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Sivens : MM. Hollande et Valls ouvrent la voie au fascisme

Hervé Kempf (Reporterre)

L’affaire de Sivens est tout sauf anecdotique : pour la première fois, le gouvernement y a déployé une tactique de répression propre aux régimes fascistes.


La méthode suivie par le gouvernement pour en finir avec l’affaire de Sivens est nouvelle et extrêmement grave.

Dès septembre 2014, le ministère de l’Intérieur avait laissé la gendarmerie exercer une pression violente, souvent illégale, à l’encontre des zadistes du Testet. Cela n’avait pas suffi à décourager les opposants au barrage, renforcés par le mouvement de solidarité qui se développait dans la région. La tension est montée jusqu’au 26 octobre, lorsque la gendarmerie tua un jeune manifestant, Rémi Fraisse. Un tel événement est – jusqu’à présent - exceptionnel en France. Il ne suscitait pourtant pas une indignation unanime. Une large partie des médias relayait la communication gouvernementale mettant en avant la violence qu’exerceraient les opposants aux grands projets inutiles. Xavier Beulin, président de la FNSEA et du groupe agro-industriel Avril-Sofiproteol, qualifiait les zadistes de « djihadistes verts », ce qui dans un contexte où la France est en guerre contre l’Etat islamique, revient à un appel au meurtre.

L’homicide de Rémi Fraisse était d’autant plus absurde que le ministère de l’Ecologie publiait un rapport d’expertise confirmant l’essentiel des arguments développés depuis des années contre le projet de barrage : coûteux, inutile, impactant sur l’environnement, fondé sur des études médiocres et trompeuses. Peu après, la Commission européenne engageait une procédure d’infraction contre le projet au titre de la directive sur l’eau.

Mais localement, les élus PS et autres ne voulaient pas céder, non plus que les instances de la Chambre d’agriculture et de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). La ministre de l’Ecologie élaborait un compromis écartant les propositions d’alternatives mises en avant par les opposants : on ferait soit un plus petit barrage, soit divers réservoirs dans la vallée du Tescou. Et sur le terrain, légitimée par la provocation de Xavier Beulin, la FDSEA organisait des groupes d’agriculteurs pour mener en décembre près de la Zad une opération « Manche de pioche » dont le nom dit tout.

Elle répétait l’opération en janvier, jusqu’à organiser en février un blocus de la zone. Les agressions et injures se multipliaient de la part de ces agriculteurs chauffés à blanc contre les « peluts » (chevelus, en occitan), alias zadistes, mais aussi contre les locaux opposés au barrage et contre des journalistes. Fin février, ces milices – au sens précis d’organisation paramilitaire – bloquaient les routes, armées de bâtons, de manches de pioche ou de barres de fer, et commettaient de nombreuses agressions, pare-brises cassés, pneus crevés, menaces, sous l’œil indifférent des gendarmes bien présents dans le secteur.

Elles ont agi comme des supplétifs de la police : chargés d’accomplir les basses besognes de tension et d’effroi, soit pour provoquer des réactions violentes qui justifieraient l’action des forces légales de répression, soit pour changer le rapport de forces et affaiblir la capacité de résistance et de solidarité des opposants. La tactique a fonctionné, et l’évacuation de la Zad, menée par dix fois plus de gendarmes que de zadistes, s’est opérée le 6 mars sans heurts.

L’affaire est loin d’être close, mais la tactique répressive employée par le gouvernement, allié avec le représentant affairiste de l’agriculture productiviste et surfant sur le torrent d’injures déversées par l’extrême-droite sur les réseaux sociaux à l’encontre des zadistes et autres écologistes – tel ce sondage lancé par Valeurs actuelles, et parlant des « fascistes verts ».

Tout ceci, comme l’expression de Xavier Beulin, résonne avec la stigmatisation de l’ « islamo-fascisme » de Manuel Valls, pour associer les écologistes – car les zadistes font partie du mouvement écologique – aux « terroristes islamistes », contre qui, on le sait, le permis de tuer est officiel. C’est ce qu’a bien compris un tweet : « Comment un Etat peut aller tuer des centaines d’islamistes en Afrique, et se laisser dicter sa loi par une poignée de dégénérés ? »

On glisse vite des zadistes aux jeunes Français indésirables, comme ce commentaire après la phrase de Manuel Valls annonçant le 5 mars que « l’ordre républicain » - qui ne concerne pas, donc, les miliciens de la FNSEA – doit s’imposer sur la Zad : « Ben mon colon il serait temps ! Mais c’est embêtant parce que aux prochaines émeutes des "jeunes" nantis du 93 il va falloir enfin appliquer aussi l’ordre républicain ».

La tactique de MM. Valls et Hollande est délibérée. Elle ouvre la porte à la répétition de ce type d’actes : des groupes sociaux savent maintenant que, pourvu qu’ils ciblent l’écologie et les jeunes alternatifs tout en glorifiant la police, ils ont le champ libre. Elle s’appuie sur les sentiments d’extrême-droite qui montent dans ce pays. Et suscitera en retour des réactions de même nature, impliquant une répression encore plus stricte.

Je ne sais la qualifier autrement que de pré-fasciste : utlisant les méthodes mêmes du fascisme (des milices supplétives d’un Etat autoritaire) et stimulant la xénophobie et la haine des alternatives. L’essentiel est que rien ne soit mis en cause de l’ordre capitaliste : c’est ce que révèle l’analyse du journal des affaires Les Echos : « Sivens (…) a été choisi par Manuel Valls pour faire valoir (…) la fermeté de son gouvernement face à toutes les résistances au changement ».

Les choses sont claires : un projet coûteux, pourri de conflits d’intérêt, financé par le public pour des intérêts privés, détruisant l’environnement, c’est « le changement ».

D’aucuns persistent encore à croire que le gouvernement de MM. Hollande et Valls est « de gauche ». Il ne l’est pas. C’est pire : il ouvre, à peine dissimulé, la voie au fascisme.


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