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Intelligence animale - Page 4

  • Livre : "La Fin de l'exception humaine", Jean-Marie Schaeffer (Gallimard)

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    Jean-Marie Schaeffer La Fin de l'exception humaine
    Gallimard - NRF Essais 2007 / 21.50 € - 140.83 ffr.446 pages
    ISBN : 978-2-07-074999-7
    FORMAT : 14,0cm x 20,5cm

    L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

    Le livre de Jean-Marie Schaeffer, chercheur au CNRS, enseignant à l'EHESS, se veut ambitieux.

    Ses travaux s’inspirent des outils de l’analyse structurale, des sciences cognitives et de la philosophie analytique.

    Il s'en prend à ce qu'il appelle la Thèse de l'exception humaine.

    Que dit-elle ?

    Elle affirme que l'homme fait exception parmi les êtres de la terre.

    Cette exception serait due au fait que, dans son essence, l'homme possède une dimension ontologique qui transcende la réalité des autres formes de vie et sa propre « naturalité ».

    La thèse revêt trois formes majeures.

    Premièrement, elle refuse de rendre l'identité de l'homme à la vie biologique.

    L'homme serait un sujet autonome et fondateur de son propre être (philosophies du XXe siècle comme la phénoménologie, le néo-kantisme, l'existentialisme).

    La seconde situe le lieu de la transcendance dans le social : l'homme est « non naturel », ou « anti-naturel ».

    La troisième soutient que c'est la culture qui constitue l'identité de l'être humain, et que la transcendance culturelle s'oppose à la fois à la nature et au social.

    La thèse joue donc de l'opposition entre « nature » et « culture » et postule une rupture ontique à l'intérieur de l'ordre du vivant.

    Selon elle, le monde des êtres vivants est constitué de deux classes disjointes, les formes de vie animales d'un côté, l'homme de l'autre.

    Cette rupture ontique n'oppose pas seulement deux domaines du vivant, celui de l'humain et celui de l'animalité, mais redouble cette dualité à l'intérieur de la conception de l'homme lui-même : corps/âme, rationalité/affectivité, nécessité/liberté, nature/culture, instinct/moralité, etc.

    La thèse implique une interprétation particulière du dualisme ontologique, c'est-à-dire de la croyance en l'existence de deux plans de l'être, un plan matériel et un plan dit spirituel.

    Elle implique aussi une conception gnoséocentrique de l'être humain, en affirmant que ce qu'il y a d'exclusivement humain dans l'homme, c'est la connaissance (connaissance épistémique ou connaissance éthique).

    Jean-Marie Schaeffer s'en prend à Descartes, à son opposition âme/corps : si l'homme seul est « esprit », c'est parce qu'il se définit comme être pensant.

    La pensée cartésienne accorde le privilège à la conscience autoréflexive sur toute autre modalité cognitive : le postulat de la rupture ontique adossé à une définition gnoséocentrique de l'homme va servir à légitimer le dualisme ontologique.

    Descartes n'est pas seulement mis en cause mais aussi Husserl même si la philosophe a critiqué le gnoséocentrisme scientiste du XIXe siècle.

    Si Descartes admettait l'unité de statut ontique, du corps humain et des animaux, il affirmait que l'essence de l'être humain ne résidait pas dans sa corporéité, mais dans sa pensée, et que les animaux n'étaient que pure corporéité.

    Cette rupture était fondée sur l'établissement d'une dichotomie ontologique donnée en amont de toute incarnation ontique c'est-à-dire que Descartes avait posé la détermination ontologique du cogito comme pure nécessité de pensée en amont de toute détermination ontique non seulement de la corporéité mais aussi de l'âme.

    Pour l'auteur, l’espèce humaine s’intègre dans la continuité du vivant et une approche externaliste de l’homme est fondatrice.

    Jean-Marie Schaeffer bat en brèche l’explication monocausale de la nature humaine.

    Pour lui, l'unique description sérieuse concernant la provenance et la nature de l'être humain est celle de la biologie de l'évolution.

    Celle-ci implique une naturalisation de l'identité humaine : l'homme n'apparaît pas simplement comme un être qui a un aspect biologique, elle implique une historisation de l'identité humaine.

    Elle rapatrie l'être humain dans l'histoire de la vie sur terre.

    La notion d'espèce humaine n'y fonctionne pas comme un type qui déterminerait l'évolution, mais comme la résultante de l'histoire reproductive des individus.

    Nous voilà dans une conception non finaliste : l'évolution n'est pas guidée par une téléologie transcendante ou immanente, mais s'explique en termes de causalité « ordinaire » et de téléonomie (de systèmes auto-organisationnels).

    L'essai est technique et érudit.

    Il nécessite du temps pour saisir l’argumentation et les concepts (philosophiques et biologiques).

    C'est un livre sérieux et exigeant, ardu dans sa démonstration mais tentant d'argumenter le plus rigoureusement possible.

    [...]

    Yannick Rolandeau

    http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=76&srid=0&ida=9294