Le steak en berne (Le Matin)
Va-t-on bientôt tuer le steak ?
Les défenseurs des animaux les plus radicaux veulent abolir le commerce de la viande et par conséquent sa disparition des étals des bouchers. Les récentes révélations de Suisses qui ont avoué manger du chat et du chien ont excité les défenseurs de la nature. Arriveront-ils à bannir la viande des assiettes ?
Elly Tzogalis et Michel Jeanneret - Le Matin
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Quelques graines, une feuille de coriandre et un pavé de tofu. Est-ce tout ce qu'il restera bientôt dans nos assiettes? Depuis que «Le Matin» a publié le récit d'une Jurassienne qui avoue manger du chat - mettant en lumière un phénomène qui reste toutefois rare en Suisse -, le débat s'est emballé, prenant une dimension quasi internationale.
Le chat au menu
« Le chat est au menu des Helvètes ! » titrait France-Soir le 6 août dernier. « Dans quelques cantons suisses, les habitants mangent leurs animaux de compagnie. » Répandue comme une traînée de poudre à l'étranger, la nouvelle a aussi suscité des réactions indignées sur notre site Internet.
Mais le débat sur l'hygiène alimentaire a atteint son paroxysme mercredi dernier. Le Matin Bleu apprenait que Brigitte Bardot, épaulée par... l'ancien champion de formule 1 Michael Schumacher (!), comptait s'en prendre aux mangeurs de cheval en Suisse. « Le cheval est également très proche de l'homme. Il est tout aussi choquant d'en manger », expliquait Christophe Marie, de la Fondation Brigitte Bardot.
Une pétition sur Internet
Pour abolir la consommation de cette viande en Europe, l'association de défense des animaux a lancé une pétition sur Internet il y a une année déjà. Sensible aux combats des défenseurs de la cause animale, Franz Weber a également annoncé qu'il envisageait de soutenir Brigitte Bardot et de collaborer avec sa fondation. « Je ne fais pas de campagne contre la consommation de viande, nous dit-il. Mais je soutiens les associations qui luttent pour la protection des animaux. Ça n'est pas sympathique de manger du cheval. C'est un animal qui a d'étroites relations avec l'homme, comme le chat ou le chien. C'est une question de dignité humaine. »
Plus de cheval? Bigre! Et bientôt plus de viande du tout ? C'est clairement le but de certaines associations animalistes, telles que le Mouvement mondial pour l'abolition de la viande, créé récemment et très agressif. Mais si ce genre d'associations connaît un succès grandissant (lire notre enquête, demain dans « Le Matin Dimanche »), c'est avant tout un succès d'estime. Car malgré leurs gesticulations, le secteur économique de la viande se porte plutôt bien.
Certes, la crise de la vache folle avait fait dégringoler la consommation de viande en Europe dans les années nonante. Mais depuis, les steaks ont peu à peu réinvesti les assiettes. On est peut-être encore loin du pic atteint en 1987 (620 000 tonnes de viande consommée), mais la consommation a progressé de 2,2% en 2007, pour venir s'établir à 465 000 tonnes, soit un peu plus de 60 kilos par personne.
« Après la crise de la vache folle et la psychose de la grippe aviaire, le client a regagné confiance. Il faut dire que nous avons fait énormément de progrès à l'intérieur de la branche, notamment sur des questions de traçabilité », explique Balz Horber, directeur de l'Union professionnelle suisse de la viande. Mais comment le secteur appréhende-t-il la vague « vegan » qui se développe à grande échelle en Europe ? « Chacun a le droit de choisir ses valeurs et ses modes de consommation. Mais cela ne nous fait pas peur, poursuit Balz Horber. Il s'agit d'une très petite minorité de la population qui ne souhaite pas manger de viande. »
Revenu et consommation
Qui plus est, étant donné que, de tout temps, l'évolution du revenu est allée de pair avec l'augmentation de la consommation de viande, le réveil économique des pays émergents fait miroiter d'excellentes perspectives. Ainsi, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'OCDE estiment que la production mondiale de viande pourrait doubler d'ici à 2050, passant de 229 millions de tonnes au début des années 2000 à 465 millions.
Il n'empêche, en Europe, entre l'« hygiénisme » ambiant et les conseils des diététiciens, le marché pourrait à nouveau se ratatiner. Il est vrai que la surconsommation de viande accroît les risques de maladie cardio-vasculaire, d'obésité et de diabète.
Et c'est compter sans la pression des écologistes. On oublie en effet que la production de viande est extrêmement polluante. Selon de nombreux experts, les milliards de tonnes de déjections animales rejettent une quantité d'azote qui engendre 18% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit davantage que les émissions liées aux transports.
Dès lors, il n'est pas exclu que, à terme, les steaks quittent de nouveau peu à peu nos assiettes. En catimini.
http://www.lematin.ch/fr/actu/suisse/va-t-on-bientot-tuer-le-steak_9-220826