Quelques commentaires à propos de l’éditorial de Kristof portant sur la “viande heureuse” (Gary Francione)
Chères collègues et chers collègues :
Dans l’édition d’aujourd’hui du New York Times parait un éditorial signé par Nicholas D. Kristof.
L’éditorial est une ode à la protection des animaux et à la prétendue progression du développement éthique dont les réformes welfaristes témoignent.
Pardonnez-moi de ne pas partager l’enthousiasme de M. Kristof.
Plutôt que de répondre point par point, je me limiterai à trois commentaires généraux.
Premièrement, les exemples auxquels renvoie M. Kristof sont les principaux concurrents du concours des réformes welfaristes les plus futiles de l’histoire moderne.
Ceci inclut la Proposition californienne 2, la Directive de la Commission européenne sur les oeufs produits en batterie, et l’alliance diabolique entre les groupes de défense des droits des animaux et Burger King.
J’ai déjà écrit à propos de tout cela et j’ai soutenu que ces réformes ne feront rien pour aider les animaux.
Deuxièmement, renvoyant à ces différentes réformes de la « viande heureuse », Kristof déclare :
À peu près à aucun moment de notre histoire cela n’aurait pu être possible, même pour les gens dotés de la sensibilité la plus raffinée (considérant que, pendant plusieurs siècles, ces personnes vertueuses n’étaient pas troublées par l’esclavage).
Voilà une déclaration étonnante.
M. Kristof ne semble pas être conscient que le Jaïnism, une des trois religions indigènes de l’Inde et, possiblement, l'une des plus vieilles traditions spirituelles du monde a, pendant plusieurs milliers d’années, soutenu que les animaux nonhumains ont une valeur inhérente.
Les Jaïns pensent que le respect du principe de l’Ahimsa, c’est-à-dire de non-violence, exige qu’ils soient végétariens et qu’ils ne mangent pas de viande, ni poisson ou œuf.
De plus, les Jaïns se dirigent de plus en plus vers l’adoption d’un régime strictement végétarien ou de la position végane.
Ainsi, en dépit des applaudissements que Kristof adresse aux welfaristes occidentaux, ceux qui, il y a plusieurs siècles, avaient une « sensibilité éthique raffinée » sont allés beaucoup plus loin que les prétendus développements progressifs contemporains.
M. Kristof paraît également ignorer que le souci pour le bien-être animal dans les civilisations occidentales n’a rien de nouveau.
Le paradigme du bien-être animal domine légalement et moralement depuis maintenant 200 ans et nous exploitons aujourd’hui plus d’animaux et ce, de manières plus horribles encore, qu’à n’importe quelle autre période de l’histoire de l’humanité.
C’est passablement simple : le mouvement pour le bien-être animal ne fonctionne pas.
Les règlements welfaristes procurent une très faible protection aux intérêts des animaux.
Et cela s’explique par le fait que les animaux sont notre propriété; ils sont des marchandises.
Protéger les intérêts des animaux coûte de l’argent et, généralement, nous n’acceptons de faire de telles dépenses que nous si nous espérons en tirer un avantage économique.
Ainsi, nous exigeons que les gros animaux soient assommés avant d’être découpés afin de réduire les dommages subis par les carcasses et de limiter les accidents de travail chez les employés.
Mais lorsque nous n’obtenons aucun avantage économique, nous ne protégeons pas les intérêts des animaux.
Cela est clair et il faut chercher loin et longtemps pour trouver un contre-exemple.
Le mouvement de défense du bien-être animal repose sur l’idée qu’il est acceptable d’utiliser des animaux pour les fins humaines parce qu’ils ont moins de valeur que les humains.
Cette idée est reflétée par la théorie de Peter Singer, que Kristof approuve explicitement dans son éditorial.
La première exigence du mouvement welfariste est que nous considérions l’intérêt des animaux à ne pas souffrir.
Mais puisque la vie des animaux est jugée n’avoir peu ou pas d’importance morale, nous ne devrions pas être surpris d’apprendre que le degré de considération exigé est minime.
Troisièmement, M. Kristof, malgré ses évidentes bonnes intentions, passe à côté de l’élément essentiel dans tout ça, soit le fait que les réformes en faveur de la « viande heureuse » qu’il louange avec enthousiasme ne feront que rendre le public plus à l’aise par rapport à l’exploitation animale et l’inciteront à continuer à consommer des produits animaux.
Par exemple, même si la Proposition 2 californienne prend effet en 2015, les animaux de la Californie continueront d’être torturés ; la seule différence sera que cette torture portera alors le sceau d’approbation de la Humane Society of the United States, de Farm Sanctuary et des autres corporations pour le bien-être animal qui font la promotion de la Proposition 2.
M. Kristof démontre mon propos.
Dans l’avant-dernière phrase de son éditorial, il affirme :
« Pour ma part, je mange de la viande, mais je préfère que cette pratique n’inflige pas de souffrance gratuite ».
Voilà qui dit tout.
Gary L. Francione
© 2009 Gary L. Francione