À la lecture de Bêtes humaines ? Pour une révolution végane, l’on aurait pu croire à une prochaine conversion de Michel Onfray au véganisme.
En effet, le voir associé au recueil voulu par Méryl Pinque nous a fait espérer le voir rejoindre le pré carré des philosophes vegan, donc l’extensible territoire vegan de prime abord.
C’est dans son livre Cosmos écrit entre 2013 et 2014 que Michel Onfray s’étend plus avant sur la question de l’éthique animale. Il y consacre un groupe de chapitres assez longs. « La question se pose de manger les animaux, ou non. Quand je pense, je conclus que non ; quand je mange, je fais comme si je n’avais pas pensé, ni rien conclu. » (pp.232-233). Curieux aveu, totalement contradictoire au vu des considérations sur le sujet auxquelles se livre l’auteur, pour qui au final « l’universalisation de la maxime végane débouche sur la suppression de l’homme. »
C’est en échangeant nos impressions, nos points d’accords ainsi que nos étonnements quant à la question du véganisme au fil du texte de Michel Onfray, que nous avons dialogué puis décidé de tout coucher par écrit avec le parti pris d’être les plus justes possible dans l’analyse et la critique.
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K. : J’ai décidé d’acheter COSMOS, car en l’ouvrant je suis tombée sur un chapitre important portant sur la question animale (L’animal. Un alter ego dissemblable). Ayant lu BÊTES HUMAINES et bien entendu la préface de Michel Onfray, je me suis dit immédiatement qu’il serait très intéressant de lire cet ouvrage-ci aussi pour aller plus loin dans sa réflexion, étant franchement restée sur ma fin avec cette introduction d’Onfray dans BÊTES HUMAINES.
Dès le début de la lecture de COSMOS, l’évocation des Inuits mangeant de la chair de phoque, et l’éloge de la culture gitane qui fait du hérisson son animal fétiche au sens païen du terme, en en mangeant mais en ayant pour lui un respect profond d’identification, j’ai compris bien vite que le propos sur la question animale n’aurait pas l’issue que je souhaitais.
M. : Oui, c’est vrai. Quand on a vu Onfray parler de COSMOS dans une émission littéraire, il n’a absolument pas été question de l’animal au sens large. Le rapport à la terre, au savoir du paganisme, à une forme de rusticité du juste étaient clairement affichés comme les valeurs fondamentales avec pour origine chez lui la transmission paternelle, d’une importance capitale, et émouvante.
Alors quand tu m’as dit un soir de quoi il est également traité dans le dernier livre d’Onfray, j’ai eu très envie de le lire. A la suite de l’étude du livre de Pinque, nous avions fait la remarque qu’on « ne saurait dire si Onfray est devenu vegan, ou si oui à quel degré d’implication. » — ce qui est un oxymore car on est vegan ou on ne l’est pas en réalité —. En effet, et ce fort du caractère indépendant et libertaire qu’on lui connaît — ainsi que de sa farouche volonté d’incarner une droiture éthique sans morale, profondément pacifique, Onfray accordait alors que « [les vegans] éclairent d’une forte clarté de trop grandes zones d’ombre. » C’était, pensions-nous, sous la plume onfrayenne, un grand honneur, parce que lui ne tergiverse pas. Bien entendu, et c’était sans surprise, nous constations que l’auteur du TRAITÉ D’ATHÉOLOGIE nuançait son enthousiasme quant au véganisme, notamment par rapport aux engagements et propos de certains des penseurs du « mouvement ». Lorsque les vegans assimilent fréquemment l’élevage massif aux camps de concentrations, pour lui ça n’est pas la même chose — même si pour des survivants des camps de concentration ça l’est (Isaac Bashevis Singer) —.
K. : Nous suivons Michel Onfray depuis pas mal d’années (lectures, émissions TV) et nous sommes habitués à sa rigueur. Quand il a mûri une réflexion il sait être inflexible en vertu de son idée d’une éthique sans faux-semblants. J’ai trouvé que dans cette partie du livre il en manquait cruellement, de rigueur, par omission sans doute. Il nous expose l’éternel argument carniste de la vitamine B12. Malheureusement il oublie de dire que dans l’élevage, les animaux sont justement supplémentés en B12 car ils ne peuvent pas la synthétiser à cause de leur régime alimentaire éloigné de ce qu’ils trouveraient dans les prés et pâturages. Sans cela, les humains qui les mangent seraient en effet carencés. C’est une première erreur plutôt édifiante.
M. : Oui. D’autant que j’ai noté qu’Onfray fait montre encore une fois d’une connaissance approfondie et d’une volonté, comme dirait Jean-Paul Sartre, d’y voir clair en conscience. Après de nombreux commentateurs de la cause animale, il nous rappelle bien, au sujet de Descartes et de Malbranche qu’ils « […] ont rendu possibles le spécisme en général et la légitimation philosophique des mauvais traitements infligés aux animaux en particulier. » (p.251). On voit bien que Michel Onfray fait partie des intellectuels qui se rendent à l’évidence du pur délire horrifique qui a lieu derrière les murs des abattoirs. Des fermes-usines, du non-sens manifeste de « produire » notre nourriture sous la forme d’êtres sensibles, sentients, qui sont à chaque seconde, par millions, malmenés, maltraités, torturés, massacrés, dans un gigantesque procès de mise à mort mécanisée, complexe et sordide, que les lobbies font tout pour éloigner de la vue des consommateurs/citoyens, des fois que voir la réalité crue engendre un écoeurement durable.
K. : L’horreur, c’est également l’expérimentation animale. Onfray en parle. Curieusement, il a l’attitude courante d’une personne confrontée au milieu médical. De par son expérience personnelle sans aucun doute, et il accepte par conséquent l’utilisation des animaux de laboratoire aux fins de guérison humaine. C’est l’attitude de la plupart de gens. L’humain d’abord, comme s’il ne pouvait pas y avoir d’autre condition que celle-là, d’autres manières de faire. Mais ça n’est pas une raison pour ne pas remettre en cause ce système qui a montré ses failles. Je pense au scandale des médicaments… Il y a des scientifiques d’envergure qui dénoncent cette « méthodologie » et cette « déontologie » (par exemple : Arthur Kornberg, scientifique et prix Nobel qui a été récompensé pour ses modèles de travaux in vitro sans utilisation animale), et que les progrès technologiques — chimico-informatiques — offrent aujourd’hui des alternatives très fiables au modèle classique des expérimentations sur les bêtes. Je doute que Michel Onfray considère que les expérimentions nazis faites sur les hommes durant la seconde guerre mondiale (donc on ne peut plus tristement proche de l’humain….) aient servi la médecine. Il y a eu beaucoup de n’importe quoi au nom de la science dans le plan d’extermination hitlérien des juifs. Rien ne justifiait cela. Alors l’exploitation d’êtres vivants différents ; en quoi est-elle justifiable ?
M. : Je suis d’accord. D’autant plus que l’écrivain de COSMOS est loin de manquer de cœur. Lui qui justement, et cela se lit au choix des mots qu’il déploie sous le regard de son lectorat, montre — voire : prouve — la réduction négative qu’a subi l’animal dans le cours des époques. « Que s’est-il passé pour que l’animal vivant, doué d’une âme et d’un souffle, devienne une bête et génère par la suite, au XVIIIe siècle, une série de mots connotés négativement : bestial, bêta, bêbête, bêtise, bêtement, bêtifier, bêtisier, abêtir, embêtir, rabêtir, ou qu’on associe le mot à idiot, inepte, crétin, imbécile, inintelligent, obtus, stupide, con, ou que les contraires soient fin, futé, ingénieux, intelligent, spirituel, subtil ? » (pp.261-262). On ne saurait être plus éloquent à moins d’y ajouter le son et l’image…
K. : En ce qui concerne le retour à l’état sauvage des animaux issus de l’élevage dans un monde vegan, il me paraît difficile d’envisager un sérieux danger pour l’homme. Effectivement, ces animaux ont subi de nombreuses transformations génétiques au fil du temps afin de les rendre plus productifs aux fins humaines. Elles sont donc bien loin physiologiquement de leurs ascendants. La question même de leur survie dans la Nature se pose clairement sans encadrement par l’Homme. Les vaches par exemple ne peuvent pas vêler seules. Les moutons ont tellement d’excès de peau qu’ils développent des maladies et sont empêchés dans leurs mouvements.
Et quand à savoir si arrivé au bout du modèle il convient de conserver quelques spécimens de ces animaux d’élevage, pourquoi ne pas faire des fermes pédagogiques où les animaux broutent (tondeuses naturelles) et produisent du fumier pour l’agriculture, sans avoir recours à la mortalité de force, et sans rien leur demander en retour de fait. Donc le raccourci « retour à l’état sauvage des animaux d’élevage et domestiques = danger de disparition de l’Homme » est extrêmement simpliste dans la pensée de quelqu’un comme Michel Onfray.
Je crois pour ma part qu’il faut au contraire se soucier de la disparition sans possible retour en arrière de 50% des espèces sauvages dans la Nature depuis l’après seconde guerre mondiale. Voilà qui pose problème pour la survie de tous les êtres vivants. Le déséquilibre s’est fait si rapidement que l’écosystème n’aura peut-être pas la possibilité ontologique de réagir. Donc c’est un péril potentiel pour l’Homme.
M. : C’est ça. C’est là la surprise. Et la contradiction. Page 276, Onfray évoque l’exceptionnel curée athée Jean Meslier et le philosophe Jérémy Bentham. Il dit d’eux qu’ils « ne franchissent pas le fossé entre ce constat et la pratique du végétarisme, voire du végétalisme, sinon, position la plus cohérente, du véganisme. Disons qu’en matière de véganisme ils sont croyants mais pas pratiquants. » Puis il ajoute : « Comme moi. »
Ce qu’il dit, et c’est là que ça manque totalement d’argumentation, c’est que « la culture agit sur la nature, et la métamorphose depuis que l’homme existe » (p.295). Il déclare presque solennellement que le véganisme est le plus juste des engagements, tout en se contentant d’ajouter qu’il aboutirait, s’il était pratiqué par l’humanité toute entière, à la « précarisation des hommes », leur disparition.
Force est de constater que, tout comme il ne lâche rien quand il a décidé de s’attaquer à la médiocrité des philosophes et consorts, qui n’ont pas toujours joint le texte et le contexte (l’acte à la parole), que ça soit dans ses ouvrages et dans ses cours à l’Université Populaire de Caen, Michel Onfray prend bien soin d’esquiver le retour de flamme et s’appliquant tel un onguent préventif, un principe de précaution qui consiste à avouer ce qu’il appelle sa « contradiction ». Nous l’évoquions en préambule à notre discussion.
Ainsi est-il capable de formuler consécutivement et sans craindre d’avoir l’air bipolaire et de proférer des contresens : « Et qui peut vouloir abolir la vie d’un vivant ? Au nom de quelle prétendue bonne raison ? » et « Coûteuse pureté des hommes qui s’avérerait ruineuse pour les animaux ! » (pp.302 et 303). Pour ma part, je trouverais plus logique de préférer que des êtres n’existassent point plutôt qu’ils souffrissent mille morts et atrocités pour nos petits plaisirs anthropocentriques.
K. : J’ai été très intéressée par un long paragraphe sur l’agriculture biodynamique de Rudolph Steiner. Je suis complètement d’accord avec Onfray sur la dénonciation de ce mode de culture non fondée sur l’expérience de la terre mais sur des préceptes ésotériques d’un seul homme qui n’a jamais été paysan. Mais je ne comprends pas pourquoi la pensée magique née d’un allemand au début du XXe siècle pose problème, alors que l’auteur ne porte pas de jugement accusateur sur celle de peuples asiatiques ou africains convoquée par l’ingestion d’aliments animaux (le symbolisme des forces animales soi-disant transmissibles par leurs parties comestibles). Je pense alors au drame perpétuel vécu par ses oursonnes en chine qu’on immobilise pendant des années afin de prélever leur bile. N’est-ce pas aussi inepte voire plus, que des cornes de vaches remplies de fumier pour purifier la terre et garantir la récolte ?
M. : Il n’y a pas loin de penser que l’acceptation des contradictions que tu soulignes servent implicitement (pour ne pas dire inconsciemment) d’alibi à Michel Onfray pour être lui-même contradictoire.
K. : Michel Onfray revient souvent sur l’exemple de l’incendie qui questionne si l’on doit sauver son chat plutôt que son frère, voisin, etc. dans cette situation où on aurait un choix égal mais un seul. Pour lui il s’agit d’un leitmotiv dont il se moque. Dans tous les ouvrages des penseurs de la cause animale que j’ai attentivement lus, l’exemple est traité avec plus de subtilité et ne dit jamais de façon catégorique qu’il faut sauver l’animal avant tout, chose que laisse entendre Onfray dans son analyse. Ceci dit, je comprends qu’on puisse vouloir préférer sauver son animal de compagnie au lieu d’un tiers humain, famille ou autre. Car encore eut-il toujours fallu que ce tiers fût bon avec nous. C’est mon avis. Considération dans laquelle les livres sur la cause animale ne vont pas aussi loin, car ils veillent toujours à prendre en compte l’intérêt du vivant quel qu’il soit en écartant la notion de sentiment pur.
M. : Tout cela donne à réfléchir. D’un autre côté, Michel Onfray conclut son livre avec quelques sentences de cette éthique sans morale qu’il affectionne et préconise, à juste titre. C’est beau quand il écrit : « […] Traiter les animaux en alter ego dissemblables ; Refuser d’être un animal prédateur ; Exclure d’infliger une souffrance à un être vivant ; […] » (p.515) …
K. : COSMOS est un livre passionnant. J’y ai appris beaucoup. En tant que vegan, je considère les peuples aux cultures ancestrales de respect de la Nature et du vivant (pour quelques rares existants encore) hors propos. Je ne demanderai jamais à un indien d’Amazonie ou à un Inuit de devenir ce que je suis. Néanmoins, il s’agit de prendre en compte le devenir du monde et l’expansion mondiale du modèle capitaliste et de se positionner par rapport à lui. Michel Onfray est catégorique quant à la tauromachie : il est contre. C’est un avis net et tranché. Dommage qu’il n’en soit pas de même sur l’exploitation animale de nos sociétés occidentalisées. C’est un auteur énormément lu. Son dernier opus ne déroge pas à la règle. Et je suis fâchée car ses lecteurs vont être confortés dans leur consommation de viande animale et autres dérivés. Ils se réaliseront croyants mais non pratiquants. Je suis athée et libertaire, ce qui signifie que je ne souscris pas non plus au dogme de l’agro-alimentaire qui broie les hommes comme il broie les poussins.
M.: De l’abêtissement donc… J’adresse donc mes vœux les plus pieux de bon rétablissement à Monsieur Onfray qui, même s’il l’avoue de lui-même, souffre — un peu — de la peur d’être à la marge, sur ce point tout du moins.
« Je mange de la viande, mais je vis dans l’univers symbolique du végétarien. Ma contradiction » (p.305). C’est un aveu d’impuissance, ce qui est plus embêtant qu’une simple contradiction. Joindre le geste à la parole, voilà qui satisfait à l’éthique sans morale, à sa droiture.
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En toute fin, arguons que Michel Onfray est presque en adéquation avec sa pensée, et qu’il suffit de peu pour qu’il devienne un parfait épicurien.
En attendant, son adhérence — refoulée — au véganisme tandis qu’il adhère publiquement à une autre « foi », fait de lui ce qu’on pourra nommer de crypto-vegan.
K&M
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