Suite à notre rencontre avec Gary Francione* à l'occasion de la conférence qu'il a donnée au Collège International de Philosophie en avril dernier à Paris, c'est avec un immense plaisir que nous publions cette interview que ce célèbre théoricien des droits des animaux a bien voulu nous accorder. |
* Gary Francione, né en 1954, est avocat, et professeur de droit à la Rutgers University School of Law, université publique de l'Etat du New Jersey, aux États-Unis.
Il est notamment l'auteur de traités comme "Animals, Property, and the Law" (1995), et "Rain Without Thunder: The Ideology of the Animal Rights Movement" (1996).
Ses positions sont analysées par Enrique Utria dans « Droits des animaux, théories d'un mouvement », publié par notre association.
1. Vous défendez le développement de grandes "campagnes pro-veganisme" afin d'arrêter l'esclavage des animaux.
Cependant, nous savons qu'il est très difficile pour le public d'être confronté à une pratique qui semble vraiment "extrême", comparée à leur alimentation actuelle.
Nous devons admettre que beaucoup d'activistes vegans ont été végétariens avant de devenir vegans.
Est-ce que vous pensez que nous devrions arrêter de parler du végétarisme (qui n'est pas vraiment en accord avec les droits des animaux) malgré la difficulté de convaincre quelqu'un d'adopter le mode de vie vegan très éloigné de la norme, ou pensez-vous qu'on puisse présenter le végétarisme comme une étape pratique vers le veganisme, et non comme une étape morale, par exemple en spécifiant que le végétarisme n'est pas une pratique de consommation conforme aux droits fondamentaux des animaux ?
Sinon, de quelle(s) manière(s) pensez-vous que vous pouvez promouvoir efficacement le veganisme, quelle(s) méthode(s) doit/doivent-être utilisée(s) ?
Oui, je pense que nous devrions cesser de promouvoir « le végétarisme » dans la mesure où cela signifie consommer n'importe quels produits.
Si quelqu'un consomme du poisson, du fromage, du lait, etc., alors c'est un omnivore qui ne mange tout simplement pas certains aliments animaux.
Nous devons arrêter de dépeindre le veganisme comme « extrême » dans quelque sens que ce soit.
C'est le seul choix cohérent pour ceux qui prennent les intérêts des animaux au sérieux.
Vous mentionnez que beaucoup de vegans ont commencé comme végétariens.
Il est aussi vrai que beaucoup de gens qui prétendent adhérer aux « droits des animaux » sont végétariens depuis des années et ne sont jamais devenus vegan – j'ai rencontré bon nombre de telles personnes quand j'étais récemment en France et j'en rencontre où que j'aille.
Mais tout ceci a davantage à voir avec le fait que le « mouvement » ne promeut pas le veganisme comme la position de base et, en effet, le dépeint comme extrême, ou, comme le prétend Singer, « fanatique ».
Ceci doit vraiment cesser.
Il est aussi vrai que si vous incitez les gens à devenir vegan, beaucoup – la plupart peut-être - ne vont pas le faire immédiatement mais vont progresser pas à pas.
Il est cependant important qu'ils comprennent que le véganisme est le but et que le végétarisme ne l'est pas, et qu'il ne peut pas être pensé comme représentant un acquittement significatif de notre obligation morale envers les non-humains.
Nous ne devrions jamais donner l'idée que le végétarisme est en soi souhaitable, ou autre chose d'autre que l'exploitation animale avec une étiquette plus bénigne.
Les pas vers le véganisme devraient eux-mêmes être vegan.
Par exemple, j'incite toujours ceux qui prétendent qu'ils ne peuvent pas faire le changement immédiatement à commencer par un repas vegan par jour et à s'y tenir pendant une semaine environ (ou le temps nécessaire) et ensuite à passer à un deuxième repas vegan et ensuite au troisième.
C'est-à-dire, prenez un petit déjeuner vegan pendant une période, puis prenez un petit déjeuner et un déjeuner vegan, et enfin prenez les trois repas vegan.
Mais je n'encourage jamais le végétarisme ou la consommation de viande ou de produits animaux « heureux » .
Même si quelqu'un va devenir « végétarien » comme étape vers le véganisme, je pense qu'il est important que le message soit clairement que le véganisme est la seule réponse pour ceux qui prennent les intérêts des animaux au sérieux.
Les abolitionnistes ne devraient jamais soutenir – en matière d'éthique ou de stratégie pratique – le végétarisme, la viande « heureuse », etc.
Si des gens acceptent l'approche abolitionniste mais ne sont pas prêts à devenir vegan même de façon partielle, et qu'ils choisissent le végétarisme comme une étape supposée vers le véganisme, cela devrait être une question qui relève de leur propre choix et non pas de notre encouragement à faire ainsi de quelque manière que ce soit.
Beaucoup - si ce n'est la plupart - de nos essais sur notre site web (www.abolitionistapproach.com) traitent du véganisme, mais il se peut que les essais suivants soient pertinents pour votre question.
Ils ont été traduits en Français comme tout le contenu de notre site :
L'éducation au véganisme rendue facile - Partie I
Entrevue sur le véganisme/abolition pour The Vegan
« Oh mon Dieu, ces vegans… »
« Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter. »
Quelques réflexions à propos de l'éducation au véganisme
L'éducation au véganisme rendue facile - Partie I
2. Vous dites que la promotion du véganisme est la meilleure chose que nous puissions faire pour aider les animaux.
Mais cela signifie-t-il que les campagnes sectorielles sont inadéquates même si elles sont menées avec les droits des animaux pour fondements ?
Pourriez-vous soutenir une campagne qui réclame l'interdiction d'actions cruelles telles que le gavage des oies, la castration, le débecquetage, etc., si elle a pour fondement les droits des animaux, ou pensez-vous que c'est impossible ?
Si oui, pouvez-vous expliquer pourquoi ?
De manière générale, je ne suis pas en faveur des campagnes contre un problème sectoriel.
Souvenez-vous que nous vivons dans un monde de temps limité et de ressources limitées.
C'est la situation des vases communicants.
Le temps et les autres ressources que nous dépensons pour les campagnes contre un problème unique représentent des ressources qui ne peuvent pas être utilisées pour promouvoir le véganisme, ce que je considère comme la plus importante chose que nous puissions faire.
Il y a un danger dans les campagnes contre un problème unique dans le fait qu'elles donnent l'impression que certaines formes d'exploitation sont moralement pires que d'autres.
Oui, le foie gras est produit en utilisant une méthode barbare. Tout comme tous les autres produits animaux.
Si nous promouvons les campagnes contre un problème unique, nous risquons de créer de la confusion vis-à-vis du public en leur laissant penser que s'ils s'achètent des oeufs provenant d'oiseaux qui n'ont pas été débecquetés, ou s'ils ne consomment pas de foie gras, ils ont agi de façon moralement satisfaisante.
Ce genre de confusion encourage le public à continuer de s'impliquer dans ce qui est représenté (à tort) comme une exploitation animale plus "humaine".
Si des militants vont promouvoir une campagne contre un problème unique, ils devraient poursuivre des campagnes qui interdisent, et non simplement régulent, les pratiques d'exploitation, et ces campagnes devraient être caractérisées explicitement et de façon répétée comme faisant partie d'un effort général d'éradication de toute exploitation.
Dans la plupart des cas, les campagnes contre un problème unique ne sont jamais dépeintes ainsi.
En effet, la raison d'être de ces campagnes contre un problème unique est de présenter des campagnes « modérées » qui sont utilisées avant tout dans le but de récolter des fonds.
Pour résumer, je pense que les campagnes sectorielles sont très dangereuses : elles courent le risque de créer de la confusion pour le public et en fait d'augmenter la consommation de produits animaux.
3. Notre association mène des actions d'interposition contre les chasseurs.
Ce sont des actions non violentes, qui visent à les empêcher de faire souffrir un animal et de le tuer dans le contexte de la chasse à courre.
Ceci est basé sur le droit fondamental qu'ont les animaux à vivre.
Que pensez-vous de ces actions ?
Les actions non violentes pour la défense d'autrui – qu'il soit humain ou non humain – ne posent pas de problème tant qu'elles sont vraiment non violentes.
Cependant, je vous mettrais en garde de ne jamais dépeindre la chasse comme étant pire que les autres formes d'exploitation.
Les animaux qui sont élevés dans les fermes, y compris dans les fermes « libre parcours », souffrent davantage que la plupart des animaux qui vivent dans la nature et qui peuvent être tués par des chasseurs.
Nous ne devrions jamais donner l'idée que la chasse est éthiquement moins souhaitable qu'acheter de la chair ou des produits animaux dans un magasin.
4. Vous présentez souvent un argument écologique, en faveur du Tiers-Monde, ou des raisons de santé pour promouvoir un mode de vie vegan, contrairement à notre association qui rejette l'utilisation de ces arguments.
Ne pensez-vous pas que ce type d'arguments est hors de propos dans la logique des droits des animaux ?
Ne pensez-vous pas qu'utiliser ce type d'arguments pourrait encourager les gens à penser que les animaux ne sont pas assez importants en tant que question morale pour justifier notre véganisme ?
Non, je ne suis ici pas d'accord avec votre position.
Tout d'abord, je souligne toujours le fait que l'argument premier est l'argument moral.
Ensuite, j'utilise l'argument sur l'environnement dans deux contextes principaux.
Je maintiens qu'il n'est pas « nécessaire », dans tout sens cohérent du mot, de consommer des produits animaux, et j'utilise l'argument écologique (et la question de santé) afin de soutenir l'argument de la nécessité.
J'utilise également l'argument écologique afin de discuter l'impact d'un régime alimentaire basé sur les animaux sur d'autres animaux – les humains.
Par conséquent, une agriculture basée sur les animaux viole les droits des humains et des non-humains de façon similaire.
Puisque je ne suis pas en faveur du spécisme, y compris du spécisme inversé, je pense qu'il est important de faire ressortir les liens.
Professeur Francione, merci.
http://www.droitsdesanimaux.net/tribune/interview_gary_francione_(fr).html