(Merci à Claude Levi-Strauss d'avoir désigné et dénoncé le danger majeur qui pèse sur la planète et l'ensemble du vivant : la surpopulation humaine.
Plus d'humains, cela veut dire de moins en moins d'espaces sauvages, de nature, de poésie.
Cela veut dire plus de villes, plus de routes, plus d'industries, plus de pollution.
Cela veut dire des animaux sauvages expropriés, assassinés, des animaux domestiques exploités et massacrés dans les abattoirs en plus grand nombre...
La surpopulation humaine, cela veut dire la Mort.
Voici pourquoi, depuis longtemps, je me suis engagée à ne pas faire d'enfant. MP)
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Une source d’inspiration de ce blog, Arne Naess, est mort au début de cette année 2009.
Un autre de mes maîtres à penser, Claude Lévi-Strauss, vient de mourir.
Plutôt que de vaines éloges, je lui laisse la parole, une parole qui à mon avis donnera une colonne vertébrale à notre XXIe siècle :
« J’ai connu une époque où l’identité nationale était le seul principe concevable des relations entre les Etats.
On sait quels désastres en résultèrent. (…)
Puisqu'au cours du dernier siècle j’ai assisté à une catastrophe sans pareille dans l’histoire de l’humanité, on me permettra de l’évoquer sur un ton personnel.
La population mondiale comptait à ma naissance un milliard et demi d’habitants.
Quand j’entrai dans la vie active vers 1930, ce nombre s’élevait à deux milliards.
Il est de six milliards aujourd’hui, et il atteindra neuf milliards dans quelques décennies à croire les prévisions des démographes.
Ils nous disent certes que ce dernier chiffre représentera un pic et que la population déclinera ensuite, si rapidement, ajoutent certains, qu’à l’échelle de quelques siècles une menace pèsera sur la survie de notre espèce.
De toute façon, elle aura exercé ses ravages sur la diversité, non pas seulement culturelle, mais aussi biologique en faisant disparaître quantité d’espèces animales et végétales.
De ces disparitions, l’homme est sans doute l’auteur, mais leurs effets se retournent contre lui.
Il n’est aucun, peut-être, des grands drames contemporains qui ne trouve son origine directe ou indirecte dans la difficulté croissante de vivre ensemble, inconsciemment ressentie par une humanité en proie à l’explosion démographique et qui - tels ces vers de farine qui s’empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme, bien avant que la nourriture commence à leur manquer - se mettrait à se haïr elle-même, parce qu’une prescience secrète l’avertit qu’elle devient trop nombreuse pour que chacun de ses membres puisse librement jouir de ces bien essentiels que sont l’espace libre, l’eau pure, l’air non pollué.
Aussi la seule chance offerte à l’humanité serait de reconnaître que devenue sa propre victime, cette condition la met sur un pied d’égalité avec toutes les autres formes de vie qu’elle s’est employée et continue de s’employer à détruire.
Mais si l’homme possède d’abord des droits au titre d’être vivant, il en résulte que ces droits, reconnus à l’humanité en tant qu’espèce, rencontrent leurs limites naturelles dans les droits des autres espèces.
Les droits de l’humanité cessent au moment où leur exercice met en péril l’existence d’autres espèces.
Le droit à la vie et au libre développement des espèces vivantes encore représentées sur la terre peut seul être dit imprescriptible, pour la raison très simple que la disparition d’une espèce quelconque creuse un vide, irréparable, à notre échelle, dans le système de la création.
Seule cette façon de considérer l’homme pourrait recueillir l’assentiment de toutes les civilisations.
La nôtre d’abord, car la conception que je viens d’esquisser fut celle des jurisconsultes romains, pénétrés d’influences stoïciennes, qui définissaient la loi naturelle comme l’ensemble des rapports généraux établis par la nature entre tous les êtres animés pour leur commune conservation ; celle aussi des grandes civilisations de l’Orient et de l’Extrême-Orient, inspirées par l’hindouisme et le bouddhisme; celle, enfin, des peuples dits sous-développés, et même des plus humbles d’entre eux, les sociétés sans écriture qu’étudient les ethnologues.
Par de sages coutumes que nous aurions tort de reléguer au rang de superstitions, elles limitent la consommation par l’homme des autres espèces vivantes et lui en imposent le respect moral, associé à des règles très strictes pour assurer leur conservation.
Si différentes que ces dernières sociétés soient les unes des autres, elles concordent pour faire de l’homme une partie prenante, et non un maître de la création.
Telle est la leçon que l’ethnologie a apprise auprès d’elles, en souhaitant qu’au moment de rejoindre le concert des nations ces sociétés la conservent intacte et que, par leur exemple, nous sachions nous en inspirer. »
Source : L’ETHNOLOGUE DEVANT LES IDENTITES NATIONALES
Discours de Claude Lévi-Strauss à l’occasion de la remise du XVIIe Premi Internacional Catalunya, 2005.
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2009/11/03/levi-strauss-in-memoriam/