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Il faut agir contre l'exploitation sexuelle des enfants (Claire Brisset, Le Monde)

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Faut-il se réjouir de la succession d'événements invraisemblables qui vient de se produire au Maroc ?

Un roi qui prononce distraitement la grâce d'un violeur d'enfants multirécidiviste.

Un formidable mouvement d'indignation populaire.

La marche arrière précipitée de ce même roi.

Les réactions embarrassées de l'Espagne où le violeur était retourné.

Et finalement son arrestation en Espagne, pays dont il possède la nationalité alors même, explique-t-on, qu'il est d'origine irakienne et qu'il avait contribué à l'arrestation de Saddam Hussein...

Tout cela pourrait constituer le scénario d'un mauvais film auquel on aurait peine à croire.

Sauf que cette affaire nous rappelle à la réalité, une réalité sur laquelle elle jette une lumière crue : les abus sexuels à visée lucrative sur des enfants sont en plein développement et ce, dans le monde entier.

Sur ce point, l'imagination humaine paraît sans limites.

Comme le souligne le magistrat Yves Charpenel, président de la Fondation Scelles qui se consacre à la lutte contre la prostitution et le trafic d'êtres humains, il y a eu très peu de condamnations depuis dix-huit mois, malgré l'abondance des textes, nationaux et internationaux, qui criminalisent l'exploitation sexuelle des mineurs.

La crise et la pauvreté des familles, le sentiment d'impunité des clients, les facilités inouïes qu'offrent les moyens de communication, tout contribue à faire du corps des enfants, dont les plus jeunes sont des bébés, une véritable marchandise.

DES CRIMES. DE L'ESCLAVAGE, PLUS PRÉCISÉMENT

Que faut-il de plus pour sortir l'opinion publique de sa léthargie ?

Lui parler du Cambodge, directement passé de la période post-génocide à une véritable "thaïlandisation", où les enfants se vendent et se louent, s'exportent vers tous les pays de la région ?

Rappelons ce qui se passe, justement, en Thaïlande, maison mère s'il en fût de l'exploitation sexuelle : vol ou achat de mineurs à leurs parents, confiscation de leurs passeports, enfermement dans des bordels jusqu'à la fin, la fin étant, le plus souvent, une maladie vénérienne, le sida, la drogue, puis le rejet final, la rue.

Il faut parler de Madagascar où les plages paradisiaques de Nosy Be sont devenues une destination très prisée des touristes sexuels dans l'océan Indien, détrônant ainsi l'île Maurice.

On y arrive de Mayotte, toute proche, de La Réunion, d'Europe. L'extrême pauvreté y rend l'école inaccessible, et il arrive que des parents eux-mêmes, dans une stratégie désespérée de survie, poussent leurs enfants vers la prostitution.

La corruption aidant, les peines pourtant très lourdes prévues par le code pénal malgache sont très rarement appliquées.

Quant aux clients, beaucoup, à Madagascar, sont français.

A tel point que l'ambassade de France à Tananarive a dû publier sur son site des extraits du code pénal malgache et... de la loi française puisque, grâce au système d'extraterritorialité, les autorités judiciaires françaises peuvent punir ce type de crimes, même commis hors de France.

Car il s'agit bien de crimes.

De l'esclavage, plus précisément.

En France, 30 proxénètes constitués en réseau agissant à la fois dans le Loiret et en Espagne, et exploitant 300 jeunes femmes, avaient pris l'habitude de tatouer sur le poignet de leurs victimes... un code-barres, pour bien leur rappeler leur statut d'objet, au cas où elles l'auraient oublié.

Ils seront bientôt jugés en Espagne et en France.

ACTION DE RÉPARATION DES VICTIMES

En Malaisie, les bordels sont officiels, et le phénomène s'étend à l'Afrique, notamment au Maroc et dans les pays en guerre, à toute l'Europe de l'Est ; développement accéléré dans les grandes métropoles indiennes, aux Philippines et en Indonésie, chasses gardées des pédophiles australiens et japonais, quel pays du monde est épargné ?

Aucun, grâce aux miracles d'Internet, si propice à la pédo-pornographie, elle aussi en plein développement.

Bien entendu, la seule question qui vaille face à un phénomène qui toucherait aujourd'hui, estime-t-on, quelque 3 millions d'enfants, reste : que faire ?

Commencer par appliquer les textes, il n'en manque pas.

Intercepter, arrêter, condamner les délinquants sexuels impose une vraie volonté politique.

Ceux qui agissent sur le terrain le font parfois au péril de leur vie car le crime organisé est ici d'une puissance comparable à celle des trafiquants d'armes et de drogue.

Ils n'en peuvent plus de se battre contre l'impuissance, l'impunité, la corruption, l'indifférence.

Les associations, les organismes de la famille des Nations unies, l'Unicef au premier plan, multiplient les actions de prévention, de réparation des victimes, d'alerte auprès de l'opinion publique.

Et s'épuisent.

Ainsi, l'approche de la Coupe du monde de football au Brésil en 2014 terrifie à l'avance les militants de la protection de l'enfance.

Le Brésil est l'un des pays les plus touchés au monde par cette forme de criminalité.

Un événement de cette ampleur risque de la décupler.

Faut-il rappeler pour finir une vérité élémentaire ?

L'exploitation sexuelle des mineurs commence dans la tête des clients.

Oui, dans leur tête...

Dans la façon dont ils ont été élevés, se sont construits, pour ensuite oublier qu'ils avaient été eux-mêmes des enfants.

Qui ne demandaient qu'une chose : qu'on les laisse vivre et grandir.


Claire Brisset (Défenseure des enfants (2000-2006))

http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2013/08/09/il-faut-agir-contre-l-exploitation-sexuelle-des-enfants_3459359_3232.html

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