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"Halte à l'esclavage sexuel ! Mettons à l'abri les victimes" (Taslima Nasreen - Le Monde)

Pour moi, comme pour la plupart des féministes, la prostitution, c'est-à-dire l'esclavage sexuel, doit disparaître. Etonnamment, cette affirmation et mon soutien apporté à la loi qui en Suède pénalise les clients m'ont valu des critiques nombreuses et enflammées, notamment de libres-penseurs, d'athées, de laïques, d'humanistes et de rationalistes.

Ces réactions, qui se drapent dans le choix et la liberté de la prostitution, m'oppressent. Je me demande combien de personnes, parmi ceux qui assurent que des femmes se prostituent par choix, encourageraient leurs filles bien-aimées à se prostituer. Les prostituées elles-mêmes ne le souhaitent pas à leurs filles. Elles rêvent désespérément de pouvoir les scolariser, pour qu'elles aient une éducation et un métier correct.

SE NOURRIR ET NOURRIR LEURS ENFANTS

Des chercheurs qui ont travaillé sur le sujet montrent que, pour la plupart des prostituées, cela n'a pas été un choix. Elles n'ont pas décidé de devenir prostituée plutôt que médecin, ingénieure ou avocate. Leur « choix » » est plus généralement celui de trouver suffisamment d'argent pour se nourrir et nourrir leurs enfants.

Quand on les interroge, ces femmes répondent dans une proportion constante d'environ 90 % qu'elles souhaitent sortir immédiatement de la prostitution, mais cette décision ne leur appartient pas : elle appartient à leur proxénète, à leur mari, au propriétaire de leur logement, à leurs addictions, au ventre de leurs enfants.

Une étude menée auprès des femmes se livrant à la prostitution de rue à Toronto (Canada) a ainsi établi qu'elles étaient près de 90 % à vouloir en sortir, sans y parvenir. Selon des travaux conduits dans cinq pays, 92 % des femmes, des hommes et des transgenres qui se prostituent souhaitaient bénéficier sans délai d'une aide pour en sortir. Face à tous ces êtres qui veulent en sortir, comment affirmer que se maintenir dans la prostitution relève d'un choix ?

Certes, un petit nombre de femmes disent se prostituer par choix, mais surtout dans un contexte public, orchestré par l'industrie du sexe. Je serais très curieuse de savoir en quoi elles aiment ces viols quotidiens. Qui les pousse à penser que c'est un bon moyen de gagner de l'argent ?

Chaque jour, des pères vendent leurs petites filles à des maisons de prostitution. Chaque jour, des petits amis, des maris, des voisins, des connaissances vendent des jeunes femmes à des maisons de prostitution. Chaque jour, des filles et des femmes pauvres tombent sous la coupe de réseaux d'exploitation sexuelle. Je me suis rendue dans des bordels, en Inde et en Suède. Dans le pays riche comme dans le pays en développement, j'y ai vu des êtres livrés à un sort terrible.

DÉNONCER LES VIOLENCES

Voilà pourquoi je soutiens la proposition de loi portée par Najat Vallaud-Belkacem visant à pénaliser les clients de la prostitution, tout comme j'ai soutenu la loi qui, en Suède, porte ses fruits en dissuadant le consommateur (la prostitution y a diminué de moitié), mais aussi en autorisant les prostituées à dénoncer les violences qui leur sont faites.

Il est faux de dire que la pénalisation des clients conduira les prostituées à quitter la rue pour travailler depuis Internet et à s'exposer à des violences accrues. La violence de la prostitution n'a lieu ni sur Internet ni dans la rue, elle est dans le lit. Grâce à cette loi, une prostituée peut prendre un client, le laisser assumer ce risque, mais le dénoncer si elle change d'avis. Enfin un choix, un vrai, que ce type de législation offre aux victimes d'exploitation sexuelle.

Traduit de l'anglais par Julie Marcot

Taslima Nasreen (Ecrivain)

http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2013/11/28/halte-a-l-esclavage-sexuel_3521323_3232.html

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