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"Contre les stéréotypes et le sexisme 'd’habitude', il faut agir sur les mentalités" (Najat Vallaud-Belkacem, Le Monde)

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Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, décline la philosophie du plan annoncé lors du comité interministériel.

Selon un récent sondage, 71 % des Français pensent que le gouvernement ne va pas assez vite dans la lutte contre les inégalités entre les sexes. Que répondez-vous ?

Je le prends de façon positive. Il montre que le niveau d'intolérance aux inégalités et au sexisme a augmenté dans la société française et que les attentes sont fortes. Nous y répondons par des mesures concrètes.

Jusqu'à présent, vous avez surtout manié les symboles.

Il ne faut pas minimiser leur importance. Le fait que le gouvernement soit paritaire a un impact dans la société. Beaucoup d'organisations publiques ou privées y pensent à leur tour. Autre geste, la première loi adoptée sous le quinquennat a été celle sur le harcèlement sexuel. Cela signifie une tolérance zéro à l'égard des violences sexistes. Ensuite, c'est moins perçu par le grand public, mais la gouvernance a changé. Tous les projets de loi font l'objet d'une étude d'impact sur l'égalité entre les sexes. Un haut fonctionnaire à l'égalité a été nommé dans chaque ministère. Les ministres eux-mêmes ont participé à des séminaires de sensibilisation. Dans les nominations, nous sommes passés de 17 % à 28 % de femmes hauts fonctionnaires.

Avez-vous ressenti des résistances dans la préparation du comité interministériel ?

Certains ministres sont des féministes convaincus, comme Michel Sapin ou Aurélie Filipetti. Vincent Peillon s'est révélé un très bon partenaire. Il sait que la question de l'égalité entre filles et garçons est centrale dans la réussite scolaire. Le fait que les garçons décrochent en lecture au collège explique en partie la chute de la France dans le classement PISA de l'OCDE.

Dans certains ministères, ça a pu être plus compliqué, parce qu'on pensait que tout ce qui était nécessaire était déjà fait. Il a fallu que chacun accepte d'interroger ses évidences. Les stéréotypes, le sexisme "d'habitude" est très difficile à déceler. J'ai moi-même fait cette démarche en arrivant dans ce ministère, et j'ai découvert une réalité beaucoup plus dure que je ne l'imaginais.

Carla Bruni-Sarkozy a déclenché un tollé en affirmant que sa génération n'avait plus besoin de féministes, avant de s'excuser, qu'en pensez-vous ?

Je me définis comme féministe. Etre féministe, c'est combattre pour l'égalité entre les femmes et les hommes, pas pour un sexe contre un autre. Dans ce ministère, les hommes sont aussi un sujet. En matière d'égalité professionnelle, nous travaillons à l'émancipation des femmes, mais aussi à ce que les hommes puissent mieux concilier leur vie professionnelle et personnelle. Ils le demandent.

La France est-elle un pays sexiste ?

Tous les pays ont un fond de sexisme. Dès le plus jeune âge, on enferme les sexes dans des rôles préétablis. Ces représentations ont justifié pendant des années qu'on n'accorde pas le droit de vote aux femmes. Aujourd'hui, on continue à réduire le champ des possibles pour les filles. Elles réussissent mieux à l'école que les garçons : pourtant la moitié des femmes actives est concentrée dans 12 familles professionnelles sur 87. Nous avons connu par le passé deux générations de droits des femmes. Après la seconde guerre mondiale, les discriminations ont été retirées des lois. Dans les années 1970, des droits spécifiques leur ont été accordés, comme la contraception et l'IVG. Nous sommes maintenant à une troisième étape. Pour obtenir l'égalité, il faut agir sur les mentalités.

Comment ?

En premier lieu à l'école. Un module de formation à l'égalité et à la déconstruction des stéréotypes sera obligatoire dans les futures écoles supérieures du professorat, et dans la formation des autres personnels de l'éducation. Les enseignants pensent de bonne foi qu'ils se comportent de la même façon avec les deux sexes, mais toutes les études montrent qu'ils créent plus d'interactions avec les garçons, développant chez eux davantage que chez les filles des qualités précieuses dans le monde du travail. Pour les élèves, un apprentissage de l'égalité sera mis en place de la fin de la maternelle à la fin du primaire. Il sera expérimenté dans cinq académies en 2013, puis généralisé en 2014. Enfin, l'éducation à la sexualité deviendra effective: il ne s'agit pas de parler de pratiques, mais d'apprendre l'égale dignité et le respect entre les sexes.

Quelle conclusion tirez-vous de votre récent voyage en Suède concernant la lutte contre la prostitution ?

Dans ce pays où les clients sont pénalisés, la prostitution a baissé de moitié en douze ans. On parle souvent d'un transfert de l'activité sur Internet, mais sur Internet aussi les clients sont pénalisés. Le plus intéressant, c'est l'impact sur les comportements. L'achat de services sexuels n'est plus considéré comme un acte banal dans ce pays.

En France, un groupe de travail parlementaire a été créé. Il fera un tour de France, à la rencontre des associations, des habitants, des personnes prostituées, pour échanger sur la meilleure politique possible. Je ne sais pas si nous déboucherons sur un projet ou une proposition de loi, et je ne connais pas son contenu à ce stade. Nous sommes allés en Suède, mais nous irons aussi en Grande-Bretagne, qui a choisi une troisième voie très complexe, la pénalisation des clients de prostituées "sous contrainte". Nous irons également aux Pays-Bas et en Allemagne.

Réaffirmez-vous votre objectif de départ, à savoir la disparition de la prostitution ?

C'est une caricature. Mon propos est abolitionniste. En résumé, la prostitution est une violence faite aux femmes et il faut la faire reculer. Evidemment, elle ne va pas disparaître totalement. Mais les politiques publiques sont là pour construire un projet de société. Je réaffirme que l'achat de services sexuels systématisé est incompatible avec l'égalité entre les sexes.

Quand les entreprises qui ne respectent pas la loi sur l'égalité salariale paieront-elles des pénalités ?

Sur les 27 % d'écart de salaire entre hommes et femmes, un tiers l'est à travail égal [le reste s'explique par des différences dans les carrières]. Un nouveau décret paraîtra dans les prochains jours afin de faire enfin appliquer la loi. Nous passons d'un contrôle aléatoire des inspecteurs du travail sur place à un contrôle systématique sur pièce. Les entreprises devront envoyer aux directions régionales du travail leur plan pour l'égalité, qui seront examinés systématiquement. Si elles ne se mettent pas en conformité, elles paieront les pénalités, jusqu'à 1 % de la masse salariale.

Propos recueillis par Gaëlle Dupont

Le Monde, samedi 1er décembre 2012

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