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Conférence "Animal objet ou sujet de droit ?" (La Montagne)

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Pour les questions éthiques , un dessin vaut parfois mieux qu'un long discours :

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(Nouvelles Clés N° 64, hiver 2009/2010)

Plus besoin de torturer pour tester nos médicaments

Régulièrement, des commandos d’« amis des animaux », appelés écoterroristes, vont saboter de grands labos et délivrer les cobayes destinés à leurs expérimentations, au grand dam de certains « amis des humains ».

Ce conflit n’a plus lieu d’être.

Il existe des tests non-violents - et plus efficaces - pour tester la toxicité des milliers de produits chimiques mis sur le marché.

Écoutez ce qu’en dit Claude Reiss, le chercheur français le mieux informé sur le sujet.

Physicien de formation, biologiste spécialisé en toxicologie moléculaire, ex-directeur de recherche du laboratoire Structure et dynamique du génome au CNRS de Gif-sur-Yvette, auteur et coauteur de plus de 250 publications scientifiques, Claude Reiss a consacré sa vie à la recherche sur le cancer et le sida.

Connu pour ses travaux en toxicologie sur cellules, il est convié en 1992 à un débat radiophonique consacré à l’expérimentation animale.

Reiss explique alors pourquoi le modèle animal lui semble faire obstacle au progrès et comment à l’inverse avec ces nouvelles technologies que sont la biochimie (l’étude des processus chimiques de la matière vivante) et l’informatique, il est possible de mieux comprendre comment une cellule est agressée en présence d’un produit potentiellement toxique.

Relation de cause à effet ou pas, quelques mois plus tard, Reiss est sommé de quitter dans les meilleurs délais l’institut Jacques Monod où il travaille depuis dix sept ans !

Muté avec la moitié de son équipement, de son budget et de ses techniciens, l’événement tombe mal : le chercheur vient tout juste de bénéficier de deux contrats de recherche importants, l’un portant sur le sida, financé par l’Agence nationale de recherche contre le sida (ANRS), l’autre de la CEE, en collaboration avec plusieurs laboratoires européens, dans la lutte contre le cancer.

L’homme ne s’avoue pas vaincu pour autant et poursuit ses recherches.

En 2003, il créé avec d’autres chercheurs issus du CNRS, Le comité scientifique Antitode Europe, une association à but non lucratif oeuvrant pour une meilleure prévention en matière de santé humaine.

Une mission de la plus haute importance à l’heure où le rôle de la pollution chimique dans l’apparition de cancers, des allergies et des maladies neurologiques n’est plus à démontrer - à noter que depuis 40 ans, des chercheurs ne cessent d’alerter les pouvoirs publics.

Pour Claude Reiss, il est désormais urgent de repenser la manière dont sont testés les produits chimiques avant leur mise sur le marché, c’est à dire développer d’autres méthodes que l’utilisation des tests de toxicité effectués sur des animaux.

L’affaire n’est pas nouvelle mais dépasse de loin la simple et vieille querelle des pro et anti-expérimentation animale.

Nouvelles Clés : Que reprochez vous au modèle animal ?

Claude Reiss : Chaque espèce a évolué dans une niche écologique spécifique où elle a prospéré en adoptant son métabolisme, ses systèmes de défense, sa physiologie.

Bien qu’il y ait une unicité du vivant, face à une agression de l’organisme, chaque espèce réagit donc selon les moyens qu’elle a développés.

Il est donc dangereux de prétendre extrapoler à l’homme des résultats toxicologiques issus de l’expérimentation animale.

N. C. : Les mécanismes fondamentaux de la vie sont pourtant communs à toutes les espèces ?

C. R. : Il y a effectivement une grande unicité du vivant.

Depuis la bactérie jusqu’aux mammifères en passant par les plantes, la vie est basée sur l’information stockée dans l’ADN laquelle est transcrite en ARN messager, lui même traduit en protéines.

Pourtant, que des organismes partagent une stratégie de développement identique, ne signifie pas qu’ils réagissent à l’environnement de la même façon.

N. C. : Pourriez-vous nous donner un exemple ?

C. R. : Il y a quelque temps, on a expérimenté la métabolisation de certains médicaments chez le rat et chez l’homme.

La plupart des substances que nous consommons sont métabolisées dans le foie par l’intermédiaire d’une bonne trentaine de gènes différents.

Un des médicaments en question avait été métabolisé dans le foie du rat à 30% sous une certaine forme et à 50% sous une autre forme.

Chez l’homme, il l’a été de façon différente.

Au lieu des 30% obtenus chez le rat, on atteignait 70% chez l’homme et là où il y avait 50% pour l’animal, nous sommes tombés à 0,7% chez l’homme.

Ces résultats parlent d’eux-mêmes.

On sait effectivement depuis longtemps, que la manière dont une substance se dégrade dans l’organisme est très différente chez le rat, le chien, le singe et l’homme et que les lésions éventuellement causées par l’absorption de ce produit ne sont pas forcément identiques.

Il existe des exemples connus. Alors que la morphine rend fou n’importe quel chat, le chien ne réagira pas à une dose vingt fois supérieure à celle recommandée pour un homme.

De la même façon, le mouton peut manger de l’arsenic et le lapin de l’amanite phalloïde alors qu’une dose de pénicilline, si utile à l’homme, peut tuer net un cochon d’Inde.

Sur la base d’un produit comme le fluoroacétate de méthyle, une substance toxique utilisée comme raticide, il est intéressant de noter que le singe est 73 fois plus résistant à ce produit que le chien et la souris tandis que le cobaye y est 10 fois plus sensible que le lapin.

Tout animal réagit donc individuellement à l’agression d’un produit selon son espèce et son âge.

Il développe des maladies qui lui sont propres, reste dépendant de comportement dictés par l’évolution et par son capital génétique.

Quant à son environnement, il interfère en permanence avec son organisme.

Stress, humidité, lumière, alimentation, heures et saisons, tout est source de fluctuation d’où l’idée de créer des modèles animaux standardisés.

Problème : si l’on teste ces produits sur une population d’individus tous identiques, comment peut on reproduire alors les variations de réponses entre individus susceptibles de se trouver dans la population humaine ?!

N. C. : Les industriels ont-ils conscience de ces faiblesses ?

C. R. : Tout à fait.

En 2006, le Conseil national de la recherche (NRC) des Etats-Unis a publié un rapport intitulé "Tests de toxicité au
XXIe siècle : une vision et une stratégie", dans lequel il dénonce les
failles des tests actuels sur des animaux et propose de mettre au premier
plan les tests réalisés sur du matériel humain, en l’occurrence des cultures de cellules humaines.

L’industrie chimique et pharmaceutique en a pris bonne note, cette dernière étant déjà bien engagée dans cette voie.

Il est grand temps de se tourner vers des méthodes véritablement scientifiques !

N. C. : Quelles sont ces méthodes et pour quelle raison sont-elles plus fiables ?

C. R. : La biologie moléculaire comme toutes les techniques in vitro qui exploitent les mécanismes vitaux offre cette possibilité de bavarder avec les cellules, notamment par l’intermédiaire de ce que l’on appelle les gènes de stress.

Dès qu’un agent extérieur - produit chimique, choc thermique ou autres - agresse la cellule, celle-ci développe dès gènes de stress pour faire face à la situation.

Le travail de mon équipe a consisté a capturer l’un de ses gènes, à le couper en deux et à souder derrière lui un repère visuel à base de luciférase, une substance que l’on trouve dans les méduses et les vers luisants, laquelle leur permettent d’émettre des signaux.

Ainsi marquée, dès que la cellule émet un stress, elle devient luminescente.

On peut alors tester sur cette molécule toutes sortes de substances.

Elle répond dans les trente secondes et nous indique si le produit en question a attaqué ou non son ADN.

Force est de constater que depuis le début des années 1990 l’utilisation de l’animal en toxicologie a commencé à décroître chez les grands industriels, eux-mêmes convaincus des avantages économiques et scientifiques de ces autres méthodes (modèles mathématiques, simulation sur ordinateur, cultures de cellules, etc.).

Contrairement à des pays comme l’Angleterre et l’Allemagne - les pionniers en la matière de développement des méthodes alternatives - mais aussi l’Italie, la Suède, la Hollande, les Etats Unis et le Japon, la France s’est toujours démarquée par sa mauvaise volonté.

Guère étonnant quand on sait que les gouvernements successifs ont été invariablement conseillés par un sérail de vieux chercheurs et techniciens récalcitrants formés à l’ancienne école et donc davantage attachés à persuader les pouvoirs publics de la nécessité de poursuivre l’expérimentation animale que de permettre à la France de rattraper son retard considérable.

Tout a toujours été fait pour passer outre les volontés internationales et le savoir-faire des chercheurs français au profit de différents avantages comme l’ économie basée sur l’expérimentation animale ou la possibilité pour des industriels de continuer à produire légalement des substances toxiques.

On peut se demander de toute manière à quoi peuvent bien servir ces tests sur les animaux quand on sait que des substances toxiques chez l’animal sont malgré tout vendues dans le commerce.

L’acétate de benzoyle, parfum ajouté dans les lessives s’est révélé cancérigène chez le rat, la souris et le hamster.

Malgré ces résultats, le produit a reçu l’autorisation de commercialisation parce qu’il ne s’était pas monté dangereux pour une autre espèce de rongeur !

Lorsque la plupart de ces produits ont chez l’animal des répercussions, logiquement, il faudrait donc limiter l’utilisation de ces produits chez l’homme, pourtant, on légalise leur diffusion !

Donc, bien que les effets secondaires de ces produits (Formaldehyd, Dioxine, Furane, Lindane, PCP, etc.) aient été reconnus, on a autorisé leur élaboration et leur utilisation.

Les exemples sont nombreux.

Le Diphényle E 230 utilisé pour le traitement des agrumes provoque chez l’animal de labo des affections hépatiques et rénales.

On sait depuis quarante ans que les ethers de glycol sont cancérigènes pour les embryons animaux, nombreux sont les produits d’entretien, peinture... qui pourtant en contiennent encore.

Que dire de ces gouvernements qui se prémunissent en responsabilité en se fiant eux aussi sur la base d’expérimentations animales afin d’établir des normes d’eau potable, des limites de la qualité de l’air et des sols.

Des réglementations qui protègent avant tout l’industrie.

Vous avez dit sécurité sanitaire ?!

Le 1er juin 2007 est entré en vigueur la nouvelle réglementation chimique européenne ayant pour objectif d’offrir au public une meilleure protection sur la base de quelques cent mille substances chimiques présentes dans notre environnement.

Cette réglementation baptisée REACH (enRegistrement, Evaluation et Autorisation des substances Chimiques) se propose donc d’étudier leur toxicité, de retirer du marché les plus dangereuses et, pour les autres, de redéfinir leurs conditions d’utilisation.

Au-delà du fait que les fabricants doivent eux-mêmes fournir le résultat des tests de leurs propres substances ( !), la plupart des industriels dénoncent un système coûteux et un manque de toxicologues compétents.

Même le ProfesseurThomas Hartung, conseiller scientifique de la Commission européenne, qualifie lui aussi les actuels tests de toxicité sur animaux de "tout simplement de la mauvaise science."

Pour pallier ces failles, Antidote Europe, dont le siège social est à Strasbourg, a démontré la pertinence et la faisabilité de tests dits de toxicogénomique.

N. C. : De quoi s’agit-il exactement ?

C. R. : Avec mon équipe de chercheurs, nous avons développé une plate-forme informatique capable de gérer un ensemble d’automates pour tester parallèlement des centaines de substances en un temps record et à un coût dérisoire, alliant ainsi recherche scientifique pertinente pour notre santé et compétitivité industrielle.

Contrairement à la toxicologie sur animaux, le Programme de toxicologie scientifique que nous avons développé permet d’interroger des cellules HUMAINES en culture, exposées à la substance à tester.

Il est peu coûteux car facilement automatisable ; il est aussi très rapide puisque sur la base d’une substance à tester, le résultat est disponible en quelques jours seulement, fournissant une évaluation sur plusieurs critères (cancérogénicité, immunotoxicité, neurotoxicité, etc.) alors que le seul test de cancérogénicité sur les animaux, par exemple, se déroule sur deux à quatre années ; le tout pour un coût d’environ 10.000 euros par substance (contre 2 à 4 millions de dollars).

Le PTS se fonde sur la génomique (connaissance de la fonction des gènes humains) et les puces à ADN (dispositif pour détecter d’éventuels dysfonctionnements de ces gènes).

Des programmes de toxicogénomique sont en cours d’exploitation aux Etats-Unis mais l’Europe est en retard dans ce domaine.

De même, pour les puces à ADN, de nombreux brevets existent déjà aux Etats-Unis mais Antidote Europe n’a identifié qu’un seul laboratoire européen capable de les produire.

Le PTS est donc une technique innovante et Antidote Europe a démontré qu’elle pouvait être mise en place dès aujourd’hui si la volonté politique était suffisante.

Un Centre de toxicogénomique utilisant l’approche proposée par Antidote Europe permettrait de tester les 100.000 substances en deux ans pour un budget total de 1,5 milliard d’euros.

N. C. : Votre méthode a-t-elle donné des résultats concrets ?

C. R. : Pour prouver la fiabilité et la faisabilité
d’expériences de toxicogénomique, Antidote Europe a dirigé une étude, 
par cette méthode, de 28 substances chimiques parmi les plus présentes
dans notre environnement et susceptibles d’affecter notre santé.

Les 
résultats de 22 de ces analyses viennent de recevoir leur numéro
d’enregistrement dans la base internationale spécialisée MIAME (Minimum
Information About a Microarray Experiment ; numéros d’accès : E-TOXM-31
pour les expériences, A-MEXP-798 pour le design de la puce).L’expertise d’Antidote Europe dans ce domaine est donc ainsi reconnue par la communauté scientifique internationale.

N. C. : Ces méthodes seront-elles utilisées dans le cadre de REACH ?

C. R. : Antidote Europe s’emploie depuis plus de deux ans à ce que la
toxicogénomique soit rendue obligatoire dans le règlement REACH et a
obtenu qu’elle soit inscrite officiellement dans le préambule de ce
règlement européen sur les substances chimiques entré en vigueur le 1er 
juin dernier.

Je rappelle que la toxicogénomique est déjà utilisée aux Etats-Unis depuis des années.

Plus récemment, le Centre commun de recherche, sous l’égide de la Commission européenne, s’est doté d’un département de toxicogénomique.

Alors qu’elle fournit des résultats valables pour l’homme, qu’elle est bien plus rapide et moins chère que les tests actuellement requis, pourquoi son utilisation est-elle retardée ?

L’Allemagne, le Japon, l’Italie, la Belgique... évoluent dans ce sens alors que la France, deuxième puissance chimique en Europe, reste comme toujours muette sur cette question.

Rien d’étonnant à cela lorsqu’on sait que Jacques Chirac s’était allié à Tony Blair pour réclamer que REACH ne constitue pas une charge trop importante pour l’industrie chimique.

Plutôt que de tirer parti des méthodes modernes pour mettre en évidence la toxicité des substances chimiques, des tests continueront à se faire, comme au Moyen Age, sur des animaux, et à fournir des résultats aussi aléatoires qu’un jeu de pile ou face... à moins que ces résultats ne soient orientés pour innocenter des substances pourtant dangereuses !

Contact : www.antidote-europe.org

 

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