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L'art au marteau : un coup de massue pour les animaux (Libération)

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Par François Noudelmann •

Très chic, l'exposition italienne à la Fondation Sandretto Re Rebaudengo de vidéos artistiques montrant des animaux (cheval, chèvre, faon…) attachés et massacrés à coup de marteau.

Très chic, la présentation d'Adel Abdessemed, le "mauvais garçon" d'avenir : jeune, venu d'Algérie, soucieux des questions éthiques… adoubé par les institutions.

Le critique du Monde, Harry Bellet, rappelle que les Grenoblois, en 2008,  ont déjà vu ces bêtes se faire "estourbir", sans que cela provoquât le moindre tollé.

L'exposition fut pourtant annulée en Californie et en Écosse où "l'éthique" du spectacle a paru très douteuse .

Dans ce type d'exposition se reconnaît la fabrication du scandale, la collusion des bons sentiments et du voyeurisme bon marché.

Car filmer ces meurtres sauvages, nous dit le Discours estampillé art, a pour but de dénoncer la violence du monde.

Le Discours va même jusqu'à flatter la conscience de gauche puisque, expliquait déjà le programme du Magasin à Grenoble, "le marteau, est emprunté à la symbolique du pouvoir oublié d’une classe ouvrière disparue dans le même temps que l’idéologie qui prétendait la servir."

Il nous manque un Flaubert aujourd'hui pour dresser le nouveau Dictionnaire des idées reçues. On demande l'article "marteau"!

L'histoire de l'art est faite de provocations fécondes.

Mais la provocation "morale" est un genre moins esthétique que social et ses ressorts ne se limitent pas à la transgression des codes.

Très souvent l'immoral n'est que l'envers de la morale : la défense de meilleures valeurs s'y cache sous couvert d'anticonformisme.

La provocation morale en art recèle trop souvent la moraline.

Et surtout elle se contente du premier degré de la réaction, recherchant la "bonne mauvaise conscience" des choqués.

Si l'artiste avait eu un peu de courage, il serait allé dans les abattoirs, il aurait forcé les lieux interdits au public et aux caméras.

Mais non, prudent, il est allé au Mexique où la loi autorise l'abattage à demeure, ce qui permet au filmeur d'échapper à tout procès.

Un artiste, à ce compte-là, pourra exhiber dans les musées européens l'excision d'une petite fille en Afrique de l'Ouest, pour le plaisir et l'effroi du spectateur occidental.

Certes l'art contemporain, après des décennies d'abstraction et d'intellectualité, a réinvesti le pathos.

Mais l'affect a des complexités, des subtilités qu'ignore ce rapport immédiat à la chose.

Le piège de telles provocations médiatiques entraîne les réprobateurs dans la promotion calculée du provocateur.

On devrait ignorer ce coup de marteau filmé sur la tête des animaux, qui n'a d'autres fins que celui du commissaire-priseur faisant monter les enchères de "l'enfant-terrible-de-l'art-contemporain" (déjà acheté par François Pinault).

Mais la maltraitance des animaux est devenue un créneau pour certains artistes.

Ignorant sans doute les précédents de l'actionnisme viennois, et les sacrifices de l'autrichien Hermann Nitsch, des artistes se font aujourd'hui une renommée grâce à des performances cruelles avec des animaux.

Ainsi de Marco Evaristti qui installa dans un musée danois des mixeurs contenant des poissons rouges, incitant les visiteurs à appuyer sur "le bouton de la mort".

Cette violence est humaine, arguera-t-on facilement, elle se canalise sur des animaux et se retournerait aisément sur des humains si l'on pouvait aussi les mixer.

Sade a su explorer, montrer cette imagination meurtrière au cœur de la nature humaine.

Pour autant il dénonçait la peine de mort et déniait aux institutions, organes de la raison, le droit de tuer.

Rien de sadien, donc, dans ces vidéos et ce voyeurisme moral à bon compte.

"Au plus près de la mort", écrivait Guibert à propos de ces photographes avides de capter la seconde où cesse la vie.

Le spectacle de la peine de mort donnait autrefois de telles émotions.

Le généreux Camus croyait favoriser son abolition en obligeant les défenseurs de la guillotine à assister à cette abomination.

Le moraliste ignorait qu'elle attire les foules et il fallait un psychanalyste tel que Lacan pour observer qu'un meurtre commis par un individu lève un interdit et appelle une répétition.

Il expliquait ainsi que le crime des sœurs Papin, accompagné de cruautés, avait suscité une forte émotion collective moins par son horreur que par le déclenchement d'un désir de mort partagé par tous et incarné par l'institution judiciaire.

L'art s'inscrirait-t-il dans une telle pulsion de meurtre en esthétisant la cruauté ?

Avec l'alibi de la catharsis, de la purgation des passions ? La défense de la corrida par certains intellectuels français, pourtant étrangers à cette tradition spectaculaire, prend les habits d'une telle rhétorique.

Mais sans se voiler sous la cape de l'esthétique, ce sont des spectateurs de plus en plus nombreux qui réclament aujourd'hui des violences au plus près de la mort.

Dans l'esprit de Rollerball Murder, des rings ou des cages se montent où tous les coups sont permis.

Peut-être verra-t-on un jour le retour des beaux combats de gladiateurs. La cruauté a de l'avenir…

J'oubliais un détail : l'exposition d'Adel Abdessemed a lieu à Turin.

Dans cette ville, en 1889, un philosophe-artiste fut pris de convulsions à la vue d'un cheval qu'on battait.

Il se précipita en pleurs à son col puis tomba, et sombra dans la folie jusqu'à la fin de ses jours, gardant seulement l'habitude de jouer de la musique.

Nietzsche se présentait comme un "philosophe au marteau". Assurément il préférait celui du piano à la massue des abattoirs, fût-elle artistique.

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http://philosophie.blogs.liberation.fr/noudelmann/2009/03/lart-au-marteau.html#more

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