"Nous sommes tous des charlots", Nicolas-Jean Brehon (Le Monde)
Par Nicolas-Jean Brehon, initiateur du parcours du « Paris arabe historique »
Nous sommes tous des Charlie ? Ah oui, vraiment ? Personne n’est Charlie. Charlie avait une audace, une irrévérence, une liberté dont j’use et abuse aujourd’hui, mais dont personne n’est à la hauteur. Car si c’était le cas, toute la presse, nationale, européenne, mondiale, devrait publier les fameuses caricatures qui, sans nul doute, ont été à l’origine de la vengeance meurtrière. Mais qui osera ?
Certes, on va tous se réunir pour une minute de silence, on va tous porter notre badge Je suis Charlie. Le fameux soir, des textos circulaient pour mettre des bougies aux fenêtres. Mêmes les Américains sont des Parisiens, pour l’heure, et les symboles de cette bonne conscience hypocrite, en publiant des dessins floutés. Ces gestes de compassion ne doivent pas faire illusion. Non seulement, Charlie a été lâché par de nombreux politiques, en son temps, mais, demain, qui osera dire, écrire, dessiner comme ces assassinés ? Maintenant que tout le monde sait que le premier qui le fait sera buté. Un jour. Même dix ans après.
Ce n’est pas faire d’amalgame que dire qu’il existe un terrorisme islamique. C’est au contraire faire le partage entre le bon grain et l’ivraie, entre les hommes de bonne volonté et l’ivresse religieuse. J’espère faire partie des premiers. Mais j’ai peur.
Qui dira les mots ?
Peur de la terreur bien sûr, mais peur de nos faiblesses surtout. Tellement limpides à l’examen des propos convenus des officiels. « Acte terroriste », « Neutraliser les criminels », qui relèvent de la psychiatrie, ajoutent même certains. L’affaire est traitée comme s’il s’agissait d’une attaque de bijouterie ou d’un attentat dans la rue, voire d’une maladie mentale. Alors qu’il s’agit d’une explosion d’un pilier de la démocratie. Il faut voir les choses en face. Seul Philippe Val, l’ancien patron de Charlie Hebdo, a eu les mots justes sur BFM : « Il faut apprendre à ne plus parler de la même façon de tout ça. »
Mais qui dira les mots ? Qui redessinera ? Puisque la terreur, ou pire, l’auto-contrôle, s’est imposée dans nos têtes. Il y a deux façons de lire cet événement. L’intellectuelle et la déjantée.
La liberté de la presse est au fronton de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Elle a été assassinée en 2015. Le 7 janvier 2015 à 11 h 28. A cette heure, des Français ont tué ce que la France de 1789 avait su créer. Les auteurs du massacre avaient sans doute d’autres lumières en tête et avaient pour ressort un sens du sacré qui fait leur folie mais aussi leur force. Face à une société qui n’en a plus.
Et puis, il y a la façon Charlie. Cette tuerie a été commise par des pieds nickelés grotesques qui n’ont aucune idée de ce que veut dire la liberté de la presse. Grotesques – qui perdent leur carte d’identité ! – d’identité ? – mais armés. Rien à faire ce matin, tiens, si on allait buter Cabu ?
Une idée pour conclure, : changer le nom de la rue Nicolas-Appert en rue Cabu ou en rue Charlie-Hebdo. Un nom de rue, ça conserve.
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