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Presse - Page 21

  • Le Monde : "Les militants végétariens adeptes du régime des images-chocs"

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    La place Saint-Michel à Paris transformée en rayon boucherie d'un supermarché. Voilà ce qu'ont pu découvrir, jeudi 22 février dans l'après-midi, les passants et les touristes du Quartier latin en déambulant près de la fontaine Saint-Michel.

    Deux personnes, un homme et une femme, se sont volontairement maculés de liquide rouge et se sont allongés chacun dans une barquette de polystyrène recouverte d'une bâche en plastique.

    Un emballage fait pour rappeler les morceaux de viande vendus en libre-service dans les grandes surfaces. Effet garanti, comme en témoignent les photos de la manifestation qu'on a pu découvrir.

    HAPPENING

    Ce happening très choc a été organisé par le groupe militant Mangez végétarien, dont l'adresse du site Internet figure en bonne place sur les étiquettes collées sur la bâche en plastique. Une étiquette sur laquelle on peut aussi lire : "3 millions d'animaux sont tués chaque jour en France".

    Martin Bureau, photographe pour l'AFP, était présent sur les lieux lors de cette manifestation destinée à sensibiliser le grand public sur les souffrances infligées aux animaux dans les abattoirs.

    "Il y avait beaucoup de photographes. Deux équipes de télévision étaient aussi présentes. Quand je suis arrivé, les deux militants étaient en train de se préparer. Ils se sont aspergés d'une sorte de peinture rouge avant de prendre place dans leur barquette. A côté d'eux, il y avait deux autres militants qui tenaient des pancartes et un autre qui distribuait des tracts", explique-t-il.

    Sur la place Saint-Michel, la démonstration sanguinolente ne laisse pas indifférent. "Il y avait beaucoup de touristes qui prenaient des photos avec leur téléphone mobile, raconte Martin Bureau.

    Un vieille dame est passée et s'est montrée scandalisée, en expliquant qu'elle avait connu la guerre et qu'elle n'avait pas toujours eu la chance de manger de la viande."

    D'autres spectateurs, comme le rapporte Libération dans son édition du 23 février avec un article et une photo prise par Guillaume Binet, se montrent plus compréhensifs et encouragent ce type d'"actions qui se voient".

    MATÉRIEL DE COMMUNICATION

    "Ce genre d'événements me mettent toujours mal à l'aise, explique pour sa part Martin Bureau. Quand il y a une manifestation avec des milliers de gens dans la rue, on ne peut pas ne pas y aller. Mais là je ne vois pas où est l'actualité. Du coup, j'ai l'impression qu'en prenant ces photos nous sommes plus dans la publicité et la communication que dans l'information."

    Si elles ne sont pas souvent reprises dans la presse, les photos de ce genre d'événements - dont certaines sont prises par un photographe membre du groupe ou de l'association qui les organise - circulent ensuite beaucoup sur Internet.

    "On les retrouve dans les classements des photos- chocs de la semaine sur certains sites. Elles servent aussi à alimenter le matériel de communication militant." Mais vendredi 23 février, les photos de la place Saint-Michel n'étaient pas en ligne sur le site mangez-vegetarien.com.

    Au même moment, à Sydney, en Australie, d'autres militants de la cause animale organisaient eux aussi une opération coup de poing. Le long des quais du port de la ville, à deux pas de l'imposant paquebot Queen-Elizabeth, plusieurs personnes se sont volontairement enfermées dans des cages destinées à transporter de la volaille.

    Leur but, cette fois, était de dénoncer les conditions de transport "cruelles" des poulets et autres dindes promis à la consommation. Ne manquait que la peinture rouge. 

    Guillaume Fraissard

  • Le Figaro : "Les amis des bêtes s'attaquent aux cirques animaliers"

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    CYRILLE LOUIS

    Selon un recensement des services vétérinaires en février 2004, les cirques français hébergent 1 222 bêtes sauvages.

    Girafes, hippopotames et rhinocéros seront bientôt proscrits sous les chapiteaux.

    Un vent d'inquiétude souffle sur les quelque 180 cirques animaliers de France. Sous la pression de plusieurs associations de protection des bêtes, le ministère de l'Écologie envisage en effet de limiter le nombre d'espèces pouvant être détenues en ménagerie.

    Dans les toutes prochaines semaines, un nouvel arrêté devrait proscrire girafes, hippopotames et rhinocéros sous les chapiteaux. « Et ce n'est qu'un début, exhorte la présidente de la SPA, Caroline Lanty : dès à présent, nous appelons à la stérilisation des animaux sauvages vivant dans des cirques pour qu'à terme cessent les situations de maltraitance dont ils sont trop souvent victimes. »

    Selon un recensement effectué par les services vétérinaires en février 2004, les cirques français hébergent 1 222 bêtes sauvages dont 30 éléphants, 505 félins, 42 ours, 95 singes et 131 serpents. Pour détenir ce type de bêtes, chaque établissement doit obtenir un certificat de capacité et, au terme d'un arrêté publié en 1978, « offrir aux animaux de bonnes conditions de détention ».

    « Or, s'indigne Muriel Arnal, présidente de l'association One Voice, les enquêtes que nous menons dans les ménageries révèlent de graves situations de maltraitance : presque partout, les animaux sont stressés par le transport, détenus dans des cages exiguës, violentés par les dresseurs et déprimés par la solitude. »

    Enchaîné dans le noir

    À l'appui de leurs revendications, ces associations rappellent que plusieurs incidents ont récemment impliqué des bêtes de cirque. Le 11 février, un lion de 3 mois, vraisemblablement échappé d'une ménagerie, a été trouvé errant dans un quartier d'Avignon.

    Le 15, une cage aux tigres s'est écroulée à Perpignan, où une mère de famille s'est trouvée nez à nez avec un fauve. Huit mois plus tôt, à Sorgues (Vaucluse), un éléphant d'Asie avait mortellement blessé un homme qui avait pénétré dans son enclos.

    Confrontées à des manquements manifestes à la réglementation, les associations n'hésitent plus à saisir la justice.

    En janvier 2006, la confiscation d'un éléphant nommé « Vicky », alors âgé de 42 ans et enchaîné dans le noir en permanence, a ainsi été ordonnée par un tribunal de Seine-et-Marne, qui a depuis condamné le propriétaire du cirque à 1 000 euros d'amende. Le 15 février dernier, le tribunal d'Annecy a de même ordonné la saisie de cinq lions, un tigre, un hippopotame et cinq serpents aux dépens du cirque Luigi Zavatta.

    « Ces quelques dérives ne doivent pas jeter l'opprobre sur le milieu du cirque qui, dans l'ensemble, traite les animaux avec beaucoup de soin, relativise le président du Syndicat national du cirque, Gilbert Edelstein. Aujourd'hui, nous sommes inquiets de voir une association en perte de vitesse comme la SPA tenter de mobiliser l'opinion contre nous. D'ailleurs, si les autorités tentent d'interdire l'emploi des animaux sauvages, nous devrons appeler nos 14 millions de spectateurs à descendre dans la rue. »

    Pris entre deux feux, le ministère de l'Écologie hésite pour l'heure sur la voie à suivre. « Compte tenu de l'intérêt du public pour les cirques animaliers, il paraît difficile de les interdire purement et simplement comme cela a été fait en Autriche, relève-t-on dans l'entourage de Nelly Olin. Pour autant, la légitime protection des animaux nous incite à envisager une restriction progressive des espèces autorisées. »

  • "La grande tribu des hommes petits : retour sur le meurtre de Sohane Benziane" (Méryl Pinque)

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    LA GRANDE TRIBU DES HOMMES PETITS :

    retour sur le meurtre de Sohane Benziane

     

    « Vos femmes sont pour vous un champ de labour : allez à votre champ comme vous le voudrez. » (II, 223)

    «  Les hommes sont supérieurs aux femmes [...]. Vous réprimanderez celles dont vous avez à craindre la désobéissance ; vous les relèguerez dans des lits à part, vous les battrez. » (IV, 38)

    « Abaissez un voile sur leur visage. » (XXXIII, 57)

    Le Coran


    « Le poil est une trace, un marqueur, un symbole. De notre passé d'homme des cavernes, de notre bestialité, de notre virilité. De la différence des sexes. Il nous rappelle que la virilité va de pair avec la violence, que l'homme est un prédateur sexuel, un conquérant. »

    Éric Zemmour


    « Ben quoi, ils ont juste cramé une fille. »

    Un jeune des cités


    « La "proclamation phallique" est un signe de désarroi, d'anxiété et d'incertitude. Alors que toutes les valeurs s'effondrent, jouir est une certitude qui vous reste. [...] Plus l'intelligence se sent impuissante à résoudre et à s'imposer, et plus le coït devient l’ersatz de solution. »

    Romain Gary

     

    Le 5 octobre 2002, un jeune homme aux mains calcinées se présentait aux portes de l’hôpital Pitié-Salpêtrière.

    Parmi les infirmières de garde présentes ce jour-là, il en fut une, admirablement perspicace, qui ne tarda pas à établir le rapprochement entre ce patient et le criminel dont toute la presse parlait depuis vingt-quatre heures, qui se serait brûlé la veille en immolant - banal plaisir tôt voué au frelatage, le point d’inévitabilité éjaculatoire étant sans cesse différé sous l’action conjuguée de la pornographie et de l’ultraviolence omniprésentes - une jeune fille dans un local à poubelles de Vitry-sur-Seine.

    Ayant fourni son signalement à la police, l’infirmière fut accusée de délation par sa hiérarchie et sommée de comparaître devant le Conseil de service pour non respect du secret professionnel.

    Le jour même où Sohane Benziane fut brûlée vive, un autre crime, raciste celui-là, avait lieu à Dunkerque, mobilisant cette fois l’ensemble de la classe politique.

    Les « délateurs » furent, ici, chaudement félicités. Quant à notre infirmière, elle s’en sortit sans autre dommage, mais cette anecdote reste emblématique du malaise national.

    Ainsi la France condamna-t-elle, unanime, Joël Damman, le meurtrier de Mohamed Meghara, fauché, comme Sohane, en pleine jeunesse, à dix-sept ans.

    Rien de plus normal, dira-t-on, que cette saine réaction devant l’abject.

    L’on était cependant en droit d’attendre, au nom de nos beaux principes républicains, de notre attachement viscéral au Bien, de notre foi inébranlable en notre insurpassable espèce, laquelle, n’en doutons pas, finira par triompher d’elle-même et renaître de ses cendres puisque, selon l’unique formule sacrée ornant les frontispices de nos cités, elle le vaut bien, au moins autant de vert courroux, de fraternelle communion, de franc sursaut civilisateur de la part de ces nobles âmes en révolte, de ces vigilances du cœur armé, de ces chœurs pathétiques si prompts à s’émouvoir, face au meurtrier de Sohane, j’ai nommé Jamal Derrar, alias « Nono », digne fleuron de certaine mâle jeunesse des quartiers dont on attend tout désormais, y compris qu’ils nous consument, qu’ils revirilisent, ensemencent et peuplent la France à venir d’un même puissant et solide coup de reins.

    Nono, un homme un vrai, le sauveur de ces messieurs en débandade, le messie zemmourien, que l’on ne saurait élire tout à fait mais sur lequel on louche, quand même, avec envie, dans nos solitudes d’homoncules frustrés, parce que ce sera toujours, bêtement, de pouvoir qu’il s’agira.

    Nono, qui savait se faire respecter des femmes forcément inférieures, là-bas, sur les rivages des banlieues proches et lointaines, aussi magnifiques, barbares et fascinantes que les jungles d’émeraude de Kurtz, à la force du vit, de l’allumette et du poing.

    Nono, la résurgence d’un très vieux fantasme, un rêve de pierre, de sperme et de sang, un berserk ressuscité poussé à l’ombre des barres grises, un mec qui avait « des couilles » enfin, puisque tout semble se réduire à ça.

    Bref, un dur, qui détenait peut-être, allez savoir, intact, le principe de cette virilité fabuleuse toujours-déjà menacée, sans cesse à prouver, à reconduire, à valider en un mouvement perpétuel de surenchère, jusqu’à remettre au goût du jour de vieux usages perdus, par exemple, la condamnation des femmes au bûcher[1].

    Nono, ou l’islam au secours du mâle occidental. Foi de Malek Chebel :

    « Je suis toujours surpris par la force de conviction des chrétiens convertis à l’islam. Qu’est-ce qu’ils y trouvent ? Une virilité et une sécurité qu’il n’y a plus dans le christianisme[2]. »

    Mais cela, pour qui maîtrise son sujet – et je me targue de le connaître assez bien - n’est hélas qu’évidence.

    Et Sohane dans tout cela ?

    Le spectacle qu’offrit la France au lendemain du drame est éloquent.

    Robert Badinter, d’abord, qui ne trouva rien de mieux que d’opérer devant Alain Duhamel une gradation abjecte des meurtres qui venaient d’être commis (mais il faut dire qu’il est, avec Élisabeth déroutée[3], à bonne école), jugeant, après avoir évoqué l’assassinat de la jeune fille, « plus important encore » le crime raciste, sans seulement voir, puisque enfin l’on est tenu désormais d’ajouter quelque épithète consacrée, qu’il faut encore mettre celle-ci partout, et qualifier donc le meurtre de Sohane de sexiste, comme le souligna avec force l’avocat général  Jean-Paul Content.

    Jean-Pierre Raffarin, ensuite, alors Premier ministre, auteur d’un vibrant hommage à la mémoire du jeune Meghara suivi d’une minute de silence à la mosquée de Dunkerque, pendant que Sarkozy réunissait autour de lui les principaux représentants de la communauté musulmane.

    C’est en vain que l’on attendit, pour Sohane, pareil déploiement de sympathie.

    Le petit monde médiatique enfin, qui ne s’en sortit pas mieux : un journal télévisé de l’époque consacra dix minutes à l’agression du maire de Paris[4], cinq à Meghara, trente secondes à Benziane.

    Certes, et c’est terrible à dire, la valeur d’une femme reste toujours moindre que la valeur d’un homme, y compris dans notre bel Occident démocratique pétri de principes humanisants.

    « Ce n’est rien, ce n’est qu’une femme qui se noie », pouvait écrire ainsi La Fontaine, dont l’amende honorable (« ce sexe vaut bien que nous le regrettions, puisqu'il fait notre joie ») fleure plus encore cette misogynie bon teint qui s’épanouit partout.

    Les plus grands esprits, lorsqu’ils se mettent à parler des femmes, ou, pis, de la femme, en bien ou en mal d’ailleurs, comme s’il s’agissait de quelque espèce à part, vile ou idéale, à la lisière de l’humanité toujours, où l’une serait peu ou prou la copie conforme de l’autre (il est vrai que Pygmalion fabrique Galatée à la chaîne), excepté quelques différences anatomiques extensivement détaillées, deviennent ces non-esprits creux, vulgaires et radoteurs, ces parfaits clones dénués du plus petit atome d’intelligence, condamnés aux poncifs, aux théorèmes vaseux et aux plaisanteries de caserne.

    Pourtant ces matamores pathétiques, qui ont aujourd’hui pour nom Eric Zemmour ou Alain Soral (je ne cite que les plus médiatiques d’entre eux) sont sûrs de remporter, comme hier, tous les suffrages.

    Zemmour. Soral.

    Les mâles alpha.

    Les frères ennemis.

    Nos glorieux hommes de demain.

    La particule et l’antiparticule élémentaires, dont j’attends avec quelle impatience qu’elles s’autodétruisent lors de ces Ragnarök ultimes que l’Occident féminisé ne leur permet plus de mener, sinon le long des pages ineptes du Figaro Madame, des méandres de leurs cervelles délirantes et des tréfonds abyssaux de la sitosphère.

    De fameux agitateurs ma foi, de fiers brasseurs de bière surie, des amateurs de pissat d’âne bâté dont la vertu ne dépasse seulement pas le demi-nanomètre carré.

    Des lutteurs de foire dûment récompensés, parions-le, par trois douzaines de houris pour services rendus à la Virilité chancelante.

    Comparer le féminisme au totalitarisme, quel flair et quelle bravoure.

    Hitler et Staline doivent s’en frotter les mains, à l’heure qu’il est.

    Ainsi que tous les Derrar de la terre, et l’on sait combien ils sont nombreux.

    N’en doutons plus : le devoir de mémoire est bel et bien passé à la trappe, avec quelques autres principes substantiels, et la reductio ad hitlerum n’est donc plus seulement l’apanage de la gauche boboïsante.

    Rien ne semble devoir effrayer ces cuistres passés maîtres dans l'art de la forfaiture et du raccourci médiatique dès qu’ils abordent, la peur au bas-ventre, le dossier femmes, et surtout pas le ridicule, s’égosillant comme coqs en déroute sur leurs tas de fientes androestampillées, forts d’une souveraineté que je qualifierais, puisque je n’ai jamais dédaigné d’employer quelque mot rare, fût-ce pour qualifier l’ordinaire, d’achondroplasique.

    C’est contre de telles mauvaises fois, qui partout pullulent, que les meilleures volontés finissent toujours par buter, et qui s’avance les bras chargés de roses doit s’attendre à s’en voir fouetter le visage avec les épines, à rendre compte de chaque bonté exactement, perlée, fourbie par l’âme.

    La force, c’est de ne point lâcher les roses et de continuer sa route, mais en ayant désormais, fichée au coin du cœur, la conscience de son échec à créer des liens avec et entre les hommes.

    On ne pacifie pas tout un monde en guerre simplement parce que, brave petit soldat, on a décidé un jour de passer outre et de croire à nouveau, de tendre la main à l’ennemi imbécile, après l’avoir combattu, dans un pieux désir de fraternité.

    Seulement il est bien vrai que nous sommes seule à désirer la paix, que nous n’avons qu’une seule enfance et que le monde meurt avec elle.

    Etrange impression que la mienne, tandis que je rédige ces lignes, celle de me soustraire une seconde fois, de retourner à ma vie fantomatique et comme superposée, au lieu que j’avais désiré renaître par la grâce d’une enfance seconde, luxueuse et illusoire, et de même qu’il n’y a point tout à fait de hasard en ce monde, de même les idées s’enchaînant les unes aux autres finissent-elles par trouver leur cohérence et leur lieu d’élection.

    Me voici donc apparemment aussi éloignée de mon sujet que l’austère Sedna du soleil, et cependant je me trouve aussi proche du soleil qu’on peut l’être, puisque la vérité a toujours le tragique éclat du feu.

    Aussi vois-je, aggravés encore par la parfaite lucidité du soir, les hommes franchir les arceaux du temps avec le même front débile, et cette odieuse constance, autrement dit cet arrêt au cœur même du mouvement apparent, est bien le signe de quelque damnation irrémédiable.

    C’est néanmoins désespérément sereine (et cela confirme la ténuité de ma présence) que je referme cette courte parenthèse incandescente, et que je m’en vais poser une seconde explication à l’odieuse hiérarchie des meurtres à l’œuvre.

    Il faut y voir, bien sûr, l’influence pernicieuse de la tribu dominante des petits hommes (mais les petits hommes ne sont-ils pas partout ?) et de leurs innombrables sacculines régnant en maîtres et censeurs sur la parole vraie, condamnée dès lors à l’in-pace ainsi que ceux qui la profèrent, qui adjoignent à force de sentences moralisatrices de relativiser tout crime dont l’auteur est un jeune habitant des cités, reléguant le principe de responsabilité dans quelque obscur cul-de-basse-fosse, quand « être homme, c’est précisément être responsable[5] ».

    La France multiculturaliste, pétrie de jésuitisme et de naïveté fausse, est atteinte d’un haut mal : le déni du réel, entraînant à son tour l’euphémisme généralisé.

    C’est ainsi qu’un crime devient une incivilité, qu’un homicide volontaire se transmue, au mieux, comme dans l’affaire qui nous occupe, en « actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner », au pire en fait divers.

    C’est ainsi que, doucement, l’on donne raison au pire, et qu’après les voitures, on laisse brûler les femmes, sans que cela génère autre chose que de lénitifs rapports dans les médias, lesquels, comme l’AFP, prennent soin de ne pas mentionner la religion des assassins, alors que l’islam et sa haine des femmes sont précisément au cœur de telles affaires[6].

    On ouvre des tribunes aux barbares parce qu’on préfère perdre du terrain que d’affronter la réalité en face.

    Et l’on sait où mène ce genre d’aveuglement volontaire : à ce pire, justement, dont personne ne veut, à cette entière récupération du problème par une certaine droite extrême dénuée de toute subtilité.

    Tant que nous nous dissimulerons la vérité pour mieux continuer de dormir dans le meilleur des mondes possibles, ceux d’en face en profiteront pour aller toujours plus loin.

    De même que nous souffrons du syndrome du colonisateur, les banlieues souffrent du complexe du colonisé.

    Ce sont là deux folies parallèles, qui sont la folie même de la France.

    On objectera que Derrar, le 8 avril dernier, écopa de vingt-cinq années de réclusion pour son acte abominable, soit sensiblement la même peine que Joël Damman.

    Certes, mais outre que ce n’est point là cette perpétuité absolue que pareil crime eût méritée, ce fut bien le vent de la peur qui souffla sur la France au lendemain du drame.

    Il parut alors plus prudent, plus stratégique, plus politiquement correct à la classe dirigeante de mettre l’accent sur l’affaire Meghara, puisque enfin, disons-le tout net, le meurtrier avait pour prénom Joël et non Jamal, au risque, conscient, soupesé, accepté, de relativiser l’affaire Benziane, afin d’éviter tout nouvel incident - euphémisme cher à l’époque - dans des banlieues toujours à cran.

    Preuve supplémentaire, s’il était besoin, les trois années de patience qu’il fallut à la famille et aux associations féministes pour obtenir du maire (communiste) de Vitry qu’une stèle soit érigée à la mémoire de la victime.

    Une stèle qui sera profanée, non pas une, non pas deux, mais plusieurs fois, avec l’odieuse régularité d’une horloge, sans que cela soulève d’indignation particulière.

    Le mot d’ordre, ensuite, fut de ne point transformer Derrar en bouc émissaire.

    Aussi ce dernier n’a-t-il, à en croire la Cour, jamais eu l’intention d’assassiner Sohane.

    Seulement, à moins que ce jeune homme – dont personne ne doutera de la démoniaque candeur - ignorât tout encore des vertus combustibles de l’essence, que peut-on bien vouloir faire avec un briquet allumé près d’une fille préalablement arrosée d’un semblable liquide ?

    Parler avec elle ?

    Mais peut-être est-ce la nouvelle façon de faire la cour aux femmes, dans les banlieues, auquel cas nous serions, n’en déplaise aux cuistres, en pleine hypervirilisation française.

    Chaque homme tue ce qu’il aime, c’est bien connu.

    Le mal à l’œuvre, dans cette affaire, était autant dans le local à ordures, dansant son rituel de mort un briquet à la main, que partout autour.

    Il était autant en Derrar qu’en Tony Rocca, 23 ans, alias « Pyro » en référence à son amour des engins explosifs, un amour qui lui valut la perte de deux doigts et, détail touchant, d’un testicule.

    Rocca, petite frappe au nom tout droit sorti du ghetto italien d’East Harlem, qui maintint la porte du local fermée afin que l’autre puisse tranquillement achever son « truc de ouf » (sic) et qui, contrairement à Derrar, ne baissa nullement la tête lors du procès, mais ne cessa d’adresser des clins d’œil à sa bande.

    Le mal était en chacun de ces imbéciles hurlants, acéphales, qui, lors de la reconstitution du meurtre certain 25 mars 2003, et avec le lyrisme qu’on leur connaît, acclamèrent les bourreaux aux cris de « Pyro, Nono, on vous aime », « Nono poto pour toujours », « Nono à jamais », ou encore (légère variante) : « T'inquiète pas, on va pas t'oublier ».

    Le mal était enfin du côté de tous ceux qui ne dirent rien.

    Détail surréaliste : le sacrifice de Sohane eut lieu cité « Balzac ».

    C’est donc là-bas que nous n’oublierons pas que la France fut grande - littérairement parlant - et qu’elle donna au monde des noms illustres dont elle ne fait plus rien, jusqu’à les recycler dans des barres d’immeubles où croît l’engeance violente qui va définitivement la mettre à bas.

    Jamal Derrar, comme tous ses frères, grandit dans le mépris de l’autre sexe.

    Un mépris savamment distillé par la culture islamique (l’islam n’est-il pas « la religion masculine par excellence », dixit Chebel ?) et, indirectement, la société française, y compris par ceux qui s’érigent en sauveurs des valeurs occidentales tout en pactisant avec l’ennemi sur le dos des femmes : il est vrai que ce mépris-là reste la chose la mieux partagée du monde.

    Derrar reçut donc une éducation machiste avalisée par deux Frances pourtant farouchement antagonistes, et ces Frances-là, qui se donnent mutuellement les leçons de morale qu’elles n’appliquent pas elles-mêmes, ont le sang de Sohane sur les mains.

    J’attends, pour ma part, l’avènement d’une troisième France, une France éthique qui obéirait enfin à ses principes républicains.

    De cet éternel défaut de civilisation Sohane a payé le prix fort, elle qui mourut autant de fois qu’on salit sa mémoire.

    Qu’on s’en souvienne, lorsqu’un jour nos pas nous mèneront à Vitry-sur-Seine, et qu’alors nous foulerons le gazon pauvre qui entoure la stèle commémorative, pas très loin de cet anonyme et sinistre bâtiment « H » où mourut la jeune fille.

    Qu’on s’en souvienne, lorsque des fleurs cent fois profanées surgira la voix suppliciée, et qu’elle demandera : « Comment ce pays a-t-elle pu laisser pareille chose advenir ? »

    Que Zemmour, Soral et tous les petits hommes qui leur ressemblent s’en souviennent, au crépuscule de leur vie, s’ils sont jamais capables du moindre honneur.

    Quant à votre serviteur, elle s’en va tranquillement reprendre, après quelque candeur délibérée où elle avait posé ce si léger fardeau à ses pieds, ses vieilles hardes de misanthrope (je n’écris point misandre), abandonnant à la place quelque autre faix plus lourd qu’elle avait cru pouvoir supporter, le temps d’une confiance, parce qu’il faut bien parfois faire halte et boire, réinventer ce monde en le rêvant, bref, croire à la vertu des dialogues transversaux, même s’ils échouent toujours, pour rejoindre son propre chemin d’étoiles et de poussière, des brassées de roses entrenouées aux veines, et les yeux grands ouverts.


    Méryl Pinque (2006)

     


    [1] La dernière « sorcière » fut brûlée en terre d’Occident en 1695.

    [2] Le Point, 22 septembre 2005.

    [3] Élisabeth Badinter commit en 2003 Fausse route, piètre livre tissé d’incohérences volontaires, dénué parfaitement de rigueur analytique, monument de mauvaise foi mâtinée de malveillance à l’égard d’un féminisme qu’elle dénature pour mieux l’invalider.

    [4] On se souvient que Delanoë reçut un coup de couteau lors de la très festivissime « Nuit blanche » du 5 au 6 octobre.

    [5] Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes.

    [6] « Une jeune femme a été hospitalisée dans un état jugé très sérieux dimanche après avoir été brûlée vive par son ancien ami à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), a rapporté la police lundi. Selon les premiers éléments de l’enquête de la brigade criminelle, la jeune femme, âgée d’une vingtaine d’années, a été aspergée d’essence par le suspect dans une rue non loin de chez elle. Il a mis le feu et pris la fuite se brûlant au bras, selon des témoins. Le suspect, qui a agi par ‘dépit amoureux’, a été identifié et devait être interpellé ‘sans délai’, selon la source. La jeune femme a été admise à l’hôpital dans un état jugé très grave, a-t-on indiqué lundi. » AFP, 14 novembre 2005.

    La jeune femme en question est bien sûr Shéhérazade, 18 ans, brûlée vive le 13 novembre 2005 par un Pakistanais dont elle avait refusé les avances.

    On admirera avec quel art consommé le journaliste « noie le poisson », transmuant un meurtre sexiste en banale querelle amoureuse.

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  • Le Monde diplomatique (08/04) : "Les guérilleros de la cause animale"

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    Vers une écologie radicale

    Les guérilleros de la cause animale

    Aux Etats-Unis, les autorités viennent de mettre en garde les laboratoires pharmaceutiques et les firmes de biotechnologie contre de probables attaques des défenseurs des droits des animaux. Le Federal Bureau of Investigation (FBI) qualifie désormais ces écologistes radicaux d’« écoterroristes ».

    Au Royaume-Uni, des groupes clandestins n’hésitent pas à recourir aux attentats contre l’exploitation de la faune. Huntingdon Life Sciences (HLS), le plus grand laboratoire d’expérimentation animale d’Europe, est au cœur d’une véritable bataille mondiale depuis quatre ans.

    Pour libérer les animaux sacrifiés, les guérilleros écologistes cherchent à acculer HLS à la faillite en harcelant ses actionnaires, ses clients et ses fournisseurs.

    Par Cédric Gouverneur

    Impeccable dans son complet veston « en fibres synthétiques », M. Robin Webb tient plus du paisible retraité que de l’aliéné libérateur de zoos joué par Brad Pitt dans L’Armée des douze singes  (1). Pourtant, l’homme qui nous reçoit dans un pub de Nottingham est le porte-parole légal du Front de libération des animaux (ALF).

    Un groupe clandestin pourchassé par les branches antiterroristes de Scotland Yard et du FBI. « ALF est invincible : l’Etat ne peut emprisonner une idée », explique M. Webb, ancien syndicaliste devenu militant végétalien (2), il y a vingt-cinq ans, « en passant un matin devant un abattoir ».

    « Quiconque, faisant une action pour sauver des animaux ou pour endommager la propriété de ceux qui les maltraitent – du cassage de vitre à l’incendie, en veillant à ce que nul, animal ou humain, ne soit blessé –, peut revendiquer son acte sur Internet au nom d’ALF, qui en retour lui apportera son soutien en cas d’arrestation. »

    Cette organisation décentralisée rend ALF difficile à infiltrer par la police, et donc à démanteler. « L’Armée républicaine irlandaise (IRA)fonctionne aussi en cellules autonomes. Mais elle dispose d’un commandement centralisé, identifiable. ALF n’a rien de la sorte : m’arrêter pour me faire taire est inutile », se félicite le porte-parole, incarcéré durant sept mois en 1995.

    Depuis la naissance de l’organisation en 1976, environ 200 activistes ont été emprisonnés, pour des milliers d’actions. L’ALF revendique même plusieurs « martyrs », dont l’un, Barry Horne, est mort d’une grève de la faim en prison en novembre 2001, alors qu’il purgeait une peine de dix-huit ans pour un attentat contre un magasin de fourrures. Tombé, comme le dit M. Webb, « au nom de la liberté de ceux qui ne peuvent se défendre eux-mêmes », les animaux.

    La Grande-Bretagne a toujours été en avance sur la question du droit des animaux. La première association de défense de la faune et la première loi contre les mauvais traitements infligés aux animaux sont nées ici dans les années 1820. L’an dernier, la Société royale de prévention de la cruauté envers les animaux (RSPCA, fondée en 1840) a collecté 80 millions de livres (3) versés par quelque 300 000 donateurs.

    Le recours à la force par une frange de cette mouvance, dont les militants sont issus de toutes les classes sociales, date des années 1960. En 1963, dans le sud de l’Angleterre, naît l’Association des saboteurs de chasse (Hunt Saboteurs Association, HSA).

    « Il s’agissait de s’interposer entre chasseurs et chassés afin de sauver ces derniers et de pousser Westminster à interdire la chasse, se souvient M. Webb. En 1973, un petit groupe, autour de Ronnie Lee, commence à incendier les véhicules des chasseurs. Ils étendent ensuite leur campagne aux laboratoires de vivisection et aux magasins de fourrures, et se nomment la Bande de la miséricorde (Band of Mercy). »

    Trois ans plus tard, les clandestins optent pour le sigle ALF. « Les fronts de libération essaimaient alors, en Amérique latine et en Irlande : ALF estime que l’action violente peut être légitime à court terme afin d’obtenir la justice. En Grande-Bretagne, le mouvement pour l’abolition de l’esclavage et les suffragettes pour la défense des droits des femmes ont recouru eux aussi à des moyens illégaux. Diminutif d’Alfred, Alf a le mérite de compliquer les écoutes téléphoniques. »

    Par ses attentats et ses menaces, ALF et ses militants entendent élever les coûts de sécurité jusqu’à rendre économiquement non viable l’« exploitation animale ». Plusieurs centaines d’activistes sont prêts à se mettre hors la loi pour cette cause.

    Leur palmarès est éloquent : bris de vitrines de boucheries, attaques de poissonneries pour sauver les « homards ébouillantés », incendies d’abattoirs et de magasins de fourrures, harcèlements de cirques et de zoos, assauts des fermes de visons par des commandos cagoulés et libération des captifs (en dépit des ravages provoqués sur la faune des environs par l’invasion de prédateurs), mise à sac de laboratoires de vivisection et des fermes d’élevage, harcèlement de leur personnel devant leur domicile, caillassages de leurs fenêtres, dégradation de leurs véhicules, incendies des camions frigorifiques d’abattoirs.

    Aux Etats-Unis et en Europe du Nord, ALF revendique régulièrement des actes du même type.

    Marqué au fer rouge

    Ces actions en faveur des animaux prennent parfois un tour plus violent. En octobre 1999, des hommes armés enlèvent Graham Hall, un journaliste de Channel 4 qui enquêtait sur les militants d’ALF. Avec un fer chauffé au rouge, ils marquent son dos des trois lettres A L F. 

    En février 2000, des alertes à la bombe contre les actionnaires du laboratoire Huntingdon Life Sciences (HLS) provoquent l’évacuation de milliers d’employés de la City. Début 2001, le directeur de HLS, M. Brian Cass, et un cadre de la firme sont agressés par des commandos cagoulés ; des lettres piégées blessent un éleveur et une fillette de 6 ans.

    D’autres personnes, acteurs ou complices de la souffrance des animaux, reçoivent des menaces de mort et d’enlèvement de leurs enfants. D’autres encore sont victimes de courriers adressés à leur entourage, les accusant de pédophilie.

    Deux groupes d’éco-warriors, la Milice des droits des animaux (ARM) et Département de la justice (JD), prônent le recours à la violence contre ceux qui torturent les animaux. Les mêmes écologistes œuvrent probablement pour l’ALF, l’ARM ou le JD, choisissant leur revendication selon l’action commise. Craignant pour leur vie, près de 2 000 patrons ont obtenu du gouvernement que leurs adresses soient retirées de l’équivalent britannique du registre du commerce.

    Néanmoins, « le drame de la fillette blessée ayant nui à leur cause, les extrémistes prennent désormais garde à ne plus toucher personne », tempère une des cibles potentielles, M. Mark Matfield, directeur de la Société de défense de la recherche (RDS), lobby de l’expérimentation animale.

    « Leurs actes relèvent plus de l’intimidation : ils n’ont jamais tué. » Les seuls morts de cette lutte sont, outre l’écologiste gréviste de la faim Barry Horne, deux « saboteurs de chasse » et une manifestante contre l’exportation de bétail vivant, renversés par des véhicules dans les années 1990.

    En trente ans de combats, le mouvement de libération animale a remporté des victoires notables. Trouver un manteau de fourrure au Royaume-Uni est devenu quasiment impossible. Ces dernières années, plusieurs fermes d’élevage de chiens et de chats destinés à l’expérimentation ont été acculées à la faillite.

    En janvier 2004, l’université de Cambridge a dû abandonner un projet de laboratoire de recherche neurologique, impliquant des expériences atroces sur des primates (4).

    Une campagne de pressions sur les entreprises y collaborant a été coordonnée, via Internet, par M. Mel Broughton, un ami de Barry Horne, qui a purgé quatre ans de prison pour possession d’explosifs : en trois ans, le plan est passé du simple laboratoire à la forteresse, son coût s’est envolé de 24 à 32 millions de livres.

    Intenable pour le conseil d’administration de Cambridge, qui finira par jeter l’éponge, au grand dam de M. Anthony Blair, inquiet pour le développement de la recherche, et de M. Matfield, qui parle d’un « jour noir pour les patients ».

    L’écologiste Mel Broughton entend faire échouer un dessein similaire à Oxford : « Ils peuvent s’accommoder d’une manifestation par an, explique-t-il. Mais non d’une pression constante sur leurs actionnaires et leurs fournisseurs. » Contacté en mars dernier par les défenseurs des animaux, le groupe de BTP Travis Perkins s’est presque aussitôt retiré du projet d’Oxford.

    Mais l’ennemi principal des guérilleros de l’écologie, la citadelle entourée de barbelés sur laquelle ils concentrent leur offensive depuis quatre ans, celle qu’ils comparent parfois à un camp de concentration, est toujours en activité : Huntingdon Life Sciences (HLS), le plus grand laboratoire de vivisection d’Europe.

    « Je crois en ce que je fais », nous dit M. Brian Cass, son directeur, bête noire d’ALF depuis vingt ans. « Les bénéfices de l’expérimentation animale sont indéniables pour les patients », soutient-il. Dans ce centre du Cambridgeshire, 70 000 animaux servent de cobayes chaque année pour l’industrie mondiale.

    « 85 % sont des poissons, des rongeurs, précise un responsable de HLS. Les chiens et les singes ne représentent que 1 % du total. » Ce qui fait tout de même 700 animaux malmenés et sacrifiés.

    Sévices en tout genre

    En 1996, une journaliste, Zoé Broughton, obtient un poste d’assistante à HLS. Cachée sous sa blouse blanche : une minuscule caméra. En mars 1997, la chaîne Channel 4 diffuse le résultat de ses six mois d’enquête, un documentaire intitulé C’est une vie de chien : le public découvre des laborantins frappant des beagles pour les soumettre à des prises de sang, sous l’œil indifférent de collègues.

    Le Parti travailliste en campagne retire de HLS son fonds de pension, tandis que des clients du laboratoire rompent leurs contrats. Deux employés sont licenciés et traduits en justice, les autorités suspendent pour six mois la licence autorisant le groupe à procéder à des expérimentations sur des animaux. L’équipe dirigeante est révoquée et M. Brian Cass, ancien patron du laboratoire Covance, est nommé directeur de la firme.

    HLS nous a ouvert ses portes. Lors de notre visite, les chiens apparaissent correctement traités : ils accourent à la recherche de caresses. L’un d’eux cependant tremble de peur à notre approche... Propres, leurs cages communiquent deux à deux afin qu’ils puissent socialiser.

    Les beagles ont droit à trente minutes de promenade par jour... dans un couloir. Les laborantins font preuve de prévenance, mais cet égard est tout relatif : chaque jour, ils leur administrent des produits mélangés à leur pâtée ou via un masque incubateur.

    Sauf exception, les animaux seront euthanasiés pour procéder à des examens post mortem. Et de leur vie ils n’auront jamais couru dans un champ. « Evidemment, ils n’ont pas demandé à être là », dit un scientifique venu ici après le scandale de 1997. « Mais nous les traitons au mieux. De toute façon, les effets cliniques du stress fausseraient les résultats des tests. Nul ici n’aime utiliser des chiens comme cobayes, mais il n’existe pas d’alternative », affirme-t-il.

    « Nous développons l’utilisation de cochons nains pour les substituer aux chiens, explique un autre chercheur, mais nous disposons de plus de données sur le beagle, employé par la recherche depuis les années 1960. » « Pour l’instant, généraliser l’usage de cochons serait préférable en termes de relations publiques, mais non d’un point de vue scientifique », ajoute un responsable.

    M. Cass relativise la souffrance causée : « 750 millions d’animaux sont tués chaque année dans ce pays pour l’alimentation, contre 3 millions pour l’expérimentation. Tout cela est culturellement très connoté : le chien est consommé en Corée, mais, en Grande-Bretagne, plus de fonds sont collectés pour le bien-être des vieux chevaux de course que pour celui des orphelins. Et les conditions de l’expérimentation sont bien meilleures ici qu’en France ! »

    Londres interdit, depuis 1997, l’expérimentation animale pour la mise au point de produits de beauté, contrairement à Paris à cause de l’influence de l’industrie cosmétique.

    Des fuites ont cependant révélé des tests particulièrement cruels perpétrés à HLS : comme ces gaz CFC testés sur des chiens en 2003, quinze ans après leur interdiction (5). Ou, selon des sources concordantes, ce test d’un médicament pour les os à la demande d’une firme japonaise : 37 chiens ont alors eu les pattes fracturées.

    HLS affirme que la loi oblige, avant la mise sur le marché d’un produit pharmaceutique ou industriel, de le tester sur deux espèces de mammifères – le plus souvent le rat et le chien –, afin de prévenir tout effet indésirable sur l’être humain et l’environnement.

    La réalité est plus complexe. Une source au ministère britannique de l’intérieur commente ainsi le Medecine Act (1968), inspiré par la catastrophe de la thalidomide  (6) : « Les règlements n’imposent pas de tests sur les animaux si des données fiables peuvent être collectées par d’autres moyens. Une forte présomption existe que les tests sur les animaux soient probablement une étape obligée pour lancer des produits efficaces et sûrs pour l’homme. »

    Forte présomption, probabilité, mais non certitude scientifique. Les adversaires de la vivisection donnent des exemples où des drogues ont eu des effets secondaires sur l’homme, mais aucun sur les animaux, et réciproquement (7).

    M. Robert Combes est le directeur scientifique du Fonds pour le remplacement des animaux en expérimentation médicale (Frame). Ses équipes cherchent des solutions de rechange à l’expérimentation animale afin de la supprimer à moyen terme, avec le financement des associations de défense des animaux comme des compagnies pharmaceutiques – ce qui fait du Frame une « cible légitime » de l’ALF.

    Selon le professeur Combes, la nécessité supposée des tests sur animaux relève beaucoup du « conservatisme scientifique » : « La recherche fondamentale n’est pas intéressée par les alternatives. L’énorme potentiel de la simulation informatique est ainsi sous-développé. »

    La nécessité est surtout économique : « Au Japon et aux Etats-Unis, les tests sur les animaux sont obligatoires », explique-t-il. Ce que confirme notre source au ministère de l’intérieur : « Les entreprises veulent vendre leurs produits dans plusieurs régions économiques et établissent leurs tests en conséquence. » Le professeur Combes ajoute : « Les tests sur animaux sont plus simples à réaliser, les alternatives, sous-financées, ne sont pas une priorité. »

    L’industrie pharmaceutique fait campagne sur la « triste nécessité » de la vivisection, mais se montre bien pingre à l’heure d’investir dans ses alternatives. HLS donne à Frame une participation symbolique qu’il médiatise avec soin. Les compagnies dont il est le sous-traitant répondent à une logique de profit : lancer un produit sur le marché mondial, au moindre coût, en se garantissant légalement en cas d’imprévu pour la santé humaine ou l’environnement.

    Dans la guérilla des défenseurs des animaux contre la vivisection, HLS est devenu le symbole à abattre. Le collectif SHAC (Stop Huntingdon Animal Cruelty) publie sur son site Internet (8) les noms des entreprises coopérant avec HLS, et invite son public « à agir » : mails, fax, coups de téléphone, puis piquets réguliers devant les bureaux avec des photos de chiens dépecés.

    Viennent ensuite les manifestations nocturnes devant le domicile des cadres de HLS, parfois des violences contre les biens et les personnes, car les adresses du personnel circulent aussi sur la Toile. Contrairement à ALF, SHAC officiellement « n’encourage ni n’incite aux actions illégales », bien que le responsable du collectif, M. Greg Avery, ait lui-même été plusieurs fois condamné pour y avoir recouru.

    Rencontré sur Oxford Street à Londres, alors qu’il fait signer des pétitions et collecte des donations pour SHAC, M. Avery raconte : « La fermeture d’Hillgrove [un élevage de chats de laboratoire acculé à la faillite en 1999] nous a montré comment atteindre la cible en visant ses actionnaires. » Harcelés, soucieux de la tranquillité de leur personnel, les actionnaires de HLS quittent un à un son capital : Barclays, HSBC, Oracle, Merrill Lynch...

    En janvier 2001, les pressions conduisent la Royal Bank of Scotland à abandonner également HLS, sauvé in extremis de la faillite par un investisseur américain, Stephens Group. En 2002, HLS tente de semer SHAC en quittant la City et en faisant coter ses actions au Nasdaq new-yorkais, où l’actionnariat peut rester anonyme.

    Mais c’est alors son cabinet d’audit, Deloitte & Touche, qui est visé et doit suspendre sa collaboration. Peu après, son assureur, Marsh & McLellan, fait de même, contraignant l’Etat britannique à assurer directement le laboratoire. Ses clients japonais sont harcelés à Londres, à Tokyo, en Suède, en Suisse, en Italie...

    La nuit du 25 septembre 2003, en Californie, un attentat à la bombe revendiqué par le groupe « Cellules révolutionnaires » ravage les bureaux d’un client nippon de HLS. Le ministre britannique de la science, lord Sainsbury, part à Tokyo rassurer l’industrie pharmaceutique.

    La City parle de « terrorisme de l’investissement » menaçant le secteur de la recherche et projette d’offrir une prime pour obtenir des informations confondant SHAC. Au secours de la Bourse, le Financial Times écrit : « Un petit groupe d’activistes réussit là où Karl Marx, la bande à Baader et les Brigades rouges avaient échoué. »

    Au prix d’une centaine de milliers de livres, selon M. Cass, Huntingdon Life Sciences a obtenu, en 2003, une injonction civile empêchant les manifestants d’approcher ses locaux et les domiciles de ses employés. Ses clients ont fait de même.

    SHAC contourne l’obstacle en visant désormais des « cibles secondaires », trop modestes pour débourser les 20 000 livres que nécessite l’injonction, tandis que le nombre d’actions violentes doublait (quarante-six au premier trimestre 2004).

    Faire bouger la démocratie

    En quatre mois, vingt-deux sociétés ont déjà rompu avec HLS. Certaines n’ont qu’un lien ténu avec le laboratoire, comme la compagnie de taxis qui achemine cadres et clients. M. Mark Matfield a comptabilisé 400 personnes ciblées, qu’il tente de regrouper au sein d’une association de victimes.

    « Certaines souffrent de dépression nerveuse. Des familles sont terrorisées. » M. Jonathan Djanogly, député conservateur d’Huntingdon, demande une répression accrue, sur le modèle de celle visant le hooliganisme : « Ces terroristes s’attaquent aux principes de la démocratie », nous déclare-t-il.

    Le mouvement de libération animale préfère qualifier ses pratiques de « démocratie participative », face à l’inertie de la démocratie représentative. « Avant son élection en 1997, le New Labour avait multiplié les promesses aux défenseurs des animaux. Il les a reniées », rappelle M. Mel Broughton, le tombeur du laboratoire de Cambridge.

    « Barry Horne s’est laissé mourir de faim pour rappeler à Blair son programme. Les politiques sont trop liés à l’oligarchie pour agir : l’action populaire directe permet de leur imposer un agenda politique. »

    Face aux groupes de pression industriels, l’action des défenseurs des animaux influence la prise de décision politique. M. Matfield admet lui-même que « leurs manifestations légales ont contribué au débat et permis que le pays se dote, en 1986, de la loi sur l’expérimentation animale la plus stricte au monde ».

    Dans un même mouvement, Londres s’apprête à durcir la répression contre les éco-warriors et promet la création d’un vaste centre national de recherche sur les alternatives à l’expérimentation animale.

    Dans un pays au bipartisme rigidifié, où l’alternative électorale se limite à un choix entre les travaillistes devenus néolibéraux de M. Anthony Blair et la droite ultra des héritiers conservateurs de Mme Margaret Thatcher, des secteurs de l’opinion souffrent d’une absence de représentativité.

    En ce sens, les actions – non violentes – des écologistes défenseurs des animaux montrent qu’il est possible de faire bouger la démocratie parlementaire britannique. Et de défendre une noble cause.

    Pour en savoir plus

    Traité des animaux, de Condillac. Ecrit en 1755, ce livre stupéfie par sa modernité. Il critique la thèse de l’animal-machine pour mettre en lumière un être vivant proche de l’homme. (Vrin, Paris, 2004.)

    Le Silence des bêtes, d’Elisabeth de Fontenay. Ce que pensent de l’animalité les philosophes, d’Aristote à Derrida. (Fayard, Paris, 1997.)

    Si les lions pouvaient parler, sous la direction de Boris Cyrulnik. Cinquante auteurs expliquent les mondes des animaux et leurs relations avec l’humanité. (Coll. « Quarto », Gallimard, Paris, 1998.)

    La Protection de l’animal, de Florence Burgat. Histoire de la législation française sur la protection de l’animal ; les réseaux et les objectifs des différentes associations. (Coll. « Que sais-je ? », PUF, Paris, 1997.)

    L’Animal dans nos sociétés, sous la direction de Florence Burgat. Des juristes, des historiens et des intellectuels réfléchissent sur la condition animale. (La Documentation française, Paris, janvier 2004.)

    Les animaux ont-ils un sens moral ? hors-série de la revue Sciences et avenir. Comment expliquer l’existence avérée de comportements altruistes, entraide et sacrifice, chez certaines espèces animales ? (n° 139, Paris, juin-juillet 2004.)

    Sur la Toile :

    Animal Liberation Front (ALF) : tous les sujets sensibles et le détail des campagnes en faveur des animaux (en anglais).

    Réseau d’informations sur la condition Animale - Groupe militant contre l’Exploitation (RAGE) : des dossiers très documentés sur la cruauté envers les animaux.

    Animauzine : plate-forme facilitant les divers militantismes en faveur des animaux.

    Stop Vivisection : structure d’activistes ou sympathisants des droits de l’homme et des animaux ; dossiers très complets sur la vivisection et l’expérimentation animale.

    Veg Animal : business du cuir, fourrure, viande et ses dérivés, pêche, chasse, cirques, zoos, animaux familiers, corrida, vivisection...

    Animal Net : principalement en anglais, ce site a pour vocation de publier des informations issues des associations ou glanées sur le Net.

    Cédric Gouverneur (journaliste).

    Animal, Biotechnologie, Écologie, Industrie pharmaceutique, Recherche, Violence, Royaume-Uni

    (1) Film de Terry Gilliam (1995), inspiré du court-métrage de Chris Marker, La Jetée. Interprètes : Bruce Willis et Brad Pitt.

    (2) Quatre millions de Britanniques sont végétariens. Environ 250 000 sont végétaliens, ne consommant ni n’utilisant aucun produit issu de l’animal : chair, œuf, lait, beurre, fromage, cuir, laine…

    (3) Plus de 121 millions d’euros. 1 livre équivaut à 1,51 euro.

    (4) Boîte crânienne découpée, conscients, les singes se voient planter des électrodes dans le cerveau pour l’étude du fonctionnement des neurones, six heures par jour, cinq jours par semaine. Les partisans de ces expériences invoquent la proximité entre l’homme et le singe ; leurs détracteurs expliquent que cette même proximité rend ces souffrances éthiquement injustifiables.

    (5) The Observer, Londres, 20 avril 2003.

    (6) Ce médicament a été responsable d’une catastrophe sanitaire en 1957. Prescrite aux femmes enceintes, la thalidomide provoqua la naissance de milliers d’enfants sans bras. Pour les adversaires de la vivisection, c’est la preuve de l’inutilité des tests sur les animaux, qui n’avaient rien décelé. Ses partisans regrettent au contraire un nombre insuffisant d’expérimentations animales.

    (7) On lira sur le site de One Voice des alternatives à la vivisection : cultures de cellules humaines, simulation informatique, etc.

    (8) Voir la rubrique : HLS Clients

    Édition imprimée — août 2004 — Pages 1, 12 et 13

    http://www.monde-diplomatique.fr/2004/08/GOUVERNEUR/11463