Robert Redeker : "L'islamophobie, l'arme des islamistes contre la laïcité" (La Dépêche du Midi)
Un néologisme vient de se tailler une place, de façon fracassante, sur notre scène politique : " islamophobie ".
Ce mot, proche, phonétiquement, de " xénophobie ", est autant destiné à faire peur - en évoquant, de manière subliminale, la haine, les persécutions, les discriminations - qu'à culpabiliser.
Quelques-uns voudraient le voir devenir synonyme de " racisme " et symétrique d'" antisémitisme ", deux monstres qui ne dorment que d'un œil.
Son usage, pourtant, est-il en adéquation avec la double exigence républicaine : sauvegarder la laïcité et combattre le racisme ?
N'engendre-t-il pas des amalgames aux résultats ruineux pour la République, ses valeurs et son héritage ?
Une enquête, réalisée par Caroline Fourest et Fiammetta Verner dans leur livre Tirs croisés [1], sur ses origines et son histoire, réserve des surprises, donnant à voir les intentions de ses concepteurs.
Il n'est pas innocent que le vocable d'" islamophobie " ait été forgé initialement (dans les années 1970) par des islamistes radicaux s'attaquant aux féministes.
La guerre contre les femmes est le berceau de ce terme ; ainsi, Kate Millet, célèbre militante du mouvement de l'émancipation féminine, fut violemment insultée, puis traitée d'islamophobe pour avoir incité les iraniennes au refus de porter le voile.
C'est à nouveau autour de la question de l'apartheid des femmes - foulard à l'école, dans des institutions, dans la rue, auto-ségrégation dans des piscines - que se concentre la crispation, et que l'accusation d'islamophobie menace quiconque s'élève contre la tentative d'officialisation de cet apartheid.
Dans les années 1990 le terme d'" islamophobie " a été diffusé plus largement par les islamistes londoniens dans le cadre des campagnes anti-Rushdie.
L'écrivain et les défenseurs de la liberté de penser et de publier se trouvaient accusés du crime d'islamophobie tout en étant menacés de mort.
Le concept d' " islamophobie " est originairement une arme forgée par les islamistes dans le but d'imposer leur vision totalitaire du monde.
Il plonge ses racines dans le plus sordide obscurantisme. Au départ, " islamophobie " était donc un mot de combat - et chacun se souvient de la formule du poète révolutionnaire Maïakovski, " les mots sont des balles " !
En le réutilisant naïvement, de sincères amis de la liberté se placent sur le terrain de ses adversaires.
Peut-on, comme le souhaitent les islamistes, identifier l'islamophobie avec un racisme et l'équivaloir avec l'antisémitisme ?
L'amalgame entre l'islamophobie et le racisme est destiné à se retourner contre toute critique de la religion, si importante dans notre culture depuis Bayle et Voltaire, si importante aussi dans l'élaboration de l'idée républicaine.
Est-il " raciste " de refuser les exactions qui se pratiquent, de la Mauritanie jusqu'au Pakistan, au nom de l'islam ?
De refuser la charia, les lapidations, les mutilations, l'esclavage (encore vivace dans des sociétés musulmanes), la criminalisation de l'homosexualité, le statut inférieur des femmes, etc ?
Est-il raciste de rappeler que dans aucun pays musulman les droits de l'homme ne sont à l'honneur, pas plus d'ailleurs que la démocratie ?
Est-il raciste d'estimer que des centaines de millions d'êtres humains vivent quotidiennement sous le joug imposé par cette religion ?
Est-il raciste de s'inquiéter des exigences, dans notre société, d'une religion qui a aussi peu fait la preuve de sa capacité à intérioriser les valeurs issues des Lumières ?
Est-il raciste de se poser la question: un islam à visage humain est-il possible, comme on se demandait naguère si un socialisme à visage humain est possible ?
Si le racisme (par exemple: l'arabophobie) est absolument condamnable, le combat contre les empiétements du religieux sur la vie civique, combat dont sont issues les valeurs républicaines, ne l'est aucunement.
L'islam est une religion - un ensemble d'idées, de mythes, de superstitions et de rites - pas une " race " (si ce mot a un sens) ni une ethnie.
Il existe des musulmans de tous les types humains ; cette religion, semblablement au christianisme, vise à l'universalité.
Etant une religion, l'islam est aussi une idéologie, comme le communisme et le libéralisme.
Doit-on condamner l'antilibéralisme ou l'anticommunisme, le refus de leurs idéologies et de l'organisation du monde qu'elles impliquent, comme s'il s'agissait de racisme ?
L'attitude accusée d'islamophobie n'est pas du racisme, dans la mesure où, loin d'être la haine de tel ou tel peuple, elle est le refus véhément de ce que certains prêchent et veulent imposer au nom de l'islam.
Elle est le refus des aspects archaïques et incompatibles avec les valeurs républicaines, que véhicule une certaine interprétation de l'islam.
L'antisémitisme, pour sa part, ne stigmatise pas une religion, mais un peuple.
Or, il n'y a pas un peuple musulman comme il y a un peuple juif ; par suite, la mise en parallèle de l'islamophobie et de l'antisémitisme est abusive.
L'islam est un attribut accidentel, applicable - du fait de sa nature prosélyte - à tout être humain, quelles que soient son ethnie et sa couleur de peau.
Au contraire, Juif ne désigne qu'un seul peuple, à cause de son non-prosélytisme.
Loin d'être le simple combat contre une religion, l'antisémitisme est la haine immotivée et inextinguible d'un certain peuple, le peuple juif.
Les Juifs pourraient bien être athées, changer de religion, que l'antisémitisme persisterait.
S'il existe des Juifs athées (parce que le mot " juif " énonce l'appartenance à un peuple, quelles que soient les idées de ceux qui sont ainsi indexés), la locution " musulman athée " s'avère absurde, (parce qu'être musulman signifie adhérer à une croyance).
Les islamistes voient, dans la bataille du vocabulaire, un enjeu d'importance.
Le terme d'islamophobie cache le piège tendu aux institutions laïques par les intégristes musulmans pour empêcher la critique de la religion, tout en soumettant des segments de l'existence sociale (spécialement celle des femmes) à une emprise totalitaire.
Perdre la bataille sémantique, en réutilisant le vocabulaire mis en circulation par les islamistes, comme s'il allait de soi, est désastreux.
Le mot " islamophobie " rabat, à faux titre, la défense de la liberté et de la laïcité sur l'intolérance et sur la haine.
Il réussit à contraindre les valeurs républicaines à demeurer sur la défensive : ce sont elles, désormais, qui, mises en difficulté par la sophistique d'un tour de passe-passe lexical, se voient accusées d'intolérance et d'intégrisme.
La prestidigitation de ce mot consiste à renverser la réalité en plaçant l'obscurantisme dans la position de la victime et la laïcité dans celle de l'agresseur.
La laïcité doit maintenir le mot " islamophobie " hors du cercle des débats, tout en pourchassant le racisme, en particulier l'arabophobie.
R. Redeker (Ce texte a été publié dans La Dépêche du Midi le 21 octobre 2003.)
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[1] Titre complet : Tirs croisés : La Laïcité à l'épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman : voir sur le site d’Amazon. Le site Prochoix met en ligne les nombreuses recensions de cet ouvrage : voir sa Revue de Presse.