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La toxicologie prépare sa "révolution cellulaire"

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LE MONDE - BOSTON (MASSACHUSETTS) ENVOYÉ SPÉCIAL

La toxicologie est au seuil d'une nouvelle ère : de l'artisanat, elle devrait passer à l'industrie. Cette nouvelle toxicologie - dite "toxicologie cellulaire" ou encore "toxicogénomique" - permettra, dans un futur proche, d'accélérer considérablement les études de nocivité des composés chimiques mis sur le marché. Et d'évaluer celle des dizaines de milliers de molécules de synthèse diffusées depuis plusieurs décennies dans l'environnement sans réelles études préalables.

Le signal de cette révolution méthodologique est donné par trois agences de recherche fédérales américaines dont l'Environment Protection Agency (EPA). Elles ont annoncé, vendredi 15 février à Boston (Massachusetts), lors du congrès annuel de l'Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS), la signature d'un accord fondant un grand projet de recherche en toxicologie cellulaire.

"La toxicologie que nous pratiquons depuis plusieurs décennies repose sur les animaux, explique Francis Collins, directeur de l'Institut national de recherche sur le génome humain (NHGRI), impliqué dans le partenariat. Nous prenons des espèces animales, nous leur administrons le composé chimique que nous voulons évaluer, à de différentes concentrations. Nous attendons de voir si ces animaux tombent malades et, si c'est le cas, nous les examinons pour savoir quels organes ont été touchés."

La toxicologie cellulaire, elle, consiste à observer, in vitro, la réaction de cellules à une molécule. Nul besoin, donc, de cobayes, mais de lignées cellulaires humaines. Sur chaque type de cellules (rénales, hépatiques, pancréatiques, cérébrales, etc.), le composé chimique est appliqué à des concentrations et pendant des durées variables. Les altérations du matériel génétique cellulaire sont ensuite relevées : ce sont elles qui peuvent, notamment, provoquer l'apparition de cancers.

L'intérêt de ce modus operandi est d'abord son haut niveau d'automatisation et sa rapidité, qui diminuent considérablement les coûts des études. La description de ses grands principes, publiée dans la revue Science du 15 février, évalue entre 10 et 100 le nombre de tests toxicologiques menés chaque année sur des rongeurs alors que plus de 10 000 tests pourraient être conduits, en une seule journée, sur des lignées cellulaires humaines. Ce gain de temps rendrait possible non seulement les tests sur une seule molécule, mais sur les innombrables mélanges dont les toxicologues ignorent les effets avec précision.

PROMESSES IMMENSES

Pour l'industrie chimique, l'intérêt est considérable. Les entreprises verraient les coûts des études toxicologiques - généralement à leur charge - baisser substantiellement. En outre, beaucoup moins de temps s'écoulerait entre le développement d'une molécule et sa "qualification" pour arriver sur le marché. Enfin, le sacrifice de millions d'animaux de laboratoire pourrait être évité, avec d'autant plus de profit que la transposition des résultats à l'espèce humaine est sujette à caution, comme le font valoir infatigablement certaines associations de promotion de la toxicogénomique, comme Antidote Europe.

Les promesses sont immenses, mais la toxicologie cellulaire n'a pour l'heure qu'une existence théorique. Selon John Bucher, (Institut national de la santé environnementale), les premières molécules testées devront être "les 2 500 environ sur lesquelles nous avons des données très riches". Il s'agira ainsi de vérifier que les effets sur les cellules isolées sont conformes à ceux documentés au cours des tests de toxicologie classiques.

L'Europe n'est pas absente de cette révolution en cours. Elle vient d'adopter un règlement, Reach, qui prévoit l'évaluation de quelque 30 000 molécules chimiques d'ici à 2018 - mais avant 2011 pour les substances dites "CMR" (cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction). Cependant, selon Thomas Hartung (Institut pour la santé et la protection du consommateur, dépendant de la Commission européenne), l'Europe a "délaissé ce secteur de recherche pendant vingt ans". En ce qui concerne les Etats-Unis, note M. Hartung, malgré l'annonce du partenariat entre l'EPA et les instituts nationaux américains de la santé (NIH), "le projet présenté n'est pas encore budgété, et est en attente de financements supplémentaires du Congrès".

En Europe, "il y a des activités de recherche pertinentes sur ce sujet, avec des financements conséquents, estime M. Hartung : en particulier aux Pays-Bas, où un centre de toxicogénomique avec un financement de 25 millions d'euros est déjà en activité". Selon ce responsable européen, le financement d'une autre initiative est en cours de discussion entre l'UE et un consortium d'industriels de la cosmétique. De tels projets ne sont pas rares sur le Vieux Continent - au nombre de 17 selon M. Hartung - mais ils souffrent d'un manque de coordination des efforts de recherche.

La toxicologie cellulaire pourra-t-elle venir, à court terme, au secours du projet Reach ? Rien n'est moins sûr. Si certains scientifiques américains impliqués prédisent les premiers résultats pour "dans deux à trois ans", M. Hartung ne voit pas ces nouvelles technologies se substituer aux anciennes méthodes avant "une dizaine d'années".

Stéphane Foucart


Chiffres

12,1 millions. C'est le nombre d'animaux de laboratoire utilisés en 2005 dans l'UE (à 25 membres), toutes activités confondues, selon un rapport de la Commission de novembre 2007.

53 %. La part des souris est d'un peu plus de la moitié de ce total, devant les rats (19 %) et les animaux à sang froid (15 %), suivis par les oiseaux (5,4 %), puis les équins, caprins, bovins, porcins et carnivores. Les primates non humains représentent 0,1 % du total.

8 %. C'est la proportion de ces animaux utilisés en toxicologie, dont la moitié lors d'essais médicaux ou vétérinaires. Les tests consacrés aux produits chimiques concernent un tiers de ces 8 %.

http://www.lemonde.fr/sciences-et-environnement/article/2008/02/18/la-toxicologie-prepare-sa-revolution-cellulaire_1012708_3244.html?xtor=RSS-3244

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