Cet article devait initialement paraître en début d'année dans la revue Vegmag qui entre-temps a disparu.
Pour la première fois en France, un cycle de manifestations abolitionnistes (appelées « Manifestations pour la Libération Animale »), initié par Dominique Joron et Nathalie Breuil, a lieu depuis janvier 2012 dans plusieurs villes de France, chaque premier samedi du mois.
L’abolition des diverses pratiques d’exploitation des animaux y est clairement revendiquée, aussi bien sur les panneaux brandis par les militants que sur le texte de présentation.
Fort étrangement pourtant, le terme de « véganisme » n’apparaît pas ou apparaît peu sur les divers supports relayant l’événement, alors que le véganisme éthique constitue le fondement même du mouvement pour les droits des animaux.
Cette absence relative d’un terme qui, en France, continue de gêner et de générer des discordes profondes au sein du « mouvement » animaliste actuel (un mouvement essentiellement welfariste, qui démontre chaque jour davantage son inutilité et son obsolescence, sinon sa totale contre-productivité), n’est pas un hasard si l’on considère que seuls les végans sont moralement justifiés à participer à ce genre de manifestations, qui sont l’occasion pour nous de rappeler ici quelques fondamentaux, à commencer par le sens du mot « abolitionnisme ».
Le terme est né en Occident à la fin des années 1770 et désigne la lutte pour la suppression de l’esclavage des humains.
Il qualifiera ensuite plus généralement l’ensemble des mouvements œuvrant pour le bannissement de lois, de traditions ou d’institutions telles que la peine de mort, la torture ou la prostitution.
C’est, au XVIIIe siècle, un concept d’une nouveauté radicale, car, contrairement aux mouvements précédents qui ne faisaient que s’opposer à une pratique, qu’ils voulaient la plupart du temps simplement assouplir, l’abolitionnisme proposait en plus un modèle de société et d’économie alternatif — or nous savons à quel point l’aspect économique est capital dans l’exploitation animale.
Dans le contexte animaliste, l’abolitionnisme vise au bannissement de toutes les pratiques d’exploitation des animaux ainsi que de leur mise à mort.
Il vise à restituer leurs droits fondamentaux aux êtres sentients nonhumains et à les garantir de l’esclavage (c’est-à-dire du fait d’être traités comme des produits et des ressources humaines), de la souffrance et de la mort imposées.
Par conséquent, un abolitionniste, c’est-à-dire un partisan de l’abolition de l’exploitation animale, est nécessairement végan.
Aussi les personnes prenant part à ce cycle de manifestations abolitionnistes doivent-elles être véganes.
Or, depuis le départ, nous entendons ici et là des « appels » à ce que même des non-végans aient le droit de militer dans le cadre de ces manifestations, au nom de la « tolérance » et de l’ « ouverture d’esprit ».
Sur la page Facebook de l’événement, on découvre d’ailleurs, dans la liste des participants et des sympathisants, les noms de personnes non-véganes, ce qui va clairement à l’encontre de l’événement lui-même, trahit les intentions des organisateurs et fausse le sens et la portée du message abolitionniste.
Paradoxalement, ceux qui appellent à la « tolérance » envers les non-végans sont également ceux qui n’admettent pas que l’on affirme que les mots ont un sens et que les mots sont importants.
Ils n’admettent pas que l’on puisse dire que l’abolitionnisme exclut nécessairement les non-végans et coupent court à toute discussion sous prétexte que c’est là un débat « inutile », du « temps perdu », et qu’à la place nous devons nous « concentrer sur les animaux ».
Or précisément, tout le problème est là : nous militons pour les animaux, et c’est bien d’eux, et seulement d’eux, qu’il s’agit.
La philosophie végane abolitionniste est très simple et rationnelle : l’on ne peut prétendre défendre les animaux si par ailleurs on participe directement à leur exploitation en consommant des produits d’origine animale.
Le véganisme est le seul mode de vie moralement cohérent dès lors qu’on prétend défendre les droits des animaux.
Un « humanitaire » qui violerait les enfants qu’il est chargé de protéger ne serait plus un humanitaire, mais un exploiteur, et nul ne tolérerait qu’il participe à une marche blanche pour les droits des enfants.
De la même façon, un « animaliste » qui consomme des produits d’origine animale n’est plus un défenseur mais un exploiteur, en ce qu’il consomme des produits qui ne peuvent être obtenus que par l’exploitation, la torture et la mort de ceux-là mêmes qu’il prétend respecter.
Qu’il accepte ou non de le reconnaître, un exploiteur ne respecte pas l’exploité, et ne saurait décemment militer pour celui-ci ni pour la fin de son exploitation.
Ces manifestations lancées par Dominique et Nathalie sont des manifestations abolitionnistes.
Par conséquent, nul non-végan n'a la légitimité d'y participer — sauf si bien sûr la personne a réfléchi entre-temps à l’incohérence de son comportement, à l’absence de conformité entre ce dernier et le principe de respect de la personne animale (dont elle affirme par ailleurs reconnaître la validité), et qu’elle mette tout en oeuvre, à commencer sa propre volonté, pour devenir végane le plus tôt possible.
Le fait que des végétariens et d’autres consommateurs de produits d’origine animale participent à une manifestation abolitionniste est, à notre sens, extrêmement grave en ce qu’il gauchit le message initial et fait croire au grand public qu’il est à la fois possible de lutter contre un problème X tout en étant à l’origine de ce même problème X.
Il est tout à fait tragique de constater que, pour la première fois qu’en France de telles manifestations abolitionnistes sont inaugurées sur le long terme, et alors même qu’elles prennent leurs distances avec le welfarisme et les campagnes ciblées, elles se voient néanmoins trahies dans leur essence par des éléments non-végans qui n’ont rien à faire en leur sein, et « remises » malgré elles sur les rails du welfarisme traditionnel.
A ce stade de notre article, nous devons d’ailleurs émettre une critique à l’égard du texte de présentation de ces manifestations, qui concerne la formulation de la revendication suivante :
« Abolition des productions de viande, lait, œuf. »
Abolir la production de produits d’origine animale ne veut rien dire.
C’est un peu comme si vous vouliez stopper une hémorragie non pas à partir de la blessure initiale, mais du coton qui l’éponge.
C’est parce que les gens demandent des produits d’origine animale que les exploiteurs existent.
Tant que l’on n’aura pas aboli, en amont, la demande en produits d’origine animale, il est évident que les exploiteurs continueront d’exister en aval, pour satisfaire ladite demande.
De même pour la prostitution : s’il n’y avait pas de « clients » en amont, il n’y aurait pas de prostitué-e-s en aval.
Il ne sert à rien de pénaliser les proxénètes et les prostitué-e-s qui ne font que répondre à la demande de certains hommes.
Par conséquent, l’on ne peut abolir la prostitution que si l’on rend la demande du client illégale.
De la même façon, l’on ne peut abolir l’exploitation animale que si l’on supprime la demande en produits d’origine animale.
Le jour où la demande baissera, voire stoppera, alors plus personne ne songera à exploiter les animaux ni à vendre le produit de leur exploitation, parce que cela ne rapportera plus rien.
Et la seule façon de voir un jour supprimée la demande en produits d’origine animale, c’est de montrer soi-même l’exemple dès maintenant en devenant végan et en sensibilisant pacifiquement les gens au véganisme.
Dire que l’on veut abolir la production de produits d’origine animale et non la consommation de ces mêmes produits, constitue une déresponsabilisation pure et simple du client/consommateur qui, par sa demande, crée lui-même, et à lui seul, l’exploitation.
Et comme par hasard, ceux qui, au sein du « mouvement », appellent à la « tolérance » envers les non-végans sont précisément les non-végans eux-mêmes, qui voudraient — sans mauvais jeu de mots — avoir le beurre et l’argent du beurre, c’est-à-dire le droit à une conscience propre tout en continuant d’exploiter les animaux en consommant les substances issues de leurs corps (viande, œufs, produits laitiers, cuir, soie, miel, laine, etc.), ce qui est évidemment impossible.
On ne respecte pas les animaux lorsqu’on consomme des produits d’origine animale.
Prétendre le contraire relève de la mauvaise foi, de l’hypocrisie ou de l’ignorance.
Même si d’aucuns peuvent choisir de nier la définition de l’abolitionnisme, il n’en reste pas moins qu’être abolitionniste, c’est œuvrer pour la fin de l’exploitation animale, et qu’œuvrer pour la fin de l’exploitation animale, c’est être végan puisqu’une personne consommant un ou des produits d’origine animale participe directement à l’exploitation et ne saurait donc, dans les faits et en philosophie, œuvrer contre.
C’est là une question de logique pure : si vous luttez contre un problème X, vous ne pouvez parallèlement créer ou alimenter ce même problème X.
Les abolitionnistes doivent également faire face à une autre catégorie d’opposants, plus subtils, qui peuvent être végans tout en étant partisans de la politique des « petits pas » ou encore de ce que l’on appelle en philosophie le « graduellisme », par opposition à l’ « immédiatisme ».
Ils sont ce que Gary L. Francione nomme les « néowelfaristes », c’est-à-dire les personnes qui défendent la position selon laquelle l’amélioration graduelle du bien-être animal mènera à long terme à l’abolition de l’exploitation, qui ont foi en l’efficacité des campagnes ciblées et ne croient pas en la nécessité pratique et morale de l’approche végane abolitionniste.
Dans le cadre de l’abolition de l’esclavage humain, les « immédiatistes » étaient de la même manière en butte aux attaques des « graduellistes », dont certains instrumentalisaient le mouvement afin de retarder l’abolition effective de l’esclavage.
De la même manière, certains welfaristes ou néowelfaristes n’ont aucun intérêt — financier — à ce que l’exploitation animale disparaisse.
L’exemple des partenariats entre grosses associations animalistes et exploiteurs, notamment aux Etats-Unis (mais pas seulement), en est la preuve.
Les grosses associations animalistes n’ont aucun intérêt à ce que l’exploitation animale prenne fin parce qu’elles vivent de l’exploitation animale.
Elles gagnent de l’argent en plébiscitant de fausses victoires pour les animaux, quand la réalité est tout autre : jamais les animaux n’ont été autant exploités qu’aujourd’hui ni en aussi grand nombre, et le welfarisme, tout comme les campagnes ciblées, ont démontré leur invalidité pratique.
Mais si l’on veut continuer à avoir de nombreux donateurs, alors on est forcé de faire des compromis avec les exploiteurs.
On se met à créer, avec eux, des labels viande/produits laitiers/œufs « heureux », ménageant ainsi les adhérents, qui continueront de faire de généreux dons et de consommer des produits d’origine animale en toute bonne conscience puisque les associations mêmes auxquelles ils adhèrent ont apposé leur label sur lesdits produits.
Seulement, l’abolitionnisme refuse la mauvaise foi.
Il refuse la bonne conscience.
Il met les gens face à leurs responsabilités morales.
Appeler, comme certains le font, à la « tolérance » ou à l’ « ouverture d’esprit » vis-à-vis des végétariens et des autres consommateurs de produits d’origine animale n’est rien d’autre que du spécisme, car personne ne songerait à lancer ce genre d’appel si des exploités humains étaient en jeu.
Nul militant pour les droits des humains ne songerait à être « tolérant » envers une personne raciste, sexiste ou homophobe.
Dire qu’il faut être tolérant envers les non-végans prouve une chose : que l’on ne prend pas les animaux tout à fait autant au sérieux qu’on le prétend, qu’on ne les juge, enfin, pas les égaux des humains.
Etre abolitionniste, c’est nécessairement être végan, et vice-versa.
C’est abolir la frontière illusoire qui, pour le moment, compartimente l’exploitation animale, faisant accroire aux gens que certaines formes d’exploitation sont pires que d’autres, ou qu’il existe une différence morale pertinente entre la viande et les autres produits d’origine animale.
Or la vérité est la suivante : il y a autant de souffrance, sinon plus, dans un yaourt ou une omelette que dans un steak, et il n’est pas d’exploitation « heureuse ».
Il ne s’agit pas de juger les non-végans, mais de les mettre face à leurs responsabilités et de leur dire la vérité, à savoir que toute consommation de produits d’origine animale implique d’exploiter, de faire souffrir et de tuer les animaux.
Devenir végan est facile.
C’est la moindre des choses que nous devons aux animaux, à savoir les respecter intégralement en tant qu’individus et ne pas participer à leur exploitation en consommant les produits issus de leur esclavage, de leur torture et de leur mort.
Soyons tous des végans abolitionnistes.
Il s’agit là d’un impératif moral dont dépendent la validité et la légitimité du mouvement.
Reconnaître le véganisme comme la base morale du mouvement des droits des animaux ne doit souffrir aucune équivoque, et toute tergiversation, tout compromis, tout laps de temps mis entre cet impératif moral et l’action abolitionniste doit être éliminé, parce qu’on ne transige pas avec l’injustice, et qu’on ne doit pas tolérer l’intolérable.
Méryl Pinque
Vegan.fr