Afrique : les animaux victimes
Le gouvernement kényan cherche à maintenir l’équilibre entre les diverses acti vités exercées dans la zone de Mara, et en accordant une attention particulière au tourisme. Pour compenser le « manque à gagner » dont sont victimes les Masaïs, différents mécanismes de correction ont été envisagés.
Les fermes d’animaux sauvages (crocodiles, autruches...) se révélant rentables, le Kenya Wildlife Service (KWS) permet à une trentaine de ranchs d’exploiter directement ces animaux (par un abattage en principe contrôlé). La reprise de la chasse professionnelle (ou « sportive »), elle, provoque une polémique. Interdite en 1977, après plusieurs années de braconnage intense, elle est légale en Tanzanie et dans plusieurs pays d’Afrique australe. Au Kenya, plusieurs voix s’élèvent pour qu’elle soit à nouveau autorisée, cette activité étant susceptible de générer de 12 à 20 millions de dollars par an. Mais les risques de débordement sont réels.
Directrice du David Sheldrick Wildlife Trust, Mme Daphne Sheldrick, grande figure de la protection animalière, constate que « la population a faim. Si quelqu’un voit un animal sur sa terre, il ne va pas s’interroger sur des quotas, parce que le lendemain, cet animal sera sur les terres du voisin. Le marché de la viande de brousse a détruit la faune sauvage d’Afrique de l’Ouest. Pourquoi les choses seraient-elles différentes en Afrique de l’Est (1) ? ». Dans le parc national du Serengeti, en Tanzanie, 200 000 animaux sauvages sont ainsi tués illégalement tous les ans. Tout laisse à penser que le braconnage persiste aussi dans la zone de Mara.
« Les contrôles sont difficiles à mettre en oeuvre, et l’exemple de la Tanzanie nous incite à la prudence, souligne M. Nehemiah Rotich. Dans ce pays, les animaux les plus valorisés, les plus beaux, les grands reproducteurs, sont tués, au détriment de l’équilibre démographique des espèces. Les populations chassées, celles des éléphants par exemple, ont tendance à fuir leurs zones habituelles, et, pour le tourisme, c’est très mauvais. Je crois beaucoup plus à des solutions concertées avec les propriétaires des terres. »
Le KWS poursuit depuis plusieurs années une telle concertation (octroi de prêts à ceux qui tolèrent réellement cette faune sur leurs terres, allant de pair avec une incitation à développer le tourisme). Il perçoit aussi une fraction des droits d’entrée dans la réserve et la redistribue aux ranchs. La Banque mondiale préconise des solutions similaires (2). Autre approche, le gouvernement kényan ou le KWS pourraient louer aux Masaïs une partie des terres pour la conservation de la faune ; en retour, ceux-ci s’engageraient à limiter l’agriculture et l’élevage dans les zones considérées (3).
D’autres projets se réclament du zonage, comme celui du ranch de Koyaki, Lemek et Ol Chorro Orogwa, en association avec le Comité pour la gestion de Masaï Mara. Il est coordonné par l’African Conservation Centre. Selon Mme Helen Gichohi, « il s’agit de créer plusieurs zones réservées sur ces ranchs : pour le bétail, l’agriculture, la faune sauvage... Il faudra aussi ouvrir des points d’eau et favoriser les inspections vétérinaires. Il s’agit enfin de susciter des activités touristiques plus soucieuses de l’environnement, qui n’aillent pas dans le sens des excès actuels ». L’avenir dira si l’on peut concilier un système de zonage avec les déplacements fréquents des animaux.
Alain Zecchini (journaliste scientifique)
(1) Financial Times, Londres, 29 janvier 2000.
(2) P. V. Byrne, C. Stanbo et J.-G. Grootenhuis, « The Economics of Living with Wildlife in Kenya », Banque mondiale, Washington, 1996.
(3) Michael Norton-Griffiths, « Economic... », op.cit. ci-contre
Édition imprimée — novembre 2000 — Page 27