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Merci Sylviane Agacinski

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"La prostitution est une servitude archaïque qu'il faut faire reculer"

LE MONDE | 20.11.2013 à 11h09 | Propos recueillis par Gaëlle Dupont

Sylviane Agacinski, 68 ans, est philosophe. Elle a consacré de nombreux ouvrages à la question de la différence et des rapports entre les sexes et critique la marchandisation du corps humain, notamment dans Corps en miettes (Flammarion, 138 p., 12 euros). Elle défend la proposition de loi visant notamment à sanctionner les clients de prostituées, qu'une commission spéciale de l'Assemblée nationale a adoptée, mardi 19 novembre, et dont les députés débattront fin novembre.

En 2012 vous avez signé une pétition louant le courage de la ministre Najat Vallaud-Belkacem, attaquée sur son souhait de faire disparaître la prostitution. Pourtant, elle n'est pas à l'origine du texte qui arrive à l'Assemblée. A-t-elle manqué de courage ?

Sûrement pas. La ministre des droits des femmes était dans son rôle en rappelant que l'abolition de la prostitution est la position officielle de la France depuis 1946. Face à ceux qui réclament la légalisation du "travail du sexe" et la dépénalisation du proxénétisme, comme le Strass , il fallait réaffirmer que la prostitution est une servitude archaïque qu'il faut faire reculer. De leur côté, les députés sont dans leur rôle en faisant une proposition de loi pour pénaliser la demande, soutenus par la ministre et par les associations féministes.

Le tollé suscité par le "manifeste des 343 salauds" publié dans "Causeur" n'est-il pas le signe que la position abolitionniste est aujourd'hui dominante dans le débat public ?

Les 343 rigolos qui se sentent menacés dans leur virilité s'ils ne peuvent plus se payer une "pute", comme ils disent, devraient faire le trottoir pendant quelque temps, cela les aiderait peut-être à réfléchir. Il y a une totale dissymétrie entre le client qui cherche son plaisir, une fois de temps en temps, et la personne qui doit subir des relations sexuelles en série, au mépris de sa sensibilité et de son propre désir.

Par ailleurs, les clients disent recourir à la prostitution notamment pour assouvir des fantasmes que leur partenaire répugnerait à satisfaire. C'est intéressant. Consultez, sur Internet, la tarification des "services sexuels", vous trouverez, au-delà des actes habituels, des prestations comme la douche d'urine, ou de sperme, "sur le visage de la travailleuse" , et autres pratiques spéciales. Le commerce de la chair est une négation de la personne, c'est ce que l'opinion accepte de plus en plus mal.

La pénalisation du client n'est-elle pas une façon déguisée de prohiber la prostitution et de porter un jugement moral sur cette activité ?

Il ne s'agit pas de savoir s'il est bien, moralement, de se vendre, mais s'il est légitime de prétendre acheter un corps, et donc de mettre fin à la vieille hypocrisie bourgeoise qui condamnait les "filles publiques" et protégeait leurs clients. Ce qui est en cause, c'est l'organisation du marché du sexe, avec ses producteurs (trafiquants et proxénètes), ses marchandises (les personnes prostituées) et ses consommateurs (les clients). Partout, dans la société, la sexualité est exclue des services, et chacun a droit à son intimité. Seul le corps prostitué perd ce droit, en tant qu'il est mis à disposition d'un public payant.

Certaines femmes affirment avoir fait le choix de se prostituer. Peut-on leur dénier ce droit, même si elles sont minoritaires ? Ne passe-t-on pas sous silence la diversité des situations dans la prostitution ?

On a appris, il me semble, à se méfier des sophismes sur le "libre choix". On a vu des esclaves qui voulaient le rester, on voit des travailleurs clandestins qui "choisissent" de travailler dans des caves douze heures par jour, ou des femmes qui "choisissent" de porter le voile intégral. La "liberté" de se laisser asservir est une contradiction dans les termes. Les lois sont faites pour définir les relations sociales justes et équitables, pour garantir la liberté, la dignité et la santé de chacun, et non pour abandonner les plus pauvres à l'emprise de l'argent sur leurs vies.

Même des migrantes, considérées comme victimes de la traite par les pouvoirs publics, affirment préférer le trottoir en France à la vie dans leur pays d'origine. Pourquoi mettre en doute leur parole ?

Personne ne peut croire que les migrantes décident, une par une, de venir se prostituer sur les trottoirs parisiens. 80 % des prostituées en France sont "importées" en masse en Europe occidentale, depuis l'Afrique, l'Europe de l'Est ou l'Asie, par des réseaux extrêmement violents. Elles ont peur. Les autres sont poussées vers la prostitution par la pauvreté. Le premier effet d'une pénalisation de la demande sera de décourager les réseaux en dissuadant les clients.

Les associations de terrain redoutent de voir disparaître la prostitution visible, mais pas la prostitution cachée, avec des effets négatifs sur la sécurité et la santé des prostituées. Qu'en pensez-vous ?

Le problème est-il seulement d'améliorer les conditions de la servitude sexuelle, ou bien d'en contester le principe ? En réalité, la prostitution est intrinsèquement dangereuse pour la sécurité des femmes, elle est ravageuse pour leur santé physique et mentale. Beaucoup sont obligées de se dissocier de leur corps pour pouvoir le laisser à la disposition du client. Alors, n'utilisons pas, comme toujours, l'argument hygiéniste pour mieux maintenir le statu quo, voire pour légaliser le "travail" du sexe. Posons d'abord que le corps humain n'est pas à vendre, et soyons pragmatiques ensuite.

http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2013/11/20/la-prostitution-est-une-servitude-archaique-qu-il-faut-faire-reculer_3516983_3224.html?xtmc=sylviane&xtcr=1

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