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Si Cyrulnik pouvait penser...

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Suite au déplorable article de Boris Cyrulnik (paru ce mois dans « Tribune juive » et condamnant l'admirable livre de Patterson Un Eternel Treblinka), dont on attendait mieux décidément après ses propos dans Si les lions pouvaient parler. Essai sur la condition animale (Gallimard, 1998), je mets à la disposition de notre éminent psychanalyste hexagonal divers articles de l’historienne Elisabeth Hardouin-Fugier prouvant à quel point les nazis étaient peu les amis des animaux qu’il prétend.

J’ajoute que l’eussent-ils été, cela ne fait pas pour autant des défenseurs des droits des animaux des nazis, de même que ce n’est pas parce qu’Hitler portait une moustache que tous les moustachus s’appellent Hitler. Ce  genre de "raisonnement", partout entendu, est nul, irrecevable et diffamatoire.

http://tahin-party.org/textes/ferry127-151.pdf

http://tahin-party.org/textes/ferry.pdf

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L'objet du délit, paru dans « Tribune Juive » :

"COMMENT DESHUMANISER LES HOMMES"

Dans son livre Un éternel Treblinka (Calmann-Lévy), l'historien américain Charles Patterson compare le traitement réservé aux animaux au massacre des Juifs dans les camps d'extermination. Retour sur un odieux amalgame.

En 2002 paraît aux Etats-Unis Eternal Treblinka : our Treatment of Animals and the Holocaust (Lantern Books), de Charles Patterson. Il s'intéresse aux douloureux rapports entre l'homme et l'animal depuis la création du monde.

Traduit et publié en France en janvier 2008, l'ouvrage soutient la thèse selon laquelle « l'oppression » des animaux sert de modèle à toute forme d'oppression, et la « bestialisation » de l'opprimé est une étape obligée sur le chemin de son anéantissement. Après avoir décrit le travail à la chaîne dans les abattoirs de Chicago, il note que Henry Ford s'en inspira pour la fabrication de ses automobiles.

Quelques années plus tard, on devait retrouver cette organisation du « travail » dans les camps d'extermination nazis, où des méthodes étrangement similaires furent mises en oeuvre pour tétaniser les victimes, leur faire perdre leurs repères, et découper en tâches simples et répétitives le meurtre de masse de façon à banaliser le geste des assassins.

L'auteur sait qu'un tel rapprochement est tabou. Pourtant, il dédie son livre à la mémoire d'Isaac Bashevis Singer auquel il emprunte une citation : « Les dirigeants de la planète sont persuadés que l'homme est au sommet de la création. Toutes les autres créatures furent créées uniquement pour lui procurer de la nourriture, des peaux, pour être martyrisées, exterminées.  Pour ces créatures, tous les humains sont des nazis ; pour les animaux, la vie est un éternel Treblinka » (« The Letter Writer »). 

Le titre du livre est ainsi inspiré directement de cette nouvelle. Le prix Nobel de Littérature fut le premier à oser comparer le sort réservé aux animaux d'élevage et celui que les hommes ont fait subir à leurs semblables pendant la Shoah.

S'inspirant de son combat, Patterson dénonce la façon dont l'homme s'est imposé comme « l'espèce des seigneurs », s'arrogeant le droit d'exterminer ou de réduire en esclavage les autres espèces, et conclut son essai par un hommage aux défenseurs de la cause animale. Difficile de ne pas être scandalisé par cette analogie.

Pour autant, beaucoup d'observateurs en font valoir la justesse. « Il ne s'agit pas là d'une outrance irresponsable, souligne la philosophe Elisabeth de Fontenay, dans « Le Monde des livres » (11 Janvier 2008). L'auteur nous oblige à accompagner l'effroyable parcours qui aboutit à la tuerie des animaux de boucherie.

Il veut nous obliger à prendre connaissance de cette violence banale, légale, que des directives encadrent, mais que sa technicité industrielle et son obnubilation par le profit rendent doublement inhumaine : vis-à-vis des bêtes qu'on transporte, qu'on parque, puis qu'on abat, et vis-à-vis des hommes qu'on exerce à l'insensibilité.

On peut ne pas être d'accord avec cette manière emphatiquement analogique de dénoncer les pratiques de transport et d'abattage. Et pourtant, on aurait tort de reprocher à Patterson de banaliser la destruction des Juifs d'Europe. Il s'est instruit à Yad Vashem et ne cesse d'affirmer l'unicité de ce meurtre de masse. »

S'il admet que les idées de l'auteur sont défendables, Boris Cyrulnik, quant à lui, considère l'analogie avec Treblinka extrêmement choquante. « Certes, il faut réformer les conditions d'élevage et je ne vois aucune raison qui m'inviterait à torturer les animaux.  Mais je ne veux pas que l'on compare mes parents à des poulets de batteries ou à des moutons ! »

Définir l'animalité :

Florence Burgat, directrice de recherche à l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), a consacré sa thèse à la définition de l'animalité dans la philosophie occidentale moderne et contemporaine.

« J'ai beaucoup écrit sur la boucherie et n'ai jamais eu l'idée de faire la comparaison avec les camps d'extermination. Cela me semble à la fois inutile et risqué. Je comprends parfaitement le rejet que peut susciter ce livre, mais il convient de passer ce premier mouvement (...).

N'est-ce pas notre devoir à tous de nous interroger sur les traitements industriels que nous infligeons aux animaux ? L'habitude d'utiliser les animaux à toutes les fins qui nous agréent  ne constitue pas un argument qui dispense de réfléchir à la portée des actes que cette habitude, notamment alimentaire, suppose. 

A-t-on ainsi le droit de faire naître des animaux uniquement pour les engraisser quelques semaines dans les conditions que l'on sait  pour les manger, alors que tant d'autres choses nous sont proposées ?

Il est fondamental que des voix jusqu'au-boutistes puissent s'exprimer, car elles donnent à réfléchir à un meilleur traitement des animaux au cours de leur exploitation, et au fait même de les exploiter. »

Au final, l'ouvrage, s'il n'est pas le brûlot d'un illuminé, laisse un goût amer. Peut-être parce que le titre ne passe pas. 

F. B.

Boris Cyrulnik. Le psychanalyste, pionnier de l'éthologie animale et de la biologie des comportements, dénonce une comparaison abusive et une contre-vérité.

Tribune Juive : L'analogie entre le traitement réservé aux animaux et celui des déportés est-elle nouvelle dans la littérature ?

Boris Cyrulnik : Non. Marguerite Yourcenar a employé un raisonnement identique. Elle est la première à avoir fait cette comparaison : les êtres humains qui sont capables d'envoyer des animaux à la mort en groupe sont les mêmes que ceux qui envoient des hommes à Auschwitz ou Treblinka.

Certains universitaires américains, Peter Singer en tête, soutiennent qu'élever les animaux en batteries revient à mettre des êtres humains dans des camps de concentration. Lévi-Strauss en a aussi parlé, mais de manière moins brutale. Pour lui, mépriser et tuer les animaux revient à détruire des vies humaines.

Tribune Juive : Les nazis comparaient les Juifs à des animaux nuisibles...

Boris Cyrulnik : Dans tout processus raciste, on commence d'abord par le langage : il faut déshumaniser ceux que l'on veut exterminer. Les nazis disaient : « Les Juifs sont des rats qui viennent manger notre pain », « des vipères qui mordent le sein qui leur a donné le lait », ou des « renards rusés ». Si l'on déshumanise les êtres humains, il devient moral de les exterminer.

La suite logique, ce sont les lois antijuives qui rendent leurs conditions d'existence plus difficiles. Cette analogie qui consiste à comparer les animaux avec des êtres humains que l'on voulait exterminer, c'est une démarche nazie. Du reste, beaucoup de nazis étaient végétariens.

Tribune Juive : Comment se comportaient-ils avec les animaux ?

Boris Cyrulnik : Les nazis étaient très gentils avec eux. D'ailleurs, il y avait des lois de protection des animaux, mais pas de lois protégeant les Juifs, les Tsiganes, les homosexuels et les Slaves. Hitler était constamment entouré d'animaux.

Et en France, lorsque le gouvernement de Vichy a promulgué une loi pour arrêter les enfants et les condamner à mort, il était spécifié que « si les parents ont des animaux, il faudra les confier aux voisins ».  

On peut massacrer tout un peuple en moins de trois ans, soit sept adultes sur dix, et neuf enfants sur dix, tout en étant très protecteur envers les animaux. La comparaison de Charles Patterson est abusive. Elle est fausse historiquement et choquante humainement.

Propos recueillis par F. B.

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