« Mais manger de la viande n’est-il pas naturel ? »
Cette question est probablement celle qui m’a été le plus fréquemment posée dans les trente dernières années, pendant lesquelles j’ai fait la promotion du véganisme.
Les étudiants suivant mes cours ; les gens assistant à mes conférences ; les auditeurs qui appellent lors des émissions radiophoniques auxquelles je participe ; les passagers assis près de moi lorsque que je me trouve dans un avion et qui se demandent pourquoi je reçois un repas végan alors que tous les autres mangent du poulet ou du poisson - tous semblent croire que la position morale que je défends n’est pas « naturelle ».
Tel que je l’ai soutenu ailleurs sur ce site, plusieurs pratiques et traditions, incluant l’esclavage et le sexisme, ont été justifiées par l’appel à des arguments reposant sur la présomption que certaines personnes sont naturellement supérieures et que d’autres sont naturellement inférieures.
L’apparition récente de la grippe porcine offre une nouvelle occasion de réaliser à quel point l’argument selon lequel l’exploitation animale est naturelle est vicié.
Plusieurs personne soutiennent qu’il est naturel pour les gens de manger de la viande.
Nous avons évolué, disent-ils, de manière à manger des produits animaux et la consommation de viande, de poisson, de lait, d’oeufs, etc. est un comportement que la nature a prévu pour nous.
Ne pas manger ces choses revient à agir en opposition à ce que nous sommes supposés faire et, donc, le principe moral voulant que nous ne les mangions pas ne peut être juste.
L’évolution a fait de nous des êtres qui possédons des yeux; soutenir que nous avons l’obligation morale de toujours les couvrir et de ne jamais utiliser nos capacités visuelles serait adéquatement perçu comme une position idiote à adopter.
L’évolution a fait de nous des omnivores.
Nous pouvons manger des produits animaux.
Mais tout ce que cela prouve, c’est que nous sommes des êtres qui avons évolué de manière à pouvoir choisir ce que nous mangeons et qui avons le choix de vivre exclusivement grâce aux aliments végétaux.
Le fait que nous pouvons manger des produits d’origine animale n’appuie pas davantage la conclusion selon laquelle manger ces produits est moralement justifié, que le fait que nous sommes capables d’être violents n’appuie la conclusion selon laquelle la guerre (ou n’importe quel autre type de violence) est moralement justifiée.
Le fait que nous pouvons faire quelque chose n’est pas pertinent lorsqu’il s’agit d’évaluer si nous devons le faire.
Il est clair qu’il n’est pas nécessaire, pour nous, de manger des produits animaux.
Et les études dont nous disposons démontrent que la quantité de produits animaux consommés quotidiennement dans les pays riches est mauvaise pour la santé.
De plus, aucun d’entre nous (ou d’entre ceux qui lisent ce texte) n’est un chasseur-cueilleur.
Nos produits animaux sont nécessairement obtenus à partir d’animaux domestiqués.
L’apparition récente de la grippe porcine illustre le fait que percevoir la domestication d’animaux comme naturelle implique que nous soutenions qu’il est dans l’ordre naturel des choses d’adopter des comportement qui, au plan pratique, sont désastreux pour notre survie :
[C]’est notre proximité avec les animaux, qui nous a permis de survivre pendant des millénaires, qui nous rend maintenant si vulnérables aux maladies et qui nous tue en grand nombre.
Depuis le jour où l’homme a cessé d’être un chasseur-cueilleur et a commencé à vivre joue contre mâchoire avec son bétail, il court le risque des pandémies.
Plusieurs maladies humaines tirent leurs origines des animaux domestiques : la rougeole et la tuberculose des bovins; la variole des bovins et d’autres bétails atteints du virus; la grippe des porcs et des canards; la coqueluche des chiens.
Ces agents pathogènes se sont développés et répandus facilement parce que les animaux vivaient en troupeaux ou en meutes.
Lorsqu’ils ont été domestiqués par les premiers fermiers, les virus n’attendaient qu’à être transmis.
Ces maladies dites zoonotiques se sont alors facilement transmises aux personnes humaines qui vivaient à proximité les unes des autres.
La citation précédente est tirée d’un article paru dans un journal anglais. Mais ce que l’auteur écrit n’est pas controversé.
Il s’agit d’un fait indiscutable que la domestication, en favorisant l’augmentation des contacts humains/nonhumains, a entraîné une grande variété de maladies graves.
En plus des autres conséquences résultant de la consommation de produits animaux, tels que les maladies du coeur, le cancer, etc., et sans compter les conséquences environnementales désastreuses de l’élevage d’animaux, le niveau de contacts humain/nonhumain qu’implique la domestication est, lui-même, un très grand danger pour la survie des humains.
Alors comment une chose qui engendre d’aussi abominables dangers peut-elle être naturelle ?
La réponse courte : elle ne peut pas l’être, à moins que ce que nous considérions être naturel est ce qui nous tue.
Si quelqu’un prétendait qu’ingérer du poison est naturel, nous jugerions que cette personne est folle.
Pourquoi continuons-nous à nous dire rationnels alors que nous pensons qu’une institution mortelle - la domestication - est naturelle et fait partie intégrante de notre civilisation ?
Mais, dites-vous, nous n’aurions jamais pu survivre sans la domestication ; nous avons eu besoin d’aliments provenant des animaux domestiqués pour que notre population puisse s’élargir et pour développer les cités et les civilisations telles que nous les connaissons (et aimons).
Ainsi, même si la domestication présente des dangers, elle offre par ailleurs des bénéfices et nous devons équilibrer le tout.
Même si vous êtes admiratifs devant ce qui est perçu comme la civilisation moderne, cette réponse néglige le fait que nous aurions pu survivre en ne mangeant que des aliments issus des plantes.
La domestication n’est nécessaire dans ce contexte que si elle représente la seule option possible et ce n’est clairement pas le cas.
En bout de ligne : si vous croyez que nous pouvons justifier la douleur, la souffrance et la mort que nous infligeons à 53 milliards d’animaux chaque année (sans compter les poissons) en prétendant que la domestication est, pour une raison ou une autre, naturelle, ou que la solution est d’adoucir les coins et de rendre l’élevage industriel plus “humain”, alors continuez à réfléchir.
S’il une seule chose est naturelle, c’est le véganisme.
Et le véganisme est la seule manière d’agir qui respecte le statut de personne des animaux nonhumains.
Gary L. Francione
http://www.abolitionistapproach.com/fr/2009/05/04/non-ce-nest-pas-naturel/