de protection des animaux dans son ensemble et pas uniquement la profession juridique.

Les défenseurs des animaux n’ont pas à rendre de compte à leurs groupes de partisans, comme les autres mouvements pour la justice sociale.

Cela veut dire que si nous, les humains, nous trompons, les non-humains ne peuvent pas nous dire que nous nous sommes trompés.

Cette situation confère aux défenseurs des animaux la responsabilité bien particulière de devoir réfléchir soigneusement aux positions qu’ils adoptent et d’être très attentifs à ne pas laisser des considérations financières dicter ces positions.

Beaucoup de grandes organisations vouées à la protection des animaux, plus particulièrement aux États-Unis, choisissent des campagnes, me semble-t-il, en fonction de leur capacité pressentie à recueillir des dons.

Par exemple, de nombreux groupes hésitent à adopter la position que le véganisme devrait constituer une base du mouvement parce qu’ils ne veulent pas risquer d’offusquer ceux qui ne sont pas végans et se priver de leur contribution.

Des problèmes du même genre existent chez les avocats.

Par exemple, de nombreux « avocats des animaux » intentent des poursuites contre des vétérinaires ayant commis des fautes professionnelles ou encore s’occupent de fiducies constituées au nom d’animaux de compagnie au décès de leur propriétaire, parce qu’ils veulent éviter les questions les plus controversées et difficiles et parce que les causes qui supposent (et qui renforcent) le statut de propriété des animaux sont plus lucratives.

Certains protecteurs des animaux expliquent que s’ils ont choisi de s’occuper des animaux plutôt que des humains, c’est parce que ce sont des créatures innocentes en opposition - selon eux - aux humains responsables de leur destin et donc coupables de ce qu’ils leur arrivent : comme, par exemple, être SDF, prostituée, avoir le Sida, etc.

Comment réagissez-vous à cette opinion ?

Bien que je sois d’accord qu’il existe une différence entre les humains et les non-humains quand il est question de responsabilité morale, je ne peux accepter l’idée que les droits humains ne sont pas importants parce que les humains peuvent être responsables dans une certaine mesure de leurs propres problèmes.

Je constate qu’il existe une relation étroite entre la question de l’exploitation des humains et celle des non-humains, et la question des droits humains et celle des droits des non-humains.

J’enseigne d’ailleurs un cours à la Rutgers University intitulé " Droits Humains et Droits des Animaux ".

Bien que nous assimilions les non-humains à des marchandises de la façon la plus extrême en les traitant comme des biens personnels, nous faisons également de même avec les humains. Le monde est toujours en proie au racisme, au sexisme, à l’homophobie et au classisme (discrimination envers une personne d’une autre classe sociale).

Et, à certains endroits, l’esclavage humain existe toujours.

Tant et aussi longtemps que ces formes de discrimination existeront, les humains seront victimes d’injustice.

La discrimination fondée sur l’espèce représente le même phénomène appliqué aux non-humains.

Nous ne progresserons jamais aux dépens de la discrimination fondée sur l’espèce tant que nous accepterons la discrimination exercée contre des membres de notre propre espèce ou que nous ne comprendrons pas que la justice doit s’appliquer à tous les animaux, humains et non humains.

Comment expliquez-vous le fait que les éleveurs, propriétaires de cirque, particuliers qui possèdent des oiseaux, reptiles, poissons etc., affirment qu’ils aiment sincèrement leurs animaux ?

Beaucoup de propriétaires d’esclaves dans l’Amérique du XIXe siècle soutenaient qu’ils "aimaient" leurs esclaves.

Et ils le pensaient probablement jusqu’à un certain point. Le fermier ou l’exploitant de cirque est comme le propriétaire d’esclaves.

Les exploiteurs d’humains et de non-humains voient habituellement l’objet de leur exploitation comme un être inférieur ; ils considèrent l’exploitation comme une activité "naturelle", et la domination, comme une forme d’affection.

Les hommes qui maltraitent les femmes prétendent souvent les "aimer".

Le problème vient du fait qu’ils conceptualisent les femmes de telle manière que l’exploitation semble "naturelle".

Plus précisément, ils voient l’homme comme un supérieur naturel et la femme comme une inférieure naturelle.

Dans un pareil contexte, l’affection et les abus sont conciliables.

Dans un même ordre d’idée, de nombreuses personnes vivent avec des chiens, des chats ou d’autres compagnons.

Elles considèrent ces non-humains comme des membres de leur famille.

Il ne fait aucun doute pour eux que ces non-humains ont une conscience animale, qu’ils peuvent penser, éprouver des émotions, etc.

Quand ces non-humains décèdent, leurs compagnons humains éprouvent du chagrin, parfois même davantage qu’au décès d’un parent humain.

Mais ces mêmes personnes qui voient leurs compagnons non humains comme des membres de la famille plantent leur fourchette dans d’autres animaux qui ne sont pas différents de leurs compagnons.

C’est ce que j’appelle la "schizophrénie morale" dans le livre Introduction to Animal Rights.

Pensez-vous vraiment que si l’animal n’est plus traité comme une propriété, cela suffit à faire abolir son exploitation ?

La Déclaration des Droits de l’Homme n’a pas fait stopper l’esclavage et la marchandisation humaine.

Au contraire, cela donne l’illusion au grand public que l’esclavage humain n’existe plus ou qu’il se résume à la traite des noirs au XVIIe siècle.

La marchandisation humaine n’a t-elle jamais été aussi présente aujourd’hui, alors qu’officiellement, l’humain n’est plus considéré comme une "propriété" ?

Bien que nous n’ayons pas éliminé l’esclavage des humains, celui-ci est considéré comme inacceptable par les lois de presque tous les pays ainsi qu’en vertu du droit international.

Personne ne défend l’esclavage des humains.

En revanche, ces mêmes lois et ce même droit considèrent que l’esclavage animal est acceptable et la plupart d’entre nous le soutenons en mangeant et en utilisant des produits d’origine animale.

Nous ne pouvons ignorer le rôle que joue le statut de propriété des animaux dans le phénomène de leur exploitation.

Comme je l’ai affirmé dans le livre Animals, Property, and the Law, tant et aussi longtemps que les animaux seront une propriété, ils ne recevront que peu de protection, voire aucune.

L’éradication du statut de propriété des animaux doit être le principal but des défenseurs des animaux.

Et la première étape, c’est de devenir végan.

Si les non-humains n’étaient plus notre propriété, existe-il une quelconque garantie qu’ils ne seraient jamais exploités ?

Non, bien entendu.

Rien de ce que nous pouvons faire ne peut garantir l’éradication de l’exploitation.

Il est question ici de changer des attitudes morales fondamentales.

Plus il y aura de gens qui seront convaincus que l’exploitation des animaux est en soi inacceptable, et plus de gens accepteront le véganisme, moins il y aura d’exploitation et plus il sera possible de faire adopter des lois visant à protéger l’identité individuelle des non-humains plutôt que de demander une meilleure réglementation de l’esclavage des animaux.

Comment peut-on sensibiliser nos congénères au fait qu’il ne faut pas exploiter et marchandiser d’autres espèces alors que nous exploitons et marchandisons notre propre espèce ?

Selon les plus récentes statistiques officielles, le trafic des êtres humains est aujourd’hui en deuxième position après celui de la drogue... dans l’indifférence générale.

Comment expliquez-vous le fait qu’un trafiquant de produits stupéfiants soit condamné à de plus lourdes peines de prison qu’un trafiquant d’êtres vivants sensibles ?

Je ne suis pas certain que nous puissions vraiment expliquer notre indifférence face au trafic des êtres humains ni le fait que nous traitons les crimes liés à la drogue avec plus de sévérité que les crimes liés au trafic d’êtres humains.

Les lois qui interdisent la possession ou la distribution de drogues sont souvent utilisées par diverses sociétés pour contrôler les minorités et les populations défavorisées, et elles ont peu à voir avec une réelle préoccupation liée à la consommation de ces substances.

Il n’est malheureusement pas en mon pouvoir ni en celui d’un défenseur des droits des humains ou des animaux d’éliminer de la planète tous les maux sociaux qui l’affligent.

Mais il est absolument en mon pouvoir, ainsi qu’en celui de chacun, d’abolir l’exploitation animale de nos vies en devenant végans.

En devenant végans, nous reconnaissons le droit moral des non-humains à ne pas être une propriété.

C’est la chose la plus facile que chacun de nous puisse faire afin de prendre une position morale contre le statut de propriété des animaux et l’exploitation des animaux, ainsi que, et de loin, la chose la plus efficace que nous puissions accomplir pour réduire la souffrance des non-humains.

Vera Sharav, présidente de Citizens for Responsible Care in Psychiatry and Research, a déclaré :

"En matière de protection contre les chercheurs trop zélés, les animaux ont plus de droits que les hommes" [1].

L’emploi du mot "droits" dans cette citation est-il justifié autant pour les animaux que pour les hommes ?

N’est-il pas dérangeant de constater qu’il existe une mobilisation pour dénoncer les animaux dans les labos et pas d’activistes qui protestent contre la recherche médicale sur des êtres humains ?

Que penser de certains défenseurs des animaux qui trouvent acceptable d’utiliser des humains non consentants, comme les prisonniers et les handicapés, pour subir des expérimentations ?

Quant à la question de savoir si les animaux utilisés aux fins d’expérimentation possèdent plus de droits que les humains, la réponse est que les animaux n’ont aucun droit.

Il est absurde de déclarer que les animaux possèdent plus de droits que les humains. Aux États-Unis, il n’existe pour ainsi dire aucune limite à ce qui peut-être fait aux non-humains dans les laboratoires.

Il y a bien des règlements qui prévoient la quantité d’eau que les animaux doivent recevoir ainsi que la dimension de leur cage, mais ces règlements sont minimaux et se préoccupent davantage de l’intégrité de la démarche scientifique (comme par exemple du fait que l’augmentation du stress puisse compromettre l’expérience).

Certaines lois exigent que les humains fournissent un consentement éclairé avant de faire l’objet d’une expérience, et il existe des limites concrètes à ce qui peut leur être fait.

La question de savoir si les lois qui s’appliquent aux humains sont toujours efficaces ou si elles devraient être renforcées tant dans l’esprit qu’en ce qui touche leur application est une autre affaire.

Mais il est hors de tout doute que les animaux utilisés dans le cadre d’expériences ne bénéficient pour ainsi dire d’aucune protection.

Quant à votre question portant sur la dénonciation de l’expérimentation humaine, je reconnais qu’il est dérangeant de voir des personnes s’opposer à l’utilisation de non-humains dans des expériences mais ne pas s’objecter à celle d’humains dans le cadre d’expériences où il n’y a pas de consentement éclairé ou encore lorsqu’on utilise des personnes qui sont vulnérables.

Je suis toujours consterné et déçu d’entendre des "défenseurs des animaux" soutenir qu’ils n’ont aucune objection à ce que l’on utilise des prisonniers ou des humains ayant une déficience intellectuelle et qui ne sont pas en mesure de donner un consentement valable.

Il est très malheureux de constater que de nombreux "défenseurs des animaux" ont des opinions politiques très réactionnaires.

Vera Sharav n’a-t-elle pas simplement confondu "bien-être" avec "droits" ? C’est une erreur commune également faite par les associations animales. Des organisations utilisent le terme de "droits des animaux" pour se définir malgré le fait qu’elles sont pour le bien-être animal (comme PeTA).

N’est-il pas troublant de constater que les premières lois qui régissaient les animaux en laboratoire remontent à 1876 [2] tandis que les humains utilisés dans les expérimentations ont dû attendre 1964 avec la Déclaration d’Helsinki ?

Et que pensez-vous des scientifiques antivivisectionnistes qui veulent abolir l’utilisation des humains dans les études médicales de phase I car ces "volontaires" sains mettent en danger leur santé (pour de l’argent), même s’ils signent un "consentement éclairé" ? [i].

Je pense que Mme Sharav tient pour acquis que les lois ou les règles qui régissent l’exploitation animale assurent des droits aux animaux.

Comme je le soutiens dans Animals, Property, and the Law, ce n’est pas du tout le cas.

Et vous avez raison de dire que les "défenseurs des animaux" sont du même avis que Mme Sharav.

Comme la plupart des groupes de défense des animaux ne préconisent plus l’abolition, le concept de "droits des animaux" est lié à la réglementation dite welfariste, ou axée sur leur bien-être.

En ce qui touche l’expérimentation sur les humains, je conviens que tout le concept du "consentement éclairé" pose un problème, vu les questions sérieuses qu’il soulève quant aux deux aspects suivants, à savoir (1) si les humains qui prennent part aux expériences ont été convenablement "informés" et (2) s’il est possible, dans certains cas, de fournir un consentement éclairé.

Par exemple, le prisonnier ou le toxicomane qui a besoin d’argent pour acheter de la drogue est-il en mesure de donner un consentement éclairé ?

Je ne le crois pas.

La réglementation de l’expérimentation sur les humains entraîne un très grand nombre de problèmes fort sérieux.

Mais je crois aussi que les lois qui touchent l’expérimentation sur les humains, bien que très loin de la perfection tant en théorie qu’en pratique et en application, diffèrent fortement des lois et de la réglementation qui régissent l’expérimentation sur les animaux.

Ces dernières n’offrent aucune véritable protection aux non-humains et supposent de manière explicite que les animaux peuvent être tués au nom des besoins des humains.

Doit-on se battre contre un groupe oppresseur par rapport au NOMBRE de ses victimes ?

Certains défenseurs des animaux ne militent que pour les animaux de ferme [3] négligeant chasse et expérimentation animale car, selon eux, cela ne tue pas autant d’animaux que l’industrie de la viande.

Si l’on suit cette logique, les Nations Unies n’ont-elles pas eu raison de ne pas intervenir au Rwanda, puisque le génocide ne concernait qu’un million de personnes ?

Je n’ai jamais été en faveur de la hiérarchisation du mal et en plus je doute fort qu’une intervention militaire des États-Unis ait quoi que ce soit à avoir avec des questions morales plutôt qu’avec les intérêts économiques de l’Amérique.

La plupart des problèmes dans le monde sont causés d’entrée de jeu par les politiques des "pays industrialisés".

Quoi qu’il en soit, je demeure persuadé que la priorité du mouvement est de promouvoir le véganisme en tant qu’unique façon de vivre qui respecte le fait que les non-humains ont une valeur intrinsèque et qu’ils ne devraient pas être traités comme des choses.

Quel bien cela peut-il faire si vous passez votre journée à manifester contre la vivisection et que vous rentrez ensuite chez vous pour manger de la viande ou des produits laitiers ?

Et quelle est la différence entre un chasseur et un consommateur qui achète de la chair morte ou des produits laitiers à l’épicerie ?

Ce n’est pas une simple question de chiffres.

Il faut se rendre compte que les choses ne changeront vraisemblablement pas avant qu’il se produise un virage social en faveur de l’abolition.

Ce virage produira une vague de fond politique qui permettra encore mieux de promovoir un changement.

Mais si les "défenseurs des animaux" eux-mêmes pensent qu’il est acceptable pour eux d’exploiter les animaux, quel espoir reste-t-il ?

Je crois certainement que les défenseurs des animaux devraient s’opposer à la chasse et à la vivisection ainsi qu’à toute autre forme d’exploitation.

Et je crois simplement que le point de départ devrait être le véganisme.

Une fois que vous avez réussi à convaincre les gens qu’ils devraient être végans, il est facile de s’opposer ensuite aux autres formes d’exploitation.

J’aimerais ajouter qu’il est peu probable que nous réussirons à convaincre les gens de s’opposer à la vivisection avant de les convaincre d’accepter le véganisme.

Pensez-y !

Bien que je ne crois pas que la vivisection soit bénéfique pour la santé humaine, la plupart des gens ne sont pas de cet avis et les idées reçues sont plutôt que la vivisection est nécessaire si nous voulons guérir les maladies, ainsi que pour d’autres raisons.

Il n’est pas nécessaire de consommer des produits d’origine animale.

Il est peu probable que la personne qui croit que l’on peut exploiter les animaux en cas de nécessité soutienne l’abolition d’une action si, justement, on en invoque la nécessité.

Le but de l’invention de la guillotine était d’exécuter "humainement" les prisonniers. Cette invention aurait-elle repoussée l’abolition de la peine de mort en France ? [4]

Oui, absolument.

Il en va de même à l’heure actuelle aux États-Unis, où la plupart des États sont passés de l’électrocution, de la pendaison ou de l’utilisation de gaz asphyxiants à l’injection mortelle.

De nombreux Américains considèrent que cette dernière méthode est "humaine", de sorte qu’elle retardera probablement l’abolition de la peine de mort pendant encore un grand nombre d’années.

On peut, bien entendu, établir le parallèle avec l’exploitation des animaux.

Dans Rain Without Thunder ainsi que dans d’autres ouvrages, je soutiens que la réglementation dite welfariste, ou axée sur le bien-être, qui cherche à "humaniser" l’exploitation des animaux, fait peu de choses pour aider les animaux et réconforte plutôt beaucoup plus les humains sur l’exploitation des non-humains.

Il est très clair que les efforts visant le bien-être des animaux perpétuent leur exploitation.

Que pensez-vous de la déclaration faite par David Bowles du RSPCA (association anglaise de protection animale) pendant qu’il remît à McDonald’s une récompense pour son traitement humain des animaux : "Ce qui est important n’est pas que vous tuez du bétail, c’est comment vous le tuez" ? [5].

Je suis fortement en désaccord sur au moins deux points. En premier lieu, le fait que nous tuions le bétail est important.

Le commentaire de M. Bowles reflète la position adoptée par Peter Singer ainsi que par d’autres, selon laquelle les animaux ne sont pas intéressés à leur propre vie mais bien uniquement à ne pas souffrir.

Par conséquent, ce n’est pas la façon dont nous utilisons les animaux qui pose problème, c’est comment nous les traitons.

Cette position est de la discrimination fondée sur l’espèce.

Il est tout simplement absurde de dire que les vaches et les autres non-humains n’ont pas d’intérêt envers leur propre vie.

C’est le fondement théorique de la position en faveur du bien-être des animaux, position que je rejette.

Je remarque que M. Singer est souvent décrit par les défenseurs des animaux comme le "père du mouvement pour les droits des animaux".

Rien ne saurait être plus éloigné de la vérité.

La position adoptée par M. Singer est en faveur de la réglementation du bien-être des animaux, et non pas pour l’abolition de leur exploitation.

En deuxième lieu, je ne crois pas que les améliorations apportées par McDonalds sur le plan du bien-être signifient quoi que ce soit.

Je crois que ces mesures réduisent très peu la souffrance, voire pas du tout.

Mais ce dont je suis certain, c’est qu’en remettant une récompense à McDonalds, nous encourageons la consommation de produits d’origine animale.

Il est malheureux que la RSPCA, PETA ainsi que d’autres prétendus groupes " de défense des animaux " fassent l’éloge de McDonalds et d’autres grandes entreprises qui exploitent les animaux.

Je dois également ajouter à ce point-ci que je ne veux pas que mes commentaires soient interprétés comme des attaques visant l’intégrité de certaines personnes.

Par exemple, j’ai collaboré étroitement avec PETA voilà plusieurs années. Je connais bien Ingrid Newkirk.

Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’Ingrid se préoccupe beaucoup des animaux non-humains et qu’elle veut les aider.

Je ne suis tout simplement pas d’accord avec la manière qu’elle utilise pour leur venir en aide.

Il y a quelques années, l’association internationale PeTA (Pour un traitement éthique des animaux) avait organisé une campagne (Holocaust on a plate) montrant le parallèle entre l’industrialisation actuelle de l’abattage des animaux de ferme et l’extermination des prisonniers juifs dans les camps nazis.

Au même moment, PeTA lançait une autre campagne demandant à KFC de gazer leurs poulets plutôt que de leur trancher la tête.

Le gazage n’est-il pas lui aussi un crime abominable fait aux... poulets ?

Je ne suis pas d’accord avec la campagne visant à convaincre KFC de gazer ses poulets. PETA a lancé de nombreuses campagnes du même ordre, toutes axées sur le bien-être.

Le message explicite que l’on entend ici est que si KFC adopte le gazage, elle se sera engagée sur une voie plus "humaine", comme McDonalds si l’on en croit PETA, ce qui rendra plus "acceptable" le fait d’aller manger à KFC.

J’imagine qu’Ingrid Newkirk croit pouvoir augmenter sa base de donateurs si elle peut faire en sorte que les clients de ces sociétés se sentent heureux d’y aller. Je soupçonne qu’elle est dans le vrai.

Sa stratégie est une excellente décision sur le plan des affaires. Mais c’est une catastrophe pour les animaux.

Il me faut ajouter que je ne suis pas non plus en faveur des comparaisons entre l’exploitation des animaux non-humains et l’Holocauste, sauf dans la mesure où il est dans les deux cas question de beaucoup de morts.

Là où se situe le problème est que puisque notre société considère que les animaux non-humains sont des choses, la comparaison est perçue comme dénigrant les victimes humaines plutôt que comme élevant les victimes non humaines, et l’on perd ainsi toute valeur d’analogie.

En outre, je crois qu’il faut analyser de manière différente les différentes formes d’exploitation. Nous exploitons les animaux non-humains pour des raisons, en grande partie, d’ordre économique.

L’extermination des Juifs ou de tout autre groupe par les Nazis était attribuable à une forme de haine qui, à mon avis, ne caractérise pas les sentiments que la plupart des humains entretiennent envers les non-humains.

En décembre 2005, la Commission européenne a organisé une consultation sur l’attitude du public à l’égard du bien être et de la protection des animaux d’élevage, l’une des questions était :

"Pensez-vous que si la production de denrées alimentaires était soumise à de meilleures conditions de bien-être et de protection des animaux, cela aurait pour effet : de rendre les produits alimentaires plus acceptables d’un point de vue éthique ?"

Que pensez-vous du choix de l’expression "plus acceptables d’un point de vue éthique" ?

Plus généralement, comment réagiriez-vous à ce type de questionnaire ?

Poser cette question revient à demander s’il serait " plus acceptable d’un point de vue éthique " de battre des esclaves humains cinq fois par semaine plutôt que dix.

Il est toujours mieux d’infliger moins de mal que d’en infliger davantage, mais on ne cible pas ainsi la question fondamentale :

L’esclavage, tout "humain" soit-il, est-il moralement justifiable ?

La même analyse s’applique à la position en faveur du bien-être animal.

Les tenants du welfarisme soutiennent que l’exploitation des animaux est " plus acceptable sur le plan éthique " si nous les traitons mieux...

D’un côté, c’est vrai, puisque comme dans le cas de l’esclavage, il est toujours préférable d’infliger moins de douleur que d’en infliger plus.

Mais la position axée sur le bien-être évite ainsi la question fondamentale :

L’esclavage des animaux, quelque " humain " qu’il soit, est-il moralement acceptable ?

Comme je l’ai écrit, je ne crois pas que l’utilisation des animaux puisse être justifiée moralement, et j’estime que les défenseurs des animaux devraient se préoccuper avant tout de promouvoir le message abolitionniste que porte le véganisme.

Le véganisme est le principe de l’abolition appliqué à la vie de la personne. Il n’existe aucune distinction logique entre la viande et les autres produits d’origine animale, comme le lait ou le fromage.

Les non-humains exploités dans l’industrie laitière vivent plus longtemps que leurs congénères qui le sont pour leur viande, ils sont traités plus mal durant leur vie et ils finissent au même abattoir, après quoi nous consommons leur chair.

Il y a probablement plus de souffrance dans un verre de lait ou dans un bol de crème glacé qu’il y en a dans un steak.

Le véganisme est la seule solution morale cohérente.

Le bien-être des animaux, par opposition à l’abolition de leur exploitation, est non seulement indéfendable en théorie, mais pose également des problèmes d’ordre pratique.

Les réformes sur le bien-être animal font en réalité très peu de choses, voire rien du tout, pour soulager la souffrance animale.

Ces réformes axées sur le bien-être peuvent plutôt faire augmenter la souffrance puisqu’elles rendent le public plus à l’aise face à l’exploitation des animaux et qu’elles encouragent par le fait même la consommation.

Il n’existe aucune preuve rétrospective indiquant que les réformes sur le bien-être conduisent à l’abolition.

Nous avons des lois sur le bien-être animal dans l’Ouest depuis maintenant près de 200 ans et nous exploitons aujourd’hui encore plus d’animaux et de façon encore plus horrible qu’à toute autre époque de l’histoire humaine.

Il est facile de monter et de vendre de telles campagnes et celles-ci n’offusquent personne et ne conduisent pas la société vers un quelconque changement significatif et soutenu.

Le problème est justement là.

Personne ne conteste le principe qu’il est mal d’infliger une souffrance " non nécessaire ", mais comme en font foi 200 ans de bien-être animal, c’est un principe vide de toute substance à la lumière du statut de propriété des animaux.

Ce questionnaire n’est-il pas simplement une stratégie pour donner bonne conscience aux consommateurs et essayer de gagner la confiance de ceux qui se sont détournés de la viande à cause de scandales alimentaires comme la vache folle ou les poulets à la dioxine ?

Que pensez-vous des associations de protection animale (comme PeTA et PMAF) qui ont demandé à leurs militants de remplir ce questionnaire ?

Le questionnaire a pour but de renforcer l’idée que la question fondamentale qui est en jeu est le traitement des non-humains plutôt que leur utilisation pure et simple, et d’établir un lien entre les questions se rapportant au traitement des animaux et les questions de sécurité alimentaire.

Je ne savais pas que PeTA et CIWF avaient demandé à leurs membres de remplir le questionnaire, mais si c’est le cas, je ne suis pas du tout surpris.

Je dois souligner encore une fois que la plupart de ces organismes de charité sont axés sur le bien-être et, comme pour le questionnaire de la Commission Européenne, qu’elles concentrent leurs politiques sur la réglementation et non sur l’abolition.

Selon Hans Ruesh, le père de l’anti-vivisectionnisme : "Les militants du bien-être animal sont nos pires ennemis" [6]. L’expression "pires ennemis" est-elle justifiée ?

Je ne crois pas qu’il soit très utile de diviser le monde en " amis " et en " ennemis ".

Je crois très certainement que le bien-être des animaux pose de nombreux problèmes pour toutes sortes de raisons, notamment parce qu’il fait très peu de choses, voire rien du tout, pour réduire la souffrance animale et qu’il promouvoit et augmente, d’une certaine façon, la souffrance animale en faisant en sorte que le public se sente mieux face à l’exploitation des animaux.

Je crois également que les groupes dits welfaristes (défendant le bien-être animal) ont causé beaucoup de tort en étouffant le débat sur ces problèmes ainsi que sur la question morale fondamentale de l’utilisation, quelque "humaine" qu’elle soit, des non-humains.

Il existe très peu de discussions sur la question des droits par rapport au bien-être des animaux dans le mouvement parce que tout désaccord avec PETA ou avec toute autre grande organisation axée sur le bien-être est tout de suite interprété comme un germe de dissension ou un manque de loyauté.

Le mouvement de défense des animaux d’aujourd’hui ressemble, sous divers aspects, beaucoup plus à une secte qu’à un mouvement de justice sociale.

Les militants de l’association anglaise Hunt Saboteurs ne sont pas abolitionnistes et se positionnent sur un discours de bien-être animal.

N’ont-ils pas fait plus pour les animaux avec leurs commandos d’actions directes que la majorité des bobos vegans citadins préférant les restaurants vegs branchés aux actions de confrontations avec des groupes oppresseurs comme les chasseurs ?

Je crois que l’on commet une erreur très sérieuse en minimisant l’importance du véganisme. Le véganisme représente l’abolition.

Un bourgeois végan peut être sensibilisé à d’autres questions politiques.

Je constate que les partisans du bien-être sont souvent très réticents à l’égard du véganisme.

Je n’en connais pas assez sur Hunt Saboteurs pour pouvoir en parler en connaissance de cause.

Les associations écologistes françaises sont très dynamiques pour dénoncer les OGM.

Parallèlement, on n’entend jamais les associations de protection animale dénoncer les AGM (Animaux Génétiquement Modifiés).

Selon vous, pourquoi les associations de protection animale ne condamnent-elles pas la fabrication de ces animaux ?

N’y aurait-il pas un lien avec le fait que les animaux transgéniques sont majoritairement des rongeurs et des cochons, 2 catégories d’animaux qui n’ont jamais eu la faveur de ces associations ?

En règle générale, et comme je l’ai déjà dit auparavant pour répondre au commentaire de M. Bowles, les partisans du bien-être ne s’attardent habituellement pas à l’utilisation des animaux en elle-même, et ils acceptent la légitimité de l’exploitation des animaux de façon générale.

Le problème est accentué lorsqu’il est question de cochons ou de rongeurs, étant donné qu’il est difficile de mener des campagnes de financement lucratives quand ces animaux sont en cause.

La majorité des associations françaises de protection animale font des campagnes contre la cruauté du foie gras et appellent à l’arrêt de cette pratique tandis qu’elles ne communiquent jamais sur l’exploitation des vaches laitières en demandant un boycott des produits laitiers.

N’y aurait-il pas des combats politiquement corrects comme le foie gras, produit snob et futile par excellence, tandis que le lait de vache est toujours considéré aussi indispensable et banal que la souffrance des animaux qui le produisent ?

Comme je l’ai déjà dit, il n’existe aucune différence entre les produits à base de viande et les autres produits d’origine animale, comme le lait ou le fromage.

Tous les produits d’origine animale sont inutiles et "élitistes". De nombreux défenseurs des animaux qui ne sont pas végans prétendent que le véganisme est " élitiste ". C’est le contraire qui est vrai. Il est " élitiste " de ne pas être végan.

En novembre 2005 à Paris, une manifestation contre la fourrure organisée par plusieurs associations de protection animale revendiquait l’arrêt du commerce de la fourrure de chiens et chats... pas toutes les fourrures... seulement la fourrure de chiens et chats.

Que vous inspire ce type de revendications ?

Plus généralement, que pensez-vous des manifestations organisées par des associations sur des thèmes génériques comme la fourrure en comparaison aux protestations régulières et tout au long de l’année des groupes locaux anglais qui préfèrent cibler des magasins comme Harrods, Joseph, Zara, etc. ?

Je ne m’objecte pas à ce que l’on interdise diverses pratiques d’exploitation tant et aussi longtemps qu’on ne fasse pas du même coup la promotion d’autres formes d’exploitation supposément plus "humaines" ou "meilleures".

Certains défenseurs des animaux aux États-Unis, par exemple, prétendent que l’on devrait interdire la fourrure de chiens et de chats, mais que la fourrure provenant d’autres animaux, ou la laine des moutons, ou le cuir des vaches, est "mieux", sur le plan de l’éthique, que la fourrure de chiens et de chats.

Je m’oppose à ce genre de campagne.

En revanche, comme je l’ai soutenu dans Rain Without Thunder, et comme je l’ai dit plus tôt, je ne m’objecte pas à une augmentation des interdictions (éliminer le statut de propriété des non-humains en interdisant, plutôt qu’en réglementant, certains usages).

En ce qui touche la stratégie d’interdiction générale plutôt que spécifique, je ne suis pas certain que cette dernière soit très efficace, plus particulièrement dans la conjoncture économique actuelle.

Si des défenseurs persuadent Harrods de ne pas vendre un produit, quelqu’un d’autre va le faire à sa place.

Nous devons cibler la demande, pas l’offre.

PeTA, la plus importante et prospère association de protection animale au monde, pratique l’euthanasie de chats et chiens en parfaite santé "parce qu’ils sont trop nombreux et que cela coûte trop cher de s’en occuper" [7] - tandis que la philosophie de cette même organisation est de clamer que tous les animaux sont les ÉGAUX des hommes.

En suivant leur logique, devrions-nous aussi euthaniser les humains quand ils sont trop nombreux et qu’ils coûtent trop cher à la société ?

Tout d’abord, je ne crois pas que le mot "euthanasier" soit un choix judicieux dans ce contexte. L’euthanasie suppose une mort qui est dans l’intérêt de l’animal et la mort n’est jamais dans l’intérêt d’un animal non-humain en bonne santé.

PETA n’euthanasie pas des animaux en bonne santé, elle les tue. Et PETA tue des animaux en bonne santé depuis longtemps déjà, ce n’est pas nouveau.

Dans l’ouvrage Rain Without Thunder, j’ai raconté comment PETA tuait des animaux en parfaite santé à son "refuge" d’Aspen Hill dans les années 90.

Je crois que cette pratique est déplorable. Elle démontre d’une manière très éloquente à quel point PETA est loin d’adopter une position en faveur des droits des animaux.

"Le cul fait vendre", c’est aussi vieux que la prostitution. Qu’est ce qu’il y a de mal à utiliser le sexe, si cela peut aider à faire vendre de bonnes causes comme le végétarisme et l’oppression des animaux ?

Comme je l’ai déjà dit, la discrimination fondée sur l’espèce est liée au sexisme et à d’autres formes de discrimination. Il est absurde de promouvoir le sexisme pour contrer la discrimation fondée sur l’espèce.

Tant et aussi longtemps que nous continuerons à traiter les femmes comme de la viande, nous continuerons à traiter les non-humains de la même manière.

Je m’oppose donc très fermement à l’utilisation du sexisme, du racisme, de l’homophobie ou de la violence pour pour faire des campagnes sur des sujets liés aux animaux.

En outre, si le sexe peut faire vendre du parfum, je doute qu’il puisse influencer des choix éthiques d’une quelconque manière positive.

Qu’aimeriez-vous dire aux "poulettes sexy" et autres protestant(e)s nu(e)s, lors de saynètes organisées par PeTA à travers le monde qui croient souvent sincèrement "faire ça pour aider les animaux" ?

Je leur dirais d’aller se rhabiller et d’aller discuter de l’importance de l’abolition et du véganisme avec quiconque acceptera de les écouter, ou encore d’aller passer une journée à nourrir ou soigner un animal qui a été battu ou abandonné.

Ce genre de spectacle a plus à voir avec la publicité médiatique de PETA et le nombrilisme des participants qu’avec l’aide apportée aux animaux.

Ces personnes banalisent des questions importantes.

Elles renforcissent le sexisme, ce qui en soi est incorrect (en perpétuant l’assimilation de la femme à une marchandise), et elles ne réussiront qu’à perpétuer la discrimination fondée sur l’espèce.

Je peux vous assurer que si vous devez vous dénuder pour que les gens acceptent de vous écouter, vous n’aurez pas beaucoup d’ascendant sur leur réflexion morale.

Voilà maintenant plus de dix ans que PETA a commencé sa campagne contre la fourrure.

Et quel est le résultat ?

L’industrie de la fourrure est plus forte qu’elle ne l’a jamais été.

La démarche de PETA ne fonctionne pas, bien qu’elle capte à coup sûr l’attention des médias et qu’elle génère des dons.

Quel déclic vous a fait devenir un militant de la cause animale ?

Le déclic s’est produit quand j’ai visité un abattoir en 1978.

Je suis immédiatement devenu végétarien.

On ne pouvait lire presque rien sur le sujet à cette époque, et il n’y avait aucun mouvement organisé pour les "droits" des animaux.

J’ai commencé à étudier la question et, en 1982, je suis devenu végan.

Quel déclic vous a fait devenir vegan (mode de vie qui exclut toute forme d’exploitation animale dans la nourriture, vêtements, loisir etc) ?

Quand j’ai réalisé qu’il n’y avait aucune différence entre la viande et les produits laitiers, ou entre la fourrure et le cuir ou la laine, etc.

Je me suis rendu compte que je n’avais pas le choix si je voulais véhiculer cette valeur morale avec intégrité.

En conclusion, comment voyez-vous l’évolution de la cause animale ?

Au risque de me répéter, je crois fermement que le mouvement n’ira nulle part à moins qu’il n’adopte une position abolitionniste et végane.

Le véganisme est l’application du principe de l’abolition à sa vie personnelle.

Je rencontre souvent des défenseurs des animaux qui affirment être en faveur des droits des animaux et qui veulent abolir l’exploitation animale, mais qui continuent de manger des produits d’origine animale.

Pour moi, c’est une forme de schizophrénie morale.

Il n’y a pas de différence entre un défenseur des "droits" des animaux qui n’est pas végan et quelqu’un qui est contre l’esclavage humain mais qui possède encore des esclaves.

Dans un cas ou dans l’autre, il est illogique d’adopter une position abolitionniste ou d’être pro-droits et de ne pas accepter que le véganisme soit la seule voie conséquente à prendre immédiatement pour que sa propre vie soit à l’image de ses convictions.

Le véganisme est le rejet du statut de propriété des non-humains et la reconnaissance que ceux-ci ont une valeur propre.

Certains défenseurs des animaux prétendent que le véganisme est une question de "philosophie personnelle" et qu’il ne devrait pas être assimilé à un principe de base du mouvement en faveur des droits.

Ils affirment qu’il est "élitiste" de maintenir que le véganisme est un principe de base.

Balivernes !

Si le mouvement pour les droits des animaux ne peut adopter de position de principe sur une activité qui cause la souffrance et la mort de millions d’animaux pour la seule et unique raison que nous aimons le goût de leur chair et des produits qui en découlent, alors le mouvement ne peut prendre aucune position de principe sur aucune forme d’exploitation institutionnelle.

Et il n’existe d’ailleurs rien de plus élitiste que la consommation de produits d’origine animale, qui engendre l’oppression et l’exploitation injustifiables de non-humains.

Les défenseurs des animaux qui ne sont pas végans n’ont pas le droit d’accuser les autres d’"exploiter" les animaux.

Bien qu’il soit impossible d’éviter complètement tous les produits d’origine animale (il en existe même dans les revêtements de chaussée !), si vous n’êtes pas végan, vous exploitez les animaux !

Je ne suis pas d’accord avec ceux qui soutiennent que le système juridique sera en tête de peloton dans le combat pour les droits des animaux ou que d’importantes réformes du droit remplaceront l’évolution d’un mouvement politique et social de soutien des droits des animaux et d’abolition de l’exploitation animale.

Autrement dit, il doit d’abord se produire un changement de paradigme sur cette question sociale avant que le système juridique ne réagisse de manière concrète.

Et il n’existe à l’heure actuelle aucun mouvement abolitionniste organisé.

Il n’y a qu’un mouvement "humain" dirigé par un groupe d’organismes élites qui veulent s’efforcer d’obtenir des contributions aussi élevées que possible en orchestrant des campagnes qui ne dérangeront pas le statu quo, ce qui, à mon avis, est pire que de ne rien faire.

À vrai dire, la plupart des campagnes axées sur le bien-être des animaux, ou welfaristes, orchestrées par le mouvement collectif actuel font très peu, voire rien du tout, pour soulager les souffrances des animaux, si ce n’est de distiller au public une impression de vertu, et par conséquent, et elles préparent le terrain pour qu’il se produise encore plus d’exploitation.

L’éducation portant sur le véganisme et l’abolitionnisme offre une statégie pratique et progressive, tant pour réduire immédiatement la souffrance animale que pour mettre en place un mouvement qui pourra éventuellement faire adopter des lois plus significatives que ne le peuvent les réformes dites welfaristes qui sont mises de l’avant par les grandes organisations nationales.

À la fin des années 80, le monde de la défense animale aux États-Unis a décidé, de manière très délibérée, de poursuivre un programme axé sur le bien-être.

Si l’on avait plutôt utilisé une tranche importante des ressources du mouvement pour sensibiliser et informer les gens sur le véganisme, il y aurait aujourd’hui, selon mon estimation, au moins 250 000 végans de plus qu’aujourd’hui.

C’est un chiffre très conservateur si l’on tient compte des dizaines de millions de dollars qui ont été dépensés par les groupes de défense des animaux pour promouvoir des lois et des mesures axées sur le bien-être.

Je maintiens que 250 000 végans de plus réduiraient davantage la souffrance en diminuant la demande de produits d’origine animale, et aideraient à ériger la plate-forme politique et sociale qui est absolument essentielle et nécessaire au changement social plus généralisé qui constitue le fondement nécessaire à la réforme du droit, que tous les " succès " welfaristes additionnés et même décuplés.

Je suis également fortement en désaccord avec ceux qui croient que la violence est la seule voie à suivre.

À mon avis, le mouvement pour les droits des animaux devrait représenter les idéaux de la non-violence.

Nous devrions respecter toute forme de vie.

Nous ne parviendrons jamais à changer le monde si nous faisons usage de violence.

Si nous sommes dans le pétrin aujourd’hui, c’est parce que les humains pensent que la violence est justifiable.

La violence est le problème, elle n’est jamais la solution.

Pour terminer, voici mon conseil : devenez végan, et ensuite sensibilisez chaque personne qui voudra bien vous écouter aux nombreuses raisons pour lesquelles elle devrait devenir végane.

Devenir végan est vraiment la chose la plus importante que nous puissions faire pour les animaux, de même que pour notre santé et l’environnement. Et chacun de nous peut y arriver.

Merci, Gary Francione.

© Copyright 2005 by Gary L. Francione. Please do not reprint without permission. You may contact the author at : gfrancione@kinoy.rutgers.edu

D’autres liens à propos de Gary L. Francione :

Animal Rights Law Project

Animal Logic

Debating Francione (and loving it)

Animal rights and Animal welfare

Notes :

[1] Cette citation se trouve dans le livre "Au nom de la science" de Andrew Goliszek, au chapitre sur le scandale de Willowbrook State School qui dénonce la vivisection humaine et l’utilisation de personnes handicapées mentales pour des expérimentations.

[2] 1876 : The British Cruelty to Animals Act introduced. Experimenters must apply for licenses each year, and any painful experiments require special permission. (In 1831 Marshall Hall, an animal researcher, proposes a Code of Ethics for experiments).

[i] Primum non nocere (First, do no harm). Newsletter winter 05/06 of the Europeans For Medical Progress) :

“In America, more than 75% of clinical trials financed by pharmaceutical companies are conducted by private, for-profit centres comprising a $14 billion industry, with poor immigrants comprising the overwhelming majority of subjects recruited. The enterprise is poorly regulated and riddled with conflicts of interest, with secretive review boards - charged with protecting participants’ safety - funded by the same drug companies that fund the test centres they are supposed to be regulating. The net result is that every year, trial participants are injured or killed”.

To find out more about human experimentation on phase I, II III, IV, click HERE.

[3] Chaque année en France, 1 milliard d’animaux d’élevage, entre 30 à 50 millions d’animaux-gibiers et environ 3 millions d’animaux en labo sont tués.

[4] Cette abolition a été effective le 9 octobre 1981.

[5] Cette déclaration peut être lu en cliquant sur ce lien : http://news.bbc.co.uk/2/hi/business....

[6] Cette citation provient du livre " Vivisection or Science ? : An Investigation into Testing Drugs and Safeguarding Health" page 81, de Pietro Croce - Éditions Zed Books, 1999).

[7] Selon les propres statistiques de PETA avec le Department of Agriculture and Consumer Services de la Virginie, pour la seule année 2004, PETA a tué 86.3% des animaux dont elle avait la charge.

http://www.veganimal.info/article.php3?id_article=489&var_recherche=francione

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