"Viande heureuse" : rendre les humains plus à l’aise de manger les animaux (Francione)
Chères collègues et chers collègues,
Deux articles récents du Gourmet Magazine nous montrent la direction claire dans laquelle nous mène le mouvement pour la « viande heureuse » (voyez, p. ex., 1; 2; 3; 4; 5; 6; 7; 8) dont à peu près toutes les grandes organisations de défense du bien-être animal font la promotion.
Dans le premier article, Politics of the Plate: Humane Beings (18 mai 2009), on nous dit :
Local, saisonnier, élevé humainement.
C’est peut-être difficile à prononcer, mais cela pourrait bien être le nouveau mantra des mangeurs consciencieux.
L’élevage humain d’animaux, qui n’est aujourd’hui pratiqué que par un petit nombre de producteurs, est appelé à exploser dans les prochaines années, devenant une tendance à la mode (et bienvenue), selon les panellistes s’étant adressés au Monterey Bay Aquarium’s Cooking pour la conférence Solutions, tenue la semaine dernière.
« Je travaille sur de gros projets auxquels je n’avais même jamais rêvé », affirme Tim Amlaw, directeur du programme des animaux de ferme de la American Humane, située à Englewood, CO.
« Nous allons faire la transition ».
Amlaw a estimé à environ 3 pour cent des fermes pratiquant l’élevage « des principales espèces d’animaux-protéines » aux États-Unis, celles qui se qualifieraient aujourd’hui pour la certification « humanitaire » offerte par son groupe.
Il s’attend à ce que ce pourcentage augmente à 35% dans les prochains cinq ans.
Une des raisons pour lesquelles le moment viendra est l’ensemble des nouvelles lois et des nouveaux règlements.
En novembre dernier, les Californiens ont adopté la Proposition 2, qui interdit aux fermiers de confiner leurs veaux, leurs truies enceintes et les poules pondeuses dans des enclos ou des cages trop petites pour permettre leurs mouvements normaux.
« Prop. 2 n’est que la pointe de l’iceberg », dit Marcus Benedetti, président de Clover Stornetta Farms, une ferme laitière certifiée humanitaire.
« Si les électeurs de cet État savaient ce qui se passait dans le reste du monde de l’élevage, il y aurait référendum après référendum ».
En plus des projets de règlementation, la tendance vers de meilleures conditions d’élevage est motivée par la demande des consommateurs.
« Notre organisation a 131 ans », nous apprend Amlaw.
« Aujourd’hui, pour la première fois, nous passons d’un modèle où le gouvernement pousse les fermiers vers de meilleures pratiques à un modèle où la demande des consommateurs les tire dans la bonne direction.
La meilleure façon d’amener les corporations à faire des changements est de leur montrer qu’il y a de l’argent à faire.
Les consommateurs nous disent maintenant :
« Nous voulons des aliments provenant de source meilleure ». »
Temple Grandin, auteure et professeure associée en sciences animales à la Colorado State University, se spécialise dans le développement de techniques d’élevage et d’abattage plus humaines.
Elle a souligné qu’il y avait des avantages financiers aux bonnes pratiques.
« Et ceux-ci sont liés à la productivité », dit-elle.
« Les vaches bien traitées donnent plus de lait ; les truies plus de porcelets ».
Elle ajoute que les porcs et les vaches tués humainement produisent de la viande de meilleure qualité que ceux qui ont souffert d’un stress indu.
Grandin, qui a mis sur pied un ensemble de règles claires, objectives et numériques pour les procédures d’abattage, travaille actuellement sur son propre programme de certification humanitaire pour les producteurs.
« Je ne veux pas que ce soit une affaire de marketing », dit-elle.
« Je vais m’assurer qu’ils font bien ce qu’ils disent faire. »
Les lois incitatives financièrement et qui resserrent la surveillance sont toutes bonnes, mais Grandin a rappelé aux participants le plus important argument au soutien de l’élevage humanitaire.
« C’est la bonne chose à faire », dit-elle.
« Les animaux ressentent la douleur. »
Remarquez que Grandin confirme que les réformes welfaristes se traduisent par des bénéfices financiers pour les producteurs :
« C’est une question d’inventaire », dit-elle.
« Les vaches bien traitées donnent plus de lait; les truies plus de porcelets. »
Elle ajoute que les porcs et les vaches tués humainement produisent de la viande de meilleure qualité que ceux qui souffrent un stress indu.
Notez que l’article réfère également aux certifications « humanitaires » dont les grandes organisations welfaristes font la promotion.
Selon le second article, Humane Slaughterhouses (9 juin 2009) :
« À mes tous débuts, le traitement des animaux était atroce.
On donnait continuellement des chocs électriques », dit Temple Grandin, en songeant aux quatre décennies pendant lesquelles elle a conçu des abattoirs humanitaires pour l’industrie de la viande.
Lorsque Grandin a commencé son travail au début des années ‘70, elle le faisait en adoptant la perspective de la vache, grimpant dans les chutes de transformation pour repérer les ombres, les réflexions, les lumières aveuglantes qui blessaient les animaux et les rendaient inconfortables.
Grandin, qui a récemment publié son sixième livre, Animals Make Us Human, a travaillé dans la transformation des petites et des grosses usines et a été témoin de conditions cauchemardesques.
Aujourd’hui, ce dont elle est la plus fière et le système d’audition vidéo qu’elle a créé et qui permet à des tierces parties indépendantes de surveiller les abattoirs en tout temps sur l’internet : Cargill a récemment annoncé qu’il installera le système dans toutes ses usines.
« J’ai travaillé là-dessus pendant une année entière », admet Grandin.
« Il devrait être en fonction dans sept ou huit usines de bœuf d’ici la fin de l’année. »
Alors que plusieurs personnes portent attention à la question de ce qu’implique l’élevage humanitaire d’un animal, bien moins nombreuses sont celles qui questionnent l’idée - et l’évident paradoxe - de l’abattage humanitaire.
Des mots tels que « ayant pâturé », « nourris de gazon » et « élevés en liberté » sont maintenant synonymes de viande de qualité; ils véhiculent une puissante signification symbolique qui a facilité la bonne conscience de nombreux consommateurs et a conduit plusieurs campagnes de marketing.
Mais la manière selon laquelle un animal rencontre son destin ultime est normalement ignorée - jusqu’à ce que, bien sûr, nous voyons des vidéos sur YouTube montrant des vaches malades charriées vers leur mort par un bulldozer.
« Ma perspective sur ce qui est humain couvre plus que la manière dont sont traitées les vaches.
Elle touche comment nous traitons les humains aussi » affirme Bev Eggleston, fondateur de EcoFriendly Foods.
Eggleston produit des animaux de différentes espèces dans de petites usines qu’il a construites dans les campagnes de la Virginie, il y a près de 10 ans, inspiré par les méthodes de Grandin.
Bien que sa production « durable » de viande et de poulets ait atteint un statut de l’ordre du culte parmi les chefs et autres cuisiniers, la réalité associée à la production est loin d’être glamour.
En raison de la petitesse de son usine (qui emploie 15 travailleurs), de sa certitude inébranlable à l’effet que « l’animal a besoin d’être respecté » et de sa préoccupation pour le bien-être des travailleurs, l’entreprise de Eggleston est dispendieuse et relativement inefficace.
Alors qu’une usine de viande conventionnelle (qu’il considère comme « sa compétition ») peut traiter 130 poulets par minute, Eggleston et ses travailleurs n’en traitent qu’environ 400 par jour, « le moins que l’on puisse faire tout en conservant la capacité financière d’utiliser notre équipement et de payer tous nos employés ».
L’an dernier, dit-il, ils en traitaient environ 800 par jour, mais les travailleurs étaient épuisés dès le début de l’après-midi.
« Un traitement au travail qui soit humain est une préoccupation économique », ajoute-t-il.
Pour traiter les animaux équitablement, il faut traiter ses employés équitablement.
« Vous devez considérer les aspects humains nécessaires pour faire ce travail, « mais ils savent que je leur demande d’avoir de la compassion et de la sensibilité ».
Dan Barber est un des chefs qui bénéficient des petites productions telles que celle d’Eggleston : Barber a servi les viandes d’EcoFriendly à chacun de ses restaurants Blue Hill.
Pour lui, l’importance d’abattre de manière humaine se manifeste dans la qualité de la viande - mais trouver des abattoirs qui adhèrent à ses standards est relativement difficile.
Alors qu’il y a une usine de petits animaux comme des poulets et des dindes à Stone Barns, ses grands animaux doivent aller ailleurs, généralement dans des abattoirs du New Jersey ou de la Upper Hudson Valley.
Il est difficile de créer une demande aux petits éleveurs qui fournissent les autres viandes à ses restaurants, dit Barber, parce que localement, les abattoirs de haute qualité ont presque tous disparu de la Hudson Valley.
« Les usines de transformation de la viande sont très intéressées par une-seule-grandeur-convient-à-tous », dit-il.
Il entrevoit un avenir pour les abattoirs itinérants, qui visitent les fermes et abattent des animaux sur le site.
« C’est vraiment efficace et peu cher » soutient Barber.
« Et les animaux sont moins stressés parce qu’ils sont traités sur la ferme. »
Les petits abattoirs ne garantissent pas nécessairement que l’abattage sera humain, par contre.
« La vitesse de la ligne n’est pas problématique en soi », dit Grandin.
« Ce qui est mauvais est le manque d’employés et la surpopulation animale de l’usine.
J’ai vu une petite usine qui était parfaite avec 26 bovins à l’heure et horrible avec 35. »
Les mauvaises conditions, dit-elle, sont souvent le résultat d’une mauvaise gestion.
Une large part de son travail a consisté à créer de meilleurs équipements, mais sans un bon usage de ceux-ci, les machines comme les « bolt-stunners » utilisés pour tuer le bétail n’assurent pas une mort douce et sans douleur.
Une fois de plus, c’est là où le facteur « humain » est si crucial dans l’équation « humanitaire » : alors que la majorité des préposés à l’étourdissement des animaux utilisent l’équipement convenablement, Grandin dit qu’il y a également des sadiques qui doivent être empêchés d’avoir quelque contact que ce soit avec les animaux ou avec la machinerie qui les tue.
En fin de compte, pour Grandin, le traitement « humain » ou « humanitaire » des animaux est une expression très chargée.
« Je préfère parler d’abattage à faible stress et sans douleur », dit-elle - idéalement pas plus stressant qu’une piqure de vaccin.
Le plus gros obstacle, croit-elle, est la quantité.
« La qualité et la quantité sont deux objectifs opposés », dit Grandin.
« Mais il existe un équilibre délicat ».
Temple Grandin, à qui l’on fait référence dans les deux articles, est louangée par la communauté welfariste et a même reçu le Prix du « visionnaire » PETA 2004.
Le mouvement pour la « viande heureuse » est destiné à rendre le public plus à l’aise à propos de l’exploitation des animaux et à s’assurer que le débat social sur l’éthique animale se désintéresse de la question pertinente - pourquoi mangeons-nous des animaux, considérant que ce n’est pas nécessaire pour la santé des êtres humains, que c’est un désastre écologique et, surtout, que cela implique l’imposition de souffrance et de la mort à des nonhumains sensibles ?
Le mouvement pour la « viande heureuse » atteint ces objectifs et cela ne représente aucune forme de progrès.
Tout au contraire.
Le mouvement pour la « viande heureuse » constitue un grand pas vers l’arrière.
Gary L. Francione