La corrida fait débat au Parlement : les députés prennent enfin la mesure de cette cruauté (Nouvel Obs)
LE PLUS. Les dernières corridas de la saison 2013 n'auront pas eu lieu. Elles ont été annulées suite à des manifestations de militants anti-tauromachie, alors que, dans le même temps, plusieurs propositions de loi pour son abolition ont été défendues au Parlement. Assiste-t-on à un revirement de situation sur cette question ? C'est en tout cas synonyme d'espoir pour Muriel Fusi, juriste et militante pour les droits des animaux.
Édité par Rozenn Le Carboulec Auteur parrainé par Christophe Marie
Le torero espagnol David Mora lors des fêtes de Bayonne, le 31/08/2013 (F.DUPUY/SIPA)
Après un été riche en manifestations, avec notamment une action "d'interposition" le 24 août 2013 à Rion des Landes et qui s’est terminé par trois annulations de corridas (les samedis 23 novembre et 30 novembre 2013 à Lunel et à St Laurent d’Aigouze), les parlementaires semblent avoir pris la mesure de l'impatience ressentie par les Français et de leur saine colère face à l'indifférence morale à l'égard des taureaux dits de combat.
Une déferlante parlementaire contre la corrida
Pas moins de quatre propositions de loi pour l’abolition de la corrida ont donc été enregistrées cet automne à l’Assemblée nationale et au Sénat à l’initiative :
- des sénateurs Roland Povinelli et Roger Madec (PS) le 7 octobre 2013,
- de la députée Laurence Abeille (EELV) le 10 octobre 2013,
- du député Damien Meslot (UMP) le 6 novembre 2013,
- de la députée Geneviève Gaillard (SRC – Parti socialiste, républicain et citoyen) le 5 décembre 2013.
On assiste en quelques mois à une déferlante parlementaire favorable à l'unification du régime juridique de la corrida dans le code pénal. L’article 521-1 du même code qui punit les sévices graves et actes de cruauté sur animaux de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende, établit en effet en son alinéa 7 une exception au profit de la corrida et des combats de coqs "lorsqu’existe une tradition locale ininterrompue".
Alors que leur souffrance est démontrée par tous les scientifiques, les taureaux peuvent donc être torturés en toute impunité dans le tiers sud de la France uniquement, au prix d’une exception juridique inédite dans le code pénal.
La question de la protection de l'enfance
La Question prioritaire de constitutionnalité, tranchée le 21 septembre 2012 par le Conseil constitutionnel, a permis de mettre en évidence aux yeux du public le malaise qui entoure cette exception pénale, véritable ovni juridique qui justifie "l'exception corrida" par la tradition, alors qu'on ne compte plus les traditions cruelles qui n'ont pas résisté à l’épreuve du progrès moral.
Outre la question du martyr des taureaux, le débat autour de la corrida soulève la question de la protection de l’enfance. Comment en effet ne pas s’inquiéter pour ces enfants parfois très jeunes (nous en avons été témoins à Rodilhan le 8 octobre 2011 et à Rion des Landes le 24 aout dernier) qui assistent aux corridas dans les gradins des arènes alors que pour le CSA la diffusion de telles images à la télévision nécessite une signalétique de catégorie II (déconseillé aux moins de 10 ans) ?
Cette inquiétude est partagée par de nombreux spécialistes de l’enfance comme Hubert Montagner, ancien directeur de recherche à l’INSERM, qui estime que "Les blessures portées au taureau avec les banderilles puis l’épée, le sang qui coule, les conduites désespérées du taureau pour échapper aux souffrances menant à la mort de l’animal perturbent de très nombreux enfants" et "peuvent être ressenties comme un véritable traumatisme".
Plus grave, en France une demi-douzaine d’écoles taurines (soutenues financièrement par les mairies) enseignent à des enfants de moins de 10 ans les secrets de la torture tauromachique sur de jeunes veaux.
Ce débat dépasse le cadre du droit des animaux
Les français ont également de quoi être scandalisés par les subventions offertes par les collectivités locales à la tauromachie. Ainsi en 2010, le Conseil général des Bouches du Rhône aurait acheté pour 63 255,00 euros de places pour assister aux corridas de la féria d’Arles. Et en décembre 2011 à Bayonne, la saison taurine qui s’achevait révélait un déficit de 400.000 euros, portant à près d’un million d’euros sur cinq ans le coût public de la temporada. Mais ce n’est pas tout puisque des centaines de millions d'euros émanent également de toute l’Union Européenne pour être versés à trois États (France, Portugal, Espagne) et soutenir une activité illégale dans la totalité des vingt-quatre autres.
Le débat dépasse donc le cadre de la protection animale en touchant à la protection de l’enfance et à la gestion de l’argent public. Ce sont autant de raisons d’abolir la barbarie des arènes.
Aujourd’hui, chacun d’entre nous peut agir en prenant rendez-vous avec son député (quelle que soit son étiquette politique, ces différentes propositions de loi d’origines politiques diverses ayant ouvert un champ très large) et en invoquant ces arguments auprès de lui pour tenter de briser le verrou mis par certains aficionados au gouvernement (quelques jours avant la décision du Conseil constitutionnel, Manuel Valls déclarait vouloir préserver la culture de la tauromachie).
C'est à cette condition que l'abolition de la corrida, devenue enjeu électoral, fera progresser la dignité humaine, car il est inconcevable au XXIe siècle que l’humain se délecte encore de la torture et de la mise à mort publiques d'un animal.