Janez Drnovšek (1950-2008)
http://vegetarismus.ch/heft/f2006-1/slowenische_praesident.htm
Dans toute l’histoire de l’humanité, on ne compte que quelques rares chefs d’Etat qui ont été végétariens et ont pris une position sérieuse en faveur des droits des animaux. Même à ce jour, il n’y en a que très peu. La Slovénie est l’une des rares lumières brillant dans le monde politique actuel. En accordant cette interview, le président slovène Dr Janez Drnovšek a exprimé pour la première fois un message au peuple, afin qu’il commence à réfléchir sur l’inimaginable brutalité avec laquelle les humains traitent les animaux.
Damjan Likar, éditeur en chef de la revue ‘Animal Liberation’, a interviewé le Dr Drnovšek le 15 décembre 2005 à Brdo près de Kranj, Slovénie.
En voici le rapport complet :
Q : Pourquoi êtes-vous devenu végétarien et quels sont les changements que vous avez constatés ?
R : Parce que la nourriture végétarienne est meilleure, de qualité supérieure. Nous mangeons de la viande parce que c’est ainsi que nous avons été élevés. Je suis végétarien depuis quelques années et tout récemment je suis végan, ce qui signifie que je ne consomme ni lait, ni produits laitiers, ni œufs. Il reste encore un choix abondant d’aliments végétaux, qui suffisent amplement à nos besoins. J’ai pris cette décision en accord avec un sentiment intérieur. Certains pensent que l’alimentation végane est très limitée et monotone, ce qui est faux. Elle peut être très variée.
Q : Plus précisément, quelle a été la raison principale pour changer votre alimentation ? Était-ce en relation avec une maladie grave que vous auriez eue ?
R : J’ai commencé à changer graduellement mon alimentation. Le premier pas a été de supprimer la viande rouge, ensuite la volaille, et enfin le poisson.
Q : Après avoir changé votre alimentation pour adopter le végétarisme, vous sentez-vous mieux et en meilleure santé ?
R : Je me sens très bien – on dit même que j’ai trop d’énergie !
Q : Lors de la Journée annuelle (4 octobre) pour la protection des animaux, vous avez invité des membres de la Société pour la libération et le droit des animaux en vue d’une discussion. De quoi avez-vous discuté ?
R : Je les ai invités en premier lieu pour tenter de faire passer le message au public à l’occasion de cette Journée. Nous ne réalisons pas toujours comment nous traitons les animaux, comment nous nous comportons envers eux. Ce sont des créatures vivantes. Comme je l’ai dit, les gens ont une certaine idée reçue concernant notre attitude envers les animaux, avec pour résultat qu’il est rarement question de réfléchir aux conséquences de ce comportement. Si nous ne pensons qu’un petit moment à la manière dont l’homme traite les animaux et quel impact il exerce sur le monde animal, nous pouvons affirmer que l’homme n’est pas humain du tout. Ne pensez qu’à tous les abattoirs et à la production de viande de bœuf et de volaille, où la situation de ces animaux est tout simplement inadmissible. Les animaux sont transportés dans des camions, la plupart du temps sans être abreuvés, ce qui est extrêmement cruel. Ce n’est pas que les gens soient foncièrement mauvais, simplement ils n’y pensent pas. Lorsque le produit final arrive dans leurs assiettes, il ne réfléchissent pas à ce qui s’est passé avant.
Q : Ainsi donc, vous avez décidé de devenir végétarien pour des raisons éthiques également ?
R : Les questions éthiques sont une partie des raisons ; l’autre partie est le fait que les humains n’ont pas besoin de viande. Ce ne sont que des habitudes que nous suivons et qui nous ont été inculquées dès l’enfance. Il est probablement difficile de changer du jour au lendemain, mais cela peut se faire petit à petit. C’est ce que j’ai fait.
Q : Vous avez parlé dans les médias des subsides accordés pour l’élevage intensif du bétail. Pour quelle raison avez-vous fait cela ?
R : Je crois que c’est de la folie que la principale priorité de l’Union Européenne soit d’accorder un pourcentage d’un million de subsides aux éleveurs, spécialement ceux liés aux produits carnés. Le fait que l’Union Européenne accorde des subsides à la production intensive de viande et de volaille est vraiment l’obstacle majeur du point de vue éthique. Mais pas seulement cela : c’est aussi vrai du point de vue de la nutrition. La nature nous le rappelle fréquemment, comme pour la vache folle, plus récemment la fièvre aphteuse et maintenant la grippe aviaire. Il est clair que quelque chose se passe qui ne le devrait pas. Ce quelque chose perturbe l’équilibre naturel et constitue un avertissement à nous tous.
Q : Les produits végétariens dans les magasins sont plus chers que les produits carnés, ce qui n’encourage pas les gens à acheter des produits plus sains. Croyez-vous que davantage de gens arrêteraient de manger de la viande si l’option végétarienne était moins chère ?
R : C’est là aussi un aspect du problème, bien que je pense que la raison principale est la perception, la conscience de la population. Il faut que les gens réalisent ce qui se passe et à quoi ils prennent part. Je crois que la clé du problème est là. Cela, à son tour, conduit à la politique, c’est-à-dire la politique agricole, les subsides au monde agricole et les directions à prendre dans le futur. Au lieu d’utiliser d’énormes ressources au profit de la production de viande nous devrions les utiliser pour divers produits biologiques comme les céréales, les légumes et légumineuses, les fruits et tous les produits annexes. Cela serait certainement plus aimable envers la nature, vu que la production biologique signifie l’exclusion de fertilisants chimiques et des additifs. Cela signifierait ne pas polluer l’environnement et éviter les additifs chimiques dans notre nourriture. Nous consommons chaque jour tous ces produits chimiques, qui sont nocifs. Hélas, derrière tout cela, il y a les intérêts des grandes firmes agroalimentaires, les lobbies, les juteux profits, qui constituent une force dirigeant les conglomérats de l’industrie alimentaire. Toutefois, je crois que la prise de conscience de la population continue de croître dans notre pays et aussi dans l’UE. Les gens souhaitent bénéficier de plus en plus d’alternatives naturelles ; ils se tournent plus vers la nature et connaissent mieux les problèmes liés aux animaux et aux produits animaux.
Q : Recommanderiez-vous aux gens, sur la base de votre expérience personnelle, de se tourner vers le végétarisme ?
R : Si je le fais moi-même, je ne vois pas la raison pour laquelle je ne le recommanderais pas aux autres. Je n’ai pas à m’en plaindre, comme je l’ai déjà dit ; j’ai plus d’énergie que je n’en ai besoin. Moi-même, je suis la preuve vivante qu’il est possible de survivre sans viande et sans produits animaux.
Q : Quel est votre point de vue sur le fait que nous avons tous à payer le même montant en fait d’assurance-maladie ? Il est pourtant évident que les végétariens sont notablement en bien meilleure santé et font beaucoup moins souvent appel aux services médicaux.
R : Ceci est un grand problème, mais le concept dans sa globalité pourrait être différent. Je ne crois pas que c’est un point valide parce qu’il faut qu’il y ait une certaine solidarité, par laquelle les personnes en bonne santé aident celles qui ne le sont pas. Cependant, il est vrai que chacun d’entre nous est responsable de sa propre santé. Si nous consommions moins d’aliments malsains et nocifs, nous allégerions considérablement la charge financière qui pèse sur les services sanitaires. Bien entendu, ceci ne serait pas dans l’intérêt de tous si cela devait se produire. Que deviendraient les grandes industries pharmaceutiques et les gigantesques compagnies multinationales qui gagent des milliards grâce aux personnes malades ?...
Q : Que pensez-vous de la chasse?
R : La chasse en tant qu’activité de tuer des animaux et que 'sport' n’est certainement pas éthique. Si vous faites référence à la section de l’organisation de chasse qui surveille l’environnement naturel et les animaux sauvages, par exemple en s’occupant de nourrir ces animaux en hiver, elle est très utile. Chasser, qui est par définition le fait de traquer et de tuer des animaux n’est, par contre, pas du tout éthique.
Q : Et quel est votre avis concernant les expériences sur des animaux vivants ?
R : Ceci est un dilemme bien connu qui a récemment été examiné par les instances politiques en Europe, en Grande-Bretagne. Vous devriez vous interroger si vous aimeriez vous-même subir de telles expériences. Durant la seconde guerre mondiale, mon père a été prisonnier dans le camp de concentration de Dachau, où il a été victime, tout comme des milliers d’autres personnes, d’expériences médicales. Il n’a pas aimé cela du tout. Certaines personnes diront que ces expériences sont nécessaires pour le progrès de la science, mais je suis convaincu que des méthodes alternatives peuvent être utilisées sans avoir recours aux animaux.
Q : D’où pensez-vous que le traitement brutal envers les animaux trouve son origine?
R : Cela vient du bas niveau de conscience de la population.
Q : Et d’un point de vue historique?
R : Il est difficile d’en situer le moment exact dans l’Histoire. C’est une question de respect envers la vie en général. Les animaux sont des créatures vivantes dotées de sensibilité. Chaque personne qui possède un animal domestique sait que les animaux ont des sentiments. Les religions mondiales parlent souvent de respecter la vie, mais elles ne parlent que de la vie humaine, parfois même moins que cela. Si l’on regarde en arrière jusqu’au Moyen Âge, les catholiques ont proclamé longtemps que les Indiens natifs à peau rouge asservis par les Espagnols et les Portugais n’avaient pas d’âme. Cela signifiait qu’ils ne les avaient pas considérés comme des créatures dotées de sentiments. Ensuite, il ont changé d’avis et déclaré que les Noirs n’avaient pas d’âme, d’où des siècles d’esclavage des Noirs. Tout cela avec la bénédiction de l’Église. Aujourd’hui, plus personne n’accepte encore de telles déclarations. On peut voir que la conscience historique de la population est changeante en dépit des vues exprimées de la part de certaines institutions à des moments donnés.
Q : C’est bientôt Noël. Pour des millions de gens, c’est le temps du bonheur, de l’amour et de la paix. Pour des millions d’animaux, c’est le temps d’une cruauté encore aggravée dans les abattoirs, un temps où nos tables regorgent de cadavres. Et tout ceci afin de célébrer la naissance d’un homme qui aimait les animaux, les protégeait et ne les tuait pas. Quel est votre position à ce sujet?
R : Jésus se retournerait dans sa tombe s’il savait qu’un abattage massif d’animaux était perpétré chaque année en son nom. Son message était fondé sur le respect absolu de la vie et il est très difficile d’imaginer qu’il pourrait accepter le sacrifice, en son honneur, de millions de créatures vivantes.
Q : Êtes-vous conscient que tous les végétariens, vous compris, sont maudits par l’Eglise et condamnés au feu éternel ? (1)
R : Ceux qui disent cela ne sont pas habilités à décider qui va en enfer et qui n’y va pas.
Q : Les dirigeants de ce monde soulignent toujours leurs efforts pour une paix mondiale. Pensez-vous que la paix soit liée à notre relation avec les animaux et à nourrir les humains sans la nécessité de tuer les animaux? Tolstoï a dit : « Tant qu’il y aura des abattoirs, il y aura des guerres ».
R : Si le niveau de conscience d’une personne est très élevé, elle ne tuera pas ni n’infligera des actes cruels aux animaux. On ne peut pas s’attendre d’une telle personne à aller à la guerre et tuer d’autres gens pour un profit quel qu’il soit. Les gens qui ne tuent ni ne mangent des animaux ont une plus grande chance d’atteindre un mode de vie de paix et d’harmonie. Tout est lié dans sa propre conscience. À un niveau supérieur, le lien se fait avec les autres. Rendre les gens plus conscients, c’est là la clé.
Q : Comment les politiques au niveau mondial voient-ils cela ?
R : Les politiques au niveau mondial ne sont pas davantage conscients que la majorité des gens. J’ai remarqué que dans de nombreux cas des gens ordinaires sont plus conscients que les politiques. On voit de nombreuses organisations non gouvernementales promouvant des causes qui ne sont pas les priorités des gouvernements. Cela est valable concernant notre traitement envers les animaux, l’environnement ou les modifications climatiques. Cette pression pour un changement vient de personnes ordinaires de notre société. Lorsqu’une fraction critique de gens acceptent une
idée, quand la majorité des gens espèrent et réclament un changement, alors les politiques répondent à cette aspiration. Hélas, les politiques ne sont pas ceux qui encouragent les autres à être conscients ; au lieu de cela, ils suivent l’opinion du public du moment. Mais lorsqu’ils sentent son soutien leur échapper, alors ils révisent leurs priorités.
Q : Tolstoï est l’un des nombreux 'grands esprits' de l’humanité qui a parlé ouvertement en faveur du végétarisme. J’y ajouterai les quelques noms suivants : Pythagore, Leonard de Vinci, Nikola Tesla, Albert Einstein, et le Mahatma Gandhi… Ces personnes sont renommées pour l’importance de leurs oeuvres et les résultats qu’ils ont obtenus, et sont souvent cités du fait de leur génie. Pourquoi pensez-vous que l’humanité refuse d’écouter leurs convictions concernant les animaux et le végétarisme ? Prenons l’exemple audacieux de la déclaration d’Albert Einstein: « Rien n’augmentera davantage les chances de survie sur Terre que le passage à l’alimentation végétarienne de l’humanité. » Quel est votre réaction concernant la citation de ce grand savant de la physique ?
R : Certainement, les chances de survie à long terme de l’humanité vont augmenter. Tout est lié. Une meilleure qualité de la nourriture est en quelque sorte liée avec un niveau plus élevé de la conscience. C’est un processus parallèle, et si nous pouvons faire l’un nous pouvons faire l’autre. Il est cependant peu raisonnable d’attendre de personnes n’ayant qu’un niveau peu élevé de conscience et qui sont cruels envers les animaux de mettre fin aux guerres, d’arrêter de manipuler leurs semblables, d’aider à éradiquer la pauvreté dans le monde. En bref, tant que le niveau de conscience est bas, tous les conflits actuels dans le monde persisteront et augmenteront, même les risques de l’extinction des humains.
Q : Les gens qui disent aimer les animaux mais mangent de la viande sont-ils de vrais amis des animaux ?
R : Je pense que ces gens aiment vraiment les animaux, leurs animaux domestiques, mais par ailleurs mangent systématiquement d’autres animaux. Si ces mêmes personnes devaient abattre elles-mêmes une vache avant d’avoir un steak dans leur assiette, elles y réfléchiraient à deux fois. Les produits carnés sont présentés à la vente sous une forme tellement modifiée que les gens ne font pas le lien avec des animaux vivants et réels.
Q : Certaines femmes portent de la fourrure d’animaux en hiver. Que pensez-vous de cette industrie de la mode ?
R : Ici encore, il s’agit d’une prise de conscience par la population. Souvent les gens acceptent automatiquement des modèles de comportement sans se poser de questions. Ce n’est que lorsqu’on se les pose qu’on peut modifier son point de vue et mieux percevoir le type de produit acheté.
Q : D’où les gens détiennent-ils le droit de tuer, d’emprisonner et de torturer les animaux, et en même temps réclamer la paix et des droits pour eux-mêmes ? Est-ce que ceci est approuvé par la Constitution ?
R : Ce n’est pas inscrit dans la Constitution en tant que tel. Evidemment, les juristes et législateurs diront que ce n’est pas exclu ; en fait c’est présumé légal.
Q : De source non officielle, j’ai appris que votre chien Brodi était végétarien. Est-ce vrai ?
R : Votre information est exacte. Mais vous devriez lui demander, car je ne suis pas autorisé à répondre en son nom. (Rires.)
Q : Merci beaucoup, Monsieur le Président, de nous avoir accordé cet entretien.
(1) Anathème prononcé par le pape Jean III (561-574) lors du premier synode tenu à Braga, au Portugal: « Si quelqu’un refuse, pour des raisons malsaines, de manger des plats de viande que Dieu a offerts aux êtres humains pour leur consommation, alors qu’il soit l’objet d’un anathème. »
(Cod. Alderspac. 184 membranac. Saec. XIV. zit. nach Ignaz von Döllinger, Beiträge zur Sektengeschichte des Mittelalters, Bd. 2, München 1890, S. 295 f.).