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Véganisme abolitionniste - Page 18

  • Francione vs Singer : "Le « luxe » de la mort" (Gary Francione)

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    George W. Bellows, Boxing, 1901

    Dans mon commentaire de la semaine dernière, je mentionnais que la The Vegan Society avait publié des interviews de Peter Singer, de Tom Regan et de moi-même dans son magasine The Vegan. À l’occasion de son entrevue, Singer affirmait :

    Pour éviter d’infliger de la souffrance aux animaux − nous devons drastiquement diminuer notre consommation de produits d’origine animale.
    Mais est-ce que cela signifie un monde végan ? Ce serait une solution, mais pas nécessairement la seule.
    Si c’est l’imposition de souffrance qui nous préoccupe, plutôt que la mort, alors je peux aussi imaginer un monde dans lequel les gens mangent principalement des végétaux, mais s’offrent occasionnellement le luxe de manger des œufs provenant de poules « en liberté », ou même possiblement la viande d’animaux qui ont vécu de bonnes vies dans des conditions naturelles pour leur espèce, et sont ensuite tués humainement sur la ferme. (The Vegan, Automne 2006)

    À l’occasion d’une entrevue accordée au Mother Jones en mai 2006, Singer énonçait :

    Il y a une petite marge de manœuvre pour l’indulgence dans toutes nos vies.
    Je connais certaines personnes qui sont véganes à la maison mais qui, lorsqu’elles se trouvent dans un restaurant haut de gamme, s’offrent le luxe de ne pas être véganes pour la soirée.
    Je ne vois là rien de vraiment mal.
    Je ne mange pas de viande. Je suis végétarien depuis 1971. Je suis graduellement devenu de plus en plus végan.
    Je suis largement végan, mais je suis un végan flexible.
    Je ne vais pas au supermarché acheter des produits non-végans pour moi-même. Mais lorsque je voyage ou lorsque je suis reçu chez des gens, je suis heureux de manger végétarien plutôt que végan.

    Il est tout de même remarquable que le soi-disant « père du mouvement en faveur des droits des animaux »

    • soit un « végan flexible » − c’est-à-dire qu’il n’est pas végan lorsqu’il considère qu’il serait malcommode de l’être. Cela signifie qu’il n’est pas végan du tout et, en effet, il a qualifié le fait d’être stictement végan de « fanatique » ;

    • pense qu’un monde végan n’est pas « nécessairement » la solution au problème de l’exploitation animale ; et

    • qualifie de « luxueuse » la consommation de viande et de produits d’origine animale.

    Ces commentaires sont parfaitement conformes à une des positions centrales de la théorie de Singer, qui est inconciliable avec la perspective droits des animaux/abolition.

    Selon Singer, c’est la souffrance des nonhumains, et non le fait que nous les tuions, qui soulève le principal et peut-être même unique problème moral.

    En effet, Singer ne pense pas qu’il soit sérieusement problématique que nous utilisions et tuions des animaux ; le seul problème est comment nous les utilisons et les tuons.

    Si les animaux ont « vécu de bonnes vies dans les conditions naturelles pour leur espèce, et qu’ils ont été humainement tués sur la ferme », alors nous n’agissons pas de manière immorale en utilisant et en mangeant ces animaux.

    Pourquoi est-ce que Singer adopte une telle position ? Pourquoi pense-t-il que tuer des nonhumains ne soulève aucun problème moral fondamental ?

    Même si Singer a énoncé cette position à plusieurs reprises dans ses écrits, son entrevue dans The Vegan contient une récente, brève et claire réitération de son opinion :

    Je pense qu’il y a des différences moralement significatives entre les diverses espèces, parce que les capacités cognitives des êtres sont pertinentes, par exemple, à l’égard de la moralité de la mise à mort.
    Je pense qu’il est pire de tuer un être conscient de soi, c’est-à-dire un être qui est conscient de sa propre existence à travers le temps et qui est capable d’éprouver des désirs par rapport au futur, plutôt qu’un être qui est peut-être conscient, mais qui n’a pas de conscience de soi et qui vit dans une sorte de présent perpétuel. (The Vegan, automne 2006)

    En d’autres mots, Singer soutient que, si un être n’est pas conscient de lui-même de la même manière qu’un être humain normal est conscient de lui-même − c’est-à-dire qu’un être ne dispose pas de ce que nous appelons la conscience de soi réflexive − alors cet être n’a pas la conscience de soi qui est moralement nécessaire pour que cet être soit considéré être intéressé par sa propre vie et pour que sa mise à mort soit un acte moralement mauvais.

    Tel que je l’ai défendu dans Introduction to Animal Rights: Your Child or the Dog? et ailleurs, la position de Singer est problématique pour plusieurs raisons.

    D’abord, Singer soutient qu’il n’y a qu’une façon moralement significative d’être conscient de soi − d’avoir le type de représentation de soi que les humains normaux ont.

    Or, il y a plusieurs manières d’être conscient de soi. Tout être qui est sensible ou subjectivement conscient est nécessairement conscient de lui-même.

    Anna Charlton et moi vivons avec cinq chiens réfugiés. Lorsqu’un de nos chiens voit un autre de nos chiens recevoir une friandise, le premier est conscient que ce n’est pas lui qui reçoit la friandise, et il vient et s’assoit devant moi jusqu’à ce que je lui en donne une également.

    C’est cela être conscient de soi. Il est perceptivement conscient que c’est un autre chien qui a reçu la friandise et non pas lui-même.

    Les humains peuvent regarder un miroir et reconnaître leur propre image ; les chiens peuvent reconnaître leur propre odeur dans un buisson qu’ils ont visité il y a de cela plusieurs semaines.

    Il s’agit simplement de différentes sortes de conscience de soi. Mais il est spéciste de dire qu’une sorte de conscience de soi est moralement meilleure que les autres.

    Deuxièmement, Singer semble croire que seuls les humains (et peut-être les grands singes nonhumains) ont des désirs pour le futur.

    Une fois de plus, la position de Singer est spéciste en ce qu’il soutient que la seule manière d’avoir des désirs à l’égard du futur est d’avoir des désirs qui soient exactement du même type que ceux des humains.

    Si un être ne planifie pas à l’aide de calendriers et d’horloges, alors cet être ne peut pas avoir de désir à l’égard d’événement futur.

    Nous vivons avec un border collie dont le passe-temps favori est de se promener en voiture. Si elle aperçoit les clés de ma voiture quelque part, elle les attrape dans sa gueule, s’approche de moi et les place près de mes pieds en me regardant.

    Il n’y a aucune autre façon d’interpréter ce comportement que d’admettre qu’il s’agit de l’expression d’un désir de faire quelque chose.

    Le fait qu’elle ne porte pas une montre au poignet (ou à la patte) et ne se dit pas « j’aimerais faire un tour de voiture d’une quinzaine de minutes » n’est pas pertinent. Elle exprime un désir à propos de quelque chose qu’elle veut faire.

    Troisièmement, même si la conscience d’un individu était essentiellement associée à un « présent perpétuel », cela ne signifierait pas que cet être n’est pas conscient de lui-même dans un sens moralement pertinent.

    Pensons à un être humain atteint d’amnésie globale transitoire, une forme d’amnésie qui fait en sorte qu’une personne a un sens d’elle-même limité au présent et ne peut ni former des souvenirs ni avoir des pensées à propos de son futur.

    Il s’agit à peu près de la manière dont Singer conçoit l’esprit de la plupart des nonhumains − c’est-à-dire enraciné dans un présent continuel. Peut-on conclure qu’un humain atteint de ce type d’amnésie n’a pas de conscience de soi ?

    Bien sûr que non. Une tel être humain est conscient de lui-même, même s’il n’est conscient de lui-même que dans le présent.

    De manière similaire, même si les nonhumains avaient un sens d’eux-mêmes limité au présent, nous ne pourrions dire qu’ils n’attribuent pas de valeur à leur propre vie et ne se préoccupent que de la manière selon laquelle nous les traitons.

    Cela serait spéciste.

    Quatrièmement, et au-delà de tout ce qui précède, il n’y a simplement pas de relation logique entre les différences se situant au niveau des caractéristiques cognitives et la question de l’utilisation des animaux.

    Les différences au niveau des habiletés cognitives sont sans doute pertinentes pour certaines fins. Pensons au cas des êtres humains sévèrement handicapés mentalement.

    Nous pouvons préférer ne pas accorder de permis de conduire à ces individus en raison de leur incapacité à conduire.

    Mais est-ce que leur déficience pourrait justifier que nous soumettions ces êtres humains à des expérimentations biomédicales sans leur consentement ou que nous les forcions à donner leurs organes ? Non, bien sûr que non.

    En fait, plusieurs d’entre nous soutenons que leur vulnérabilité signifie que nous avons envers eux des obligations morales d’une plus grande importance, certainement pas d’une moins grande importance.

    Similairement, le fait qu’une vache ait peut-être un esprit qui diffère du nôtre pourrait signifier que nous n’accordions pas de permis de conduire aux vaches, mais cela ne veut pas dire que nous pouvons les utiliser pour des fins pour lesquelles nous n’utiliserions aucun être humain.

    Pour Singer, le véganisme est simplement une manière d’aborder la souffrance animale mais, selon lui, il ne s’agit « pas nécessairement [de] la seule ».

    Nous pouvons aussi continuer à nous permettre le « luxe » de manger des œufs et de la viande d’animaux qui ont pu jouir de « bonnes vies » et ont été « humainement tués ».

    Considérant le fait que Singer fait activement la promotion de distributeurs comme Whole Foods, dont les animaux n’ont certainement pas eu de « bonnes vies » ou une mort « humaine », ce qu’il dit, en fait, c’est qu’il est acceptable de consommer des animaux ayant (peut-être) été un tout petit peu moins torturés.

    Et si nous sommes végans la plupart du temps, nous pouvons même nous permettre le « luxe » de manger de la viande et des produits d’origine animale produits de manière conventionnelle lorsque nous fréquentons des « restaurants haut de gamme ».

    Est-ce que cette excuse ne s’applique qu’aux personnes ayant suffisamment d’argent pour manger dans les restaurants « haut de gamme » ?

    Est-ce que les hambourgeois occasionnels sont toujours à éviter parce que McDonald n’est pas assez haut de gamme ?

    Ou est-ce que les hambourgeois de McDonald sont toujours corrects parce que McDonald a, ce qui a été louangé par Singer, adopté les lignes directrices de Temple Grandin concernant l’abattage et la manipulation d’animaux ?

    Voilà qui est troublant pour l’esprit.

    De plus, si, comme Singer le dit, sa préoccupation est la souffrance et non la mise à mort des animaux, alors son propre comportement est aberrant.

    Singer prétend être vegan lorsqu’il magasine pour lui-même: « mais lorsque je voyage ou lorsque je visite des gens, je suis heureux de manger végétarien plutôt que végan. »

    Donc lorsqu’il voyage ou est invité pour un repas chez d’autres personnes, il consommera des produits d’origine animale mais ne consommera pas de viande (je suppose que c’est ce qu’il veut dire lorsqu’il parle de manger « végétarien »).

    Mais pourquoi est-ce que Singer distinguerait entre la viande et les autres produits animaux ?

    Même si la viande implique la mise à mort des animaux, Singer ne croit pas que tuer des animaux soit moralement problématique, ou du moins pas suffisamment problématique pour faire du véganisme un impératif moral.

    Si c’est la souffrance qui compte, les produits laitiers et les œufs impliquent certainement au moins autant de souffrance que les produits de la chair, et les animaux exploités pour leur lait et leurs œufs se retrouvent en bout de ligne dans les mêmes abattoirs que les animaux élevés pour leur viande lorsqu’ils ne sont plus rentables.

    En fait, comme je l’ai dit plusieurs fois, il y a probablement plus de souffrance dans un verre de lait que dans une livre de steak.

    Alors il serait raisonnable de croire que, si la souffrance est ce qui préoccupe Singer, il ne devrait pas être « flexible » à propos de la nourriture autre que la viande.

    Si la position de Singer était simplement le résultat des réflexions de quelques penseurs confus et restait sans conséquence dans le vrai monde, nous pourrions être tentés d’ignorer ses propos élitistes à l’égard de ce qui constitue une conscience de soi moralement significative par rapport à l’objectif de justifier le « luxe » de manger de la viande et d’autres produits d’origine animale.

    Mais malheureusement, l’opinion de Singer, aussi absurde et spéciste soit-elle, se trouve au fondement du mouvement omniprésent de la « viande heureuse » qui tente de travailler de pair avec les industries exploitant les animaux, afin de rendre l’exploitation animale plus « humaine » de façon à ce que soient augmentées les opportunités pour les gens d’être des « omnivores consciencieux ».

    Les idées de Singer sont suivies par un grand nombre d’organisations welfaristes de PETA, qui donne des prix à Grandin et à d’autres colporteurs de « viande heureuse », comme Whole Foods ;

    jusqu’à la Humane Society of the United States, qui fait la promotion de réformes welfaristes qui augmenteront la productivité et les profits des exploiteurs d’animaux et qui parraine les étiquettes « Certified Humane Raised and Handled » visant à assurer aux consommateurs qu’ils agissent d’une manière moralement supérieure en n’achetant que certains cadavres d’animaux et autres produits de leur corps ;

    et au Vegan Outreach, qui soutient que le véganisme « n’est pas une fin en soi.

    Ce n’est pas un dogme ou une religion, pas plus qu’une liste d’ingrédients interdits ou de lois immuables − ce n’est qu’un outil servant à s’opposer à la cruauté et à réduire la souffrance ».

    Singer et ces organisations welfaristes qui ont adopté son approche sont devenus des partenaires des exploiteurs institutionnalisés et aide le marketing des industries de la viande, des produits laitiers et des œufs.

    Les réformes welfaristes qu’ils supportent font peu, si ce n’est rien du tout, pour aider les animaux.

    Et ces réformes, lorsqu’elles sont associées aux louanges et au support offerts par Singer et par sa brigade de la « viande heureuse », participent assurément à faire en sorte que les gens se sentent plus confortables de continuer à manger des produits d’origine animale, ou de recommencer à consommer ces produits qu’ils évitaient avant.

    Pour saisir le problème lié à l’approche de Singer (si ce n’est pas déjà clair comme de l’eau de roche pour vous), insérez vos principes à propos du racisme, du sexisme ou de l’homophobie dans le cadre d’analyse de Singer.

    Qu’est-ce que ça donne lorsque vous tentez de justifier le fait de « tomber du wagon » de temps en temps à l’égard de ces autres formes de discrimination ?

    Est-il correct de se permettre le « luxe » d’être un peu sexiste un samedi soir ? Est-il correct d’être indulgent par rapport au « luxe » de participer à un rassemblement du Ku Klux Klan ?

    Y a-t-il de la place pour l’indulgence si on limite ses écarts homophobes à un par semaine ?

    Voilà une autre citation provenant de l’entrevue de Singer accordée au Mother Jones:

    J’insiste sur le fait que je ne pense pas que manger éthiquement, particulièrement d’une point de vue utilitariste, est une question de dire « voilà une loi stricte et je dois faire tout ce qui est en mon possible pour la respecter ».
    Je pense que nous pouvons être éthiquement consciencieux et reconnaître qu’il y aura quelques fois des compromis. Il sera quelques fois très difficile, très malcommode, de faire les meilleurs choix, alors nous accepterons d’agir autrement.

    Utilisez ce raisonnement pour ordonner vos idées à l’égard du viol.

    Serait-il acceptable de dire que nous n’avons pas à respecter strictement une prohibition à l’égard du viol ? Après tout, il peut y avoir des occasions où il est « très difficile et très malcommode » de ne pas violer.

    L’exploitation animale est si profondément incarnée dans notre société, dans notre culture et dans notre histoire que nous ne sommes pas habitués à l’aborder comme les autres formes de discrimination.

    Si nous souhaitons que quelque chose change un jour, il faut réfléchir à notre manière de nous sortir de ce gâchis et reconnaître clairement que nous ne sommes pas justifiés d’utiliser les animaux − peu importe que nous les traitions « humainement » ou non.

    Aussi longtemps que nous ne serons pas dégoûtés à l’idée de qualifier des cadavres d’animaux et des produits d’animaux de « luxueux », ou que nous accepterons l’idée que nous n’avons pas à être végans lorsque nous trouvons cela « très difficile ou très malcommode », nous n’aurons pas encore commencé le processus.

    En terminant, je voudrais partager avec vous une histoire à propos de quelque chose qui m’est arrivé la fin de semaine dernière.

    Puisque la température était clémente samedi, je suis allé chez Whole Food pour acheter des légumes organiques.

    Je portais un chandail en denim par-dessus le T-shirt Vegan Freak que Bob et Jenna Torres m’avait récemment fait parvenir.

    J’attendais en ligne derrière une dame qui avait un panier rempli d’aliments, incluant pas mal de viande et de fromage.

    Elle a vu mon chandail et m’a demandé ce que « Vegan Freak » signifiait.

    Je lui ai expliqué qu’il s’agissait d’un site web et d’un podcast voués à l’éducation au véganisme. Elle m’a demandé si j’étais végan. Je lui ai répondu que je l’étais depuis 25 ans.

    Elle m’a dit qu’elle avait été végétarienne quelques années plus tôt mais que son mari et ses enfants aimaient la viande, ce qui l’a incitée à recommencer à manger de la viande, mais elle a ajouté :

    « Je n’achète ma viande qu’ici. Je suis membre de PETA et ils ont donné à ce magasin un prix parce qu’il traite bien ses animaux ».

    Elle m’a demandé si j’avais vu les étiquettes derrière les emballages de la viande et des œufs sur lesquelles on peut lire que Whole Foods n’achète que de producteurs qui élèvent leurs animaux « humainement ».

    Je lui ai répondu que je les avais vues. En effet, Whole Foods pose de telles étiquettes − et elles sont grandes en fait.

    Je lui ai dit que je ne pensais pas que la vie des animaux de Whole Foods était significativement différente de la vie des autres animaux et qu’ils étaient tués, de toute manière.

    Sa réponse : « Oui, mais j’espère qu’ils souffrent moins ».

    Voilà où Peter Singer nous a amenés. Le véganisme n’est pas nécessaire.

    Le « père du mouvement pour les droits des animaux » n’est même pas végan et considère qu’être strictement végan est « fanatique », alors pourquoi est-ce que qui que ce soit d’autre devrait être végan ?

    Nous pouvons apprécier le « luxe » de manger de la viande et des produits provenant d’animaux ayant été torturés moins que d’autres et, si nous sommes végans la plupart du temps, nous pouvons même nous sentir à l’aise de nous permettre de consommer quelques animaux torturés de manière conventionnelle lorsque nous nous offrons un « restaurant haut de gamme ».

    Nous pouvons nous permettre d’être indulgents à l’égard du « luxe » que seule la mort permet.

    Gary L. Francione

    http://www.abolitionistapproach.com/fr/2007/03/14/le-luxe-de-la-mort/

  • Gary Francione : "Humanité, animalité, quelles frontières ?"

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    Humanité, animalité, quelles frontières ?

    En 1993, un grand nombre d’experts ont élaboré en commun un livre-manifeste intitulé The Great Ape Project : Equality Beyond Humanity [Le Projet Grands singes. l’égalité au-delà de l’humanité] (1). Ce livre servait de support à un document, la Déclaration sur les grands singes anthropoïdes, à laquelle ont souscrit les initiateurs du projet ainsi que trente-quatre autres premiers signataires.

    Cette déclaration établit que les grands singes « sont les plus proches cousins de notre espèce » et que ces animaux non humains « sont pourvus de capacités mentales et d’une vie émotionnelle suffisantes pour justifier leur intégration au sein de la communauté des égaux (2) ».

    Ces dernières années, une littérature considérable s’est développée autour du thème de l’aptitude des grands singes, des dauphins, des perroquets, et peut-être d’autres animaux à posséder des caractéristiques cognitives que l’on pensait jusqu’alors strictement humaines (3).

    Ces caractéristiques incluent la conscience de soi en tant qu’individu, la capacité à éprouver des émotions et à communiquer en utilisant un langage symbolique. Des efforts ont été faits – récemment en Espagne – pour créer avec les grands singes anthropoïdes une catégorie d’êtres vivants qui bénéficieraient d’une protection renforcée.

    Le Projet grands singes a tout simplement appliqué ce que j’appelle la « théorie de la similitude de pensée (4) » de la relation humains/non-humains : les animaux doués d’une capacité de réflexion similaire à la nôtre devraient, de notre part, faire l’objet d’une considération morale et d’une protection légale plus importantes.

    L’approche de la théorie de la « similitude de pensée » a donné naissance à une industrie d’éthologistes impatients d’étudier quelles sont les caractéristiques cognitives communes à l’être humain et au non-humain, et ce, paradoxalement, la plupart du temps, par le biais de l’expérimentation animale.

    Or, cette théorie présente un inconvénient : elle induit que les animaux qui ne possèdent pas les qualités cognitives requises pour avoir droit au traitement préférentiel – réservé, donc, aux non-humains possédant une capacité de pensée semblable à la nôtre – seraient comparables à des objets, tout juste bons à être traités, à la rigueur, avec « humanité ».

    J’ai, pour ma part, collaboré au Projet grands singes et ai compté au nombre des premiers signataires de la Déclaration sur les grands singes (5). Mais ma contribution au projet, sous forme d’essai en 1993, comme le livre que j’ai publié quelques années plus tard (6), marquent bien ma divergence sur les critères d’intégration de l’individu non humain à la communauté morale : la seule capacité de ressentir du plaisir ou de la douleur est suffisante ; aucune autre caractéristique cognitive ne doit être exigée.

    La théorie de la similitude de pensée est présentée par ses concepteurs comme une avancée car elle permettrait au moins l’intégration de quelques individus non humains à la communauté des égaux. A mes yeux, cette analyse est inexacte, dans le sens où le contraire est vrai – la théorie de la similitude de pensée ne fera qu’étayer notre propension à exclure pratiquement tous les non-humains de la communauté morale.

    Peut-être est-il temps d’étudier de plus près cette vaste entreprise qui consiste à subordonner la signification morale des individus non humains à des qualités cognitives plus importantes que leur sensibilité, plutôt que de tenter de déterminer si les non-humains possèdent de telles qualités cognitives, ou les possèdent d’une façon qui les rende suffisamment proches de l’homme pour mériter d’avoir une existence morale et légale.

    Les humains n’ont pas le monopole de capacités cognitives telles que la confiance et le désir

    Tout d’abord, la théorie de la similitude de pensée me paraît, dans un certain sens, franchement absurde. Existe-t-il une personne qui, ayant déjà vécu avec un chien ou un chat, leur dénie toute forme d’intelligence, de conscience de soi, même s’ils sont génétiquement beaucoup plus éloignés de nous que les grands singes ?

    On ne peut tout simplement pas expliquer de façon plausible et cohérente le comportement de ces animaux non humains sans se référer au concept de pensée. Peut-être est-il impossible d’affirmer de façon absolue et définitive l’existence de leur part de démarches intentionnelles comparables à celles des individus utilisant le langage des signes, mais ils sont indéniablement dotés de capacités cognitives telles que la confiance, le désir, etc.

    En outre, cent cinquante ans après Darwin, on peut trouver surprenant l’émoi provoqué par le fait de constater que d’autres animaux possèdent des caractéristiques habituellement réservées à l’homme. La thèse selon laquelle les êtres humains auraient des facultés mentales absolument absentes chez les animaux non humains est incompatible avec la théorie darwinienne de l’évolution, laquelle repose sur le principe même qu’il n’existe pas de spécificités purement humaines.

    Cela ne veut pas dire qu’aucune différence significative ne distingue un animal se servant du langage symbolique d’un autre qui est incapable de le faire. Cela signifie simplement que l’animal détenteur d’une particularité cognitive n’est pas pour autant « qualitativement » supérieur à celui qui en est dépourvu.

    Malgré ma conviction que les non-humains possèdent ces fameuses caractéristiques que nous considérons comme exclusivement humaines, je suis bien conscient qu’un débat subsiste sur ce point. C’est un fait : des distinctions entre l’intelligence humaine et celle des animaux qui n’utilisent pas le langage sont évidentes.

    Mais il existe au moins deux raisons de rejeter la notion selon laquelle le critère de sensibilité des individus non humains serait insuffisant pour leur reconnaître le droit d’être membres à part entière de la communauté morale.

    La première est d’abord d’ordre pratique : la théorie de la similitude de pensée induit-elle au moins de sérieux changements pour ces non-humains qui possèdent des caractéristiques cognitives très proches des nôtres ?

    La seconde raison est d’ordre conceptuel et met en évidence l’impuissance de cette théorie à aborder la question morale fondamentale : pourquoi des caractéristiques autres que la sensibilité seraient-elles requises pour pouvoir appartenir à la communauté morale ?

    Il est probable que la théorie de la similitude de pensée n’aura d’autre effet que de retarder le moment où il nous faudra faire face à nos obligations légales et morales envers les non-humains. Le temps que nous établissions la prétendue « preuve empirique » que certains de ces individus ont, au moins, une intelligence proche de celle de l’homme.

    Cependant, même lorsque cette similitude est démontrée, nous faisons mine de l’ignorer et continuons à exploiter ces animaux. Par exemple, la proche parenté entre les humains et les chimpanzés est irréfutable. Leur ADN est pour 98,5 % semblable au nôtre.

    De surcroît, ils ont un comportement mental et culturel comparable à celui de l’être humain. Nous connaissons ces ressemblances depuis longtemps déjà. D’ailleurs, l’ensemble du Projet grands singes avait pour but de démontrer de manière écrasante qu’il n’existe, entre les humains et les grands singes, aucune disparité qui justifie la mise à l’écart de ces derniers de la communauté morale.

    Pourtant, nous continuons d’emprisonner les chimpanzés dans les zoos et de les utiliser comme cobayes dans des expériences biomédicales. Même Jane Goodall, qui a le mérite d’avoir « fait découvrir au public que les chimpanzés sont des individus avec des personnalités distinctes et des relations sociales complexes (7) », a refusé d’appeler au bannissement complet de l’exploitation par l’homme de ces non-humains.

    Ce problème révèle la faille évidente de cette théorie de la similitude de pensée : quel degré de ressemblance avec l’homme exige-t-on d’un non-humain pour que nous le considérions comme suffisamment « semblable à nous » pour lui reconnaître une valeur morale ?

    Il a été prouvé, par exemple, que les perroquets sont doués des mêmes capacités conceptuelles qu’un enfant de 5 ans. Pourtant, les animaleries continuent de vendre des perroquets. Quel degré d’intelligence exigeons-nous du perroquet pour l’accepter dans la communauté morale ? Faut-il que le perroquet ait les capacités conceptuelles d’un enfant de 8 ans ? De 12 ans ?

    De la même manière, des chimpanzés ont démontré leur aptitude à se servir du langage humain. Quelle doit être l’étendue de cette aptitude à manier la syntaxe et le vocabulaire pour que nous leur reconnaissions une intelligence comparable à la nôtre ?

    Nul n’affirme que les animaux devraient conduire des automobiles ou suivre des cours à l’université

    L’ennui, avec ce jeu des caractéristiques particulières, c’est que les non-humains ne peuvent jamais gagner. Quand nous observons que les perroquets possèdent l’habileté conceptuelle de comprendre et de manipuler des nombres à un seul chiffre, nous exigeons qu’ils fassent de même avec les nombres à deux chiffres, pour admettre qu’ils nous ressemblent davantage.

    Quand un chimpanzé prouve qu’il possède un vocabulaire étendu, nous réclamons qu’il révèle son niveau syntaxique afin de corroborer son lien de parenté avec nous. Bien entendu, nous sélectionnons pour les juger certaines aptitudes, et pas d’autres.

    Car il va sans dire que nombre de non-humains en possèdent diverses, et de bien meilleures, dont nous sommes dénués. Mais il ne nous viendrait jamais à l’esprit d’appliquer à des membres de notre espèce le traitement que nous infligeons aux animaux.

    Il est à craindre que la théorie de la similitude de pensée ne finisse par exiger que les animaux aient une capacité de réflexion non seulement similaire mais identique à la nôtre. Si leur intelligence n’est pas calquée sur celle des humains, ils n’auront aucune chance d’être, un jour, considérés comme membres de notre communauté morale. Et, dans le cas contraire, quelle garantie ont-ils de ne pas être victimes de discrimination ?

    Après tout, il n’y a pas si longtemps encore, au XIXe siècle, les racistes se fondaient sur la phrénologie, c’est-à-dire l’étude des facultés dominantes d’un individu d’après la forme de son crâne, pour déclarer que d’autres êtres humains avaient une intelligence différente.

    Posséder une intelligence identique n’est donc pas un gage de bon traitement si le désir de discriminer reste vivace. La capacité de réflexion entre les animaux qui utilisent le langage des signes et les autres laisse présumer des différences.

    La théorie de la similitude de pensée ne servira de ce fait que de prescription à la poursuite de l’oppression des animaux, puisque nous sommes perpétuellement en quête d’une identité qui ne sera sans doute jamais atteinte, surtout si seul le désir de consommer des produits animaux nous anime.

    Dans l’hypothèse où la théorie de la similitude de pensée aboutirait à nous faire reconnaître la personnalité de certains non-humains, tels que les grands singes anthropoïdes ou les dauphins, qu’adviendrait-il alors des espèces d’animaux qui ne pourront jamais démontrer une aptitude à utiliser le langage humain ou d’autres caractéristiques que nous associons à l’intelligence humaine ?

    Cette théorie esquive la question morale sous-jacente, et cependant fondamentale : pourquoi les animaux non humains devraient-ils se distinguer par d’autres qualités que la sensibilité pour avoir le droit de ne pas être exclusivement considérés par l’homme comme des objets à son service ?

    La théorie de la similitude de pensée suppose que les propriétés cognitives humaines ont une valeur morale et, de ce fait, méritent un traitement particulier. Bien entendu, rien ne justifie une telle position : en quoi les caractéristiques spécifiques à l’homme auraient-elles, au sens moral du terme, plus de valeur que celles des non-humains ?

    Notre faculté de langage nous est précieuse parce que nous sommes des êtres humains, de même que l’écholocation (8) est précieuse pour les chauves-souris en tant que mammifères volants aveugles. Serions-nous enclins à dire que la faculté d’utiliser le langage symbolique possède, sur le plan moral, davantage de prix que de se guider à l’aide d’ultrasons ?

    De surcroît, même si tous les animaux étaient privés de toute caractéristique cognitive particulière au-delà de la sensibilité, ou possédaient l’une de ces facultés cognitives à un degré moindre, ou d’une façon différente de l’homme, cette dissemblance ne justifierait en aucun cas que nous nous servions des animaux comme de choses.

    En ce qui concerne certaines aptitudes, les différences entre l’homme et l’animal sont pourtant flagrantes. Nul n’affirme, par exemple, que les animaux devraient conduire des automobiles ou suivre des cours à l’université et, pourtant, nous sommes bien d’accord, ces différences n’expliquent en rien que nous mangions ou non les animaux, ou que nous les soumettions à des tortures dans l’expérimentation.

    Dans les situations qui ne concernent que les êtres humains, c’est plus évident. Quelle que soit la caractéristique identifiée comme propre à l’homme, on en retrouvera parfois à peine la trace chez certaines personnes, et chez d’autres elle sera totalement absente. Des êtres humains souffriront d’une déficience en tous points identique à celle que nous attribuons aux non-humains.

    Cette déficience peut se révéler problématique dans certaines perspectives, mais elle n’implique en aucun cas que nous fassions de ces êtres humains des esclaves ou que nous les considérions comme des objets sans valeur.

    Que l’intelligence des animaux soit similaire ou non à la nôtre ne doit pas être une condition pour que nous ne respections pas le devoir moral de cesser toute exploitation des non-humains, ni primer sur le fait que ce sont des êtres sensibles.

    Ce soir, vous allez vous mettre à table pour dîner. Dans votre assiette, vous allez peut-être trouver de la viande de bœuf, de volaille, ou de poisson. Vous ne pourrez alors guère échapper à une évidence : des animaux auront été tués pour composer votre repas.

    En outre, vous saurez que l’animal dont vous mangerez la chair aura non seulement été tué pour vous nourrir, mais aussi souffert avant et pendant sa mise à mort. Cette prise de conscience ne devra pas reposer sur l’éventualité d’une similitude d’intelligence entre cet animal et vous, mais sur le fait qu’il était, comme vous, un être sensible n’aspirant qu’à vivre.

    Et même s’il reste encore quelques incertitudes sur l’existence d’une sensibilité chez les insectes ou d’autres créatures vivantes, les millions de vaches, cochons, poulets et canards que nous tuons chaque année ne rentrent en aucun cas dans cette catégorie.

    En conclusion, les initiatives comme le Projet grands singes révèlent bien moins notre préoccupation pour les grands singes que la volonté de consolider la classification spéciste (9), qui ne les reconnaîtra jamais comme membres à part entière de la communauté morale.

    Et qui fera très certainement en sorte que tous les autres animaux ne franchissent jamais le seuil du cercle bien fermé des animaux-élus.

    Gary L. Francione.

    Animal, Idées

    Professeur à la Rutgers University School of Law, Newark (New Jersey, Etats-Unis), où il dirige un enseignement consacré aux droits des animaux (www.animal-law.org). Auteur, entre autres, de : Introduction to Animal Rights, Temple University Press, Philadelphie, 2000.

    (1) Paola Cavalieri et Peter Singer (sous la dir. de), The Great Ape Project, Fourth Estate, Londres, 1993. En français : Le projet grands singes. L’égalité au-delà de l’humanité, traduction de Marc Rozenbaum, One Voice éditeur, Nantes, 2003.

    (2) The Great Age Project, op. cit., p. 5.

    (3) NDLR : pour en savoir plus, consulter par exemple www.onevoice-ear.org ou www.animauzine.net

    (4) « Our hypocrisy », The New Scientist, Londres, 4 juin 2005.

    (5) « Personhood, property and legal competence », dans Great Ape Project, op. cit., p. 248-257.

    (6) Introduction to Animal Rights : Your Child or the Dog ? Temple University, Philadelphie, 2000.

    (7) The Great Ape Project, op. cit., p. 10.

    (8) Mode d’orientation propre à certains animaux qui repèrent les obstacles et les proies au moyen d’ultrasons produisant un écho.

    (9) Le spécisme (ou espécisme) est un néologisme formé pour contester la place particulière accordée à l’être humain qui ne serait qu’un animal parmi les autres.

    Le Projet grands singes

    Édition imprimée — février 2007 — Pages 24 et 25

    http://www.monde-diplomatique.fr/2007/02/FRANCIONE/14423

  • "Abolition de l’exploitation animale : le voyage ne commencera pas tant que nous marcherons à reculons" (Gary Francione)

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    Gary L. Francione (Traductrice : Carine Dos Santos)

    Dans The longest journey begins with a single step : Promoting animal rights by promoting reform (Le plus grand voyage commence par un simple pas : promouvoir les droits des animaux en encourageant la réforme), Peter Singer et Bruce Friedrich, co-directeur de PETA, déclarent qu’une " drôle " de controverse s’est développée au cours " des dernières années " afin de savoir si les défenseurs des animaux devaient suivre la voie de la protection animale comme un moyen d’obtenir des droits pour les animaux.

    Cette controverse n’est ni " drôle " ni " récente ". Elle n’est pas " drôle " parce qu’il existe une incohérence entre la réglementation de l’exploitation animale et son abolition.

    La controverse n’est pas " récente " en ce sens que la tension entre les droits et la protection a toujours été constante dans le mouvement de défense des animaux au cours des quinze dernières années.

    Ce qui est par contre " récent ", c’est l’émergence d’un mouvement mondial basique défiant l’hégémonie des organisations de protection animale bien établies à la tête du mouvement et qui tente de formuler une alternative, un paradigme abolitionniste.

    Il est par conséquent peu surprenant que Singer, principal théoricien de l’idéologie welfariste [1] et PETA, qui met en place cette idéologie et soutient que toute discussion est " source de conflit " et menace " l’unité " du mouvement, se fassent du souci.

    Il existe au moins 5 raisons pour un abolitionniste de rejeter l’approche welfariste exprimée dans l’essai de Friedrich et Singer.

    1. Le bien-être animal : rendre l’exploitation plus efficace

    Singer et Friedrich déclarent que les réformes de la protection reconnaîtront que les non-humains ont des " droits " et " intérêts ", qu’elles éloigneront de façon significative les animaux du statut de bien ou denrée n’ayant qu’une valeur extrinsèque ou conditionnelle.

    Ils se trompent.

    Les réformes qu’ils soutiennent n’ont rien à voir avec le fait de reconnaître que les animaux possèdent des intérêts moraux significatifs qui doivent être protégés même lorsqu’il n’y a aucun profit économique pour les humains.

    La plupart de ces réformes, tout comme la majorité des mesures de protection animale, ne font rien d’autre que rendre l’exploitation animale plus rentable pour les exploiteurs d’animaux et les enfermer un peu plus dans le modèle de la propriété.

    Il suffit par exemple de s’intéresser à la campagne qui a permis de conclure un accord avec McDonald’s pour exiger de supposés standards " humains " pour les abattoirs et plus d’espace pour les poules de batterie.

    Singer applaudit ces actions de McDonalds, suivies ensuite par Wendy’s et Burger King, comme une " lueur d’espoir " et "les premiers signes d’espérance pour les animaux de ferme américains depuis les débuts du mouvement animal moderne. " (dans N.Y. Rev.of books, 15 mai 2003).

    Friedrich déclare qu’un " véritable changement s’est opéré dans les consciences " concernant le traitement des animaux destinés à la consommation " (dans L.A. Times, 29 avril 2003) et Lisa Lange de PETA se targue de voir que McDonalds a " ouvert la voie de la réforme des pratiques des fournisseurs de fast foods en matière de traitement et d’abattage des bovins et volailles. " (dans L.A. Times, 23 février 2005)

    Les standards d’abattage loués par Singer et PETA ont été développés par Temple Grandin [2] , conceptrice des systèmes de manipulation et d’abattage " humains ".

    Les lignes de conduite de Grandin, qui comportent des techniques de déplacements des animaux dans le processus d’abattage et d’étourdissement, sont explicitement basées sur des critères économiques.

    Selon Grandin, une manipulation appropriée des animaux à abattre " permet à l’industrie de la viande d’être gérée de façon sûre, efficace et rentable ".

    Un étourdissement convenable est important car " il fournira une viande de meilleure qualité. Une électronarcose [3] incorrecte engendrera des caillots de sang dans la viande ainsi que des fractures des os...

    Un animal correctement étourdi produira une carcasse rigide qui ne fait courir aucun risque aux employés.

    Elle soutient qu’une " manipulation souple dans un environnement bien conçu minimisera les niveaux de stress, améliorera l’efficacité et assurera une bonne qualité de viande.

    Une manipulation dure ou un équipement mal agencé est nuisible tant au bien être animal qu’à la qualité de la viande. " ( http:/ /www.grandin.com)

    De façon générale, les améliorations concernant l’abattage et les cages auxquels se réfèrent Singer et Friedrich sont évoquées en ces termes par McDonalds :

    " Les animaux bien traités sont moins enclins aux maladies, aux blessures et au stress, qui ont tous le même impact négatif sur l’état du bétail ainsi que sur les personnes.

    Des conditions correctes de bien être animal sont également rentables pour les producteurs. Se conformer à nos lignes de conduites en matière de bien être animal nous aide à assurer une production efficace et réduit les pertes.

    Ceci permet à nos fournisseurs d’être hautement compétitifs. " ( http:/ /www.mcdonalds.com)

    Wendy’s insiste également sur l’efficacité de son programme de bien-être animal :

    " Des études ont démontré que des méthodes humaines de manipulation des animaux ne se contentent pas d’empêcher des souffrances inutiles, mais fournissent également un environnement plus sûr pour les employés de l’industrie agroalimentaire. " http:/ /www.wendys.com)

    Dans un rapport concernant les réformes volontaires dans l’industrie du bétail, le Los Angeles Times expliquait qu’une " partie des réformes sont dictées par l’intérêt propre.

    Quand un animal est meurtri, sa chair devient impropre et il doit être écarté.

    Même le stress, tout particulièrement juste avant l’abattage, peut affecter la qualité de la viande. " (29 avril 2003)

    Cet exemple (et il en existe d’autres) illustre la façon dont les producteurs de denrées animales, qui travaillent avec d’importants protecteurs des animaux, rendent l’exploitation des animaux plus lucrative en adoptant des mesures qui améliorent la qualité de la viande et la sécurité des travailleurs.

    Mais cela n’a absolument rien à voir avec la reconnaissance de la valeur inhérente des animaux ou de leurs intérêts qui devraient être respectés même lorsqu’il n’y a aucun profit économique pour les humains.

    Les améliorations supposées du bien-être animal sont généralement limitées et justifiées par les profits des producteurs et des consommateurs.

    De plus, les grandes entreprises d’exploitation animale peuvent à présent souligner que les protecteurs des animaux comme Singer ou PETA les admirent pour leur soi-disant traitement " humain " des animaux non-humains.

    PETA a ostensiblement offert à Grandin, consultante pour McDonalds et autres chaînes de fast food, sa récompense du Visionnaire de l’Année 2005 pour ses " améliorations innovantes " des procédés d’abattage et Ingrid Newkirk, de PETA, loue Grandin d’avoir " fait plus pour réduire la souffrance dans le monde que quiconque " (New Yorker, 14 avril 2003)

    On peut sérieusement douter des changements réellement apportés au traitement de l’animal sauf en ce qui concerne la question d’une exploitation efficace.

    Un abattoir qui suit les lignes de conduite de Grandin pour l’étourdissement, l’utilisation des coups et d’autres aspects du processus d’abattage demeure un endroit indiciblement horrible.

    Les poules de batterie qui fournissent la plupart des grandes chaînes de fast food vivent à présent sur une surface équivalente à environ 21,59 cm2 alors que les standards de l’industrie sont à 17,78cm2 mais il serait absurde de dire que l’existence d’une poule de batterie est tout sauf misérable.

    2. Le bien-être animal : Mettre le public plus à l’aise face à l’exploitation animale

    Singer et Friedrich affirment sans aucun support que toute réforme sur le bien-être animal conduira à une meilleure protection des animaux et à la " libération animale ".

    Cela fait maintenant 200 ans que la protection animale existe et rien ne prouve que les réformes sur le bien être aient conduit à une protection significative des intérêts des animaux et encore moins à l’abolition.

    En réalité, nous utilisons plus d’animaux non humains aujourd’hui, et de façon plus horrible qu’auparavant.

    Au point d’avoir conclu des améliorations marginales dans certains aspects du traitement animal qui ont, pour la plupart d’entre elles, été limitées à des mesures rendant l’exploitation animale plus avantageuse.

    Bien qu’il soit en théorie possible d’aller au-delà de ce niveau minimal de protection, le statut des non humains en tant que propriété et le souci résultant de maximiser la valeur de la propriété animale milite fortement contre toute amélioration significative de notre façon de traiter les animaux et assure que la protection animale fera un peu plus que rendre l’exploitation animale plus efficace économiquement et acceptable socialement.

    Quoi qu’il en soit, les réformes proposées pas Singer et Friedrich et qui sont actuellement promues par les associations de protection animale aux Etats-Unis, ne dépassent pas le niveau minimal.

    Singer et Friedrich avancent que les opposants à la protection disent " qu’avant ces réformes, un grand nombre de personnes refusaient de manger de la viande, mais ils ont à présent décidé que, puisque les animaux ne sont plus aussi maltraités, ils peuvent en manger à nouveau. "

    Ni moi, ni aucune personne critiquant la protection animale à ma connaissance n’a jamais énoncé une telle chose.

    J’ai bien dit que la protection animale n’a pas entraîné un grand nombre de non végétaliens à changer leur comportement et à refuser de manger de la viande ou d’autres produits animaux, et que les réformes sur le bien-être ne sont pas susceptibles de prendre cette direction sous peu pour la simple raison qu’elles mettent les gens plus à l’aise face à l’exploitation animale.

    Ce sentiment est le message explicite du mouvement de la protection. Les protecteurs des animaux déclarent que nous pouvons " consommer avec conscience. " (New York Times, 6 octobre 2004, citation de Paul Waldau).

    Dans le dernier livre de Singer, The Way we eat : Why our food choices matter (Notre façon de manger : pourquoi nos choix alimentaires comptent), il affirme avec son co.-auteur, Jim Mason que nous pouvons être " des omnivores conscients " et exploiter les animaux éthiquement si, par exemple, nous ne mangeons que les animaux qui ont été bien soignés et tués sans souffrance.

    Le message envoyé par cette approche est plutôt clair et si Singer et Friedrich pensent réellement que ceci n’encourage pas la consommation de produits animaux, ils se font des illusions.

    De plus, les réformes sur le bien-être peuvent entraîner une hausse de la demande et donc une hausse nette de la souffrance animale.

    La relation entre une demande accrue et des standards " humains " est reconnue par les protecteurs mêmes.

    Par exemple, l’association The Humane Society of the United States édite des brochures dans le but de promouvoir sa campagne pour des alternatives plus " humaines " concernant les cages de gestation des truies et signale explicitement que l’adoption de systèmes alternatifs peut engendrer une demande accrue ou des parts de marché pour les producteurs.

    Je voudrais partager une histoire avec vous, qui bien qu’anecdotique, illustre le problème. Lorsque le magasin " Whole Foods [4]" à côté de chez moi a ouvert, il vendait des produits carnés, mais n’avait pas de rayon viande.

    Il y a maintenant un rayon entier de viande et poisson. Il existe également des affiches dans le magasin faisant de la pub pour le " Animal Compassion Foundation " (± Fondation pour la compassion envers les animaux) établi par Whole Foods, qui finance des projets pour les fermiers et les propriétaires de ranch leur permettant de développer des méthodes d’élevage plus " humaines ".

    Il y a plusieurs semaines, je passais devant l’étal de viande et j’ai fait remarquer à un employé que je trouvais honteux que Whole Foods vende des cadavres.

    Telle fut la réponse de l’employé :

    " Saviez-vous que PETA a récompensé Whole Foods pour sa façon de bien traiter les animaux ? " Oui, c’est vrai. En plus de donner une récompense à Temple Grandin, PETA a également loué Whole Foods pour son " exigence de standards stricts envers ses producteurs. " http://www.peta.org

    The way we eat cite également Whole Foods et noircit des pages et des pages pour encenser l’entreprise comme étant un vendeur de produits animaux éthiquement responsable.

    En mettant de côté qu’il y a un sérieux problème, à savoir si les standards " stricts " dont PETA et bien d’autres sont si fiers ont un effet significatif sur la vie et la mort des animaux dont les cadavres sont vendus chez Whole Foods (un article à venir du Pr Darian Ibrahim de l’Université d’Arizona soutient que ces standards comportent des lacunes), ce type d’approche ne peut qu’alimenter la confusion là où la clarté devrait être présente et encourage les gens à croire que nous pouvons " consommer avec conscience ", ce qui tend à perpétuer et légitimer la consommation de produits animaux.

    Voici un avis paru sur Amazon.com au sujet du livre The way we eat :

    " Inutile de devenir végétarien ou végétalien, bien que le devenir pourrait constituer un bon mode de vie, à la fois sain et moral, mais le livre vous donne vraiment envie d’acheter chez Whole Foods et d’acheter du poulet élever en parcours libre et de faire tout ce que vous pouvez pour que vos besoins en provisions aient une origine décente. "

    3. Le but ? Quel but ?

    Singer et Friedrich expliquent comment la protection animale encourage les " droits des animaux " et déclarent que l’opposition au bien-être animal est " contre productive face au but de la libération animale que nous partageons tous ".

    Quel est exactement ce but que nous partageons tous ?

    Singer est un utilitariste [5] qui a fortement rejeté les droits moraux des animaux non-humains et humains bien qu’il utilise confusément le langage des droits quand cela lui convient. Il en ressort que ceux qui soutiennent que les humains disposent de certains droits, comme celui de ne pas être réduits en esclavage ou d’être utilisés comme une marchandise par d’autres, ne partagent pas le but de Singer en ce qui concerne les humains.

    Pour ce qui est des non-humains, Singer ne s’oppose pas à leur exploitation pour la majorité d’entre eux, il s’inquiète seulement de leur traitement.

    S’il discute l’utilisation, c’est uniquement dans le contexte du souci de ne pas être capable d’assurer un traitement adéquat.

    Mais son but n’est pas l’abolition de l’exploitation animale ; selon la théorie morale générale de Singer, l’abolition ne peut pas être son but. Singer a toujours fortement soutenu que la plupart des non-humains n’ont aucun intérêt à continuer de vivre parce qu’ils n’ont pas conscience d’eux-mêmes dans le même sens que les hommes.

    Par conséquent, ils se moquent de savoir si on les utilise, ils se préoccupent seulement de la façon dont on les utilise.

    Ceci reflète les pensées de Jeremy Bentham, l’utilitariste du XIXe siècle, sur lesquelles Singer base sa théorie.

    Bentham prétend que bien que les animaux puissent souffrir, et avaient donc une importance morale, les animaux ne s’inquiètent pas de savoir, par exemple, si nous les mangeons. Ils s’inquiètent seulement de la façon dont nous les traitons jusqu’à ce que nous les mangions.

    Ce point de vue, qui ne concerne pas l’utilisation en soi mais le traitement, est le fondement de l’idéologie de la protection animale et se différencie de la position des droits des animaux comme je l’ai clairement exprimé.

    Je maintiens que si les animaux ont un intérêt à mener une existence continue (et je soutiens que c’est valable pour tout être conscient), les utiliser comme une ressource pour les humains (même si on les traite " humainement ") n’est pas défendable moralement et nous devrions tendre à abolir et non réguler l’exploitation animale.

    Je soutiens également que Singer se trompe en maintenant qu’il est possible d’accorder une considération égale à tous les intérêts qu’il reconnaît aux animaux en tant que propriété de l’homme.

    Les intérêts de la propriété seront toujours considérés comme moindres face à ceux des propriétaires.

    Cependant, il n’y a pas besoin d’être très philosophe pour évaluer la nature de la " libération animale " selon Singer.

    Son dernier livre soutient non seulement que nous pouvons manger les animaux et leurs sous-produits éthiquement, mais comporte également une information qui devraient éclairer nos idées sur Singer et ses pensées au sujet de la violence envers les non humains.

    Dans The way we eat, Singer et Mason nous racontent qu’ils ont appris qu’un élevage de dindes nécessitait des travailleurs pour assister l’insémination artificielle.

    " Notre curiosité était piquée et nous avons décidé de voir par nous-mêmes en quoi consistait réellement ce travail. "

    Singer et Mason ont passé une journée " à collecter la semence et à l’introduire dans les dindes. " Ils attrapaient les mâles et les maintenaient pendant qu’un autre travailleur " pressait l’organe de reproduction du mâle jusqu’à ce qu’il s’ouvre et que la semence blanche en sorte. "

    En se servant d’une pompe, il la transférait dans une seringue.

    " Singer et Mason devaient ensuite " forcer " les femelles, ce qui sous-entend de les maintenir afin que " leur train arrière soit bien en place et leur organe ouvert.

    " L’inséminateur introduit ensuite un tube dans la dinde et utilise un souffle d’air comprimé pour injecter la semence dans la dinde. "

    Et il n’y avait pas que les dindes qui passaient un mauvais quart d’heure.

    Singer et Mason se sont plaint de leur journée à l’élevage de dindes disant que c’était le travail " le plus difficile, rapide, sale, dégoûtant et le plus mal payé qu’ils n’aient jamais fait.

    Pendant 10 heures, nous avons attrapé et lutté avec des volailles, retournées à l’envers et vus leurs derrières, évité leurs excréments jaillissants en respirant un air vicié par la poussière et les plumes dégagées par des volailles paniquées [6]"

    Et par-dessus tout, ils ont " reçus un torrent d’insultes de la part du chef d’équipe. On a duré une journée. "

    On se demande bien si Singer et Mason y seraient retournés un deuxième jour si les conditions de travail avaient été meilleures.

    Il est vraiment dérangeant de constater que Singer et Mason considèrent moralement acceptable de commettre des violences à l’égard de non-humains quel que soit le but et plus particulièrement pour satisfaire leur curiosité sur " ce qu’implique vraiment ce travail ".

    Je pense qu’il n’y a aucun moyen antispéciste de justifier ce que Singer et Mason se targuent d’avoir fait sans également justifier le viol d’une femme ou la molestation d’un enfant afin de voir ce qu’un acte de violence " implique réellement. "

    On peut peut-être expliquer les actions perverses avec les dindes commises par Singer en se référant à sa citation en 2001 sur le site nerve.com : " les relations sexuelles avec les animaux n’impliquent pas toujours de la cruauté " et que l’on peut y trouver " une satisfaction mutuelle ".

    Quoi qu’il en soit, si la violence envers les non-humains est permise selon la théorie de Singer, il n’y a pas besoin d’en savoir beaucoup plus pour en conclure que cette théorie comporte de sérieux défauts et que ses buts ne sont probablement pas, comme Singer le pense, ceux que nous partageons.

    En ce qui concerne les buts de Friedrich et PETA, une chose est devenue claire au fil des ans : la compréhension des droits des animaux par PETA est, pour le moins, idiosyncratique [7].

    Pour citer un exemple parmi tant d’autres, à ma connaissance, aucune théorie des droits des animaux n’approuverait l’abattage massif de non-humains en bonne santé comme dans le " sanctuaire " PETA d’Aspen Hill en 1991 ou, plus récemment, aux siège de PETA où des employés auraient usé de tromperie pour obtenir des animaux sains qui ont par la suite été tués et jetés.

    Je suppose que si on est d’accord avec Singer, à savoir que les animaux tués par PETA n’avaient aucun intérêt à vivre, mais voulaient seulement une mort " douce " ou " pleine de compassion " alors cela à un sens.

    Personnellement je n’y adhère pas.

    Lorsque les protecteurs des animaux posent des questions aux associations de protection animale, la réponse en bloc est que nous avons tous le même but, nous travaillons tous pour les animaux et toute controverse nuirait à l’unité du mouvement.

    Comme la " consommation avec compassion ", la notion d’unité de mouvement est une fiction utilisée pour maintenir le contrôle du discours et de la stratégie.

    Il n’y a pas d’unité de mouvement parce qu’il existe une différence inconciliable entre la position d’abolitionniste/droits et de protection/règlementation, entre ceux qui soutiennent que nous devrions être aussi " fanatiques " (pour utiliser le terme désobligeant de Singer) au sujet du spécisme que nous le sommes pour l’exploitation humaine et ceux qui, comme Singer, ne le sont pas.

    Les déclarations sur l’unité du mouvement sont tout simplement un autre moyen d’empêcher les protecteurs de remettre en question le contrôle du mouvement exercé par les associations.

    4. La protection ou rien : la fausse dichotomie

    Singer et Friedrich soutiennent que ceux qui se sentent concernés par les non-humains ont deux choix : la protection animale ou ne rien faire pour aider les animaux.

    Ceci sous-entend que la position abolitionniste est trop idéaliste et ne peut fournir une stratégie à court terme.

    Voici un leitmotiv des associations de protection et il ne me paraît pas bien clair de déterminer s’ils y croient vraiment ou si c’est uniquement un slogan.

    Quoi qu’il en soit, Singer et Friedrich nous exposent une fausse dichotomie.

    Nous infligeons de la douleur, de la souffrance et la mort à des milliards de non-humains chaque année.

    Personne, même parmi les abolitionnistes les plus convaincus, ne soutient que l’on puisse arrêter ça du jour au lendemain ou à court terme.

    Le souci des protecteurs est ce qui peut-être fait maintenant.

    De plus, nous vivons dans un monde qui a une durée et des ressources limitées.

    On ne peut pas tout faire.

    Par conséquent, le problème, du moins pour ceux dont le but est l’abolition, devient : que choisissons-nous de faire maintenant qui permettra de réduire la souffrance à court terme, qui pertinent dans l’optique abolitionniste, et qui mettra sur pieds un mouvement politique allant dans la direction de l’abolition ?

    Je ne conseille pas la protection comme choix rationnel pour les abolitionnistes.

    Il est un peu tard pour promouvoir la protection comme le pas qui nous permettra de commencer le long voyage.

    Nous avons dépensé des milliards de dollars et qu’avons-nous à montrer ?

    Voici ma réponse : rien et surtout rien qui ne puisse être décrit comme une utilisation efficace de nos ressources limitées.

    Singer et Friedrich font référence à l’Animal Welfare Act (une loi fédérale aux Etats-Unis supposée réglementer l’utilisation des non humains dans les expériences et expositions) et le Human Slaughter Act américain comme des exemples de lois de protection qui laisseraient les animaux dans les pires conditions si elles n’existaient pas. Je ne suis pas d’accord.

    L’Animal Welfare Act, qui ne s’applique même pas à 90% des non-humains utilisés pour l’expérimentation, n’impose pas de réelles limites à ce que peuvent faire les vivisecteurs en laboratoire.

    Cependant, cette loi fournit une source à citer pour la communauté scientifique et pour les personnes comme Singer et Friedrich afin de rassurer le public quant à la réglementation de la vivisection.

    Le Humane Slaughter Act, qui ne s’applique pas non plus à la majorité des animaux mangés, est cependant destiné à réduire les problèmes de carcasse et à assurer la sécurité des travailleurs. Une fois encore, le but premier de cette loi est de mettre les consommateurs plus à l’aise.

    Cette loi de ne requiert pas plus de protection que n’en fournirait un propriétaire d’exploitation et il existe d’innombrables exemples pour lesquels le gouvernement américain n’applique pas cette loi.

    Singer et Friedrich citent également comme exemple de progrès " les changements de densité d’individus chez les poules, même maigres, qui ont permis de passer de 20% de morts annuelles à 2-3%. "

    Ceci est particulièrement bizarre puisque 100% des poulets finiront par être tués. Toute réduction de mortalité avant l’abattage prolonge la vie des volailles dans d’horribles conditions et augmente les bénéfices des exploitants.

    Les protecteurs ont donc réussi à éduquer les exploitants à, selon les termes de McDonald’s, " assurer une production efficace et réduire les déchets et les pertes. "

    Singer et Friedrich trouveront peut être cela passionnant, pas moi.

    Que peut donc faire un abolitionniste maintenant pour réduire plus efficacement la souffrance à court terme et en accord avec le but de l’abolition ?

    L’approche abolitionniste fournit des indications pratiques à plusieurs égards.

    Un changement conséquent induit que chacun prenne la décision de devenir végétalien [8].

    Le végétalisme, ou suppression de tout produit animal, est plus qu’une simple question de régime alimentaire ou de style de vie : c’est la déclaration par un individu d’accepter le principe d’abolition dans sa propre vie.

    Le végétalisme est le seul véritable but que nous pouvons atteindre, et ce de façon immédiate, dès notre prochain repas.

    Si nous voulons vraiment changer notre façon de traiter les animaux et ne plus les exploiter un jour, il est impératif de créer un mouvement social et politique qui tend vraiment vers l’abolition et considère le végétalisme comme une ligne de base morale.

    Il n’y a, bien sûr, aucune distinction rationnelle entre la viande et les autres produits animaux, comme les œufs ou les produits laitiers, entre la fourrure et le cuir, la soie ou la laine.

    La majorité des associations de protection animale aux Etats-Unis se concentre sur le bien-être animal même si elles soutiennent le végétalisme.

    PETA est un excellent exemple.

    D’une part, PETA encourage le végétalisme.

    D’autre part, les campagnes de PETA sont en général concentrées sur la réglementation traditionnelle du bien-être et soutient activement et de manière déroutante le concept de produits animaux fabriqués " humainement ".

    Cependant, le végétalisme n’est en aucun cas avancé comme une ligne de base morale du mouvement.

    Il est même simplement présenté comme un choix de vie optionnel et est souvent décrit comme difficile et uniquement pour le peu de personnes engagées et non pas comme un moyen accessible d’éliminer l’exploitation.

    C’est la marque du mouvement, dont bon nombre de " leaders " ne sont pas végétaliens, qui présente la position végétalienne/abolitionniste comme " marginale " ou " radicale ", faisant de " la consommation avec conscience " la règle " normale " ou " principale ".

    En réalité, Singer déclare que nous ne devons pas être " fanatiques " concernant la nourriture et qu’un peu " d’indulgence contrôlée envers soi " est acceptable (dans The way we eat , 281, 283).

    Nous ne dirions bien sûr jamais " qu’un peu d’indulgence envers soi " est acceptable quand il s’agit de viol, meurtre, maltraitance d’enfant ou d’autres formes d’exploitation humaine mais le soi-disant nommé " père du mouvement des droits des animaux " assure " qu’un peu d’indulgence envers soi " en participant en tant que consommateurs à l’abattage brutal de non-humains ne doit pas nous inquiéter.

    Il est acceptable (en réalité, attendu) d’être " fanatique " concernant la maltraitance des enfants ou envers d’autres formes d’exploitation humaine, mais Singer nous informe qu’il est admissible d’être flexible quand il s’agit des animaux.

    Un mouvement dont l’abolition est le but doit avoir le végétalisme comme ligne fondamentale de conduite et ne devrait pas promouvoir " la consommation avec compassion " comme ligne directrice.

    Nous devons être clairs.

    La " consommation avec compassion " est un mythe insidieux.

    Tous les produits animaux, y compris ceux portant la mention "élevage respectueux " délivrée par des organisations de protection animale, impliquent une brutalité indicible.

    La culture abolitionniste et végétalienne fournit des stratégies pratiques permettant de réduire à la fois la souffrance animale dès maintenant et de construire un mouvement à long terme qui obtiendra une législation significative sous la forme d’interdictions plutôt que de réglementations " humaines ".

    Cette culture comprend : les boycotts, les manifestations pacifiques, les programmes scolaires ainsi que d’autres actions non-violentes visant à informer le public sur les dimensions morales, environnementales et sanitaires du végétalisme.

    Si, à la fin des années 1980, au moment où la communauté de la protection animale aux Etats-Unis a décidé de poursuivre un ordre du jour mettant en avant la protection, une portion substantielle des ressources du mouvement s’était investie dans la culture végétalienne, il y aurait aujourd’hui des centaines de milliers de végétaliens en plus.

    C’est une estimation très conventionnelle étant donné les centaines de millions de dollars dépensés par les groupes de protection animale pour promouvoir des législations et des initiatives qui protègent les animaux.

    Le nombre accru de végétaliens diminuerait la souffrance en réduisant la demande de produits animaux plus efficacement que tous les " succès " des associations de protection rassemblées.

    Augmenter le nombre de végétaliens aiderait à construire une base économique et politique nécessaire à un changement social de fond duquel résulterait une modification légale.

    Etant donné que nous disposons d’un temps et de ressources financières limités, l’expansion de la protection animale traditionnelle n’est pas un choix rationnel ni efficace si nous recherchons l’abolition à long terme ou la réduction de la souffrance animale à court terme.

    Singer déclare qu’en réalité, " devenir végétalien est encore un trop grand pas pour la plupart de gens. " (dans The way we eat, 279)

    En laissant de côté le fait que les gens pourraient devenir végétaliens si Singer et les associations de protection animale ne leurs disaient pas qu’ils peuvent " consommer avec compassion ", la solution est le végétalisme et non pas les produits animaux " fabriqués humainement. "

    Par exemple, une campagne incitant à faire un repas végétalien par jour, puis deux et enfin trois est plus efficace que de les encourager à consommer de la viande, des œufs ou produits laitiers issus d’animaux " élevés en libre parcours. "

    Mais le message devrait être clair : le végétalisme est le principe de base d’un mouvement qui soutient l’abolition, ce n’est pas le cas de la " consommation avec compassion. "

    A ce moment précis, il est peu probable que les campagnes de réglementation ou de législation qui cherchent à dépasser la réforme traditionnelle de la protection seront un succès ; il n’existe aucune base politique soutenant de telles réformes car le mouvement organisé n’a pas essayé d’en construire une.

    Si les protecteurs des animaux souhaitent poursuivre de telles campagnes, elles devraient au moins inclure des interdictions et non pas des réglementations.

    Ces interdictions devraient reconnaître que les animaux ont des intérêts qui dépassent ceux qui doivent être protégés pour les exploiter et ne peuvent être compromis pour des motifs économiques.

    Les protecteurs des animaux ne devraient jamais proposer d’alternative, supposées plus " humaines ".

    Par exemple, une interdiction d’utiliser les animaux dans une expérience particulière est à favoriser par rapport à la substitution par une autre espèce.

    Je tiens à être clair sur le fait que je ne suis pas enclin à investir quelque ressource que ce soit dans les campagnes de réglementation ou de législation en ce moment.

    Le compromis politique requis résulte généralement en une éviscération du bénéfice recherché. Le mouvement abolitionniste devrait plutôt se concentrer sur le végétalisme, qui est une façon efficace et pratique de réduire l’exploitation animale.

    J’insiste sur une approche non-violente de la part de ce mouvement, tant au niveau des interactions individuelles qu’idéologiques.

    Comme je l’ai bien expliqué, le mouvement des droits des animaux devrait se voir comme la prochaine étape dans le progrès d’un mouvement pacifique, comme un mouvement qui fait monter le rejet de l’injustice d’un cran.

    Le problème de l’exploitation animale est compliqué et profondément enraciné dans notre culture patriarcale et notre dérangeante tolérance envers la violence contre ceux qui sont vulnérables. La violence n’est pas seulement problématique d’un point de vue moral, mais est également une stratégie pratique peu solide.

    Nous n’affronterons jamais le problème avec succès en l’abordant avec violence pour essayer de créer un mouvement social en faveur de l’abolition.

    Comme le disait le Mahatma Ghandi, la force la plus puissante que nous pouvons opposer à l’injustice n’est pas la violence mais le refus de coopérer.

    Il n’y a aucun moyen plus efficace pour refuser de coopérer avec l’exploitation des non humains que de l’éliminer de nos propres vies grâce au végétalisme et incitant les autres à le faire.

    Il est dérangeant de voir que PETA passe plus de temps à critiquer ceux qui s’opposent à l’approche de protection animale que ceux qui ne feront que marginaliser le problème animal en l’associant à la violence.

    Il est également dérangeant de voir à quel point PETA utilise le sexisme dans ses campagnes, brochures, et manifestations.

    Le spécisme est étroitement lié au sexisme et à d’autres formes de discrimination contre les humains.

    Tant que nous continuerons à traiter les femmes comme de la viande, nous continuerons à traiter les non-humains comme tels.

    Il est plus que temps que de vrais défenseurs des animaux informent PETA que son sexisme est destructeur et contre productif.

    5. De quel côté êtes-vous ? Bonne question

    Singer et Friedrich terminent leur essai en demandant : " De quel côté êtes-vous ? "

    Ils nous disent que les exploiteurs d’animaux sont tous opposés au bien-être animal et nous demandent si nous voulons être du côté de ces exploiteurs ou du côté de Singer et Friedrich, qui soutiennent le bien-être animal.

    Cette question pose problème à au moins deux égards.

    Elle suppose tout d’abord que si les exploiteurs d’animaux s’opposent au bien-être animal c’est probablement parce que ce bien-être est nuisible pour eux.

    C’est absurde et montre soit de la naïveté soit de la bêtise.

    Une industrie s’opposera à la réglementation même quand elle ne la conteste pas vraiment et même quand cette régulation peut s’avérer profitable.

    La modification fédérale en 1985 de l’Animal Welfare Act en est un exemple probant.

    Cette loi avait permis de créer des " comités de vigilance animale " pour surveiller les expériences impliquant des animaux.

    Ces comités n’ont pas seulement échoué à fournir toute limitation significative des expériences incluant des animaux, ils ont aussi isolé un peu plus la vivisection des examens publics qu’avant 1985.

    Les vivisecteurs se sont publiquement opposés à la modification de 1985 bien que nombre d’entre eux m’aient confié en privé que la modification était, du reste, peu nuisible à la pratique d’utiliser les animaux.

    Ils s’y sont opposés car ils sont contre le principe de toute réglementation gouvernementale dans ce domaine.

    Il serait difficile de trouver un vivisecteur qui dirait franchement que la modification de 1985 a fait quoi que ce soit pour réduire la vivisection et beaucoup d’entre eux sont à présent ravis de pouvoir dire au public qu’un comité passe en revue toutes les expériences incluant des animaux.

    De plus, Singer et Friedrich se trompent en affirmant qu’un grand nombre d’exploiteurs embrassent publiquement et ouvertement les réformes sur le bien-être applaudies par Singer et Friedrich.

    McDonald’s et d’autres les ont appliquées car ils comprennent que c’est là une bonne affaire. Ils ont effectué des changements minimes qui ont été plus que compensées par la belle publicité que leur ont faite d’importantes associations de protection animale.

    Un actionnaire de ces entreprises aurait raison de se plaindre s’ils n’avaient pas conclu cet " accord " avec PETA et d’autres organisations car il ne peut que maximiser la richesse de l’actionnaire.

    Généralement, je ne pense pas que des questions telles que " de quel côté êtes-vous " sont utiles mais je vais faire une exception dans ce cas et leur poser la même question.

    La voici :

    - Singer soutient que l’utilisation des animaux en soi ne pose pas de problème moral car la plupart des non humains n’ont aucun intérêt à continuer de vivre ;

    - Singer soutient que nous pouvons consommer des animaux de manière éthique ;

    - Singer considère qu’infliger des violences à des non humains est une manière acceptable de s’instruire sur l’exploitation animale ;

    - PETA tue (" euthanasie " n’est pas le mot approprié car il implique que la mort est donnée dans l’intérêt de l’animal) des milliers d’animaux sains car PETA semble partager le point de vue de Singer selon lequel les animaux n’ont aucun intérêt fondamental et moral à continuer de vivre. " Droits des animaux " signifie pour eux exécutions " humaines "

    - PETA soutient des campagnes embrassées par les entreprises exploitant des animaux et leur offre des récompenses.

    - PETA a complètement dénigré le mouvement des droits des animaux en transformant la question de leur exploitation en un énorme coup de pub et a fait du sexisme un thème récurrent de ses campagnes.

    Alors, de quel côté êtes-vous ?

    © Copyright 2006 by Gary L. Francione. Please do not reprint without permission. You may contact the author at : gfrancione@earthlink.net

    Une sélection de liens en complément à cet article :

    Abolition of Animal Exploitation : The Journey Will Not Begin While We Are Walking Backwards” (texte original en anglais
    “ANIMALS (LOST) IN TRANSLATION Animal Rights vs Animal Abuse “

    The Animal Rights Industry Reflections on the Exploitation of Nonhuman Suffering”

    Notes :

    [1] " Welfariste " est un terme dérivé de l’anglais " welfarist " et définit une idéologie axée sur le bien être des animaux et n’est pas incompatible avec leur exploitation. Le mot s’oppose à " abolitionniste ", axé sur l’abolition de l’exploitation des animaux sous quelque forme que ce soit. (N.d.T.).

    [2] Temple Grandin (née le 29 août 1947), Professeur de l’Université du Colorado est une spécialiste de renommée internationale en structures de stockage animalier (livestock en anglais).

    Propriétaire d’une entreprise de conseils sur les conditions d’élevage des animaux qui a fait d’elle une expert de renommée en conception d’équipements pour le bétail, Temple Grandin est également professeur en sciences animales de l’université de Fort Collins (Colorado)..

    [3] Méthode d’insensibilisation et d’immobilisation des animaux par passage d’un courant électrique dans le cerveau..

    [4] Whole Foods est la plus importante chaîne de magasins biologiques aux Etats-Unis.

    [5] L’utilitarisme est une doctrine éthique (dans le sens comportemental) qui pose en hypothèse que ce qui est " utile " est bon et que l’utilité peut être déterminée d’une manière rationnelle. Le père de cette philosophie est Jeremy Bentham.

    C’est cependant avec l’apport de John Stuart Mill que l’utilitarisme devient une philosophie véritablement élaborée. fr.wikipedia.org/wiki/Utilitarisme ∑ Principe selon lequel la valeur de toute chose est fonction de son utilité. www.samizdat.qc.ca/vc/theol/dict_rb.htm.

    [6] Le vocabulaire utilisé par Singer et Mason est largement plus vulgaire.

    [7] Relatif aux caractéristiques propres à chaque individu, qui le distinguent des autres et qui déterminent sa façon particulière de réagir à son milieu et aux agents extérieurs..

    [8] Vegan dans le texte original. Le mot commence à s’utiliser en français également. Cette définition implique le fait de refuser toute forme d’exploitation animale.

    http://www.veganimal.info/article.php3?id_article=548

  • Gary Francione : "Les animaux ne sont pas une marchandise"

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    LES ANIMAUX NE SONT PAS UNE MARCHANDISE

    POUR L’ABOLITION DE L’ANIMAL ESCLAVE

    (Monde diplomatique – août 2006)

    NOUS ADORONS NOS CHIENS ET NOS CHATS DOMESTIQUES, RAFFOLONS DES DESSINS ANIMÉS OU DES FILMS ANIMALIERS, ET CEPENDANT NOTRE COMPORTEMENT À L'ÉGARD DES ANIMAUX EN GÉNÉRAL PROUVE NOTRE INSENSIBILITÉ ET NOTRE COMPLICITÉ PASSIVE DEVANT LEUR IMMENSE SOUFFRANCE. TANT QUE L'ANIMAL CONTINUERA D'ÊTRE UNE PROPRIÉTÉ ET QU'IL SERA CONSIDÉRÉ COMME UN BIEN MARCHAND, SES SUPPLICES SE POURSUIVRONT.

    Par Gary L. FRANCIONE

    Selon le ministère américain de l'agriculture, les États-Unis, à eux seuls, abattent plus de huit milliards d'animaux par an destinés à l'alimentation. Chaque jour, plus de vingt-deux millions d'entre eux sont sacrifiés dans les abattoirs américains, c'est-à-dire plus de neuf cent cinquante mille par heure, seize mille par minute !

    Malgré les progrès effectués ces dernières années, ils continuent d'être maintenus dans des conditions d'élevage intensif effrayantes, mutilés de diverses manières, sans produit antidouleur, transportés sur de longues distances tassés dans des conteneurs exigus et insalubres, pour être finalement exécutés dans les cris, la puanteur et la saleté d'un abattoir.

    Les animaux sauvages ne sont guère mieux lotis. Aux États-Unis, environ deux cents millions d'entre eux sont, chaque année, victimes de la chasse. Des millions d'autres sont utilisés pour la recherche biomédicale et l'essai de nouveaux produits.

    On mesure sur eux l'effet des toxines, des maladies rares, des molécules expérimentales, des radiations, des tirs d'armes à feu, et ils sont soumis à de multiples formes physiques ou psychologiques de privation.

    S'ils survivent aux expérimentations, ils sont presque toujours tués ensuite, ou recyclés pour d'autres expériences qui, cette fois, auront raison de leur résistance.

    Cirques, zoos, carnavals, parcs d'attractions, spectacles de dauphins et autres utilisent les animaux à seule fin de divertir. Près de quarante millions d'animaux à fourrure sont abattus chaque année pour la mode ...

    Avant le XIXe siècle, les animaux étaient considérés comme des objets. Même pour Descartes, le gémissement d'un chien était semblable au crissement d'un mécanisme ayant besoin d'huile (1). Parler de nos obligations morales envers les animaux, « machines créées par Dieu », n'avait, pour l'auteur du Discours de la méthode, pas plus de sens que de parler de nos obligations morales envers les horloges, machines créées par l'homme.

    Cent mille litres d'eau pour un kilo de viande

    Le principe humaniste du traitement médical des bêtes souffrantes et l'application des lois sur le bien-être animal qui en résulte supposent que nous acceptions de nous demander si la souffrance animale est inévitable. Si le fait de ne pas utiliser des animaux pour notre confort nous cause plus de préjudices que la souffrance n'en cause aux animaux.

    En général, l'intérêt de l'homme l'emporte, et la souffrance animale est considérée comme un « mal nécessaire ». Par exemple, la loi britannique régulant l'utilisation des animaux de laboratoire exige, avant qu'une expérience soit engagée, une évaluation des « possibles effets nocifs sur les animaux concernés par rapport au bénéfice pouvant en découler (2) ».

    Pour qu'une interdiction de la souffrance animale ait une portée minimale, il faut qu'elle condamne toute douleur infligée uniquement par plaisir, amusement ou convenance (3). Porter un manteau de fourrure, imposer aux cobayes de multiples tests pour les produits ménagers ou pour de nouvelles marques de rouges à lèvres ne relève pas d'intérêts vitaux pour l'être humain.

    De même, manger de la viande est considéré par la plupart des nutritionnistes comme nuisible pour la santé. Par ailleurs, des experts écologistes ont souligné les dégâts de l'élevage intensif sur notre environnement. Pour chaque kilogramme de protéines animales fourni, la bête d'élevage doit consommer environ six kilogrammes de protéines végétales et de fourrage. De surcroît, produire un kilogramme de viande requiert plus de cent mille litres d'eau. Alors que la production d'un kilogramme de blé en exige à peine neuf cents ...

    L'incohérence entre nos actes et nos pensées au sujet des animaux vient de leur statut de propriété (4). Selon la loi, « les animaux sont des propriétés, au même titre que des objets inanimés comme les voitures ou les meubles (5) ». Les animaux sauvages sont considérés comme appartenant au patrimoine de l'Etat, qui les met à la disposition du peuple ; mais ils peuvent devenir la propriété d'individus, en particulier par le biais de la chasse, du dressage ou du confinement.

    La « souffrance » des propriétaires de ne pouvoir jouir de leur « propriété » à leur gré compte plus que la douleur de l'animal. Dès lors qu'il s'agit d'intérêts économiques, il n'existe plus de limite à l'utilisation ou au traitement abusifs des bêtes. L'élevage intensif, par exemple, est autorisé parce qu'il s'agit d'une exploitation institutionnalisée et acceptée. Les industriels de la viande estiment que les pratiques consistant à mutiler les animaux, quelles que soient les souffrances endurées par ceux-ci, sont normales et nécessaires.

    Les tribunaux présument que les propriétaires n'infligeront pas intentionnellement à leurs bêtes des sévices inutiles qui diminueraient leur valeur marchande (6). Les lois sur le bien-être animal visent à protéger les animaux dans la mesure ou ceux-ci demeurent des biens monnayables. Les évolutions de l'industrie agroalimentaire en leur faveur répondent généralement à des critères de rendement économique, les animaux ayant valeur marchande (7).

    Pour faire évoluer le statut de l'animal dans nos sociétés, nous devons appliquer le principe d' « égalité de considération ») (selon lequel il faut traiter de façon égale des cas semblables), une notion essentielle à toute théorie morale. Même s'il existe un grand nombre de différences entre les humains et les animaux, une chose fondamentale au moins nous rapproche : notre capacité à souffrir. Si notre désir de ne pas faire souffrir inutilement les animaux revêt quelque signification, nous devrions alors leur accorder une égalité de considération.

    Le problème est que l'application de ce principe a déjà échoué du temps de l’esclavage, qui autorisait des hommes à exercer un droit de propriété sur leurs semblables. L'esclave étant considéré comme un bien, son propriétaire pouvait ne pas tenir compte de ses intérêts si cela ne lui était pas économiquement profitable. On admettait, certes, que l'esclave pouvait ressentir de la souffrance.

    Toutefois, les lois pour le respect de son bien-être n'ont pas abouti, pour les mêmes raisons qu'échouent de nos jours celles pour le respect du bien-être animal. Aucune véritable limite n'est fixée à notre droit de propriété. Les intérêts des esclaves n'étaient préservés que lorsqu'ils généraient du profit pour les propriétaires ou servaient leurs caprices.

    À l'heure actuelle, l'intérêt d'un être humain à ne pas être considéré comme propriété est protégé par un droit. Avoir le droit fondamental de ne pas être traité comme une propriété est une condition minimale pour exister en tant que personne. Nous devons étendre aux animaux ce droit que nous avons décidé d’appliquer à tous les hommes.

    Cela n'éradiquerait pas toute forme de souffrance, mais cela signifierait que les animaux ne pourraient plus être utilisés comme source de profit. Pourquoi jugeons-nous acceptable de chasser des animaux, de les emprisonner dans des cirques et des zoos, de les utiliser dans des expérimentations et de les manger, autrement dit de leur faire subir ce que nous n'oserions jamais infliger à aucun être humain ?

    La thèse selon laquelle les hommes sont pourvus de caractéristiques mentales complètement absentes chez les animaux est contradictoire avec la théorie de l’évolution. Darwin affirmait qu'il n'existait pas de caractéristiques exclusivement humaines : « La différence d'intelligence entre l'homme et l'animal le plus évolué est une question de degrés et non d'espèce. »

    Les animaux sont capables de penser, de sentir et de produire des réponses émotionnelles semblables à celles des humains. Darwin notait qu' « un animal vivant en collectivité éprouve des sentiments d'amour envers les autres » et que les animaux sont réceptifs à la détresse de leurs congénères.

    Même si nous ne sommes pas en mesure d'évaluer la nature précise de la conscience animale, il semble évident que tout être doué de perception est conscient et possède une existence mentale continue.

    Le professeur Antonio Damasio, un neurologue travaillant avec des personnes victimes d'infarctus cérébraux et de graves dommaages au cerveau, atteste que ces malades possèdent ce qu'il nomme une « conscience noyau ». Les sujets souffrant d'amnésie transitoire n'ont aucune notion du passé ou du futur mais conservent une conscience de leur corps par rapport aux objets et aux événements présents.

    Darnasio affirme que de nombreuses espèces animales détiennent cette même conscience noyau (8). Le fait qu'ils n'aient pas de notion autobiographique de leur vie (du moins, à notre connaissance) ne signifie pas qu'ils n'aient pas une existence mentale continue, ni qu'ils n'éprouvent nul intérêt à vivre, ni qu'être tué leur soit indifférent.

    Les animaux possèdent une intelligence considérable et sont capables de traiter une information de façon sophistiquée. Comme les humains, ils communiquent avec les membres de leur propre espèce. Il est prouvé, par exemple, que les grands singes utilisent un langage symbolique.

    Aucune créature, à part l'homme, n'est peut-être capable de se reconnaître dans un miroir, mais aucun humain n'a non plus l'aptitude de voler, ou de respirer sous l'eau sans assistance. Pourquoi la capacité de se reconnaître dans un miroir ou d'utiliser le langage articulé serait-elle supérieure, au sens moral du terme, au pouvoir de voler ou de respirer sous l'eau ?

    La réponse, bien entendu, est que nous le proclamons. Mais il n'existe aucune raison de conclure que les caractéristiques prétendument humaines justifient le fait que nous traitions l'animal comme une propriété marchande. Certains hommes sont privés de ces caractéristiques, et pourtant nous ne les considérons pas comme des objets.

    Par conséquent, la question centrale n'est pas : « Les animaux peuvent-ils raisonner ? Ou peuvent-ils parler ? Mais bien : peuvent-ils souffrir ? » (Bentham).

    Si nous voulons que leurs intérêts soient respectés, nous n'avons qu'un droit à leur accorder : celui de ne plus être assimilés à de simples marchandises.

    _______

    Notes :

    (1) René Descartes, Discours de la méthode, Ve partie (sur l'animal-machine) (1637).

    (2) Cf. Animals (Scientific Procedures) Act, Londres, 1986. Cf. pour l'Union européenne, la directive 86/609/CEE du 24 novembre 1986, relative à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d'autres fins scientifiques.

    (3) Lire les entretiens avec Gary L Francione : www.friendsofanimals.org/programs/animal-rights/interview... et http://veganrevolutlon.free.fr/documents/itwfrancionefran...

    (4) La conception occidentale moderne de la propriété, selon laquelle les ressources sont des biens définis qui appartiennent ou sont assignés à des individus particuliers à l'exclusion de tout autre, trouve son origine, selon la Bible, dans la décision de Dieu d'accorder aux hommes le pouvoir de régner sur le monde animal (Genèse, I, 26, et I, 28).

    (5) Godfrey Sandys·Winsch. Animal Law, Shaw, Londres, 1978.

    (6) En ce qui concerne la protection de l'animal de ferme en Europe, le 30 mars 2006 s'est tenue à Bruxelles la première conférence de l'Union européenne sur le bien-être animal : http://ec.europa. eu/food/animal/welfare/index_en.htm

    (7) Par exemple, un conseiller de la chaîne de restauration rapide McDonald's a déclaré: « Des animaux en bonne santé, bien soignés, permettent à l’industrie de la viande de fonctionner efficacement, sans problème et avec un bon rendement. » Cf. Temple Grandin, Recommended animal handling guidelines for meat packers, American Meat Institute Foundation, Washington DC, 2005.

    (8) Cf. Antonio R. Damasio, Spinoza avait raison, Odile Jacob, Paris, 2004 ; et « Oui, il y a une biologie des sentiments », (entretien avec Antonio Damasio), L'Express, Paris, 7 juin 2004.

    Gary L. Francione est professeur à la Rutgers University School of Law, Newark, (New Jersey, États-Unis) où il dirige un enseignement consacré au droit des animaux (http://www.animal.org).

    Auteur entre autres de : Introduction to Animals Rights, Temple University Press, Philadelphie 2000.

    Ce texte est tiré de son intervention au colloque " Théories sur les droits des animaux et le bien-être animal " qui s’est tenu à l’Université de Valence (Espagne) du 15 au 19 mai 2006.

  • Gary Francione : "Pour l'abolition de l'animal-esclave"

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    La théorie des droits de l’animal selon Gary L. Francione

    Pour l’abolition de l’animal-esclave

    Nous adorons nos chiens et nos chats domestiques, raffolons des dessins animés ou des films animaliers, et cependant notre comportement à l’égard des animaux en général prouve notre insensibilité et notre complicité passive devant leur immense souffrance.

    Tant que l’animal continuera d’être une propriété et qu’il sera considéré comme un bien marchand, ses supplices se poursuivront.

    Le texte qui suit est une synthèse, effectuée par la rédaction du Monde diplomatique, des théories de Gary L. Francione pour l’abolition de l’exploitation animale telles qu’il les a exposées au colloque « Théories sur les droits des animaux et le bien-être animal », à l’université de Valence (Espagne), en mai 2006.

    * * *

    Selon le ministère américain de l’agriculture, les Etats-Unis, à eux seuls, abattent plus de huit milliards d’animaux par an destinés à l’alimentation ; chaque jour, plus de vingt-deux millions d’entre eux sont sacrifiés dans les abattoirs américains, c’est-à-dire plus de neuf cent cinquante mille par heure, seize mille par minute !

    Malgré les progrès effectués ces dernières années, ils continuent d’être maintenus dans des conditions d’élevage intensif effrayantes, mutilés de diverses manières, sans produit antidouleur, transportés sur de longues distances tassés dans des conteneurs exigus et insalubres, pour être finalement exécutés dans les cris, la puanteur et la saleté d’un abattoir.

    Les animaux sauvages ne sont guère logés à meilleure enseigne.

    Aux Etats-Unis, environ deux cents millions sont, chaque année, victimes de la chasse.

    Des millions sont également utilisés pour la recherche biomédicale et l’essai de nouveaux produits.

    On mesure sur eux l’effet des toxines, des maladies rares, des molécules expérimentales, des radiations, des tirs d’armes à feu, et ils sont soumis à de multiples formes physiques ou psychologiques de privation.

    S’ils survivent aux expérimentations, ils sont presque toujours tués juste après, ou recyclés pour d’autres expériences qui, cette fois, auront raison de leur résistance.

    Cirques, zoos, carnavals, parcs d’attractions, spectacles de dauphins et autres utilisent les animaux à la seule fin de divertir. Près de quarante millions de bêtes à fourrure sont abattues chaque année pour la mode...

    Avant le XIXe siècle, les animaux étaient considérés comme des objets.

    Même pour Descartes, un chien qui gémissait était semblable au crissement d’un mécanisme ayant besoin d’huile (1).

    Parler de nos obligations morales envers les animaux, « machines créées par Dieu », n’avait, pour l’auteur du Discours de la méthode, pas plus de sens que de parler de nos obligations morales envers les horloges, machines créées par l’homme.

    Cent mille litres d’eau pour un kilo de viande

    Le principe humaniste du traitement médical des bêtes souffrantes et l’application des lois sur le bien-être animal qui en résulte supposent que nous acceptions de nous demander si la souffrance animale est inévitable.

    Si le fait de ne pas utiliser des animaux pour notre confort nous cause plus de préjudice que la souffrance n’en cause aux animaux.

    En général, l’intérêt de l’homme l’emporte, et la souffrance animale est considérée comme un « mal nécessaire ».

    Par exemple, la loi britannique régulant l’utilisation des animaux de laboratoire exige, avant qu’une expérience soit engagée, une évaluation des « possibles effets nocifs sur les animaux concernés par rapport au bénéfice pouvant en découler (2) ».

    Pour qu’une interdiction de la souffrance animale ait une portée minimale, il faut qu’elle condamne toute douleur infligée uniquement par plaisir, amusement ou convenance (3).

    Porter un manteau de fourrure, imposer aux cobayes de multiples tests pour les produits ménagers ou pour de nouvelles marques de rouges à lèvres ne relève pas d’intérêts vitaux pour l’être humain.

    De même, manger de la viande est considéré par la plupart des nutritionnistes comme nuisible pour la santé.

    Par ailleurs, des experts écologistes ont souligné les dégâts de l’élevage intensif sur notre environnement.

    Pour chaque kilogramme de protéines animales fourni, la bête d’élevage doit consommer environ six kilogrammes de protéines végétales et de fourrage.

    De surcroît, produire un kilogramme de viande requiert plus de cent mille litres d’eau.

    Alors que la production d’un kilogramme de blé en exige à peine neuf cents…

    L’incohérence entre nos actes et nos pensées au sujet des animaux vient de leur statut de propriété (4).

    Selon la loi, « les animaux sont des propriétés, au même titre que des objets inanimés comme les voitures ou les meubles (5) ».

    Les animaux sauvages sont considérés comme appartenant au patrimoine de l’Etat, qui les met à la disposition du peuple ; mais ils peuvent devenir la propriété d’individus, en particulier par le biais de la chasse, du dressage ou du confinement.

    La « souffrance » des propriétaires de ne pouvoir jouir de leur « propriété » à leur gré compte plus que la douleur de l’animal.

    Dès lors qu’il s’agit d’intérêts économiques, il n’existe plus de limite à l’utilisation ou au traitement abusifs des bêtes.

    L’élevage intensif, par exemple, est autorisé parce qu’il s’agit d’une exploitation institutionnalisée et acceptée.

    Les industriels de la viande estiment que les pratiques consistant à mutiler les animaux, quelles que soient les souffrances endurées par ceux-ci, sont normales et nécessaires.

    Les tribunaux présument que les propriétaires n’infligeront pas intentionnellement à leurs bêtes des sévices inutiles qui diminuerait leur valeur monétaire (6).

    Les lois sur le bien-être animal visent à protéger les animaux dans la mesure où ceux-ci demeurent des biens monnayables.

    Les évolutions de l’industrie agroalimentaire en leur faveur répondent généralement à des critères de rendement économique, les animaux ayant une valeur marchande (7).

    Pour faire évoluer le statut de l’animal dans nos sociétés, nous devons appliquer le principe d’« égalité de considération » (selon lequel il faut traiter de façon égale des cas semblables), une notion essentielle à toute théorie morale.

    Même s’il existe un grand nombre de différences entre les humains et les animaux, une chose fondamentale au moins nous rapproche : notre capacité à souffrir.

    Si notre désir de ne pas faire souffrir inutilement les animaux revêt quelque signification, nous devrions alors leur accorder une égalité de considération.

    Le problème est que l’application de ce principe a déjà échoué du temps de l’esclavage, qui autorisait des hommes à exercer un droit de propriété sur leurs semblables.

    L’esclave étant considéré comme un bien, son propriétaire pouvait ne pas tenir compte de ses intérêts si cela ne lui était pas économiquement profitable.

    On admettait, certes, que l’esclave pouvait ressentir de la souffrance.

    Toutefois, les lois pour le respect de son bien-être n’ont pas abouti, pour les mêmes raisons qu’échouent de nos jours celles pour le respect du bien-être animal : aucune véritable limite n’est fixée à notre droit de propriété.

    Les intérêts des esclaves n’étaient préservés que lorsqu’ils généraient du profit pour les propriétaires ou servaient leurs caprices.

    A l’heure actuelle, l’intérêt d’un être humain à ne pas être considéré comme propriété est protégé par un droit.

    Avoir le droit fondamental de ne pas être traité comme une propriété est une condition minimale pour exister en tant que personne.

    Nous devons étendre aux animaux ce droit que nous avons décidé d’appliquer à tous les hommes.

    Cela n’éradiquerait pas toute forme de souffrance, mais cela signifierait que les animaux ne pourraient plus être utilisés comme source de profit.

    Pourquoi jugeons-nous acceptable de chasser des animaux, de les emprisonner, de les exhiber dans des cirques et des zoos, de les utiliser dans des expérimentations et de les manger, autrement dit de leur faire subir ce que nous n’oserions jamais infliger à aucun être humain ?

    La thèse selon laquelle les hommes sont pourvus de caractéristiques mentales complètement absentes chez les animaux est contradictoire avec la théorie de l’évolution.

    Darwin affirmait qu’il n’existait pas de caractéristiques exclusivement humaines : « La différence d’intelligence entre l’homme et l’animal le plus évolué est une question de degré et non d’espèce. »

    Les animaux sont capables de penser, de sentir et de produire des réponses émotionnelles semblables à celles des humains.

    Darwin notait qu’« un animal vivant en collectivité éprouve des sentiments d’amour envers les autres » et que les animaux sont réceptifs à la détresse de leurs congénères.

    Même si nous ne sommes pas en mesure d’évaluer la nature précise de la conscience animale, il semble évident que tout être doué de perception est conscient et possède une existence mentale continue.

    Le professeur Antonio Damasio, un neurologue travaillant avec des personnes victimes d’infarctus cérébraux et de graves dommages au cerveau, atteste que ces malades possèdent ce qu’il nomme une « conscience noyau ».

    Les sujets souffrant d’amnésie transitoire n’ont aucune notion du passé ou du futur mais conservent une conscience de leur corps par rapport aux objets et aux événements présents.

    Damasio affirme que de nombreuses espèces animales détiennent cette même conscience noyau (8).

    Le fait qu’ils n’aient pas de notion autobiographique de leur vie (du moins, à notre connaissance) ne signifie pas qu’ils n’aient pas une existence mentale continue, ou qu’ils n’éprouvent nul intérêt à vivre, ou que les tuer leur soit indifférent.

    Les animaux possèdent une intelligence considérable et sont capables de traiter une information de façon sophistiquée.

    Comme les humains, ils communiquent avec les membres de leur propre espèce. Il est prouvé, par exemple, que les grands singes utilisent un langage symbolique.

    Aucune créature, à part l’homme, n’est peut-être capable de se reconnaître dans un miroir, mais aucun humain n’a non plus l’aptitude de voler, ou de respirer sous l’eau sans assistance.

    Pourquoi la capacité de se reconnaître dans un miroir ou d’utiliser le langage articulé serait-elle supérieure, au sens moral du terme, au pouvoir de voler ou de respirer sous l’eau ?

    La réponse, bien entendu, est que nous le proclamons.

    Mais il n’existe aucune raison de conclure que les caractéristiques prétendument exclusives à l’être humain justifient le fait que nous traitions l’animal comme une propriété marchande.

    Certains hommes sont privés de ces caractéristiques, et pourtant nous ne les considérons pas comme des objets.

    Par conséquent, la question centrale n’est pas : les animaux peuvent-ils raisonner ? Ou peuvent-ils parler ? Mais bien : peuvent-ils souffrir ?

    Si nous voulons que leurs intérêts soient respectés, nous n’avons qu’un droit à leur accorder : celui de ne plus être assimilés à de simples marchandises.

    Alimentation, Animal, Idées, Industrie, Violence

    Professeur à la Rutgers University School of Law, Newark (New Jersey, Etats-Unis), où il dirige un enseignement consacré aux droits des animaux (www.animal-law.org). Auteur, entre autres, de : Introduction to Animal Rights, Temple University Press, Philadelphie, 2000. Ce texte est tiré de son intervention au colloque « Théories sur les droits des animaux et le bien-être animal » qui s’est tenu à l’université de Valence (Espagne) du 15 au 19 mai 2006.

    (1) René Descartes, Discours de la méthode, Ve partie (sur l’animal-machine) (1637).

    (2) Cf. Animals (Scientific Procedures) Act, Londres, 1986. Cf. pour l’Union européenne, la directive 86/609/CEE du 24 novembre 1986, relative à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques.

    (3) Lire les entretiens avec Gary L. Francione : www.friendsofanimals .org/programs/a... ; et http://veganrevolution.fr ee.fr/docu...

    (4) La conception occidentale moderne de la propriété, selon laquelle les ressources sont des biens définis qui appartiennent ou sont assignés à des individus particuliers à l’exclusion de tout autre, trouve son origine, selon la Bible, dans la décision de Dieu d’accorder aux hommes le pouvoir de régner sur le monde animal (Genèse, I, 26, et I, 28).

    (5) Godfrey Sandys-Winsch, Animal Law, Shaw, Londres, 1978.

    (6) En ce qui concerne la protection de l’animal de ferme en Europe, le 30 mars 2006 s’est tenue à Bruxelles la première conférence de l’Union européenne sur le bien-être animal.

    (7) Par exemple, un conseiller de la chaîne de restauration rapide McDonald’s a déclaré : « Des animaux en bonne santé, bien soignés, permettent à l’industrie de la viande de fonctionner efficacement, sans problème et avec un bon rendement. » Cf. Temple Grandin, Recommended animal handling guidelines for meat packers, American Meat Institute Foundation, Washington DC, 2005.

    (8) Cf. Antonio R. Damasio, Spinoza avait raison, Odile Jacob, Paris, 2004 ; et « Oui, il y a une biologie des sentiments » (entretien avec Antonio Damasio), L’Express, Paris, 7 juin 2004.

    Édition imprimée — août 2006 — Page 20

    http://www.monde-diplomatique.fr/2006/08/A/13752

  • Entretien avec Gary Francione sur l’abolitionnisme par opposition aux réformes sur le bien-être animal

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    Gary L. Francione, spécialiste de la question animale en droit, a accepté de répondre aux questions de Virginie Bronzino du site d’information VegAnimal.

    Cet entretien a été réalisé en décembre 2005 avec l’aide de Rebecca Palmer.

    Gary L. Francione est professeur de droit à la Rutgers University School of Law de Newark, au New Jersey.

    Il enseigne le sujet des droits des animaux ainsi que le droit depuis plus de 20 ans.

    Il a donné des conférences sur les droits des animaux partout aux États-Unis, au Canada et en Europe et a été invité à de nombreuses émissions de radio et de télévision.

    Il est l’auteur des ouvrages Animals, Property, and the Law (1995) [Les animaux, la propriété et la loi], Rain Without Thunder : The Ideology of the Animal Rights Movement (1996) [La pluie sans le tonnerre : l’idéologie du mouvement des droits des animaux] et Introduction to Animal Rights : Your Child or the Dog ? (2000) [Introduction aux droits des animaux : votre enfant ou le chien ?], ainsi que de plusieurs articles de journaux, rubriques encyclopédiques et articles de magazines portant sur les droits des animaux non humains.

    Son dernier livre, Animals Rights, Animal Welfare, and the Law [Les droits des animaux, le bien-être des animaux et le droit], sera publié en 2007.

    Il a écrit, en collaboration avec Anna E. Charlton, le livre Vivisection and Dissection in the Classroom : A Guide to Conscientious Objection (1992) [Vivisection et dissection en classe : un guide pour l’objection de conscience].

    M. Francione a représenté, à titre gratuit, de nombreux défenseurs des animaux, ainsi que des groupes locaux et des organismes nationaux et internationaux de protection des animaux.

    Gary Francione est un personnage bien connu du mouvement de protection des animaux pour sa critique du bien-être animal, sa théorie abolitionniste en faveur des droits des animaux fondés uniquement sur la conscience animale et sa promotion du véganisme à titre d’engagement personnel pour l’abolition.

    * * *

    Gary, en tant que juriste et professeur de droit, qu'entendez-vous par "droits des animaux" ? Qu'enseignez-vous exactement à vos étudiants concernant les droits des animaux ?

    On peut difficilement condenser 25 années de réflexion ainsi que des milliers de pages écrites en une brève réponse, mais voici ma position.

    Dans un premier temps, la réglementation de l’exploitation des animaux, comme les mesures visant à imposer des cages d’élevage en batterie plus spacieuses pour les poulets, n’a rien à voir avec les droits des animaux.

    Il s’agit d’ailleurs de l’argument central de mon livre Animals, Property, and the Law. La position en faveur des droits entraîne l’ abolition et non la réglementation de l’exploitation des animaux.

    Dans un deuxième temps, comme je le soutiens dans Introduction to Animal Rights : Your Child or the Dog ? , l’abolition exige la reconnaissance d’un droit moral, soit celui de ne pas être traité comme une propriété ou comme une chose.

    Le problème vient du fait que nous voyons les animaux comme des marchandises qui ne possèdent que la valeur que nous voulons bien leur attribuer.

    J’insiste sur le fait que le droit de ne pas être une propriété constitue principalement un droit moral et non un droit légal.

    Plus concrètement, si notre manière de traiter les non-humains doit subir une transformation importante et significative, celle-ci ne se concrétisera que s’il se produit un changement de paradigme dans notre réflexion morale et qu’un grand nombre de personnes acceptent que l’esclavage animal est une pratique condamnable.

    La loi pourrait par la suite contraindre l’observation de cette position morale, mais celle-ci ne peut être imposée par la loi.

    Nous sommes toutefois loin d’un changement de paradigme dans la réflexion morale qui est nécessaire à une telle transformation.

    Dans un troisième temps, l’action de sensibilisation la plus significative que peuvent mener les tenants de la position en faveur des droits est de devenir végans, et par conséquent de rejeter le statut de propriété des non-humains de leur propre vie.

    Ensuite, c’est de sensibiliser d’autres personnes au véganisme.

    Je doute fort que l’utilisation du système juridique produise de bons résultats à ce point-ci puisque le mieux qu’on puisse espérer est une réglementation encore plus portée vers le bien-être, ce qui allège peu, voire pas du tout, la souffrance animale et va au contraire à l’encontre du but recherché.

    Comme j’en discute dans Rain Without Thunder : The Ideology of the Animal Rights Movement, si les défenseurs des animaux souhaitent canaliser leurs énergies dans des campagnes législatives ou juridiques, ils devraient demander l’interdiction, et non la réglementation, des diverses facettes de l’exploitation des animaux.

    Par exemple, j’ai prétendu qu’il était préférable d’interdire l’utilisation de non-humains dans des types particuliers d’expérimentation plutôt que d’établir des règles visant à poursuivre ces expériences de façon plus "humaine".

    Nous pouvons, grâce à des interdictions, nous diriger de plus en plus vers l’abolition du statut de propriété des non-humains.

    Mais j’insiste sur le fait qu’aucune forme de défense des animaux ne peut se substituer ou être supérieure au véganisme et aux campagnes visant à sensibiliser les gens au véganisme, plus particulièrement à cette étape-ci.

    Dans un quatrième temps, je ne crois pas que la solution consiste à octroyer aux animaux une qualité d’agir en justice afin qu’ils puissent intenter des poursuites, ni à augmenter les pénalités imposées pour avoir enfreint les lois contre la cruauté envers les animaux, lesquelles ne s’appliquent du reste qu’à seulement à un petit nombre d’entre eux.

    La question n’est pas de savoir si la vache devrait avoir le droit légal de poursuivre le fermier pour traitement cruel ; la question est de savoir pourquoi la vache existe au départ.

    Si nous prenions les animaux au sérieux d’un point de vue moral, nous cesserions de faire naître des animaux domestiques pour nos propres besoins et n’officialiserions pas cette exploitation en demandant davantage de réglementation au sein du système juridique.

    Dans un cinquième temps, si nous cessions de faire naître des animaux domestiques, les seuls conflits qui subsisteraient concerneraient les humains et les animaux vivant à l’état sauvage.

    Si nous considérions que ces non-humains ont une valeur intrinsèque, nous devrions alors respecter leur milieu et ne pas résoudre les conflits en utilisant des méthodes pouvant leur faire du mal ou les tuer.

    Autrement, nous devrions les laisser tranquilles.

    L’animal n’est-il pas le meilleur client au monde pour un avocat ? Il ne pourra jamais protester et virer son avocat s’il ne le défend pas correctement.

    Pensez-vous que certaines personnes choisissent d’être défenseurs et porte-parole des animaux pour cette raison ?

    Je ne prétends pas être en mesure de connaître les motivations des autres personnes.

    Mais je pense toutefois que votre question soulève un problème corollaire important qui concerne le mouvement de protection des animaux dans son ensemble et pas uniquement la profession juridique.

    Les défenseurs des animaux n’ont pas à rendre de compte à leurs groupes de partisans, comme les autres mouvements pour la justice sociale.

    Cela veut dire que si nous, les humains, nous trompons, les non-humains ne peuvent pas nous dire que nous nous sommes trompés.

    Cette situation confère aux défenseurs des animaux la responsabilité bien particulière de devoir réfléchir soigneusement aux positions qu’ils adoptent et d’être très attentifs à ne pas laisser des considérations financières dicter ces positions.

    Beaucoup de grandes organisations vouées à la protection des animaux, plus particulièrement aux États-Unis, choisissent des campagnes, me semble-t-il, en fonction de leur capacité pressentie à recueillir des dons.

    Par exemple, de nombreux groupes hésitent à adopter la position que le véganisme devrait constituer une base du mouvement parce qu’ils ne veulent pas risquer d’offusquer ceux qui ne sont pas végans et se priver de leur contribution.

    Des problèmes du même genre existent chez les avocats.

    Par exemple, de nombreux « avocats des animaux » intentent des poursuites contre des vétérinaires ayant commis des fautes professionnelles ou encore s’occupent de fiducies constituées au nom d’animaux de compagnie au décès de leur propriétaire, parce qu’ils veulent éviter les questions les plus controversées et difficiles et parce que les causes qui supposent (et qui renforcent) le statut de propriété des animaux sont plus lucratives.

    Certains protecteurs des animaux expliquent que s’ils ont choisi de s’occuper des animaux plutôt que des humains, c’est parce que ce sont des créatures innocentes en opposition - selon eux - aux humains responsables de leur destin et donc coupables de ce qu’ils leur arrivent : comme, par exemple, être SDF, prostituée, avoir le Sida, etc.

    Comment réagissez-vous à cette opinion ?

    Bien que je sois d’accord qu’il existe une différence entre les humains et les non-humains quand il est question de responsabilité morale, je ne peux accepter l’idée que les droits humains ne sont pas importants parce que les humains peuvent être responsables dans une certaine mesure de leurs propres problèmes.

    Je constate qu’il existe une relation étroite entre la question de l’exploitation des humains et celle des non-humains, et la question des droits humains et celle des droits des non-humains.

    J’enseigne d’ailleurs un cours à la Rutgers University intitulé " Droits Humains et Droits des Animaux ".

    Bien que nous assimilions les non-humains à des marchandises de la façon la plus extrême en les traitant comme des biens personnels, nous faisons également de même avec les humains. Le monde est toujours en proie au racisme, au sexisme, à l’homophobie et au classisme (discrimination envers une personne d’une autre classe sociale).

    Et, à certains endroits, l’esclavage humain existe toujours.

    Tant et aussi longtemps que ces formes de discrimination existeront, les humains seront victimes d’injustice.

    La discrimination fondée sur l’espèce représente le même phénomène appliqué aux non-humains.

    Nous ne progresserons jamais aux dépens de la discrimination fondée sur l’espèce tant que nous accepterons la discrimination exercée contre des membres de notre propre espèce ou que nous ne comprendrons pas que la justice doit s’appliquer à tous les animaux, humains et non humains.

    Comment expliquez-vous le fait que les éleveurs, propriétaires de cirque, particuliers qui possèdent des oiseaux, reptiles, poissons etc., affirment qu’ils aiment sincèrement leurs animaux ?

    Beaucoup de propriétaires d’esclaves dans l’Amérique du XIXe siècle soutenaient qu’ils "aimaient" leurs esclaves.

    Et ils le pensaient probablement jusqu’à un certain point. Le fermier ou l’exploitant de cirque est comme le propriétaire d’esclaves.

    Les exploiteurs d’humains et de non-humains voient habituellement l’objet de leur exploitation comme un être inférieur ; ils considèrent l’exploitation comme une activité "naturelle", et la domination, comme une forme d’affection.

    Les hommes qui maltraitent les femmes prétendent souvent les "aimer".

    Le problème vient du fait qu’ils conceptualisent les femmes de telle manière que l’exploitation semble "naturelle".

    Plus précisément, ils voient l’homme comme un supérieur naturel et la femme comme une inférieure naturelle.

    Dans un pareil contexte, l’affection et les abus sont conciliables.

    Dans un même ordre d’idée, de nombreuses personnes vivent avec des chiens, des chats ou d’autres compagnons.

    Elles considèrent ces non-humains comme des membres de leur famille.

    Il ne fait aucun doute pour eux que ces non-humains ont une conscience animale, qu’ils peuvent penser, éprouver des émotions, etc.

    Quand ces non-humains décèdent, leurs compagnons humains éprouvent du chagrin, parfois même davantage qu’au décès d’un parent humain.

    Mais ces mêmes personnes qui voient leurs compagnons non humains comme des membres de la famille plantent leur fourchette dans d’autres animaux qui ne sont pas différents de leurs compagnons.

    C’est ce que j’appelle la "schizophrénie morale" dans le livre Introduction to Animal Rights.

    Pensez-vous vraiment que si l’animal n’est plus traité comme une propriété, cela suffit à faire abolir son exploitation ?

    La Déclaration des Droits de l’Homme n’a pas fait stopper l’esclavage et la marchandisation humaine.

    Au contraire, cela donne l’illusion au grand public que l’esclavage humain n’existe plus ou qu’il se résume à la traite des noirs au XVIIe siècle.

    La marchandisation humaine n’a t-elle jamais été aussi présente aujourd’hui, alors qu’officiellement, l’humain n’est plus considéré comme une "propriété" ?

    Bien que nous n’ayons pas éliminé l’esclavage des humains, celui-ci est considéré comme inacceptable par les lois de presque tous les pays ainsi qu’en vertu du droit international.

    Personne ne défend l’esclavage des humains.

    En revanche, ces mêmes lois et ce même droit considèrent que l’esclavage animal est acceptable et la plupart d’entre nous le soutenons en mangeant et en utilisant des produits d’origine animale.

    Nous ne pouvons ignorer le rôle que joue le statut de propriété des animaux dans le phénomène de leur exploitation.

    Comme je l’ai affirmé dans le livre Animals, Property, and the Law, tant et aussi longtemps que les animaux seront une propriété, ils ne recevront que peu de protection, voire aucune.

    L’éradication du statut de propriété des animaux doit être le principal but des défenseurs des animaux.

    Et la première étape, c’est de devenir végan.

    Si les non-humains n’étaient plus notre propriété, existe-il une quelconque garantie qu’ils ne seraient jamais exploités ?

    Non, bien entendu.

    Rien de ce que nous pouvons faire ne peut garantir l’éradication de l’exploitation.

    Il est question ici de changer des attitudes morales fondamentales.

    Plus il y aura de gens qui seront convaincus que l’exploitation des animaux est en soi inacceptable, et plus de gens accepteront le véganisme, moins il y aura d’exploitation et plus il sera possible de faire adopter des lois visant à protéger l’identité individuelle des non-humains plutôt que de demander une meilleure réglementation de l’esclavage des animaux.

    Comment peut-on sensibiliser nos congénères au fait qu’il ne faut pas exploiter et marchandiser d’autres espèces alors que nous exploitons et marchandisons notre propre espèce ?

    Selon les plus récentes statistiques officielles, le trafic des êtres humains est aujourd’hui en deuxième position après celui de la drogue... dans l’indifférence générale.

    Comment expliquez-vous le fait qu’un trafiquant de produits stupéfiants soit condamné à de plus lourdes peines de prison qu’un trafiquant d’êtres vivants sensibles ?

    Je ne suis pas certain que nous puissions vraiment expliquer notre indifférence face au trafic des êtres humains ni le fait que nous traitons les crimes liés à la drogue avec plus de sévérité que les crimes liés au trafic d’êtres humains.

    Les lois qui interdisent la possession ou la distribution de drogues sont souvent utilisées par diverses sociétés pour contrôler les minorités et les populations défavorisées, et elles ont peu à voir avec une réelle préoccupation liée à la consommation de ces substances.

    Il n’est malheureusement pas en mon pouvoir ni en celui d’un défenseur des droits des humains ou des animaux d’éliminer de la planète tous les maux sociaux qui l’affligent.

    Mais il est absolument en mon pouvoir, ainsi qu’en celui de chacun, d’abolir l’exploitation animale de nos vies en devenant végans.

    En devenant végans, nous reconnaissons le droit moral des non-humains à ne pas être une propriété.

    C’est la chose la plus facile que chacun de nous puisse faire afin de prendre une position morale contre le statut de propriété des animaux et l’exploitation des animaux, ainsi que, et de loin, la chose la plus efficace que nous puissions accomplir pour réduire la souffrance des non-humains.

    Vera Sharav, présidente de Citizens for Responsible Care in Psychiatry and Research, a déclaré :

    "En matière de protection contre les chercheurs trop zélés, les animaux ont plus de droits que les hommes" [1].

    L’emploi du mot "droits" dans cette citation est-il justifié autant pour les animaux que pour les hommes ?

    N’est-il pas dérangeant de constater qu’il existe une mobilisation pour dénoncer les animaux dans les labos et pas d’activistes qui protestent contre la recherche médicale sur des êtres humains ?

    Que penser de certains défenseurs des animaux qui trouvent acceptable d’utiliser des humains non consentants, comme les prisonniers et les handicapés, pour subir des expérimentations ?

    Quant à la question de savoir si les animaux utilisés aux fins d’expérimentation possèdent plus de droits que les humains, la réponse est que les animaux n’ont aucun droit.

    Il est absurde de déclarer que les animaux possèdent plus de droits que les humains. Aux États-Unis, il n’existe pour ainsi dire aucune limite à ce qui peut-être fait aux non-humains dans les laboratoires.

    Il y a bien des règlements qui prévoient la quantité d’eau que les animaux doivent recevoir ainsi que la dimension de leur cage, mais ces règlements sont minimaux et se préoccupent davantage de l’intégrité de la démarche scientifique (comme par exemple du fait que l’augmentation du stress puisse compromettre l’expérience).

    Certaines lois exigent que les humains fournissent un consentement éclairé avant de faire l’objet d’une expérience, et il existe des limites concrètes à ce qui peut leur être fait.

    La question de savoir si les lois qui s’appliquent aux humains sont toujours efficaces ou si elles devraient être renforcées tant dans l’esprit qu’en ce qui touche leur application est une autre affaire.

    Mais il est hors de tout doute que les animaux utilisés dans le cadre d’expériences ne bénéficient pour ainsi dire d’aucune protection.

    Quant à votre question portant sur la dénonciation de l’expérimentation humaine, je reconnais qu’il est dérangeant de voir des personnes s’opposer à l’utilisation de non-humains dans des expériences mais ne pas s’objecter à celle d’humains dans le cadre d’expériences où il n’y a pas de consentement éclairé ou encore lorsqu’on utilise des personnes qui sont vulnérables.

    Je suis toujours consterné et déçu d’entendre des "défenseurs des animaux" soutenir qu’ils n’ont aucune objection à ce que l’on utilise des prisonniers ou des humains ayant une déficience intellectuelle et qui ne sont pas en mesure de donner un consentement valable.

    Il est très malheureux de constater que de nombreux "défenseurs des animaux" ont des opinions politiques très réactionnaires.

    Vera Sharav n’a-t-elle pas simplement confondu "bien-être" avec "droits" ? C’est une erreur commune également faite par les associations animales. Des organisations utilisent le terme de "droits des animaux" pour se définir malgré le fait qu’elles sont pour le bien-être animal (comme PeTA).

    N’est-il pas troublant de constater que les premières lois qui régissaient les animaux en laboratoire remontent à 1876 [2] tandis que les humains utilisés dans les expérimentations ont dû attendre 1964 avec la Déclaration d’Helsinki ?

    Et que pensez-vous des scientifiques antivivisectionnistes qui veulent abolir l’utilisation des humains dans les études médicales de phase I car ces "volontaires" sains mettent en danger leur santé (pour de l’argent), même s’ils signent un "consentement éclairé" ? [i].

    Je pense que Mme Sharav tient pour acquis que les lois ou les règles qui régissent l’exploitation animale assurent des droits aux animaux.

    Comme je le soutiens dans Animals, Property, and the Law, ce n’est pas du tout le cas.

    Et vous avez raison de dire que les "défenseurs des animaux" sont du même avis que Mme Sharav.

    Comme la plupart des groupes de défense des animaux ne préconisent plus l’abolition, le concept de "droits des animaux" est lié à la réglementation dite welfariste, ou axée sur leur bien-être.

    En ce qui touche l’expérimentation sur les humains, je conviens que tout le concept du "consentement éclairé" pose un problème, vu les questions sérieuses qu’il soulève quant aux deux aspects suivants, à savoir (1) si les humains qui prennent part aux expériences ont été convenablement "informés" et (2) s’il est possible, dans certains cas, de fournir un consentement éclairé.

    Par exemple, le prisonnier ou le toxicomane qui a besoin d’argent pour acheter de la drogue est-il en mesure de donner un consentement éclairé ?

    Je ne le crois pas.

    La réglementation de l’expérimentation sur les humains entraîne un très grand nombre de problèmes fort sérieux.

    Mais je crois aussi que les lois qui touchent l’expérimentation sur les humains, bien que très loin de la perfection tant en théorie qu’en pratique et en application, diffèrent fortement des lois et de la réglementation qui régissent l’expérimentation sur les animaux.

    Ces dernières n’offrent aucune véritable protection aux non-humains et supposent de manière explicite que les animaux peuvent être tués au nom des besoins des humains.

    Doit-on se battre contre un groupe oppresseur par rapport au NOMBRE de ses victimes ?

    Certains défenseurs des animaux ne militent que pour les animaux de ferme [3] négligeant chasse et expérimentation animale car, selon eux, cela ne tue pas autant d’animaux que l’industrie de la viande.

    Si l’on suit cette logique, les Nations Unies n’ont-elles pas eu raison de ne pas intervenir au Rwanda, puisque le génocide ne concernait qu’un million de personnes ?

    Je n’ai jamais été en faveur de la hiérarchisation du mal et en plus je doute fort qu’une intervention militaire des États-Unis ait quoi que ce soit à avoir avec des questions morales plutôt qu’avec les intérêts économiques de l’Amérique.

    La plupart des problèmes dans le monde sont causés d’entrée de jeu par les politiques des "pays industrialisés".

    Quoi qu’il en soit, je demeure persuadé que la priorité du mouvement est de promouvoir le véganisme en tant qu’unique façon de vivre qui respecte le fait que les non-humains ont une valeur intrinsèque et qu’ils ne devraient pas être traités comme des choses.

    Quel bien cela peut-il faire si vous passez votre journée à manifester contre la vivisection et que vous rentrez ensuite chez vous pour manger de la viande ou des produits laitiers ?

    Et quelle est la différence entre un chasseur et un consommateur qui achète de la chair morte ou des produits laitiers à l’épicerie ?

    Ce n’est pas une simple question de chiffres.

    Il faut se rendre compte que les choses ne changeront vraisemblablement pas avant qu’il se produise un virage social en faveur de l’abolition.

    Ce virage produira une vague de fond politique qui permettra encore mieux de promovoir un changement.

    Mais si les "défenseurs des animaux" eux-mêmes pensent qu’il est acceptable pour eux d’exploiter les animaux, quel espoir reste-t-il ?

    Je crois certainement que les défenseurs des animaux devraient s’opposer à la chasse et à la vivisection ainsi qu’à toute autre forme d’exploitation.

    Et je crois simplement que le point de départ devrait être le véganisme.

    Une fois que vous avez réussi à convaincre les gens qu’ils devraient être végans, il est facile de s’opposer ensuite aux autres formes d’exploitation.

    J’aimerais ajouter qu’il est peu probable que nous réussirons à convaincre les gens de s’opposer à la vivisection avant de les convaincre d’accepter le véganisme.

    Pensez-y !

    Bien que je ne crois pas que la vivisection soit bénéfique pour la santé humaine, la plupart des gens ne sont pas de cet avis et les idées reçues sont plutôt que la vivisection est nécessaire si nous voulons guérir les maladies, ainsi que pour d’autres raisons.

    Il n’est pas nécessaire de consommer des produits d’origine animale.

    Il est peu probable que la personne qui croit que l’on peut exploiter les animaux en cas de nécessité soutienne l’abolition d’une action si, justement, on en invoque la nécessité.

    Le but de l’invention de la guillotine était d’exécuter "humainement" les prisonniers. Cette invention aurait-elle repoussée l’abolition de la peine de mort en France ? [4]

    Oui, absolument.

    Il en va de même à l’heure actuelle aux États-Unis, où la plupart des États sont passés de l’électrocution, de la pendaison ou de l’utilisation de gaz asphyxiants à l’injection mortelle.

    De nombreux Américains considèrent que cette dernière méthode est "humaine", de sorte qu’elle retardera probablement l’abolition de la peine de mort pendant encore un grand nombre d’années.

    On peut, bien entendu, établir le parallèle avec l’exploitation des animaux.

    Dans Rain Without Thunder ainsi que dans d’autres ouvrages, je soutiens que la réglementation dite welfariste, ou axée sur le bien-être, qui cherche à "humaniser" l’exploitation des animaux, fait peu de choses pour aider les animaux et réconforte plutôt beaucoup plus les humains sur l’exploitation des non-humains.

    Il est très clair que les efforts visant le bien-être des animaux perpétuent leur exploitation.

    Que pensez-vous de la déclaration faite par David Bowles du RSPCA (association anglaise de protection animale) pendant qu’il remît à McDonald’s une récompense pour son traitement humain des animaux : "Ce qui est important n’est pas que vous tuez du bétail, c’est comment vous le tuez" ? [5].

    Je suis fortement en désaccord sur au moins deux points. En premier lieu, le fait que nous tuions le bétail est important.

    Le commentaire de M. Bowles reflète la position adoptée par Peter Singer ainsi que par d’autres, selon laquelle les animaux ne sont pas intéressés à leur propre vie mais bien uniquement à ne pas souffrir.

    Par conséquent, ce n’est pas la façon dont nous utilisons les animaux qui pose problème, c’est comment nous les traitons.

    Cette position est de la discrimination fondée sur l’espèce.

    Il est tout simplement absurde de dire que les vaches et les autres non-humains n’ont pas d’intérêt envers leur propre vie.

    C’est le fondement théorique de la position en faveur du bien-être des animaux, position que je rejette.

    Je remarque que M. Singer est souvent décrit par les défenseurs des animaux comme le "père du mouvement pour les droits des animaux".

    Rien ne saurait être plus éloigné de la vérité.

    La position adoptée par M. Singer est en faveur de la réglementation du bien-être des animaux, et non pas pour l’abolition de leur exploitation.

    En deuxième lieu, je ne crois pas que les améliorations apportées par McDonalds sur le plan du bien-être signifient quoi que ce soit.

    Je crois que ces mesures réduisent très peu la souffrance, voire pas du tout.

    Mais ce dont je suis certain, c’est qu’en remettant une récompense à McDonalds, nous encourageons la consommation de produits d’origine animale.

    Il est malheureux que la RSPCA, PETA ainsi que d’autres prétendus groupes " de défense des animaux " fassent l’éloge de McDonalds et d’autres grandes entreprises qui exploitent les animaux.

    Je dois également ajouter à ce point-ci que je ne veux pas que mes commentaires soient interprétés comme des attaques visant l’intégrité de certaines personnes.

    Par exemple, j’ai collaboré étroitement avec PETA voilà plusieurs années. Je connais bien Ingrid Newkirk.

    Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’Ingrid se préoccupe beaucoup des animaux non-humains et qu’elle veut les aider.

    Je ne suis tout simplement pas d’accord avec la manière qu’elle utilise pour leur venir en aide.

    Il y a quelques années, l’association internationale PeTA (Pour un traitement éthique des animaux) avait organisé une campagne (Holocaust on a plate) montrant le parallèle entre l’industrialisation actuelle de l’abattage des animaux de ferme et l’extermination des prisonniers juifs dans les camps nazis.

    Au même moment, PeTA lançait une autre campagne demandant à KFC de gazer leurs poulets plutôt que de leur trancher la tête.

    Le gazage n’est-il pas lui aussi un crime abominable fait aux... poulets ?

    Je ne suis pas d’accord avec la campagne visant à convaincre KFC de gazer ses poulets. PETA a lancé de nombreuses campagnes du même ordre, toutes axées sur le bien-être.

    Le message explicite que l’on entend ici est que si KFC adopte le gazage, elle se sera engagée sur une voie plus "humaine", comme McDonalds si l’on en croit PETA, ce qui rendra plus "acceptable" le fait d’aller manger à KFC.

    J’imagine qu’Ingrid Newkirk croit pouvoir augmenter sa base de donateurs si elle peut faire en sorte que les clients de ces sociétés se sentent heureux d’y aller. Je soupçonne qu’elle est dans le vrai.

    Sa stratégie est une excellente décision sur le plan des affaires. Mais c’est une catastrophe pour les animaux.

    Il me faut ajouter que je ne suis pas non plus en faveur des comparaisons entre l’exploitation des animaux non-humains et l’Holocauste, sauf dans la mesure où il est dans les deux cas question de beaucoup de morts.

    Là où se situe le problème est que puisque notre société considère que les animaux non-humains sont des choses, la comparaison est perçue comme dénigrant les victimes humaines plutôt que comme élevant les victimes non humaines, et l’on perd ainsi toute valeur d’analogie.

    En outre, je crois qu’il faut analyser de manière différente les différentes formes d’exploitation. Nous exploitons les animaux non-humains pour des raisons, en grande partie, d’ordre économique.

    L’extermination des Juifs ou de tout autre groupe par les Nazis était attribuable à une forme de haine qui, à mon avis, ne caractérise pas les sentiments que la plupart des humains entretiennent envers les non-humains.

    En décembre 2005, la Commission européenne a organisé une consultation sur l’attitude du public à l’égard du bien être et de la protection des animaux d’élevage, l’une des questions était :

    "Pensez-vous que si la production de denrées alimentaires était soumise à de meilleures conditions de bien-être et de protection des animaux, cela aurait pour effet : de rendre les produits alimentaires plus acceptables d’un point de vue éthique ?"

    Que pensez-vous du choix de l’expression "plus acceptables d’un point de vue éthique" ?

    Plus généralement, comment réagiriez-vous à ce type de questionnaire ?

    Poser cette question revient à demander s’il serait " plus acceptable d’un point de vue éthique " de battre des esclaves humains cinq fois par semaine plutôt que dix.

    Il est toujours mieux d’infliger moins de mal que d’en infliger davantage, mais on ne cible pas ainsi la question fondamentale :

    L’esclavage, tout "humain" soit-il, est-il moralement justifiable ?

    La même analyse s’applique à la position en faveur du bien-être animal.

    Les tenants du welfarisme soutiennent que l’exploitation des animaux est " plus acceptable sur le plan éthique " si nous les traitons mieux...

    D’un côté, c’est vrai, puisque comme dans le cas de l’esclavage, il est toujours préférable d’infliger moins de douleur que d’en infliger plus.

    Mais la position axée sur le bien-être évite ainsi la question fondamentale :

    L’esclavage des animaux, quelque " humain " qu’il soit, est-il moralement acceptable ?

    Comme je l’ai écrit, je ne crois pas que l’utilisation des animaux puisse être justifiée moralement, et j’estime que les défenseurs des animaux devraient se préoccuper avant tout de promouvoir le message abolitionniste que porte le véganisme.

    Le véganisme est le principe de l’abolition appliqué à la vie de la personne. Il n’existe aucune distinction logique entre la viande et les autres produits d’origine animale, comme le lait ou le fromage.

    Les non-humains exploités dans l’industrie laitière vivent plus longtemps que leurs congénères qui le sont pour leur viande, ils sont traités plus mal durant leur vie et ils finissent au même abattoir, après quoi nous consommons leur chair.

    Il y a probablement plus de souffrance dans un verre de lait ou dans un bol de crème glacé qu’il y en a dans un steak.

    Le véganisme est la seule solution morale cohérente.

    Le bien-être des animaux, par opposition à l’abolition de leur exploitation, est non seulement indéfendable en théorie, mais pose également des problèmes d’ordre pratique.

    Les réformes sur le bien-être animal font en réalité très peu de choses, voire rien du tout, pour soulager la souffrance animale.

    Ces réformes axées sur le bien-être peuvent plutôt faire augmenter la souffrance puisqu’elles rendent le public plus à l’aise face à l’exploitation des animaux et qu’elles encouragent par le fait même la consommation.

    Il n’existe aucune preuve rétrospective indiquant que les réformes sur le bien-être conduisent à l’abolition.

    Nous avons des lois sur le bien-être animal dans l’Ouest depuis maintenant près de 200 ans et nous exploitons aujourd’hui encore plus d’animaux et de façon encore plus horrible qu’à toute autre époque de l’histoire humaine.

    Il est facile de monter et de vendre de telles campagnes et celles-ci n’offusquent personne et ne conduisent pas la société vers un quelconque changement significatif et soutenu.

    Le problème est justement là.

    Personne ne conteste le principe qu’il est mal d’infliger une souffrance " non nécessaire ", mais comme en font foi 200 ans de bien-être animal, c’est un principe vide de toute substance à la lumière du statut de propriété des animaux.

    Ce questionnaire n’est-il pas simplement une stratégie pour donner bonne conscience aux consommateurs et essayer de gagner la confiance de ceux qui se sont détournés de la viande à cause de scandales alimentaires comme la vache folle ou les poulets à la dioxine ?

    Que pensez-vous des associations de protection animale (comme PeTA et PMAF) qui ont demandé à leurs militants de remplir ce questionnaire ?

    Le questionnaire a pour but de renforcer l’idée que la question fondamentale qui est en jeu est le traitement des non-humains plutôt que leur utilisation pure et simple, et d’établir un lien entre les questions se rapportant au traitement des animaux et les questions de sécurité alimentaire.

    Je ne savais pas que PeTA et CIWF avaient demandé à leurs membres de remplir le questionnaire, mais si c’est le cas, je ne suis pas du tout surpris.

    Je dois souligner encore une fois que la plupart de ces organismes de charité sont axés sur le bien-être et, comme pour le questionnaire de la Commission Européenne, qu’elles concentrent leurs politiques sur la réglementation et non sur l’abolition.

    Selon Hans Ruesh, le père de l’anti-vivisectionnisme : "Les militants du bien-être animal sont nos pires ennemis" [6]. L’expression "pires ennemis" est-elle justifiée ?

    Je ne crois pas qu’il soit très utile de diviser le monde en " amis " et en " ennemis ".

    Je crois très certainement que le bien-être des animaux pose de nombreux problèmes pour toutes sortes de raisons, notamment parce qu’il fait très peu de choses, voire rien du tout, pour réduire la souffrance animale et qu’il promouvoit et augmente, d’une certaine façon, la souffrance animale en faisant en sorte que le public se sente mieux face à l’exploitation des animaux.

    Je crois également que les groupes dits welfaristes (défendant le bien-être animal) ont causé beaucoup de tort en étouffant le débat sur ces problèmes ainsi que sur la question morale fondamentale de l’utilisation, quelque "humaine" qu’elle soit, des non-humains.

    Il existe très peu de discussions sur la question des droits par rapport au bien-être des animaux dans le mouvement parce que tout désaccord avec PETA ou avec toute autre grande organisation axée sur le bien-être est tout de suite interprété comme un germe de dissension ou un manque de loyauté.

    Le mouvement de défense des animaux d’aujourd’hui ressemble, sous divers aspects, beaucoup plus à une secte qu’à un mouvement de justice sociale.

    Les militants de l’association anglaise Hunt Saboteurs ne sont pas abolitionnistes et se positionnent sur un discours de bien-être animal.

    N’ont-ils pas fait plus pour les animaux avec leurs commandos d’actions directes que la majorité des bobos vegans citadins préférant les restaurants vegs branchés aux actions de confrontations avec des groupes oppresseurs comme les chasseurs ?

    Je crois que l’on commet une erreur très sérieuse en minimisant l’importance du véganisme. Le véganisme représente l’abolition.

    Un bourgeois végan peut être sensibilisé à d’autres questions politiques.

    Je constate que les partisans du bien-être sont souvent très réticents à l’égard du véganisme.

    Je n’en connais pas assez sur Hunt Saboteurs pour pouvoir en parler en connaissance de cause.

    Les associations écologistes françaises sont très dynamiques pour dénoncer les OGM.

    Parallèlement, on n’entend jamais les associations de protection animale dénoncer les AGM (Animaux Génétiquement Modifiés).

    Selon vous, pourquoi les associations de protection animale ne condamnent-elles pas la fabrication de ces animaux ?

    N’y aurait-il pas un lien avec le fait que les animaux transgéniques sont majoritairement des rongeurs et des cochons, 2 catégories d’animaux qui n’ont jamais eu la faveur de ces associations ?

    En règle générale, et comme je l’ai déjà dit auparavant pour répondre au commentaire de M. Bowles, les partisans du bien-être ne s’attardent habituellement pas à l’utilisation des animaux en elle-même, et ils acceptent la légitimité de l’exploitation des animaux de façon générale.

    Le problème est accentué lorsqu’il est question de cochons ou de rongeurs, étant donné qu’il est difficile de mener des campagnes de financement lucratives quand ces animaux sont en cause.

    La majorité des associations françaises de protection animale font des campagnes contre la cruauté du foie gras et appellent à l’arrêt de cette pratique tandis qu’elles ne communiquent jamais sur l’exploitation des vaches laitières en demandant un boycott des produits laitiers.

    N’y aurait-il pas des combats politiquement corrects comme le foie gras, produit snob et futile par excellence, tandis que le lait de vache est toujours considéré aussi indispensable et banal que la souffrance des animaux qui le produisent ?

    Comme je l’ai déjà dit, il n’existe aucune différence entre les produits à base de viande et les autres produits d’origine animale, comme le lait ou le fromage.

    Tous les produits d’origine animale sont inutiles et "élitistes". De nombreux défenseurs des animaux qui ne sont pas végans prétendent que le véganisme est " élitiste ". C’est le contraire qui est vrai. Il est " élitiste " de ne pas être végan.

    En novembre 2005 à Paris, une manifestation contre la fourrure organisée par plusieurs associations de protection animale revendiquait l’arrêt du commerce de la fourrure de chiens et chats... pas toutes les fourrures... seulement la fourrure de chiens et chats.

    Que vous inspire ce type de revendications ?

    Plus généralement, que pensez-vous des manifestations organisées par des associations sur des thèmes génériques comme la fourrure en comparaison aux protestations régulières et tout au long de l’année des groupes locaux anglais qui préfèrent cibler des magasins comme Harrods, Joseph, Zara, etc. ?

    Je ne m’objecte pas à ce que l’on interdise diverses pratiques d’exploitation tant et aussi longtemps qu’on ne fasse pas du même coup la promotion d’autres formes d’exploitation supposément plus "humaines" ou "meilleures".

    Certains défenseurs des animaux aux États-Unis, par exemple, prétendent que l’on devrait interdire la fourrure de chiens et de chats, mais que la fourrure provenant d’autres animaux, ou la laine des moutons, ou le cuir des vaches, est "mieux", sur le plan de l’éthique, que la fourrure de chiens et de chats.

    Je m’oppose à ce genre de campagne.

    En revanche, comme je l’ai soutenu dans Rain Without Thunder, et comme je l’ai dit plus tôt, je ne m’objecte pas à une augmentation des interdictions (éliminer le statut de propriété des non-humains en interdisant, plutôt qu’en réglementant, certains usages).

    En ce qui touche la stratégie d’interdiction générale plutôt que spécifique, je ne suis pas certain que cette dernière soit très efficace, plus particulièrement dans la conjoncture économique actuelle.

    Si des défenseurs persuadent Harrods de ne pas vendre un produit, quelqu’un d’autre va le faire à sa place.

    Nous devons cibler la demande, pas l’offre.

    PeTA, la plus importante et prospère association de protection animale au monde, pratique l’euthanasie de chats et chiens en parfaite santé "parce qu’ils sont trop nombreux et que cela coûte trop cher de s’en occuper" [7] - tandis que la philosophie de cette même organisation est de clamer que tous les animaux sont les ÉGAUX des hommes.

    En suivant leur logique, devrions-nous aussi euthaniser les humains quand ils sont trop nombreux et qu’ils coûtent trop cher à la société ?

    Tout d’abord, je ne crois pas que le mot "euthanasier" soit un choix judicieux dans ce contexte. L’euthanasie suppose une mort qui est dans l’intérêt de l’animal et la mort n’est jamais dans l’intérêt d’un animal non-humain en bonne santé.

    PETA n’euthanasie pas des animaux en bonne santé, elle les tue. Et PETA tue des animaux en bonne santé depuis longtemps déjà, ce n’est pas nouveau.

    Dans l’ouvrage Rain Without Thunder, j’ai raconté comment PETA tuait des animaux en parfaite santé à son "refuge" d’Aspen Hill dans les années 90.

    Je crois que cette pratique est déplorable. Elle démontre d’une manière très éloquente à quel point PETA est loin d’adopter une position en faveur des droits des animaux.

    "Le cul fait vendre", c’est aussi vieux que la prostitution. Qu’est ce qu’il y a de mal à utiliser le sexe, si cela peut aider à faire vendre de bonnes causes comme le végétarisme et l’oppression des animaux ?

    Comme je l’ai déjà dit, la discrimination fondée sur l’espèce est liée au sexisme et à d’autres formes de discrimination. Il est absurde de promouvoir le sexisme pour contrer la discrimation fondée sur l’espèce.

    Tant et aussi longtemps que nous continuerons à traiter les femmes comme de la viande, nous continuerons à traiter les non-humains de la même manière.

    Je m’oppose donc très fermement à l’utilisation du sexisme, du racisme, de l’homophobie ou de la violence pour pour faire des campagnes sur des sujets liés aux animaux.

    En outre, si le sexe peut faire vendre du parfum, je doute qu’il puisse influencer des choix éthiques d’une quelconque manière positive.

    Qu’aimeriez-vous dire aux "poulettes sexy" et autres protestant(e)s nu(e)s, lors de saynètes organisées par PeTA à travers le monde qui croient souvent sincèrement "faire ça pour aider les animaux" ?

    Je leur dirais d’aller se rhabiller et d’aller discuter de l’importance de l’abolition et du véganisme avec quiconque acceptera de les écouter, ou encore d’aller passer une journée à nourrir ou soigner un animal qui a été battu ou abandonné.

    Ce genre de spectacle a plus à voir avec la publicité médiatique de PETA et le nombrilisme des participants qu’avec l’aide apportée aux animaux.

    Ces personnes banalisent des questions importantes.

    Elles renforcissent le sexisme, ce qui en soi est incorrect (en perpétuant l’assimilation de la femme à une marchandise), et elles ne réussiront qu’à perpétuer la discrimination fondée sur l’espèce.

    Je peux vous assurer que si vous devez vous dénuder pour que les gens acceptent de vous écouter, vous n’aurez pas beaucoup d’ascendant sur leur réflexion morale.

    Voilà maintenant plus de dix ans que PETA a commencé sa campagne contre la fourrure.

    Et quel est le résultat ?

    L’industrie de la fourrure est plus forte qu’elle ne l’a jamais été.

    La démarche de PETA ne fonctionne pas, bien qu’elle capte à coup sûr l’attention des médias et qu’elle génère des dons.

    Quel déclic vous a fait devenir un militant de la cause animale ?

    Le déclic s’est produit quand j’ai visité un abattoir en 1978.

    Je suis immédiatement devenu végétarien.

    On ne pouvait lire presque rien sur le sujet à cette époque, et il n’y avait aucun mouvement organisé pour les "droits" des animaux.

    J’ai commencé à étudier la question et, en 1982, je suis devenu végan.

    Quel déclic vous a fait devenir vegan (mode de vie qui exclut toute forme d’exploitation animale dans la nourriture, vêtements, loisir etc) ?

    Quand j’ai réalisé qu’il n’y avait aucune différence entre la viande et les produits laitiers, ou entre la fourrure et le cuir ou la laine, etc.

    Je me suis rendu compte que je n’avais pas le choix si je voulais véhiculer cette valeur morale avec intégrité.

    En conclusion, comment voyez-vous l’évolution de la cause animale ?

    Au risque de me répéter, je crois fermement que le mouvement n’ira nulle part à moins qu’il n’adopte une position abolitionniste et végane.

    Le véganisme est l’application du principe de l’abolition à sa vie personnelle.

    Je rencontre souvent des défenseurs des animaux qui affirment être en faveur des droits des animaux et qui veulent abolir l’exploitation animale, mais qui continuent de manger des produits d’origine animale.

    Pour moi, c’est une forme de schizophrénie morale.

    Il n’y a pas de différence entre un défenseur des "droits" des animaux qui n’est pas végan et quelqu’un qui est contre l’esclavage humain mais qui possède encore des esclaves.

    Dans un cas ou dans l’autre, il est illogique d’adopter une position abolitionniste ou d’être pro-droits et de ne pas accepter que le véganisme soit la seule voie conséquente à prendre immédiatement pour que sa propre vie soit à l’image de ses convictions.

    Le véganisme est le rejet du statut de propriété des non-humains et la reconnaissance que ceux-ci ont une valeur propre.

    Certains défenseurs des animaux prétendent que le véganisme est une question de "philosophie personnelle" et qu’il ne devrait pas être assimilé à un principe de base du mouvement en faveur des droits.

    Ils affirment qu’il est "élitiste" de maintenir que le véganisme est un principe de base.

    Balivernes !

    Si le mouvement pour les droits des animaux ne peut adopter de position de principe sur une activité qui cause la souffrance et la mort de millions d’animaux pour la seule et unique raison que nous aimons le goût de leur chair et des produits qui en découlent, alors le mouvement ne peut prendre aucune position de principe sur aucune forme d’exploitation institutionnelle.

    Et il n’existe d’ailleurs rien de plus élitiste que la consommation de produits d’origine animale, qui engendre l’oppression et l’exploitation injustifiables de non-humains.

    Les défenseurs des animaux qui ne sont pas végans n’ont pas le droit d’accuser les autres d’"exploiter" les animaux.

    Bien qu’il soit impossible d’éviter complètement tous les produits d’origine animale (il en existe même dans les revêtements de chaussée !), si vous n’êtes pas végan, vous exploitez les animaux !

    Je ne suis pas d’accord avec ceux qui soutiennent que le système juridique sera en tête de peloton dans le combat pour les droits des animaux ou que d’importantes réformes du droit remplaceront l’évolution d’un mouvement politique et social de soutien des droits des animaux et d’abolition de l’exploitation animale.

    Autrement dit, il doit d’abord se produire un changement de paradigme sur cette question sociale avant que le système juridique ne réagisse de manière concrète.

    Et il n’existe à l’heure actuelle aucun mouvement abolitionniste organisé.

    Il n’y a qu’un mouvement "humain" dirigé par un groupe d’organismes élites qui veulent s’efforcer d’obtenir des contributions aussi élevées que possible en orchestrant des campagnes qui ne dérangeront pas le statu quo, ce qui, à mon avis, est pire que de ne rien faire.

    À vrai dire, la plupart des campagnes axées sur le bien-être des animaux, ou welfaristes, orchestrées par le mouvement collectif actuel font très peu, voire rien du tout, pour soulager les souffrances des animaux, si ce n’est de distiller au public une impression de vertu, et par conséquent, et elles préparent le terrain pour qu’il se produise encore plus d’exploitation.

    L’éducation portant sur le véganisme et l’abolitionnisme offre une statégie pratique et progressive, tant pour réduire immédiatement la souffrance animale que pour mettre en place un mouvement qui pourra éventuellement faire adopter des lois plus significatives que ne le peuvent les réformes dites welfaristes qui sont mises de l’avant par les grandes organisations nationales.

    À la fin des années 80, le monde de la défense animale aux États-Unis a décidé, de manière très délibérée, de poursuivre un programme axé sur le bien-être.

    Si l’on avait plutôt utilisé une tranche importante des ressources du mouvement pour sensibiliser et informer les gens sur le véganisme, il y aurait aujourd’hui, selon mon estimation, au moins 250 000 végans de plus qu’aujourd’hui.

    C’est un chiffre très conservateur si l’on tient compte des dizaines de millions de dollars qui ont été dépensés par les groupes de défense des animaux pour promouvoir des lois et des mesures axées sur le bien-être.

    Je maintiens que 250 000 végans de plus réduiraient davantage la souffrance en diminuant la demande de produits d’origine animale, et aideraient à ériger la plate-forme politique et sociale qui est absolument essentielle et nécessaire au changement social plus généralisé qui constitue le fondement nécessaire à la réforme du droit, que tous les " succès " welfaristes additionnés et même décuplés.

    Je suis également fortement en désaccord avec ceux qui croient que la violence est la seule voie à suivre.

    À mon avis, le mouvement pour les droits des animaux devrait représenter les idéaux de la non-violence.

    Nous devrions respecter toute forme de vie.

    Nous ne parviendrons jamais à changer le monde si nous faisons usage de violence.

    Si nous sommes dans le pétrin aujourd’hui, c’est parce que les humains pensent que la violence est justifiable.

    La violence est le problème, elle n’est jamais la solution.

    Pour terminer, voici mon conseil : devenez végan, et ensuite sensibilisez chaque personne qui voudra bien vous écouter aux nombreuses raisons pour lesquelles elle devrait devenir végane.

    Devenir végan est vraiment la chose la plus importante que nous puissions faire pour les animaux, de même que pour notre santé et l’environnement. Et chacun de nous peut y arriver.

    Merci, Gary Francione.

    © Copyright 2005 by Gary L. Francione. Please do not reprint without permission. You may contact the author at : gfrancione@kinoy.rutgers.edu

    D’autres liens à propos de Gary L. Francione :

    Animal Rights Law Project

    Animal Logic

    Debating Francione (and loving it)

    Animal rights and Animal welfare

    Notes :

    [1] Cette citation se trouve dans le livre "Au nom de la science" de Andrew Goliszek, au chapitre sur le scandale de Willowbrook State School qui dénonce la vivisection humaine et l’utilisation de personnes handicapées mentales pour des expérimentations.

    [2] 1876 : The British Cruelty to Animals Act introduced. Experimenters must apply for licenses each year, and any painful experiments require special permission. (In 1831 Marshall Hall, an animal researcher, proposes a Code of Ethics for experiments).

    [i] Primum non nocere (First, do no harm). Newsletter winter 05/06 of the Europeans For Medical Progress) :

    “In America, more than 75% of clinical trials financed by pharmaceutical companies are conducted by private, for-profit centres comprising a $14 billion industry, with poor immigrants comprising the overwhelming majority of subjects recruited. The enterprise is poorly regulated and riddled with conflicts of interest, with secretive review boards - charged with protecting participants’ safety - funded by the same drug companies that fund the test centres they are supposed to be regulating. The net result is that every year, trial participants are injured or killed”.

    To find out more about human experimentation on phase I, II III, IV, click HERE.

    [3] Chaque année en France, 1 milliard d’animaux d’élevage, entre 30 à 50 millions d’animaux-gibiers et environ 3 millions d’animaux en labo sont tués.

    [4] Cette abolition a été effective le 9 octobre 1981.

    [5] Cette déclaration peut être lu en cliquant sur ce lien : http://news.bbc.co.uk/2/hi/business....

    [6] Cette citation provient du livre " Vivisection or Science ? : An Investigation into Testing Drugs and Safeguarding Health" page 81, de Pietro Croce - Éditions Zed Books, 1999).

    [7] Selon les propres statistiques de PETA avec le Department of Agriculture and Consumer Services de la Virginie, pour la seule année 2004, PETA a tué 86.3% des animaux dont elle avait la charge.

    http://www.veganimal.info/article.php3?id_article=489&var_recherche=francione

  • Gary Francione, interview par Animal Voices (2 novembre 2004)

    L'image “http://img441.imageshack.us/img441/1010/garyfrancioneiiyj7.jpg” ne peut être affichée car elle contient des erreurs.

    Transcription d’une interview de Gary Francione donnée le 2 novembre 2004. Merci à Alex Chernavsky pour la réalisation.

    Lauren Corman (LC) : Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore Gary Francione, précisons d’emblée qu’il s’agit d’une personnalité très controversée au sein du mouvement des droits des animaux. On pourrait même dire que c’est un homme dont le passe-temps favori consiste à se faire des ennemis [rires]. Francione est un authentique frondeur, dont les idées vont à l’encontre de toutes les positions ordinaires actuellement en vigueur autour de la question animale.

    Rob Moore (RM) : Il est en effet d’une grande exigence envers le mouvement des droits des animaux, et je crois que c’est une bonne chose. Bien sûr, nous avons raison de nous congratuler les uns les autres, car nous en avons tous besoin. Mais nous avons aussi besoin de ces agitateurs qui nous disent : « Ok, formidable, mais qu’allons-nous faire maintenant pour que les choses bougent enfin ? »

    LC : Je partage le même sentiment que Gary Francione. Lorsque je fais l’inventaire des recherches que je mène depuis sept ans et que je regarde certains de nos résultats, la question me hante vraiment. Des choses qui semblaient parfaitement fondées s’avèrent finalement fausses en regard de ce qu’il écrit.

    Et je voudrais que les gens qui n’ont pas encore eu la chance de découvrir son oeuvre commencent par lire Introduction to Animal Rights: Your Child or the Dog qui répond à la question classique : si vous vous trouvez dans une maison en feu et que vous devez sauver votre enfant ou votre chien, qui allez-vous choisir ?

    C’est un livre vraiment excellent. Il épuise le sujet dès l’appendice (plutôt fournie) et consigne, de manière systématique et approfondie, les questions courantes auxquelles chaque activiste doit faire face un jour ou l’autre. Pour éviter de se trouver embarrassé au cours d’une discussion, il faut absolument consulter ces pages, parce qu’elles aident à adopter le raisonnement le plus juste.

    Et puis, bien sûr, il faut encore citer Rain Without Thunder, tout aussi fantastique. Gary est également l’auteur de l’excellent Animals, Property, and the Law, dont je crois me souvenir qu’il est son premier essai.

    Nous sommes donc très heureux de l’avoir aujourd’hui parmi nous, et je suis sûre qu’il va comme d’habitude se faire un plaisir de nous secouer les méninges. Merci d’être là, Gary.

    Gary Francione (GF) : Salut, tout le plaisir est pour moi.

    LC : Ça fait plaisir de vous voir à nouveau ici. Nous vous avions donné à lire une série de questions et nous sommes prêts à attaquer l’interview.

    GF : Ce sera un vrai miracle si nous parvenons à venir à bout de seulement quelques-unes d’entre elles... [rires]

    LC : Justement, nous allons devoir parler très vite...

    GF : Pas de problème, je suis new-yorkais…

    LC : Nous tenions d’abord à vous inviter afin de parler du foie gras. Mais avant d’aborder ce sujet, nous aimerions que vous nous expliquiez brièvement votre philosophie politique et que vous sensibilisiez les auditeurs à votre perspective.

    Ensuite, comme convenu, nous discuterons du foie gras, avant de revenir à votre philosophie de manière plus approfondie.

    Donc : quelle est, brièvement, votre vision politique de la question animale ?

    GF : Je suis un défenseur des droits des animaux et un abolitionniste. Cela signifie selon moi que nous devons abolir l’exploitation animale et non la réglementer.

    J’ai depuis longtemps une vision très critique à l’encontre de tout ce qui ressortit à la protection animale. Je ne pense pas que cette dernière fonctionne, que ce soit à court ou à long terme.

    Dans mon livre Rain Without Thunder, je démontre par exemple qu’il n’y a pas de preuve historique comme quoi ce système a permis de réduire la souffrance animale de quelque manière que ce soit et qu’il n’a en aucun cas montré la voie, contrairement à ce que prétendent de nombreux défenseurs qui pensent que nous devons poursuivre la stratégie welfariste, autrement dit accumuler les petits « progrès » afin de parvenir ultérieurement à l’abolition.

    Or, je le répète, il n’y a absolument aucune preuve historique qui permette de valider cette supposition.

    La protection animale est à l’œuvre depuis environ 200 ans. Or nous n’avons jamais utilisé autant d’animaux qu’aujourd’hui, de même que nous ne les avons jamais traités plus horriblement.

    Cela prouve que la protection animale, même à long terme, ne mène nullement à l’instauration de droits pour les victimes. Persévérer dans cette voie avec l’idée de parvenir un jour à l’abolition est de ce fait contestable.

    Ce système ne fonctionne même pas à court terme. Le projet de loi californien sur le foie gras, dont nous allons bientôt débattre, en est une excellente illustration.

    Auparavant, je voudrais donner un exemple encore plus éloquent, celui d’une campagne menée partout aujourd’hui mais qui a vu le jour aux Etats-Unis sous l’impulsion d’un certain nombre de groupes style PETA et d’individus tels que Peter Singer.

    Cette campagne consistait à soutenir l’adoption, par McDonald’s, d’un principe d’abattage dit « humain ». Tout ce petit monde a donc fait l’éloge de McDonald’s à travers tout un tas de déclarations spectaculaires censées montrer à quel point McDonald’s était une entreprise formidable pour avoir adopté ledit principe.

    Maintenant, admettons une seconde que la mise en œuvre de ce principe entraîne effectivement une petite réduction de souffrance. On peut se dire : « Formidable, les animaux souffrent un peu moins désormais. »

    Cependant on doit toujours envisager l’hypothèse selon laquelle les « améliorations » promises n’ont pas été appliquées (il y a d’ailleurs pas mal de controverses à ce sujet, pour savoir si elles l’ont été ou pas).

    Mais quand bien même ce serait le cas, quand bien même il y aurait en effet une réduction de la souffrance, on ne doit jamais perdre de vue le fait que la protection animale conduit seulement les gens à déculpabiliser par rapport à leur consommation d’animaux.

    Ainsi, une des conséquences de la promotion de McDonald’s par PETA a été que beaucoup de gens ont cru que McDonald’s traitait désormais les animaux « avec humanité » et qu’il devenait dès lors préférable, d’un point de vue moral, de manger chez McDonald’s. Dont acte !

    Il se trouve que j’ai depuis lors discuté avec pas mal de personnes – une expérience que je suis précisément en train de coucher par écrit. A toutes je leur ai demandé quelle était leur perception de McDonald’s depuis cette campagne.

    Et parmi celles qui s’y sont intéressées, beaucoup estiment qu’il est désormais plus justifiable de manger chez McDonald’s aujourd’hui qu’hier, puisque des associations radicales – ou plutôt supposées telles, comme PETA qui en fait est welfariste – en faisaient la promotion en affirmant que la firme traitait à présent les animaux « humainement ».

    Or je le répète, même dans l’hypothèse où il y aurait effectivement une petite réduction de souffrance, nous sommes tous d’accord pour dire que le « reste » du traitement (autrement dit les 99%...) est purement et simplement abominable.

    Et que si l’on augmente le nombre d’animaux consommés – étant donné que de plus en plus de gens vont chez McDonald’s en pensant que c’est plus éthique que par le passé –, on est en définitive en train d’augmenter la souffrance.

    Tel est l’un des problèmes posés à court ou à long terme par la protection animale : celui de déculpabiliser les gens par rapport à l’exploitation des animaux. Et dès que les gens déculpabilisent, ça veut dire que davantage d’animaux vont être exploités.

    Donc même s’il se peut – je dis bien « peut », parce que je crois fondamentalement que la plupart des mesures en question ne fonctionnent pas, même en proportion infinitésimale – même si elles marchaient, donc, leur principal effet reste d’encourager les gens à exploiter davantage les animaux, et donc d’accroître la souffrance.

    Par conséquent, la protection animale est une stratégie hautement contestable aussi bien sur le long terme (croire qu’elle mènera à l’abolition de l’exploitation) que sur le court terme (penser qu’elle permet de réduire la souffrance). Il s’agit là d’un non-sens absolu.

    RM : La protection animale apparaît donc contre-productive par rapport à ce que les partisans des droits des animaux s’efforcent d’accomplir.

    GF : Elle est effectivement contre-productive. On peut d’ailleurs comparer le débat qui oppose aujourd’hui la protection animale et les droits des animaux à ce qui s’est passé au XIXe siècle en Amérique à propos de l’esclavage, entre ceux qui voulaient son abolition et les autres qui demandaient simplement à ce qu’on le réglemente.

    Ces derniers étaient toujours déçus parce qu’ils ne comprenaient pas que les abolitionnistes ne les soutiennent pas alors qu’ils proposaient des lois pour rendre l’esclavage plus humain.

    Ils leur disaient : « Vous êtes donc pour plus de souffrance ? », et les abolitionnistes répondaient : « Bien sûr que non ! Simplement nous ne pensons pas que le but soit de rendre plus ‘humaine’ une institution fondamentalement injuste en soi. Nous pensons que nous devrions au contraire viser à l’abolition de l’esclavage, et sensibiliser l’opinion publique en ce sens. »

    Nous savons qui a finalement triomphé : ce n’étaient donc pas les abolitionnistes qui étaient irréalistes, mais les réglementationnistes, et ce à plusieurs niveaux.

    Il existe une réelle et profonde contradiction entre la protection animale et les droits des animaux, et cette contradiction est contre-productive aussi bien sur le plan pratique que philosophique.

    On me reproche souvent de produire des arguments purement théoriques, alors que je parle de stratégie aussi bien que de théorie. Les questions morales me préoccupent beaucoup. Il est donc logique que la philosophie morale me préoccupe également. Je plaide donc coupable !

    Mais la vérité est que je me préoccupe aussi de tactique et de stratégie, et que je ne vois rien de bien formidable à l’horizon… Je n’assiste pas à un nombre massif de victoires de la protection animale susceptibles de réduire significativement la souffrance des animaux ou même leur exploitation.

    Au contraire : tout ce que je vois est une accumulation de campagnes dénuées du moindre sens, dont non seulement il ne ressort rien mais qui en plus font empirer les choses au lieu de les améliorer.

    RM : Nous reparlerons de tout cela dans un moment. Maintenant que vous nous avez donné un bref aperçu de vous-même et des idées qui sont les vôtres, nous allons discuter de ce fameux projet de loi californien sur le foie gras.

    La vente ainsi que la production de foie gras vont donc être interdites en 2012, et le projet a été récemment signé par le Gouverneur Schwarzenegger. Le Farm Sanctuary organise le 17 novembre en l’honneur de Schwarzenegger et du Sénateur Burton une soirée à laquelle seront conviées de nombreuses personnalités.

    La plupart des défenseurs des animaux célèbrent également l’événement. Mais vous, Gary, vous déclarez contre ce projet. Pouvez-vous nous en dire la raison ?

    GF : Le projet auquel vous faites allusion est la parfaite illustration d’un phénomène extrêmement problématique au sein du mouvement, qui consiste à adopter une législation qui non seulement n’aide pas les animaux mais qui en plus leur porte préjudice.

    Je pense que 1520 [nom du projet de loi contre le foie gras déposé par la Californie et validé le 29 septembre 2004] est néfaste pour des raisons à la fois pratiques et théoriques. Penchons-nous d’abord sur les raisons pratiques.

    Un des plus gros groupes producteurs de foie gras est californien et s’appelle Sonoma. Il se trouve que cette loi protège explicitement Sonoma contre toute action civile ou criminelle, et ce jusqu’en 2012.

    Or une action civile contre ce groupe était justement en cours, à travers laquelle les plaideurs cherchaient à faire reconnaître la pratique du gavage comme une violation de la loi d’Etat anti-cruauté.

    Nous ne savons pas si ce procès aurait abouti ou non, mais le fait est que nous ne le saurons à présent jamais, parce que 1520 a eu pour effet de classer le procès définitivement et d’immuniser Sonoma contre toute action civile ou criminelle jusqu’en 2012.

    Il se trouve que j’avais noté quelques réflexions à propos de 1520 que j’ai envoyées aux organisations qui me demandaient mon avis. J’ai rédigé ces commentaires le 7 octobre, et ils ont ensuite été diffusés sur Internet, ce qui est bien – ça ne me pose pas de problème.

    L’une des choses que j’avais dites était que 1520 permettrait à Sonoma d’utiliser les huit prochaines années pour mener des expériences destinées à démontrer que la pratique du gavage était humaine, que la loi se verrait finalement abrogée et qu’elle ne serait jamais effective.

    Eh bien le résultat de tout cela, c’est que j’ai reçu un flot de courriels et de messages téléphoniques très hostiles de plusieurs défenseurs qui me reprochaient tout ou partie de ces fameux commentaires. Que j’aie déclaré que l’interdiction ne prendrait jamais effet et qu’il y avait de fortes chances pour qu’elle soit abrogée les énervait particulièrement.

    Et ce que je trouve très intéressant, c’est que le 27 octobre – soit trois semaines après que j’ai rédigé ces notes – le San Jose Mercury News de Californie rapportait que, je cite :

    « L’Université de Californie à Davis a travaillé en coulisses avec le Bureau du Gouverneur pour mettre au point un plan permettant au département des Sciences Animales et à l’Ecole Vétérinaire de mener des recherches afin de déterminer si la production de foie gras était humaine. Si les recherches démontrent que le processus est humain, cela pourrait être utilisé comme arme afin de remettre la loi en question. »

    L’article est long, mais une autre chose à retenir est que « même dans ses déclarations écrites, le Gouverneur Schwarzenegger a laissé ouverte la possibilité que la loi ne puisse jamais prendre effet. »

    Donc il apparaît que ce que j’avais écrit le 7 octobre était exact, que la loi était une invitation non déguisée à conduire des expériences pour prouver ce qu’on sait, et que du moment que l’Université de Californie à Davis consacre suffisamment de temps et d’efforts à cela… eh bien, nous savons tous ce que ça signifie : qu’ils pourront prouver absolument n’importe quoi.

    En fait, j’avais déjà lu des commentaires de diverses personnes estimant que le procédé pouvait paraître horrible, mais qu’en réalité il ne causait aucune douleur physique ou morale aux oiseaux.

    Alors vous savez, je pense qu’il y a des chances… en fait, je suis prêt à parier un dollar – et pas un dollar canadien, notez bien, mais un dollar américain, qui comme chacun sait a beaucoup de valeur [rires] –  je suis prêt à parier un dollar américain que ce truc ne va jamais entrer en application.

    C’est hautement improbable, et le projet de loi est extrêmement problématique en ce qu’il rend impossible pour un procureur d’intenter une action contre cette pratique en tant qu’elle violerait la loi californienne.

    C’est impossible parce qu’il y a, fondamentalement, une immunité qui protège Sonoma de toute responsabilité civile ou criminelle.

    Si quelqu’un voulait intenter un procès civil, ce qui est possible en Californie (contrairement à de nombreux Etats, la Californie permet aux citoyens d’intenter des poursuites afin d’obtenir une proclamation stipulant qu’une pratique viole la loi d’Etat anti-cruauté), cette personne ne pourrait pas le faire, parce que Sonoma est à présent immunisé.

    Ce qui en passant explique pourquoi Sonoma a soutenu cette législation, et même qu’il en était enchanté, parce qu’elle le rend intouchable pour huit ans. Si les défenseurs des animaux estiment qu’il s’agit là d’une victoire, mon Dieu, je veux dire [gloussements]…

    LC : Ok, je voulais vous demander... Ces gens qui ont travaillé en première ligne sur ce sujet et qui maintenant célèbrent ce qu’ils considèrent comme une victoire, que leur dites-vous ? Qu’ils sont de grands naïfs… ou peut-être autre chose ?

    GF : Ecoutez, les droits des animaux en Amérique - je ne puis dire ce qu’il en est des autres pays, mais je le peux pour le nôtre – représentent un véritable business. Et pour que ces groupes amassent les fonds qu’ils amassent… allons, nous ne sommes plus des gosses.

    Prenez la plupart de ces grosses organisations – les sommes qu’elles engrangent sont phénoménales. Et le moyen pour elles de les obtenir est de savoir vendre leurs campagnes.

    C’est évident que si votre but est de collecter des fonds vous devez être capable d’affronter le public et de lui dire : « Voici nos victoires. Certes la situation n’est pas bonne, mais nous remportons tout de même des victoires ».

    Et c’est précisément ce qui se passe. Je veux dire, la collecte de fonds, ce n’est pas autre chose que ça. Je ne suis donc pas surpris. En fait, je serais étonné si justement il n’y avait pas de collecteurs de fonds dans les parages.

    Mais je veux en venir à cette conclusion, que la collecte de fonds n’est en fait pas autre chose qu’un moyen d’amasser de l’argent.

    Ce n’est donc pas une question de naïveté. Je pense au contraire qu’ils savent exactement ce qui se passe, mais, voilà, ils doivent récolter leurs fonds. Et ils ne peuvent le faire qu’en allant au-devant des gens les bras chargés des lauriers de la victoire.

    En fait, vous avez actuellement au moins cinq organisations – peut-être plus – qui disent : « Ceci est notre victoire. Alors merci de nous donner de l’argent. » Tout ça ne me surprend pas. Ça se produit en permanence.

    RM : Gary, je crois – corrigez-moi si je me trompe -, je crois qu’il s’agit quand même de la première législation qui reconnaît positivement l’inhumanité d’une pratique de l’élevage industriel. N’est-ce pas une bonne chose ?

    GF : Vous devez raisonner en l’espèce en termes de coûts et de bénéfices. Dans le cas qui nous occupe, les bénéfices sont très minces et théoriques. Les coûts par contre sont absolument certains. Sonoma est protégé, et beaucoup d’animaux vont souffrir afin de « prouver » que le gavage ne les fait pas souffrir.

    Je crains encore une fois que la loi ne soit jamais effective. Et je crains également qu’il n’y ait un très sérieux coût moral à payer, dans la mesure où cette législation délivre un message.

    C’est ce que vous êtes en train de dire : « Cette législation ne fait-elle pas passer un certain message ? ». Elle peut effectivement faire passer le message que vous dites, que vous devez néanmoins mettre en balance avec les effets négatifs qu’elle entraînera par ailleurs.

    Mais le tragique de l’affaire est qu’elle délivre aussi un autre message, qui est que si ces animaux n’étaient pas gavés, le fait de les élever, de les tuer et de les manger serait moralement acceptable, ou constituerait un moindre mal.

    Voici une citation tirée d’un article du New York Times consacré à 1520. C’est un défenseur des animaux du nom de Paul Waldow qui parle : « Une partie de la population commence à consommer avec conscience », dit-il.

    A partir de là, plus de doute : 1520 envoie un très, très mauvais message. Le fait que des gens de la cause animale énoncent ce genre d’énormités est navrant, parce que qu’est-ce que ça veut dire en fait ?

    Ça veut dire que pourvu que vous ne commettiez aucune pratique grotesque comme le gavage, il n’y a aucun problème à élever et massacrer les animaux. Il s’agit là d’un message vraiment désolant, vraiment problématique.

    Alors vous savez, dans la mesure où ce projet de loi contient un message positif, vous devez toujours le mettre en balance avec tout ce qu’il entraîne de nécessairement négatif, à savoir : l’immunisation de Sonoma pour les huit prochaines années, le fait qu’il va patronner des expériences horribles destinées à montrer que le gavage est une pratique acceptable, et qu’on va finalement l’enterrer sans qu’il ait jamais été mis en œuvre.

    Et pour couronner le tout, il aura fait passer le message comme quoi on peut être un « consommateur compassionnel », que « l’esclavage light » est vraiment OK, etc. On est tout contre l’esclavage, mais « l’esclavage light », lui, est OK.

    Tout cela rend le message éminemment douteux, et quand on compare ses avantages et ses inconvénients, force est de constater que les derniers l’emportent largement.

    LC : Nous avons reçu Steven Best ici même, et nous avons évoqué avec lui l’opposition traditionnelle entre protection animale et droits des animaux. Il en est venu à parler des initiatives réformistes opposées aux initiatives welfaristes, et je voulais en discuter avec vous.

    Dans une visée pratique, imaginons que vous, Gary, soyez un activiste particulièrement concerné par la question du foie gras : par où commenceriez-vous ?

    RM : Et comment auriez-vous mené toute cette affaire ?

    GF : Avant toute chose, laissez-moi vous dire que je suis en profond désaccord avec Steve Best. D’un côté, Steve Best explique en quoi la protection animale est problématique, tout en affirmant de l’autre qu’elle peut fonctionner aussi longtemps qu’elle est accouplée avec la rhétorique abolitionniste.

    J’estime que cette vision des choses est elle aussi problématique. Parce que c’est précisément ce que font aujourd’hui les associations : elles poursuivent officiellement une politique welfariste tout en parlant officieusement d’abolition. Or cela ne nous mène pas très loin.

    En outre, elles instaurent une fausse dichotomie en posant que si l’on cesse le welfarisme, cela équivaut à ne rien faire : soit on fait du welfarisme, soit on abandonne les animaux à leur sort. Il s’agit là d’un non-sens.

    Nous disposons d’un temps limité et de ressources tout aussi limitées. Je pense que là-dessus nous sommes tous d’accord. Nous devons donc faire des choix. Et le choix ne se résume pas entre welfarisme et néant, mais entre welfarisme et abolitionnisme.

    Laissez-moi donner un exemple. J’ai pu dire que s’il y a dix ans nous avions consacré tout notre temps, notre énergie et nos ressources à une campagne soutenue pour la promotion du véganisme, à l’heure actuelle nous aurions certainement au moins 10.000 vegans de plus dans nos rangs.

    C’est une proposition je pense assez incontestable, et je ne crois pas que vous serez en désaccord avec moi là-dessus.

    Nous pourrions même en avoir encore bien davantage. Si l’ensemble des associations et des militants avaient vraiment mis leurs efforts dans la sensibilisation du public aux questions morales, mais aussi environnementales et de santé inhérentes au véganisme – s’ils avaient vraiment fait ça, alors, oui, nous aurions au moins 10.000 vegans de plus que nous n’en avons aujourd’hui.

    S’il y avait 10.000 vegans de plus, la souffrance animale aurait diminué bien davantage qu’avec toutes les mesures welfaristes entreprises. Il s’agit donc bien d’un choix.

    Mais ce choix ne se réduit pas entre ne rien faire et persévérer dans le welfarisme. Je maintiens que si nous voulions réellement diminuer la souffrance, nous nous en donnerions les moyens par le biais d’un agenda abolitionniste. Nous rendrions cette volonté effective avec des principes abolitionnistes.

    Obtenir 10.000 vegans de plus aurait pour résultat non seulement de réduire la souffrance, mais aussi d’amorcer un changement social plus grand, car le public, c’est vraiment ce dont nous avons besoin.

    La raison pour laquelle le mouvement échoue, qu’il est, à mon sens, un lamentable échec, est que nous n’avons pas su éduquer les gens à propos de ce que nous croyons, ni les convaincre de ce qu’ils pourraient y croire à leur tour.

    Et la raison pour laquelle nous avons échoué est très simple : c’est parce que l’éducation n’est pas quelque chose que tu peux…

    Ouais, c’est difficile de collecter des fonds pour de telles initiatives – c’est très difficile pour les associations de faire ça. Donc elles font du welfarisme parce que cette stratégie facilite l’organisation de campagnes et les collectes de fonds qui vont avec.

    L’éducation, elle, n’est pas quelque chose qui rapporte. Et pourtant c’est elle que nous devrions promouvoir.

    L’idée selon laquelle renoncer au welfarisme équivaut à ne rien faire n’a pas de sens. Il s’agit là d’une fausse dichotomie établie par les grandes organisations parce qu’il est dans leur intérêt, afin de pouvoir récolter des fonds, de poursuivre des campagnes welfaristes en tant que produits qu’elles peuvent vendre au public.

    Le difficile travail qui consiste à éduquer ce public ne les intéresse pas. Eduquer les gens ne rapporte rien, et en plus vous courez le risque qu’ils ne veuillent plus vous écouter…

    Car plus votre message est radical, plus il démontre qu’il ne s’agit pas seulement d’abandonner la viande, mais qu’il faut tout abandonner, car il y a plus de souffrance dans un verre de lait que dans une livre de steak ; et que si l’on se préoccupe réellement de la souffrance animale, c’est ce qu’on doit faire.

    Allez-vous faire fuir les gens en leur apprenant la vérité ? Allez-vous les détourner en leur démontrant que le véganisme constitue nécessairement le fondement moral du mouvement ?

    Il est possible que vous en fassiez fuir un certain nombre, mais dans le même temps vous attirerez tous ceux qui ont une vision claire de la situation, qui pigeront le message justement parce qu’il est clair.

    Le mouvement animaliste en Amérique du Nord est tellement confus et déroutant que le grand public ne comprend pas vraiment quelle est sa position véritable.

    Beaucoup de gens croient par exemple que la philosophie de PETA consiste à dire que c’est bien d’aller chez McDonald’s. Et dans une certaine mesure, vous savez…

    RM : … et au Burger King !

    GF : Exactement, au Burger King aussi. Et dans une certaine mesure, c’est exactement ce que font PETA et les autres. Nous avons donc intérêt à sortir très vite de cette fausse dichotomie entre welfarisme et néant. La dichotomie existe parce que certaines associations ont certains intérêts à promouvoir, mais c’est un choix qui ne signifie rien.

    Le fait est qu’il y a beaucoup de choses à faire en-dehors du welfarisme, et que cela ne signifie nullement abandonner les animaux à leur sort. Si nous voulons vraiment mettre un terme à leur esclavage, et non seulement le rendre « plus humain », alors il est temps d’accorder nos campagnes avec ces principes.

    LC : Vous laissez entendre qu’il y aurait une espèce d’alliance concertée. Comment envisagez-vous la situation si les associations dont vous parlez restent solidement retranchées derrière leurs choix stratégiques ?

    J’imagine que c’est une sorte de question à double partie. Comment faire pour rassembler les militants et les amener à travailler ensemble pour la promotion des idéaux vegans ? Et surtout, y a-t-il des groupes à l’heure actuelle qui oeuvrent déjà en ce sens ?

    GF : Une grande part de la difficulté vient du fait que le mouvement n’a jamais vraiment considéré le véganisme comme son fondement moral. Il s’agit du premier problème.

    Quand je dis véganisme, j’entends application du principe d’abolition dans la vie personnelle – dans la vie individuelle. Si vous vous prétendez abolitionniste, alors vous devez nécessairement être vegan. Il ne s’agit pas d’une option, ni d’un choix alimentaire, mais d’un engagement de votre part.

    De même que si au XIXe siècle vous aviez été abolitionniste, vous n’auriez pas eu d’esclaves. Et si vous vous étiez dit abolitionniste tout en possédant des esclaves, votre position aurait été tout simplement intenable. Il se trouvait des gens dans cette situation, et ils étaient justement taxés d’hypocrites. C’est exactement la même chose aujourd’hui pour le mouvement animaliste.

    Une partie du problème tient à ce qu’il veut incarner un phénomène massif et unificateur, et soyez certain que s’il parvient à rassembler un maximum d’adhérents, il ne tiendra pas à promouvoir le véganisme de manière rigoureuse et systématique, parce que cela risquerait de lui faire perdre des cotisations.

    Le problème ne réside donc pas seulement en ce que les groupes se sont retranchés derrière leurs choix stratégiques personnels, mais aussi en ce qu’ils n’ont pas voulu s’unir afin de promouvoir les objectifs du véganisme. En réalité, ils n’ont pas d’objectifs vegans. Tel est le premier problème.

    Le mouvement reste welfariste parce qu’il en est encore à dire aux gens : « Vous devez vous efforcer d’être bons envers les animaux, mais si vous avez envie de pizza au fromage, de glace ou de poisson exotique, ce n’est pas moralement répréhensible. » C’est là un problème de taille.

    Maintenant, existe-t-il des groupes qui s’écartent d’un tel paradigme ? La plupart d’entre eux savent que le meilleur moyen de récolter le maximum  de dollars est de colporter un minimum de principes très modérés et très confus. Certains s’efforcent pourtant d’aller à rebours.

    Ce que je fais de mon côté, et que j’encourage les autres à faire, est d’aller voir ce qui se passe dans son périmètre local, et plutôt que de se concentrer sur les organisations nationales, essayer de changer les choses là où l’on vit.

    Par exemple, je consacre beaucoup de temps, d’argent et d’énergie à aider les personnes qui recueillent des animaux pour les stériliser. Je pense que c’est un important travail de base : il y a là-dehors des animaux qui ont besoin d’aide.

    J’estime que nous ne devrions pas élever des chiens et des chats pour en faire des animaux de compagnie. Et j’attends le jour – je ne serai plus sur cette planète, à moins de revenir dans un autre corps… -  où il n’y aura plus de chiens et de chats.

    Je ne pense pas non plus que nous devrions en avoir. Mais tant qu’ils seront là, nous avons l’obligation de prendre soin d’eux et de les traiter comme les individus qu’ils sont.

    J’ai énormément de respect pour tous les gens qui oeuvrent dans l’ombre avec leurs ressources personnelles pour mener à bien un travail aussi difficile. Ils ont vraiment tout mon soutien.

    Je soutiens également les refuges qui proscrivent l’euthanasie et dont les responsables font la promotion de la stérilisation. Ces personnes ne tuent pas les animaux qu’ils recueillent et proposent à l’adoption. C’est primordial. Il est primordial de prendre soin des animaux qui sont là maintenant.

    Donc voilà ce que je fais. Dans ma région, je recherche des gens qui font ce genre de choses. Ce sont eux que j’aide. En gros, je considère qu’un dollar envoyé à une grosse organisation de protection est un dollar jeté par la fenêtre. En tout cas, il ne sert à rien de positif.

    Ces groupes très prospères se retranchent derrière leurs positions réactionnaires. Et si on attend d’eux qu’ils changent la société et la façon de penser des gens, on perd son temps.

    LC : Les dollars qui iront à Animal Voices seront eux très bien utilisés ! [rires]

    GF : C’est exact, et il est important que vous touchiez le maximum de personnes. Les associations de protection animale font preuve d’une censure extraordinaire qui rappelle un peu la Russie stalinienne. Elles ne veulent tout simplement pas débattre.

    A vrai dire, le mouvement s’apparente – au moins dans l’une de ses manifestations – à un conglomérat d’organisations commerciales. Et j’inclus PETA dans le lot, qui n’est pas plus ouverte aux discussions que les autres.

    La vérité, c’est qu’il suffit que vous soyez en désaccord avec ces gens pour qu’aussitôt ils vous étiquettent. Je parle d’expérience. Si vous n’êtes pas d’accord avec eux, ils vous accusent tout de suite de semer la zizanie. Discuter avec vous ne les intéresse pas, et discuter avec eux s’avère impossible.

    A partir de là, notre dernier espoir réside dans les médias alternatifs. Animals’ Agenda (qui Dieu merci a cessé de paraître aux Etats-Unis il y a deux ans) recourait par exemple à une censure terrible et ne permettait pas qu’on exprime certains points de vue. Satya également. En fait, tous les magazines auxquels je pense pratiquaient ce genre de censure.

    Et moi, ce qui m’intéresse, c’est justement de mettre les pieds dans le plat [il rit]. Cette émission s’inscrit dans un projet alternatif, et en cela elle m’est familière. Je sais très bien ce que vous voulez faire : favoriser le débat, ce qui est primordial. Parce que du moment qu’il y a débat, les gens peuvent alors faire leurs propres choix.

    Le problème est que le mouvement refuse de placer le débat au centre de sa politique. Tout ce qui intéresse ces personnes, c’est de marginaliser ceux qui ne sont pas de leur avis. Et elles se montrent très douées à ce petit jeu, parce qu’elles contrôlent absolument tout.

    RM : Gary, nous allons citer certaines de vos paroles, et elles figureront dans notre nouvelle introduction. Je veux juste éclaircir une chose. Soutenez-vous auprès du gouvernement les initiatives « thématiques » que sont le projet de loi sur le foie gras ou la nouvelle législation pour les veaux ?

    GF : Je soutiens la seconde. Dans Rain Without Thunder, j’expose que certaines réformes welfaristes peuvent se montrer potentiellement utiles. Ainsi des interdictions qui reconnaissent que les animaux ont certains intérêts qui ne sauraient être sacrifiés, quand bien même ces intérêts vont à l’encontre de ceux de leurs propriétaires.

    J’ai consacré la troisième et dernière partie de ce livre à expliquer comment une mesure welfariste pourrait être plus efficace. Cependant on bute toujours sur le même problème : les animaux, juridiquement, restent des biens.

    Et aussi longtemps qu’ils seront assimilés à des biens, nous devrons faire face à une résistance principielle qui consistera à nier qu’ils ont des intérêts propres… justement parce qu’ils sont des propriétés.

    Dès l’instant où vous définissez quelque chose comme une « propriété », parler de cette chose comme d’une « propriété ayant des intérêts qui doivent être respectés » introduit une dissonance dans le raisonnement législatif et juridique, une propriété n’ayant que la valeur qu’on lui donne.

    Soustraire les animaux à leur actuel statut de propriété est donc le seul moyen de parvenir à nos fins. Par conséquent, le welfarisme n’est définitivement pas la bonne méthode.

    Etant donné que nous avons le choix, nous pouvons nous poser la question :

    « D’accord, nous voulons faire quelque chose pour réduire la souffrance animale. Investirons-nous notre temps, notre énergie et nos efforts dans une mesure welfariste, ou dans la sensibilisation du public ? Devrions-nous nous rendre auprès du gouvernement et dire : faisons une loi pour améliorer le sort des oiseaux gavés, ou choisissons-nous de nous consacrer à l’éducation des gens en leur faisant comprendre qu’il ne faut pas manger de produits d’origine animale ? »

    A mon sens, et pour revenir à votre question, vous pouvez parvenir à réduire la souffrance plus efficacement en soutenant la seconde proposition, dont je pense qu’elle est également compatible avec les principes abolitionnistes. Ce qui n’est pas le cas de la première.

    Encore une fois, il ne s’agit pas de dire « c’est ça ou rien », que si nous ne faisons pas ceci [du welfarisme], alors nous ne faisons rien, mais de ce que nous allons faire. Or le welfarisme est presque toujours viscéralement corrompu, comme le montre la législation sur le foie gras.

    Un autre exemple californien, à propos du même groupe – Farm Sanctuary : la loi sur l’étourdissement des animaux. Cette loi est ridicule. Elle est absolument nulle. J’en veux pour preuve flagrante que l’industrie animale californienne a soutenu le projet de loi.

    Et elle l’a soutenu parce que : A) il est nul, et B) ça redore son blason. Vous comprenez, elle était en train de faire quelque chose de vraiment « bien ». Du coup, les gens pouvaient se sentir plus à l’aise.

    Une conférence de presse a été donnée (j’en parle dans Rain Without Thunder), au cours de laquelle les membres de Farm Sanctuary ont dit que grâce à cette loi, les consommateurs pouvaient se sentir moins gênés par rapport à leur consommation de produits issus des abattoirs.

    Vous avez donc des personnes, de soi-disant protecteurs, occupées à promouvoir une loi telle que celle-ci, qui clame que les consommateurs vont pouvoir avoir la conscience plus tranquille devant leur bifteck.

    Est-ce là une initiative à soutenir ? La réponse est non. Pourtant, dans ce pays, beaucoup de protecteurs estiment qu’il s’agit d’une grande victoire. Tout cela est ridicule. La vérité, c’est que ce fut une grande victoire pour les exploiteurs californiens, pas pour les animaux.

    Ce genre de mode opératoire est donc intrinsèquement corrompu. La législation initiale proposée par Farm Sanctuary était plus contraignante que celle qui a fini par passer. Car chaque fois qu’on propose quelque chose, cette chose se voit aussitôt édulcorée, comme dans le cas du foie gras.

    LC : Gary, je suis actuellement des Etudes Environnementales ici à Toronto. Je suis très impliqué dans le mouvement écologiste et je connais pas mal de gens qui le sont également.

    Et l’une des choses qu’ils me disent sans arrêt à propos du véganisme, c’est :

    « Bon, OK, tu défends le véganisme, donc tu penses qu’aller dans un magasin, acheter du soja OGM de monoculture enveloppé dans trois couches de plastique et acheté dans un « Loblows » (euh, Loblaws ici) concourt à diminuer la souffrance. De mon côté, je vais acheter mes œufs plein air dans de petites fermes familiales. Qui oserait dire que mon choix cause plus de souffrances que le tien, à toi qui te rends dans un grand magasin et achètes un produit qui émane du secteur agro-industriel ? »

    GF : Si c’est pour que je dise que le capitalisme représente un problème, alors on ne m’arrachera pas un mot. Je m’explique… [il rit]. Bien entendu que toutes sortes de maux résultent de ces grosses entreprises corporatives. Cependant je continue à croire qu’il y a une différence entre…

    Voyez-vous, bien que ce ne soit pas tout à fait la même chose, c’est comme quand on vient me dire que si tout le monde mangeait des plantes, alors des animaux seraient tués lors des récoltes.

    Et ma réponse à ce type d’objection est que, oui, sans doute, c’est sans doute vrai, mais de la même manière que quand on construit une route, on sait qu’il y aura fatalement un certain nombre de victimes chaque année.

    Y a-t-il une différence entre le fait de construire une route où des gens trouveront la mort et le fait de sélectionner délibérément des gens et de les tuer ? La réponse est oui. Bien sûr que la réponse est oui.

    Il est exact que le choix de vie que nous élisons peut avoir certaines conséquences non intentionnelles, mais cela ne signifie pas pour autant que cela revienne au même avec le fait de tuer et de manger sciemment des animaux.

    Malheureusement, chaque choix que nous faisons dans notre vie entraîne un problème X. Par exemple, si je décide de porter du synthétique, à base de pétrole, à la place du cuir. La production de pétrole est-elle source de préjudices ? Oui.

    Mais y a-t-il une différence entre le fait d’acheter un produit qui est le résultat d’un procédé qui peut causer du tort, et le fait d’acheter un produit en cuir ? La réponse est oui, et nous le savons tous.

    Personne ne peut dire qu’il n’y a aucune différence entre un abat-jour fabriqué à base de pétrole, dont l’extraction a pu blesser des ouvriers sur une plate-forme pétrolière en Mer du Nord, et un abat-jour fait à partir de la peau de quelqu’un tué en camp de concentration : tout le monde sait qu’il y a une différence.

    Bien sûr, nous devons essayer de causer le moins de dégâts possible autour de nous, et le monde entier devrait faire la même chose, pas seulement pour des raisons de morale mais simplement de survie.

    Mais pour autant cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de différence entre un tort causé non intentionnellement et un tort causé intentionnellement. Il y a de très sérieuses différences entre ces choix.

    Une des choses que je trouve particulièrement affligeante est la suivante : j’ai beaucoup d’amis qui se considèrent comme des écologistes radicaux. Et qui mangent de la viande ou des produits animaux.

    Et c’est quelque chose que je ne peux tout simplement pas comprendre. Ça me déroute complètement. Même si l’on ne se préoccupe pas du tout du sort des animaux, l’agriculture fondée sur leur exploitation est en train de détruire la planète.  Et je ne connais pas un écologiste qui ne soit d’accord avec ça au moins en théorie.

    Ce que je trouve curieux, c’est qu’alors même que c’est reconnu en théorie, beaucoup d’entre eux continuent à consommer des produits animaux. Pour moi c’est incompréhensible. Peut-être que ça prouve simplement une fois de plus que la plupart des gens ne prennent pas au sérieux ce qu’ils prétendent prendre au sérieux par ailleurs. Peut-être – je ne sais pas.

    RM : Je ne le comprends pas non plus, et c’est quelque chose qui me perturbe tout autant que vous. Les environnementalistes mangeurs de viande… comment croire à leur existence ?

    Lauren, lors de ses Etudes Environnementales – désolé Lauren, je ne voudrais pas parler de ta vie [ils rient] – j’ai dit à Lauren : « Je vais m’inscrire à ce programme. Ce sera formidable de se retrouver avec d’autres vegans. » Et Lauren m’a répondu : « Oui, en fait, je pense que je suis la seule. »

    LC : Effectivement, il s’agit d’une minorité. Pourtant les Etudes Environnementales m’ont été très bénéfiques. Elles m’ont permis d’étudier ce que je voulais étudier, et sur ce plan-là elles se sont révélées très utiles.

    Mais, oui, c’est frustrant de voir que les structures ne fonctionnent pas toujours ensemble. Gary, je dois dire que votre travail m’a longtemps hantée, ce qui est positif. Mais je voulais vous poser une question…

    GF : C’est un mot intéressant, « hanter ». [Ils rient.] De quelle manière vous ai-je hantée ?

    LC : Parce que rien n’est jamais simple.

    RM : Je me suis déguisé en Gary Francione pour Halloween.

    GF : Ah, OK. [rires]

    LC : Rien n’est jamais facile. Par exemple, une des choses qui me turlupinent est de prendre le véganisme comme ligne de fond.

    GF : Ouais.

    LC : … on me pose souvent des questions de ce genre : « Que diriez-vous, en tant que Blanche occidentale, aux autres cultures ? Diriez-vous aux Soudanais… aux peuples nomades quels qu’ils soient qu’ils ne devraient pas avoir de ‘bétail’ ? Prôner le véganisme n’équivaut-il pas à perpétuer une mentalité colonialiste, en disant aux autres peuples comment ils doivent vivre ? »

    GF : Laissez-moi dire ceci. Ça me rappelle une expérience que j’ai eue dans votre pays il y a plusieurs années, lorsque j’ai été impliqué dans ce type de débat pour la première fois. Je donnais une interview à Toronto et c’était vraiment nouveau pour moi.

    Soudain, un homme se lève et dit : « Je suis Inuit, et mon peuple utilise les animaux depuis des temps immémoriaux. Tout cela est culturel. Comment pouvez-vous prétendre nous adresser des reproches ? Pensez-vous que ce que nous faisons est immoral ? Et comment justifiez-vous vos idées là-dessus ? »

    Je me souviens que nous avons parlé de la chasse aux phoques, et j’ai dit que cette chasse était immorale. Voici comment je l’ai justifié.

    Je lui ai dit : si vous deviez sacrifier un enfant sous prétexte que c’est dans votre culture de sacrifier les enfants (et de fait, le sacrifice humain était propre à plusieurs cultures), pensez-vous qu’il serait moralement justifié de la part d’un étranger de critiquer ce que vous faites ? Et il a répondu : « Oui, absolument. ».

    J’ai dit que nous étions donc d’accord pour dire qu’il était juste de la part d’étrangers de critiquer ce que les Inuits faisaient. Mais je sais que c’est une question qui soulève bien des vagues.

    A mes yeux, ce n’est pas différent de ceux qui disent : « Pensez-vous que les Occidentaux ont une légitimité à critiquer la clitoridectomie en Afrique ? » Vous imaginez ma réponse… Oui, la clitoridectomie est une pratique qu’il faut interdire. Point barre.

    Maintenant, une fois qu’on a dit ça… Je ne passe pas mon temps à parler de ce que font les Soudanais, même si ce qui se passe au Soudan me concerne aussi par la force des choses, de même que je ne me focalise pas sur ce que font les Inuits, ni sur ce qui se passe dans certaines tribus africaines, parce que je m’occupe d’abord d’un mouvement en Amérique du Nord, un pays où il est très facile d’être vegan et où pourtant presque personne ne l’est.

    Pour revenir aux mutilations génitales, elles sont à bannir purement et simplement, et il est juste de le dire. Maintenant, de quelle manière dois-je m’impliquer en tant qu’individu eu égard au peu de temps que représente une vie humaine ? Si je suis sensible aux questions touchant les femmes, le pays où je vis regorge d’abus en tous genres.

    Mais cela ne signifie pas pour autant que je doive ignorer ce qui se passe dans les autres pays du monde : où que ces pratiques aient lieu, elles sont éthiquement condamnables.

    Bien sûr, je peux choisir de ne me focaliser que sur ce qui se passe dans ma propre société – par exemple le viol, qui représente toujours un problème majeur aux Etats-Unis. Et les réactions face au viol en sont un autre. Mais j’ai aussi le droit de regarder ce qui se passe ailleurs.

    Une telle attitude perpétue-t-elle le colonialisme ? Bien sûr que non ! Je crois simplement que la violence est une mauvaise chose, et ce où qu’elle se manifeste. Il s’agit là d’une vérité morale objective : la violence est mauvaise. Le fait de le dire ne constitue en aucun cas une forme d’impérialisme culturel.

    LC : J’ai un ami ici au studio qui est impatient que je vous pose cette question : nous nous demandions si vous pouviez expliquer à quelqu’un, en une minute, pourquoi vous êtes vegan ? Que diriez-vous à cette personne ?

    GF : Je suis vegan parce que je m’oppose à la souffrance ; parce que je pense qu’il est mal d’infliger de la souffrance à un animal de quelque manière et en quelque circonstance que ce soit, et ce d’autant plus que ce n’est pas nécessaire.

    Or personne ne peut soutenir qu’il est nécessaire de consommer des produits animaux pour avoir une santé optimale. Au contraire, la tendance dominante est actuellement au discours inverse : de plus en plus de médecins reconnaissent aujourd’hui que ces produits sont néfastes.

    La seule raison que les gens ont de manger des animaux est donc qu’ils en aiment le goût. Et je ne crois pas que le plaisir constitue une raison suffisante pour infliger la mort et la souffrance. On n’a même pas besoin d’une quelconque théorie des droits pour ça. Dans Introduction to Animal Rights, j’explique qu’on peut en fait s’en passer pour abolir 99% de ce que nous faisons aux animaux.

    Tout ce que nous avons à faire est de considérer enfin sérieusement le principe de souffrance non nécessaire, le fait qu’il est mal d’infliger de la souffrance à un être sentient sans une très bonne raison. Or le plaisir, le divertissement ou le confort ne constituent pas des raisons suffisantes.

    Voilà. Est-ce que j’ai dépassé la minute impartie ? Je n’ai pas calculé.

    RM : C’était parfait. Dans les deux minutes qui restent, j’aimerais que vous nous parliez de votre nouveau livre et des sujets que vous y abordez. Je crois que vous vouliez aussi évoquer la campagne « du bon gardien » ainsi que deux autres choses.

    GF : Oui, ce que je tenais à souligner dans ce livre est que depuis que j’ai écrit Animals, Property and the Law il y a dix ans, la loi n’a pas changé d’un pouce. En dépit de toutes les campagnes welfaristes menées pendant cette période, nous en sommes toujours au même point qu’à l’époque, où j’ai dit pour la première fois que le welfarisme ne fonctionnait pas.

    Depuis cette date, nous n’avons pas progressé. Mais j’évoque également d’autres problèmes, notamment celui de la violence au sein du mouvement, ainsi que les raisons pour lesquelles les défenseurs des animaux doivent rejeter la violence. Je parle aussi des rapports…

    RM : [Il l’interrompt.] Pardon, qu’entendez-vous par « violence au sein du mouvement » ?

    GF : Je veux parler en l’occurrence de certaines campagnes. Par exemple, la campagne contre Huntingdon a eu, à mon sens, des aspects négatifs. Je ne pense pas que nous devrions manifester devant les maisons des gens, ni harceler les enfants ou les conjoints ou des choses comme ça.

    Ce n’est vraiment pas une bonne idée. De tels actes ne sont pas moralement justifiables, et stratégiquement ils ne sont pas la chose à faire. Je suis effrayé de voir qu’il se trouve des personnes pour soutenir avec vigueur ce genre d’initiatives. Pour moi, ça n’a aucun sens. Une partie de ce que je suis en train de faire consiste à expliquer pourquoi ce n’est pas la bonne méthode.

    Mais je fais également référence à une autre sorte de violence. Le fait est que la plupart des campagnes promues par PETA ainsi que par d’autres organisations sont sexistes, et de fait violentes. Tant que nous continuerons d’encourager les gens à traiter d’autres humains comme des inférieurs ou comme extérieurs à la communauté morale, nous continuerons de placer les animaux hors de cette communauté morale.

    Parlons maintenant de la campagne « du bon gardien » que vous avez mentionnée, qui est une autre illustration du raisonnement mercantile à l’œuvre que nous évoquions tout à l’heure, et qu’on pourrait résumer selon la formule suivante : « emballer, vendre, engranger ».

    Il ne fait pas de doute que le mouvement des droits des animaux (ou quel que soit le nom qu’on lui donne) soit, au moins aux Etats-Unis, champion en termes de compétences entrepreneuriales… et je pense que cette campagne en est un excellent exemple.

    Les gens se moquent de ce qu’on les appelle des « mauvais gardiens » ou des girafes. Cela n’a aucune importance pour eux. S’ils sont capables d’emmener leur chien en bonne santé chez un vétérinaire et de lui dire : « Tuez ce chien », ils se fichent du nom que vous leur donnez. Cette campagne « du bon gardien » est donc une fois de plus de la poudre aux yeux. On peut l’emballer et la vendre, c’est tout.

    Les personnes qui ont pour compagnons des animaux avec lesquels elles vivent et qu’elles aiment, qui les traitent comme des individus sentients pourvus de capacités cognitives, ces personnes-là considèrent réellement les animaux et elles n’ont pas besoin qu’on leur décerne des titres honorifiques.

    Je vis avec six chiens que j’ai recueillis. Le septième est décédé il n’y a pas longtemps. Ces chiens ont tous été sauvés. L’un est un rescapé des rues ; les autres étaient tous dans le couloir de la mort d’un refuge local. Je puis certainement me considérer comme leur « gardien ».

    Je n’ai besoin de personne pour me l’apprendre. Je n’ai pas besoin d’une campagne pour ça. Les gens qui respectent vraiment les animaux avec lesquels ils vivent savent qu’ils sont des « gardiens ». Et ceux qui ne le savent pas s’en moquent.

    Le fait qu’on lance une campagne là-dessus ne change pas grand-chose à l’affaire, si ce n’est que des personnes qui se considèrent comme de « bons gardiens » donneront de l’argent.

    Certains trouvent que c’est une excellente idée, alors qu’il ne s’agit que d’une énième campagne de type « emballé/vendu ». Mais qui débouche sur quoi au final ? Sur rien selon moi.

    RM : Gary, nous avons dépassé l’horaire. Mais je tiens à vous remercier pour votre stimulante et instructive vision des choses. C’est toujours un plaisir que de discuter avec vous.

    LC : Oui, vraiment. Merci beaucoup, Gary.

    GF : Merci à vous de m’avoir invité. J’espère revenir bientôt. Prenez soin de vous. Bye bye.

    LC : Vous venez d’écouter Animal Voices CIUT 89.5 FM. Si vous avez des questions à poser, des commentaires ou des réactions à formuler, vous pouvez écrire à animalvoices@gmail.com. Rob, merci d’avoir organisé cette interview. C’était parfait.

    RM : De rien...

    LC : Et merci à Zeva et Lamia de leur présence au studio.

    (Traduction française : Méryl Pinque pour Vegan.fr)

    http://www.vegan.fr/interviews/11-20041102-interview-de-gary-francione-par-animalvoices

  • Interview de Gary L. Francione par Lee Hall, de Friends of Animals (FoA) pour ActionLine (été 2002, extraits)

    http://images.vimeo.com/11/85/08/118508292/118508292_300.jpg

    Professeur de Droit à l'Université de Rutgers, Faculté de Droit, sur l'état actuel du Mouvement Américain pour les Droits des Animaux (U.S. Animal Rights Movement)

    Interview menée par Lee Hall, Amis des Animaux (Friends of Animals / FoA) | pour ActionLine (Eté 2002)

    FoA : Que pensez-vous de l'état actuel du Mouvement pour les droits des animaux aux Etats-Unis ?

    Gary Francione : Il n'y a pas de mouvement pour les droits des animaux aux Etats-Unis.

    Il y a seulement un mouvement pour le bien-être des animaux qui essaie de mettre en avant une exploitation "humaine" des animaux.

    Pour pouvoir évoquer les droits des animaux, il est d'abord essentiel de comprendre les arguments de base, à la fois légaux et philosophiques, qui sous-tendent l'abolition.

    Logiquement, il n'est pas possible de réformer un système qui exploite les animaux :  c'est l'exploitation que nous devons abolir.

    La position abolitionniste défend l'idée qu'il est moralement injustifiable d'institutionaliser la "propriété" d'un animal, tout comme il était injustifiable de le faire pour l'homme via l'esclavage.

    Ceux qui militent pour une réforme de bien-être persistent à dire qu'il est acceptable d'utiliser les animaux si cela est fait "avec humanité".

    D'autres défendent les réformes de bien-être parce qu' ils croient que ces réformes vont éventuellement conduire à l'abolition.

    Je conteste ces deux approches pour deux raisons.

    D'abord, théoriquement, une réforme ne satisferait pas à l'éthique.

    Bien sûr, il est toujours préférable de diminuer la souffrance plutôt que de l'accroítre, mais la question véritable est de savoir si l'homme a le droit de faire souffrir un animal parce qu'il est sa propriété.

    Ainsi, les réformateurs du XIXe siècle prétendaient qu'il était préférable pour un propriétaire d'esclaves de les battre quatre fois par semaine plutôt que cinq.

    Les abolitionnistes, quant à eux, défendaient le fait qu'aucun être humain ne devait être la propriété d'un autre, car alors, l'être humain n'aurait eu aucune valeur sauf celle accordée par le maítre à l'esclave.

    La position abolitionniste s'érigeait contre le fait de battre les esclaves, parce que l'état d'esclave était en lui-même injustifiable et qu'il importait peu de savoir si l'esclave était traité "humainement".

    Un peu comme si accompagner les hommes sur le chemin des chambres à gaz (comme les nazis le firent pendant l'Holocauste) avec un quatuor à cordes avait pu rendre le chemin plus humain ...

    Si les animaux ont une signification morale, alors il faut abolir le droit de posséder des animaux.

    Nous devons arrêter d'élever ou de posséder des animaux domestiques ou d'utiliser des animaux sauvages pour atteindre nos objectifs.

    Mon opinion est que nous devons abolir l'esclavage animal et ne pas essayer de réformer un état de fait immoral.

    La deuxième raison pour laquelle je rejette le militantisme du bien-être est que, en pratique, ça ne fonctionne pas.

    Nous avons des lois régissant le bien-être des animaux dans les pays occidentaux depuis plus de cent ans maintenant et elles n'ont pu réduire de manière significative leur souffrance ; pas plus qu'elles n'ont induit l'abolition progressive de pratiques cruelles.

    Peter Singer disait récemment que l'accord donné par McDonald pour offrir un peu plus d'espace intérieur aux cages des batteries de poulets était l'avancée la plus significative pour les animaux de ferme depuis son livre La Libération Animale.

    Ainsi, 25 années de réformes pour le bien-être conduisent à un peu plus d'espace dans des cages...

    Peut-être que Peter trouve cela excitant ; pas moi.

    Ceci est une preuve de ce que je disais déjà il y a 10 ans : les réformes pour le bien-être sont inutiles.

    FoA : Pourquoi ne pas mettre vos idées en pratique sur le terrain ?

    Gary Francione : Avant d'entreprendre quoi que ce soit de concret, il doit exister une théorie qui sous-tend cette action.

    Ainsi, un mouvement social se doit d'avoir une base théorique avant d'agir.

    Malheureusement, la position du bien-être de Peter Singer domine actuellement le mouvement.

    Cette position affirme que les militants devraient défendre toutes les mesures qui visent à réduire la souffrance.

    En pratique, cette théorie a eu des résultats désastreux.

    Presque chaque changement proposé, comme, par exemple, donner un peu plus d'espace aux poulets dans les cages ou manger du veau élevé hors caisse est considéré comme réducteur de souffrance.

    La théorie de Singer permet ainsi à de grandes organisations pour le bien-être animal, rassemblant parfois plusieurs millions de dollars, de mener des campagnes de peu d'envergure en croyant que nous allons tous sauter dans le train simplement parce que la souffrance va être réduite !

    Si on suit la théorie de Singer, cela permettrait à ceux qui exploitent les animaux de faire des choses terribles sous couvert de réduire les souffrances et cela laisse la porte ouverte aux activistes.

    Or, c'est précisément ce que les exploiteurs font ( l'exemple de McDonald avec ses soi-disant améliorations le prouve).

    Et le "mouvement" y adhére simplement parce que Singer a déclaré que ces améliorations insignifiantes réduisaient la souffrance.

    Je pense que nous avons besoin d'une théorie de remplacement.

    Et je ne suis pas irréaliste.

    Je reconnais que, même si nous adoptions une théorie abolitionniste, l'abolition n'interviendrait pas immédiatement.

    Le changement serait nécessairement progressif.

    Mais je considère que notre but implicite doit être l'abolition et que celle-ci entraínera des changements progressifs.

    D'un autre côté, je pense - car cela n'est pas réaliste - qu'il ne faut pas s'attendre  à ce que les industries qui utilisent les animaux à des fins lucratives pourront s'auto-contrôler.

    Comme je l'ai souvent remarqué, les lois sur "l'abattage humain" sont difficiles à imposer et les réalités économiques de l'industrie de la viande plaident contre de tels standards d'auto-régulation.

    En sus, de telles lois accroissent la souffrance générale, car elles permettent au public d'avoir meilleure conscience de manger de la viande ou d'accepter tout autre utilisation légale des animaux.

    C'est le vice caché du militantisme pour le bien-être des animaux.

    Il y aura toujours des partisans du bien-être qui feront la promotion des attaches plus longues pour les esclaves et qui appelleront cela du changement progressif.

    Dans un livre récent, je démontre que la forme la plus importante de changement progressif est l'éducation du public face à cette nécessité de l'abolition.

    Nous n'en sommes pas là, car le mouvement américain a toujours été considéré comme assez radical.

    Nous ne voulons pas aller à contre-courant.

    Le problème est que le "courant" est pollué et donc que nous devons nous en éloigner.

    A ceux qui proclament que l'abolitionniste n'a pas de stratégie à mettre en pratique actuellement, j'ai longtemps soutenu le contraire.

    Imaginez ce qui se passerait si le mouvement international pour les animaux lançait une campagne soutenue et centralisée en faveur d'un régime purement vegan.

    Pensez à ce qui pourrait être fait si une partie importante de nos ressources pouvait être utilisée de telle sorte que les gens deviennent conscients du besoin de ne plus manger de produits animaux du tout.

    Au bout de 5 ans, nous n'aurions certainement pas atteint un véganisme mondial mais nous aurions probablement réduit considérablement la consommation de produits animaux , plus que si nous avions agi via des campagnes du type « Mangez du veau rose (rouge ?)».

    Et à quoi aurions-nous renoncé si nous avions poursuivi ce chemin ?

    Peter Singer pense que 5 cm d'espace en plus par cage est la meilleure amélioration que les animaux "d'élevage" aient connu au cours des 25 dernières années ; un autre argument serait de dire que 100 nouveaux vegans dans 5 ans réduiraient davantage la souffrance que cela.

    Alors, quand commencerons-nous ?

    Je sais bien sûr que beaucoup de personnes occupant des postes dirigeants ne sont pas véganes (ni même végétariennes).

    De ce fait, elles trouvent difficile d'adhérer à un mouvement dont l'axiome principal est le véganisme.

    Pourtant, le véganisme est l'objet même de ce mouvement.

    Le véganisme, c'est le principe de l'abolitionnisme appliqué à notre vie quotidienne.

    Celui qui prétend être un défenseur des droits des animaux et n'est pas vegan ne peut être pris au sérieux.

    FoA : Cela n'exclut-il pas un bon nombre de gens "bien-pensants" ?

    Gary Francione : Beaucoup de défenseurs disent qu'il est "élitiste" de considérer qu'il y a des causes morales comme le véganisme.

    Mais c'est comme de dire qu'il est élitiste que le féminisme rejette le viol.

    Il est donc tout simplement inepte de maintenir qu'il est possible de défendre les droits des animaux et de continuer à consommer des produits animaux.

    Beaucoup de défenseurs pensent que le véganisme est purement facultatif et que c'est une sorte de police du véganisme qui insisterait sur son adoption.

    Ce n'est pas très différent de dire, dans le cas de la défense des droits de l'enfant, que ceux qui condamnent la pédophilie sont une police pédophile.

    Si un défenseur des droits de l'enfant n'est pas membre de cette police pédophile, il n'est pas un défenseur des droits de l'enfant.

    FoA : Y a-t-il d'autres obstacles qui empêchent de sortir le mouvement du marasme ?

    Gary Francione : La position de la défense des droits des animaux est de dire que l'exploitation institutionnelle doit être abolie et pas seulement réglementée.

    Mais les différents groupes et institutions qui s'impliquent dans la défense des animaux sont conscients du fait que les perspectives abolitionnistes peuvent offenser certains donateurs.

    C'est pourquoi la politique de beaucoup de groupes est déterminée par les dollars des donateurs.

    http://www.payscotentin.net/terroir/photo/vache_veau_normande_g.jpg

    FoA : Et donc, s'ils n'agissent pas pour l'abolition du statut de propriété des animaux, nous nous trouvons dans une position des plus funestes...

    Gary Francione : Exactement.

    Et le bien-être des animaux - à la fois dans son contexte moral et dans son principe légal - demande en partie que nous contrebalancions les intérêts humains et non-humains pour déterminer si l'utilisation ou le traitement d'un animal en particulier est "nécessaire".

    Si l'intérêt humain est supérieur à l'autre, l'utilisation du traitement est considérée comme nécessaire et moralement ou légalement justifiable.

    Dans le cas inverse, l'utilisation est considérée comme inappropriée et donc moralement et légalement injustifiable.

    Jusqu'à ce qu'une révolution de l'esprit humain se mette en place, il y aura toujours exploitation de ce qui n'est pas considéré comme humain et cela ne se passera pas sans que des visionnaires essaient de changer le paradigme qui légitimise la violence patriarcale.

    Actuellement, le rôle du juriste, défenseur des droits des animaux, n'est pas d'être une force première de changement du système.

    En tant que juristes, nous faisons partie du système qui existe pour défendre les intérêts du droit à la propriété.

    William Kunstler, bien qu'il soit le plus éminent juriste en droit civil du XXe siècle, m'a même dit un jour que je ne devrais jamais penser que le juriste est la "star" d'un spectacle.

    Notre travail de juriste est de maintenir les activistes sociaux à l'abri du danger.

    De mon point de vue, un juriste utile à la défense des droits des animaux doit être aussi juriste en criminologie, aider les activistes qui se voient accuser de désobéissance civile.

    Il doit être aussi juriste en droit administratif, et aider les activistes à obtenir des autorisations pour manifester.

    Il doit être enfin juriste en droit constitutionnel, et aider les étudiants qui s'opposent à la vivisection dans les cours, ou aider les prisonniers qui désirent une nourriture végane.

    Ainsi le juriste peut servir et défendre le militant.

    C'est le militant qui aide à changer le paradigme.

    Sans des clients engagés qui reflètent un consensus social croissant, le juriste ne sert à rien.

    Mais bien que je maintienne l'idée d'une indispensable révolution, laissez-moi préciser ce que je veux dire.

    Je suis totalement et sans équivoque contre toute forme de violence à l'égard des humains ou de toute autre forme de vie.

    Je suis fermement engagé dans le principe de non-violence.

    La révolution que je souhaite est celle du coeur : j'essaie d'amener les êtres (et particulièrement les hommes) à réfléchir et à rejeter la violence.

    J'essaie de faire disparaítre cette idée que certains êtres, qu'ils soient blancs, ou riches, ou humains en général, ont plus de valeur que d'autres formes de vie.

    Si nous sommes sérieux dans notre action en faveur des droits des animaux, nous devons cesser de les utiliser pour nos propres besoins.

    Et cela est surtout valable pour les animaux domestiques.

    FoA : Nous nous sommes entretenus... [précédemment] sur vos opinions concernant la loi connue sous le nom de CHIMP Act.

    Malheureusement, vos mises en garde ne furent pas suivies.

    Comme vous l'aviez prédit, une loi qui favorisait le statut de propriété des grands singes était votée.

    Qu'est-ce que cela implique ?

    Gary Francione : Cette loi était soutenue par PeTA, la Société Nationale d'Anti-Vivisection, la Société Américaine d'Anti-Vivisection et des membres influents du Conseil de direction de la Société d'Anti-Vivisection de Nouvelle Angleterre.

    Un tel soutien était un signal clair pour les scientifiques qu'ils pouvaient poursuivre leurs recherches psychologiques et biologiques, et qu'ils ne seraient pas inquiétés, voire qu'ils seraient aidés, par des groupes qui auparavant les avaient attaqués.

    Nous voyons donc à présent que les pratiquants de la vivisection ont à leur côté PeTA, les groupes anti-vivisection et Jane Goodall.

    Qu'est-ce que cela signifie pour le futur ?

    Il est devenu clair que l'utilisation des animaux lors des expérimentations peut continuer sans critique majeure de la part des mouvements pour les animaux  ; en fait, le mouvement réduit son opposition à la vivisection.

    FoA : Nous devrions alors réveiller ce mouvement !

    Vous avez mentionné Peter Singer et PeTA comme ne soutenant pas l'idée d'abolir le droit de propriété.

    Mais tous deux semblent publiquement représentatifs de ce que le mouvement pour les droits des animaux peut faire.

    Peuvent-ils être considérés comme responsables de l'inefficacité du mouvement de défense ?

    Gary Francione : Ironiquement, Singer et PeTA ont littéralement privé de sa substance le mouvement pour les droits des animaux aux Etats-Unis.

    La présidente de PeTA, Ingrid Newkirk, nous a dit que Peter Singer est un intellectuel qui considère toutes les facettes d'une solution possible.

    Newkirk défendait ainsi un texte intitulé "Heavy Petting" dans lequel Singer n'avait rien contre l'idée d'avoir des relations sexuelles avec un veau ou de jeunes vaches.

    Textuellement :

    "Ils ont des pénis et des vagins comme nous, et le fait qu'un vagin de veau puisse être satisfaisant pour un homme montre combien leurs organes sont similaires".

    Ensuite, nous avons l'exemple de PeTA exhibant des exemplaires du magazine Playboy au Capitol Hill afin d'attirer l'attention des législateurs.

    PeTA rend l'activisme trivial, tout comme Peter Singer rend triviale la théorie des droits des animaux.

    A eux tous, ces gens contribuent à transformer une idée sérieuse en « peep show ».

    Je pense que quelques-uns de ces leaders devraient s'accorder un instant de réflexion afin d'apprendre comment respecter la personne humaine avant de continuer leurs campagnes.

    Au lieu de finasser sur des nuances intellectuelles, PeTA devrait être attentif au fait évident que lier la philosophie de Playboy avec les droits des animaux distille un message assez perturbant.

    Si les droits des animaux peuvent ouvrir un espace à la pornographie, quelle sorte de mouvement social avons-nous là ?

    Certains critiques ont dit que le mouvement pour les droits des animaux était affecté par les attitudes de personnes misanthropes.

    Il est temps de prendre cette critique au sérieux.

    Fondamentalement, il n'y a pas de différence entre traiter un humain ou un animal avec respect.

    Nos campagnes doivent se penser en termes holistiques.

    Je voudrais inviter les défenseurs des animaux à réfléchir sur un principe fondamental : un changement radical - allant au plus profond des choses - ne peut être imposé par de grands conglomérats ni par ceux qui les courtisent.

    Il faut faire attention aussi au mot "expert".

    Quand nous nous référons plus particulièrement à une personne ou à un groupe plutôt qu'à une idée comme point central du mouvement, nous accordons un grand pouvoir à cette personne, qui peut alors faire un tort considérable au mouvement.

    Le meilleur exemple est Singer lui-même.

    Des défenseurs ont favorisé - et même encouragé et facilité - sa mise en avant comme porte-parole incontournable des droits des animaux.

    Tous ceux qui ont lu avec soin son livre sur la libération animale savent que Peter Singer ne défend ni les droits humains ni ceux des animaux.

    Il maintient de manière constante qu'il est moralement acceptable de manger des animaux et de les utiliser de différentes manières (aussi longtemps que nous ne les faisons pas souffrir).

    Il considère aussi comme acceptable le fait de tuer des enfants gravement handicapés et d'utiliser des humains comme sujets non-consentants pour des expériences de recherche biomédicale, et ceci dans certaines circonstances.

    Récemment, il a même absous des actes sexuels entre des hommes et des animaux.

    Le mouvement en vient peu à  peu à déifier Singer.

    Se poser en désaccord avec lui revient pour certains à un acte déloyal envers la cause !

    Le résultat est que le mouvement est maintenant encombré par un représentant qui défend McDonalds, qui pense que certaines formes de vie considérées comme ayant moins de valeur peuvent être sacrifiées pour nous, et qui déclare que "des relations sexuelles mutuellement satisfaisantes" peuvent être développées entre des hommes et des animaux.

    FoA : Vous avez parlé de "schizophrénie morale" à propos de l'attitude de l'homme envers les animaux.

    Qu'entendez-vous par là ?

    Gary Francione : La plupart d'entre nous vivent avec des chiens, des chats ou d'autres animaux et les considèrent comme des membres de la famille.

    Par contre, nous enfonçons sans complexe nos fourchettes dans la chair d'autres animaux qui ne sont pas différents de ceux que nous considérons comme étant de notre famille.

    C'est un comportement bizarre quand on y réfléchit.

    Si on élargit cela au niveau social, presque tout le monde est d'accord sur l'idée qu'il est immoral d'imposer des souffrances inutiles aux animaux - et ceci implique dans tous les sens du terme qu'il est incorrect de faire souffrir pour s'amuser, avoir du plaisir ou par convenance personnelle.

    Après tout, une règle qui dirait que nous ne pouvons infliger des souffrances aux animaux, sauf si nous y prenons plaisir, serait absurde.

    Or, à ce jour, 99,9 % de notre utilisation des animaux ne peuvent être justifiés par autre chose que le plaisir.

    Nous sommes en 2002.

    Personne ne peut affirmer que nous avons besoin de manger de la viande pour nous maintenir en bonne santé.

    De plus, un nombre de plus en plus grand de professionnels de la santé soutiennent qu'il est néfaste pour la santé de manger de la viande et des produits dérivés animaux.

    L'agriculture animale est un désastre écologique.

    Il faut entre 6 et 12 livres de protéines végétales pour produire une livre de protéines animales, et produire une livre de chair plutôt qu'une livre de blé demande cent fois plus d'eau.

    La meilleure justification que nous avons trouvée pour manger de la viande est que cela a bon goût.

    Celle pour justifier les rodéos, les cirques, les zoos, la chasse, etc. est que cela nous distrait.

    En bref, la culture occidentale déclare prendre au sérieux les intérêts des animaux (nous disons tous être contre la souffrance inutile), mais nous imposons souffrance et mort à des animaux dans des situations où la nécessité est inexistante.

    C'est ce comportement que je définis par l'expression "schizophrénie morale".

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    FoA : Votre point de vue sur l'activisme et les théories relatives a-t-il évolué ces dernières années ?

    Gary Francione : Oui, je crois avoir modifié certaines approches.

    J'ai commencé par soutenir les défenseurs du bien-être.

    C'était au tout début de mon engagement et je croyais que cela serait porteur d'améliorations pour les conditions de vie des animaux.

    Je pensais que mettre l'accent sur leurs conditions de vie amènerait la suppression de leur utilisation dans l'industrie.

    Il m'apparaissait évident alors que favoriser le bien-être des animaux ne pouvait qu'agir dans ce sens.

    Ainsi, par exemple, si nous protestions contre l'établissement d'un camp de concentration, serait-il logique de militer pour des améliorations de conditions de vie dans ce camp ?

    Non, puisque, implicitement, le seul fait de le créer impliquerait au départ que le camp est satisfaisant tel quel.

    La seule chose appropriée serait alors de ne pas construire le camp ou de s'en débarrasser, car c'est l'idée de l'existence de ce camp qui est fondamentale.

    Nous sommes donc ici face, non pas à la manière de gérer les choses, mais face à leur existence.

    FoA : Beaucoup de défenseurs du bien-être disent que vos opinions sont sources de "division".

    Que leur répondez-vous?

    Gary Francione : Ne pas être d'accord n'est pas diviser.

    Je suis en désaccord avec les défenseurs du bien-être.

    Je considère le militantisme pour le bien-être comme inefficace et anti-productif.

    Je pense que c'est une évidence empirique que ce dernier ne fonctionne pas.

    Malgré toutes les campagnes en faveur du bien-être qui ont été menées au cours de ce dernier siècle, nous continuons d'utiliser les animaux, de manières plus horribles et intensives que jamais dans l'histoire.

    Mais il y a un point plus important : il n'y a pas de débat au sein du Mouvement américain pour les animaux.

    Si une campagne est lancée, nous sommes tous supposés la soutenir.

    Peter Singer et Ingrid Newkirk se plaignaient récemment que j'attaque leurs opinions en étant finalement du même côté.

    S'il y a une chose dont je suis certain, c'est que je ne suis pas du même côté.

    Nos vues sont différentes.

    Nous avons besoin de débattre davantage de nos désaccords au sein du mouvement, ni plus ni moins.

    Et nous ne devrions pas avoir peur d'être étiquetés "sources de division".

    C'est en fait une appellation uilisée par ceux qui n'ont rien à dire face aux critiques légitimes ou aux observations qui sont faites.

    FoA : Certaines personnes pourraient dire que votre théorie sur les droits des animaux est une théorie du "tout ou rien", et que cela n'est pas juste de ne pas apporter d'améliorations au bien-être d'animaux qui sont vivants et qui souffrent.

    Cela dit, comme cela prendra beaucoup de temps avant que les droits des animaux soeint reconnus et établis, y a-t-il un moyen efficace aujourd'hui d'aider les animaux qui souffrent ?

    Gary Francione : Devenez vegan et consacrez au moins une heure de votre temps quotidien pour éduquer votre famille, vos amis, vos voisins ou toute personne qui voudra écouter vos arguments moraux et environnementaux en faveur du véganisme.

    Je peux vous garantir qu'à la fin de l'année, vous aurez fait plus pour le changement en faveur de l'abolitionnisme (et ses étapes de changement) que si vous aviez passé votre temps à élargir les cages à poulets ou à militer pour des abattoirs plus "humains".

    Si vous souhaitez vous joindre à des campagnes législatives, rejoignez des campagnes abolitionnistes et non réformistes.

    Dans un de mes livres, je parle des critères qui permettent de distinguer les campagnes abolitionnistes.

    Mais je ne peux que mettre en évidence le fait que l'action la plus importante est de devenir vegan et de soutenir des programmes d'éducation en ce sens.

    Les campagnes en faveur du bien-être peuvent nous aider à nous sentir mieux, à nous déculpabiliser, mais elles ne font rien pour soulager la souffrance.

    [...]

    Récemment, certains défenseurs de la cause animale m'ont demandé de définir quelques principes qui pourraient être utilisés comme résumé de ce que je considère comme les bases morales des droits réels du mouvement pour les animaux.

    Les voici :

    1. La position de défense des droits des animaux soutient qu'il n'y a aucune forme de vie qui puisse être traitée comme la propriété d'une autre.

    2. La reconnaissance de ce premier principe implique que nous devons abolir, et pas seulement réglementer, l'exploitation institutionalisée des animaux - parce que celle-ci implique que l'animal est la propriété de l'homme.

    3. Tout comme nous rejetons le racisme, le sexisme, l'âgisme, l'homophobie, nous rejetons la discrimination par l'espèce. Celle-ci n'est pas différente des autres formes de discrimination fondées sur la race, le sexe, l'âge ou l'orientation sexuelle : comme ces dernières, elle entraîne l'exclusion de la communauté morale.

    4. Nous reconnaissons que nous n'arriverons pas à abolir en une nuit l'appropriation d'êtres vivants, mais nous ne soutiendrons que les campagnes ou les prises de position qui défendent explicitement l'évolution vers l'abolitionnisme. Nous ne soutiendrons pas des positions qui appellent à une amélioration supposée de la réglementation de l'exploitation animale.

    5. Nous rejetons toute campagne favorisant le sexisme, le racisme, l'homophobie ou toute autre forme de discrimination humaine.

    6. Nous soutenons que le pas le plus important que chacun de nous puisse faire en faveur de l'abolition est de devenir vegan et d'éduquer les autres en ce sens. Le véganisme est le principe de l'abolition appliqué à sa vie personnelle. La consommation de viande, poisson, volaille ou produits dérivés, de produits d'origine animale pour l'habillement, et plus généralement l'utilisation de tout produit d'origine quel qu'il soit est incompatible avec la perspective abolitionniste.
    7. Nous reconnaissons que le principe essentiel guidant le mouvement des droits des animaux est le principe de non-violence.
  • Interview de Gary Francione par Animal Voices (Canada)

    Transcription d’une interview de Gary Francione donnée le 6 février 2002.

    Lauren (L) : Bonjour et bienvenue sur Animal Voices. Je m’appelle Lauren.

    Nadja (N) : Bonjour, moi c’est Nadja.

    L : Je suis très enthousiasmée par l’émission d’aujourd’hui. Nous en avions déjà parlé à l’antenne depuis pas mal de temps maintenant, mais organiser les choses sur une radio communautaire n’est jamais facile. Aujourd’hui, ça y est, nous allons enfin pouvoir interviewer Gary Francione, personnalité très connue au sein du mouvement des droits des animaux. Professeur de droit à la Rutgers University School of Law, il est également l’auteur de plusieurs essais dont Rain Without Thunder: The Ideology of the Animal Rights Movement, Animals, Property, and The Law, Ethics and Actions et Introduction to Animals Rights: Your Child or The Dog?, ainsi que de nombreux articles.

    Dire que Francione est controversé est un euphémisme. Il dérange ceux qui sont à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du mouvement des droits des animaux, conteste le welfarisme1 et les actions qui s’y rapportent, même si elles sont menées sous la bannière des droits des animaux. Bref, il appuie là où ça fait mal, et nous sommes très heureux de l’avoir aujourd’hui parmi nous.

    Merci Gary d’avoir accepté notre invitation.

    Gary Francione (GF) : Tout le plaisir est pour moi.

    L : Je vous propose de commencer par quelques questions d’ordre général. Votre plus récent ouvrage s’intitule Introduction to Animals Rights: Your Child or The Dog? Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez choisi ce titre pour lancer le débat sur les droits des animaux ?

    GF : Vous savez, cela fait environ vingt ans que je travaille sur le sujet, et si j’avais reçu cinq cents chaque fois que quelqu’un me demande : « Vous êtes pour les droits des animaux, mais si jamais vous deviez choisir entre votre enfant et votre chien, lequel des deux sauveriez-vous ? », je serais riche à l’heure qu’il est.

    J’ai toujours pensé qu’il s’agissait d’une question dénuée de sens. Mais je l’ai quand même choisie comme titre parce que j’écrivais un livre à destination du grand public, autrement dit de tous ceux qui n’étaient pas familiarisés avec la question des droits des animaux. Pour de telles personnes, l’une des premières choses qui leur vient à l’esprit lorsqu’elles y réfléchissent est : « Si vous croyez que les animaux ont des droits, alors ça veut dire que vous pensez que c’est OK de choisir un animal à la place d’un humain dans une situation de conflit. »

    Voici ce que je tente d’expliquer dans mon livre : imaginons que je passe devant une maison en feu et que j’aperçoive à l’intérieur un vieillard dont je sais qu’il est atteint d’une maladie incurable et une personne jeune – autrement dit deux animaux humains. Admettons maintenant que j’aie le temps de n’en sauver qu’un seul (ce qui sous-entend qu’il m’est factuellement impossible de sauver les deux). Le fait est que je vais m’élancer et sauver la personne jeune, simplement parce que j’ai décidé que rien de ce que je ferai dans une telle situation ne sera moralement idéal. Je peux seulement faire ce que je fais et sauver la personne jeune. Cela signifie-t-il pour autant qu’il est loisible d’utiliser les personnes âgées pour des expérimentations biomédicales, de les manger, de les faire participer à des rodéos ou de les enfermer dans des cirques et des zoos ? La réponse à une telle question est bien évidemment non.

    Donc même si je passe devant une maison en flammes et que, confronté au choix de sauver un animal ou un humain, je choisis de sauver l’humain, qu’est-ce que ça signifie ? Ça ne signifie pas qu’il est pour autant permis de manger les animaux, de les utiliser dans des expériences ou quoi que ce soit de ce genre. Ça nous dit seulement que dans des situations de vrai conflit, nous sommes obligés de faire des choix.

    L’une des thèses essentielles de mon livre est de dire que dans 99,99999 % des cas, les conflits que nous rencontrons avec des animaux nonhumains sont des conflits que nous avons nous-mêmes créés. Parce que nous les domestiquons, nous les faisons advenir à l’existence dans l’unique but de les exploiter, et après nous nous tordons les mains en nous demandant quelles peuvent bien être nos obligations morales à leur égard.

    Je voulais donc me servir de cette question afin d’introduire une série de thèmes et problèmes, et les discuter afin que les gens qui ne seraient pas familiarisés avec le sujet y voient plus clair. J’ajoute que lorsqu’on évoque la question des droits des animaux, la plus grande part de confusion chez le public (qu’il soit ou non sensibilisé au problème) vient du flou qui entoure l’expression « droits des animaux ». Que signifie-t-elle exactement ? Voulons-nous dire par là que les animaux ont les mêmes droits que les humains ? Eh bien, je ne crois pas, même si certains en sont convaincus. Je maintiens pour ma part que les animaux ont un droit : celui de ne pas être une propriété.

    J’ai du mal à comprendre ce que les gens veulent dire quand ils parlent des divers droits que les animaux devraient avoir. Quand on me demande par exemple, sous prétexte que je suis avocat et que j’enseigne le droit à l’université, si une vache devrait avoir le droit d’intenter un procès aux éleveurs, je ne peux que répondre que de telles questions sont stupides.

    En premier lieu, pourquoi cette vache se trouve-t-elle là ? Si les animaux n’étaient pas considérés et traités comme des propriétés, nous ne les domestiquerions pas et ne les ferions pas venir au monde dans l’intention de les exploiter. Mon argument est donc que les animaux ont un droit : celui de ne pas être une propriété.

    Il est évident qu’une fois qu’on leur aura reconnu et accordé ce droit, le monde changera de manière spectaculaire. Parce que ça signifiera que nous ne pourrons plus persévérer dans la voie qui est la nôtre aujourd’hui chaque seconde de chaque minute de chaque jour : celle de l’exploitation institutionnelle, qui suppose que les animaux ne sont rien d’autre que des biens.

    L : Attardons-nous maintenant sur ce qui m’a paru constituer le thème principal de Rain Without Thunder. Vous être très clair dans votre tentative de différenciation entre discours des droits, philosophie des droits et philosophie welfariste. Pourriez-vous expliquer à nos auditeurs en quoi cette distinction est importante et ce que vous entendez par l’expression « néo-welfaristes » ?

    GF : Au XIXe siècle aux Etats-Unis existaient deux groupes de gens, deux positions par rapport à l’esclavage de l’homme. Il y avait ceux qui assuraient que nous devions réglementer l’esclavage afin de le rendre plus humain, et les autres qui jugeaient que l’institution esclavagiste était intrinsèquement mauvaise et qu’il convenait de l’abolir. Que nous devions la rejeter purement et simplement parce qu’elle était moralement indéfendable.

    Ceux qui estimaient que l’esclavage devait être aboli étaient en désaccord avec les partisans d’une réglementation et refusaient de soutenir leurs efforts afin que l’esclavagisme devienne une institution plus « humaine ». Ils refusaient de soutenir des lois qui rendraient l’esclavage plus « humain ». Leur position était : nous ne pouvons pas nous engager là-dedans, l’esclavage est une mauvaise chose et doit être aboli en tant que telle, un point c’est tout. Nous devons œuvrer pour l’abolition et non pour un aménagement de l’esclavage. Ce que je veux dire, c’est que vous pouvez faire jouer une symphonie dans un camp de concentration ou de la musique sur le chemin des chambres à gaz, ça n’en restera toujours pas moins un camp de concentration.

    Donc ce que j’ai voulu prouver dans Rain Without Thunder, c’est que c’est une évidence théorique qu’il existe une différence majeure entre droits et welfarisme : il s’agit de la même différence qui séparait autrefois la politique de réglementation de celle d’abolition de l’esclavage. Je voulais également montrer qu’il n’y a jamais eu de preuve comme quoi le welfarisme fonctionne dans les faits. Ceux qui prétendent qu’il est un moyen de réduire la souffrance animale ici et maintenant se trompent : il s’agit seulement d’un non-sens. Il n’y a aucune preuve que les réformes welfaristes réduisent réellement la souffrance, ou du moins de façon significative pour un nombre significatif d’animaux.

    Quand j’ai utilisé l’expression « néo-welfarisme », c’était à propos de ces gens qui se nomment eux-mêmes militants pour les droits des animaux, et qui, tout en visant l’abolition, estiment que la réglementation est la seule manière d’y parvenir. A ceux-là, je réponds simplement qu’il n’y a pas de preuve historique comme quoi le welfarisme a entraîné l’abolition de quelque pratique que ce soit. En fait, ce que le welfarisme tend à faire est de renforcer davantage les institutions exploiteuses en rendant les gens plus à l’aise par rapport à leurs activités.

    Exemple typique : ce qui se passe aujourd’hui aux Etats-Unis (et que je juge véritablement obscène). On ne compte plus le nombre d’organisations « pour les droits des animaux » occupées à faire l’éloge d’industries comme McDonald’s et Burger King sous prétexte qu’elle sont supposées souscrire aux nouvelles méthodes d’abattage « humain ».

    Si on se penche là-dessus une seconde, on se rend vite compte que ces méthodes ne changeront rien pour les animaux. Tout ce qu’elles feront (tout comme les éloges qu’on leur décerne) sera de rendre pas mal de personnes plus à l’aise par rapport au fait de manger de la viande. De fait, j’ai eu un certain nombre de discussions avec des gens, dont des collègues d’université, qui m’ont dit : « J’ai désormais moins de scrupules à conduire mes enfants chez McDonald’s vu que PETA prétend qu’ils sont corrects et qu’ils évoluent dans la bonne direction. Je n’ai donc pas mauvaise conscience à les y emmener. »

    Je ne crois pas que le welfarisme fasse grand-chose hormis offrir aux associations l’opportunité d’organiser des récoltes de fonds et de rendre le public moins scrupuleux quant à l’exploitation animale. Quant aux animaux, ça ne change strictement rien pour eux.

    Donc quand je parlais de néo-welfarisme, c’était pour dire que sous bien des aspects les militants pour les droits ne diffèrent guère des welfaristes de 1850. Ces derniers souhaitaient aussi qu’un jour l’esclavage prenne fin, mais tout ce qu’ils faisaient, à l’instar de nos militants actuels, c’était de s’inquiéter de la façon de le réglementer.

    Les welfaristes d’aujourd’hui ont exactement la même position qu’hier, à ceci près qu’ils préfèrent désormais aller « nus plutôt qu’en fourrure » et d’autres trucs du même acabit. Ils y ajoutent une sorte de vernis et ils appellent cela être radical. Le fait est que ce n’est pas radical du tout. En réalité, tout cela est incroyablement réactionnaire.

    N : Attardons-nous si vous le voulez bien sur le concept de welfarisme animal. Dans votre essai Rain Without Thunder, sur la base d’exemples, vous définissez le mouvement welfariste comme très similaire au système d’exploitation, que ce soit en terme d’objectifs et de programmes. Pouvez-vous donner des exemples qui viendraient étayer ce raisonnement afin que les gens comprennent bien votre position et ce que vous entendez par là ?

    GF : Aucun problème. Si vous examinez la législation welfariste en général (et je limite mes remarques aux Etats-Unis, parce que même si je me suis penché sur la législation canadienne il y a quelques années, je ne m’en souviens pas assez bien : je vais sur mes cinquante ans et ma mémoire flanche de plus en plus [rires]), qu’il s’agisse de l’Animal Welfare Act, du Humane Slaughter Act [Loi sur des méthodes humaines d’abattage, NdT] (la dernière en date), du Chimpanzee Health Improvement, Maintenance and Protection Act (qui a été appuyé par la majorité des grosses associations animales américaines), vous vous apercevez que tous ces décrets ont été largement soutenus par les exploiteurs eux-mêmes.

    Prenons par exemple l’Animal Welfare Act. A la base, l’Animal Welfare Act ne prohibe rien du tout. Pour résumer, il s’agit d’un texte très long avec beaucoup de règlements, mais pour le définir en une phrase disons qu’une fois que la porte du laboratoire est close, les vivisecteurs peuvent faire ce qu’ils veulent avec leurs victimes. Du moment qu’ils ont l’argent pour le faire, ils peuvent le faire. La loi ne fait rien pour interdire aucune forme particulière d’expérimentation. Tout ce que prescrit l’Animal Welfare Act est de fournir aux animaux une certaine dose de nourriture, une certaine quantité d’eau (sauf bien sûr si les expériences portent sur la privation de l’une ou de l’autre) et une cage d’un certain espace.

    La communauté biomédicale s’est montrée d’accord avec l’Animal Welfare Act parce que ses rédacteurs partaient comme elle du principe que si vous ne fournissez pas de l’eau, de la nourriture et un minimum d’espace à l’animal, alors celui-ci sera stressé et souffrira plus qu’un animal en état de stress « ordinaire » lors d’une expérimentation. Et que cette situation peut fausser les variables, et de ce fait menacer la validité des données obtenues. C’est là le genre d’appariement grotesque où vous avez d’un côté le mouvement animaliste et de l’autre les vivisecteurs, tous d’accord pour dire que l’Animal Welfare Act est vraiment un truc formidable.

    Même chose avec le Humane Slaughter Act de 1958. Il a été soutenu par le mouvement animaliste. Il l’a également été par l’industrie de l’élevage, parce que l’une des choses que le Humane Slaughter Act prévoyait était qu’en exigeant que les animaux soient étourdis avant d’être enchaînés et hissés, cela réduirait le nombre de blessures chez les ouvriers, et donc par là même le nombre de procès que ceux-ci pouvaient leur intenter.

    Toutes ces lois welfaristes sont en général fortement édulcorées parce que, pragmatisme politique oblige, elles ne peuvent passer que si l’industrie les approuve. Et la seule façon pour qu’elle les approuve est de les édulcorer au point qu’elles finissent par servir directement ses intérêts. C’est une victoire pour tout le monde excepté pour les animaux. C’est une victoire pour les militants parce qu’ils peuvent revenir vers leurs donateurs et le public en disant : « Regardez les progrès merveilleux que nous avons réalisés, donnez-nous plus d’argent ! ». Et c’est une victoire pour l’industrie parce qu’elle peut désormais se revendiquer « humaine » et propre sur elle. Elle profite encore de deux autres bénéfices : celui d’une diminution des accidents chez les ouvriers, et d’une amélioration (du moins c’est ce qu’ils prétendront) des données scientifiques, qui ne seront pas faussées par des variables de stress dues à la privation de nourriture, d’eau, d’espace ou autres choses du même genre.

    Dans la plupart des situations que j’ai constatées et étudiées – et j’ai passé une bonne partie de ma vie universitaire et professionnelle en tant qu’avocat spécialisé dans ces matières -, je ne peux pas me souvenir d’un seul exemple de loi welfariste qui ait fait quoi que ce soit pour aider les animaux. En revanche, je peux fournir des tas d’exemples de ces mêmes lois qui ont permis à des associations d’engranger des milliards de dollars, et citer des tas de situations où l’industrie et la recherche ont profité de telles lois. Mais je ne peux pas en donner un seul où les animaux auraient été bénéficiaires.

    L : J’aimerais qu’on évoque maintenant le cas du Farm Sanctuary (je pense qu’il s’agit du Farm Sanctuary). Ils sont en train de mener différentes campagnes pour tenter de faire interdire l’élevage en batterie. Considérez-vous cette démarche comme welfariste ou pas ?

    GF : J’ai jeté un œil sur cette campagne. Un des points que j’ai soulignés dans Rain Without Thunder est que nous devrions peut-être cesser ce business qui consiste à se focaliser sur la voie légaliste et tenter de le traiter de façon juridique. Réfléchissons là-dessus une seconde. Supposons que demain passe une loi qui proscrit la consommation de viande. Ce serait formidable, n’est-ce pas ? Oui, ce serait formidable, mais cela entraînerait également beaucoup de violence et une révolution en prime [rires], parce que les gens tout simplement ne le toléreraient pas.

    Voyez-vous, je ne suis même pas sûr que nous en sommes au stade où nous pensons que les gens de couleur ont des droits ou que les femmes jouissent intégralement des leurs. Je ne crois pas que nous en soyons . Par conséquent, je crois encore moins que nous sommes parvenus au point où un nombre suffisant de citoyens estime que les animaux ont un statut moral et qu’ils ne devraient pas être considérés et traités comme des biens. Si tel est le cas, alors il me semble que nous perdons bel et bien notre temps et gaspillons nos ressources à tenter de résoudre ce problème par des moyens légaux, des procès et des textes de loi.

    Faisons une expérience. Supposons que toutes les ressources de toutes les organisations animales (et les organisations animales ont beaucoup d’argent) soient investies dans une campagne importante qui éduquerait à fond chaque citoyen, homme, femme et enfant à propos des vertus et des valeurs du régime vegan, et que nous nous tenions à ce projet pendant cinq ans. Mon sentiment est qu’à la fin de ces cinq années – et je serai réellement modeste à ce sujet, ce que je ne suis pas d’ordinaire [rires] -, si nous l’avions tous fait, si chacun de nous qui sommes intéressés par le sujet s’était investi à fond, si Farm Sanctuary, PETA et tous les autres groupes réunis avaient sensibilisé les gens au véganisme, nous aurions au moins mille vegans de plus parmi nous.

    Maintenant, au terme de ces cinq ans, si vous avez mille vegans de plus et que vous comparez vos résultats avec ceux que vous auriez obtenus si vous aviez investi le même nombre de dollars et d’efforts dans une campagne welfariste (que ce soit contre l’élevage des veaux en batterie ou autre chose), il apparaîtra que vous aurez beaucoup plus réduit la souffrance grâce à vos mille nouveaux vegans, et je prends à dessein une quantité aussi faible. Vous en auriez certainement convaincus davantage.

    Nous faisons fausse route en pensant que la loi est le bon moyen de régler le problème. La loi est toujours un mauvais procédé dès lors qu’un nombre suffisant de citoyens n’adhère pas à la théorie morale fondamentale qu’elle tente de mettre en œuvre. J’en veux pour preuve l’avortement aux Etats-Unis. En 1973, la Cour Suprême s’est prononcée dans le procès Roe versus Wade et déclaré que les femmes avaient le droit d’interrompre leur grossesse. La raison pour laquelle la Cour Suprême a agi ainsi est qu’elle a compris que la loi fédérale et la loi d’Etat n’étaient pas en mesure de donner ce droit aux femmes de manière légale, parce qu’il y avait trop de gens en désaccord avec la moralité de l’avortement.

    Le résultat est que depuis que le jugement Roe a été prononcé, l’arrêt a été tellement érodé que maintenant, on en est arrivé au point où 70-80 % des femmes aux Etats-Unis ne vivent même pas près d’une clinique qui pratique l’avortement, et que l’avortement a été tellement restreint – même s’il représente encore un droit constitutionnel, et qu’il le sera jusqu’à ce que George W. Bush réunisse la prochaine Cour Suprême, auquel cas il ne sera plus jamais un droit constitutionnel. Mais pour le moment c’en est encore un, qui pour de nombreuses femmes n’a malheureusement guère de réalité.

    Et la raison en est qu’il y a trop de gens aux Etats-Unis qui ne sont pas d’accord avec ça – à tort selon moi qui ai toujours soutenu très fortement le droit d’une femme à choisir de mettre fin à sa grossesse. Ces personnes contestent l’argument selon lequel l’avortement est nécessaire si les femmes veulent à jamais dépasser leur statut de seconde classe et les problèmes engendrés par une société patriarcale, ainsi que le fait que le droit de mettre un terme à une grossesse est un droit nécessaire. Il n’y a pas assez de gens d’accord avec cette position. Vous pouvez utiliser la loi dans cette situation, mais le résultat sera exactement ce qu’il est devenu : la loi sera dépourvue de réalité pour la plupart des femmes, et au moment où elles pourront profiter de ce droit, la loi sera réformée.

    Une part de ma perplexité quant au fonctionnement de la plupart des groupes animalistes tient donc à ce qu’ils pensent devoir « mener des campagnes ». En fait, c’est une question purement commerciale. Si vous faites fonctionner un groupe de droits des animaux, vous devez continuellement vous adresser au public, continuellement, continuellement pour récolter des fonds. Vous n’accumulez pas ces fonds en lui disant que vous avez de formidables programmes d’éducation qui enseigneront aux gens les vertus du régime vegan, mais en lui disant : « Nous avons ce formidable procès, ce formidable texte de loi, cela va être formidable et faire une prodigieuse différence. » Or la vérité, c’est que c’est un non-sens.

    Exemple typique : la campagne du Farm Sanctuary sur le Downed Animal Act [Loi sur les animaux souffrants, NdT]. J’en parle dans Rain Without Thunder. Le Downed Animal Act n'a absolument rien fait pour résoudre le problème des animaux non transportables. Le temps qu’il parvienne au corps législatif de Californie, la loi était tellement édulcorée que les producteurs de veau californiens et tous les autres producteurs de viande de l’Etat, et même de tout le pays, soutenaient la législation parce qu’elle ne modifiait strictement rien.

    Or le Farm Sanctuary prétend de son côté qu’elle lui donne le droit d’aller sur le terrain, d’exiger ceci et cela… foutaises ! Penchons-nous sur cette fameuse loi : elle ne donne au Farm Sanctuary aucun droit d’aucune sorte. Elle n’exige pas non plus que les animaux soient tués immédiatement. Elle stipule simplement : « déplacés ou tués immédiatement ». La vérité, c’est que ce qui se passait hier continue de se passer aujourd’hui. La seule différence c’est qu’il y a désormais beaucoup de gens pour croire qu’en Californie au moins, le problème a été résolu. Or il ne l’a pas été du tout. Le problème des animaux non transportables parce que malades existe toujours en Californie, en dépit de tout ce que peut prétendre le Farm Sanctuary.

    Mais une fois de plus, vous devez bien garder en tête que le Farm Sanctuary est un business. Il doit continuer d’entasser de l’argent pour continuer de fonctionner. Et afin d’y parvenir, vous devez organiser des campagnes. Voilà la vérité. Je crois que si tous les militants prenaient la peine de s’unir et de répandre un message unifié en vue de l’abolition, ils ne chercheraient pas à faire passer des lois pour les dix prochaines années, mais informeraient la population sur le véganisme de telle sorte qu’un jour peut-être en effet lesdites lois pourraient enfin commencer à passer.

    Mais pour le moment, croire que nous pouvons obtenir des lois valables alors que l’industrie de l’élevage arrive en termes de rentabilité économique juste derrière l’industrie pétrolière est complètement démente. On me reproche souvent d’être un utopiste. Franchement, je trouve cela comique. Ce qui est utopique et irréaliste, c’est la croyance des welfaristes et des néo-welfaristes en ce qu’il vont résoudre le problème via la législation - Downed Animal Act, interdiction des veaux en batterie, etc., autant de trucs qui ne fonctionnent jamais. Ces lois sont systématiquement édulcorées jusqu’à devenir parfaitement dépourvues de sens, justement parce que c’est la seule manière de les faire passer.

    Quand vous entreprenez de vous battre contre l’industrie de l’élevage, vous devez bien savoir que vous vous opposez à une activité économique d’un poids énorme, et que vous n’obtiendrez aucune loi digne de ce nom tant que vous n’aurez pas un nombre suffisant de gens de bonne volonté qui estiment comme vous que notre manière de traiter les nonhumains pose de sérieuses questions morales…

    Je fais ce travail depuis vingt ans et je vais vous dire le problème majeur. Le problème majeur, c’est que la plupart des leaders du mouvement pour les droits des animaux ne sont pas vegans. Il y a beaucoup de militants qui ne sont pas végétariens. Mais il y a également beaucoup de leaders qui ne sont ni vegans ni végétariens. Et c’est ça le vrai problème. Parce que si vous croyez vraiment à l’abolition de l’exploitation animale, vous ne chercherez pas à la rendre effective demain dans le monde entier, mais ici et maintenant dans votre vie. Vous pouvez appliquer le principe de l’abolition dans votre vie dès maintenant en devenant vegan.

    Or je connais beaucoup de militants des droits qui ne sont pas vegans. A vrai dire, j’en connais des masses (je parle de ce que je vois dans mon pays – je ne parle pas du Canada, je n’en sais pas assez sur le mouvement canadien). Et pour moi, si vous n’êtes pas capable d’appliquer le principe de l’abolition dans votre propre existence, si vous ne savez pas résister à une pizza au fromage, une glace ou un bizarre petit morceau de poisson, alors je ne suis pas étonné de ce que mes idées vous paraissent mauvaises [rires]. Mais c’est OK.

    L : Merci, Gary. Votre discours est réellement passionnant, c’est le moins qu’on puisse dire. Nadja, je crois que tu avais une question.

    N : J’essayais de me représenter l’auditeur qui se sent accablé et frustré par les efforts à fournir. Je pense que beaucoup de personnes soutiennent beaucoup de campagnes parce qu’elles pensent sincèrement qu’elles vont avoir un impact. Que suggéreriez-vous aux gens à un niveau individuel, quelle est la chose la plus efficace qu’ils puissent faire pour se donner du pouvoir et ressentir que par là ils en confèrent aux animaux et qu’ils œuvrent en vue de l’abolition ?

    GF : La toute première chose, le premier pas nécessaire consiste à devenir vegan. Vous voulez donner du pouvoir aux animaux, vous voulez faire quelque chose pour eux ? Alors cessez de les manger, de les utiliser, de vous vêtir avec leur peau. Cessez d’engraisser le système exploiteur. Cessez de l’engraisser définitivement. Laissez-moi vous dire ceci : si suffisamment de gens faisaient ce premier pas, si suffisamment de gens comprenaient l'importance de ce problème et qu'il dépasse de loin l'attirance que je peux avoir pour un morceau de pizza au fromage ou de glace, alors nous aurions énormément progressé.

    S’agit-il de choses que les gens peuvent faire ? Comme je l’explique dans Rain Without Thunder – j’ai écrit ce livre en 1996 et je pense toujours ce que je disais à l’époque -, la chose dont à l’heure actuelle nous avons le plus besoin c’est d’éduquer la population. Nous avons besoin de posséder une argumentation solide, nous avons besoin d’apprendre… Je suis toujours consterné lorsque je vois des militants poursuivre des gens en manteaux de fourrure et leur crier après. Vous n’informez pas les gens en les insultant. Vous les informez afin de les amener à réfléchir et comprendre votre point de vue.

    J’ai enseigné pendant vingt ans, et je crois pouvoir dire honnêtement que j’ai une assez bonne réputation en tant que professeur. La seule chose que je me suis efforcé de faire durant toutes ces années a été de comprendre comment convaincre un étudiant. Vous ne venez pas au monde avec la science infuse : vous devez expliquer votre position et la défendre auprès des autres.

    La plupart des militants que je connais veulent réellement travailler et aider les animaux, mais ils ne prennent pas pour autant la peine de s’asseoir et de lire. Ils ne se donnent pas les moyens de répondre aux questions des détracteurs, du genre : « Oui, mais nous mangeons de la viande depuis des milliers d’années, c’est une tradition ». Ou : « N’est-ce pas naturel de manger de la viande ? » Ou encore : « Mais les animaux se mangent bien entre eux. »

    Vous devez être capable de répondre aux questions qu’on vous pose, ce qui est une autre raison pour laquelle j’ai écrit Introduction to Animal Rights. Au dos de ce livre figure un appendice où je réponds à la plupart de ces interrogations. Mon idée était d’armer les militants de savoir, afin qu’ils soient en mesure d’informer efficacement le public. Vous n’avez pas besoin de vous impliquer dans des campagnes tape-à-l’œil, vous n’avez pas non plus besoin de beaucoup d’argent. Tout ce dont vous avez besoin pour défendre votre cause, c’est éduquer la population, la mettre au courant de la manière dont la viande et les produits laitiers sont obtenus, et de l’amener à se confronter à la morale…

    Vous savez, je donne ce semestre un cours de droit et de philosophie. Hier nous avons discuté du concept de personnalité, et j’ai dit à mes étudiants (j’avais commencé d’évoquer la question animale) : « Je vais vous dire quelque chose après quoi vous ne pourrez pas ne pas devenir vegans, et je ne parlerai même pas des droits des animaux. » Ils se sont mis à glousser et m’ont rétorqué : « Non, c’est impossible », et je leur ai répondu : « Bien sûr que si. »

    Je leur ai demandé : « Combien de gens ici sont d’accord pour dire qu’il est mal d’infliger des souffrances non nécessaires aux animaux ? » Chaque étudiant présent a levé la main. C’est alors que j’ai exposé ce que la « nécessité » signifiait en fait dans notre société : plaisir, divertissement, confort, et que précisément le plaisir, le divertissement et le confort ne constituaient en aucun cas des justifications suffisantes pour infliger la douleur. En effet, vous avez une règle qui prescrit qu’infliger de la douleur non nécessaire est mal, mais que par contre vous avez le droit de le faire si cela vous apporte plaisir, confort ou divertissement, auquel cas ladite règle perd tout son sens.

    Ensuite je leur ai posé la question suivante : « Maintenant, seriez-vous d’accord pour dire que si la nécessité signifie tout de même quelque chose, alors le fait que son sens minimal soit le plaisir, l’amusement ou le confort ne peut justifier qu’on inflige la peine ou la souffrance ? » Ils étaient tous d’accord avec ça. Et j’ai continué : « Nous sommes en 2002. Personne, pas même le gouvernement des Etats-Unis, le plus grand propagateur de désinformation de l’univers, ne maintient que vous avez besoin de manger de la viande pour conserver une santé optimale. »

    De fait, de plus en plus de professionnels de la santé affirment que plus vous consommez de produits animaux, plus vous mettez votre santé en péril. La vérité est que tout ce que nous avons en guise de justification pour infliger souffrance, douleur et mort à neuf milliards de créatures chaque année est qu’elles ont bon goût.

    Si vous prenez sérieusement en compte le principe selon lequel il est mal d’infliger des souffrances non nécessaires, vous devez rentrer à la maison ce soir et avant de mettre quoi que ce soit provenant d’un animal dans votre bouche vous poser la question : « Est-ce que je prends vraiment l’éthique au sérieux ? » Si oui, vous reposerez simplement votre fourchette. Sinon, vous devrez vous demander si vous n’êtes pas simplement quelqu’un qui affecte de prendre au sérieux les questions morales.

    Et vous savez quoi ? Nous avons discuté pendant plus d’une heure et demie, et je pense, j’espère pouvoir dire que beaucoup d’étudiants sont sortis du cours en réfléchissant à ce qui venait d’être dit… Comme je l’avais promis, à aucun moment je n’ai mentionné les droits des animaux.

    Il est absolument capital d’informer le public afin de l’amener à réfléchir à ces questions. Je suis peut-être naïf sur ce point (auquel cas tous les efforts d’information sont inutiles - mais les efforts de législation aussi sont inutiles), mais je pense que la plupart des gens aiment à croire qu’ils prennent les questions morales au sérieux. De là l’idée de les persuader en les éduquant. Nous n’avons jamais considéré l’information du public comme un mouvement à part entière. Au lieu de cela, nous brûlons les étapes plutôt que de les franchir une par une.

    Nous n’obtiendrons jamais aucune législation de poids ni aucun changement social significatif sur le problème aussi longtemps qu’il n’y aura pas un nombre suffisant de gens convaincus du fait que les animaux importent, qu’ils ont un statut moral et qu’ils ne doivent pas être des propriétés, et aussi longtemps qu’existeront des organisations prétendument « radicales » qui diront : « Oh oui, McDonald’s fait ce qu’il faut ».

    McDonald’s est obscène à plus d’un titre. Pas seulement par rapport aux animaux mais aussi par rapport à la manière dont il traite ses employés et son impact sur l’environnement. Il y a une foule de choses que McDonald’s fait qui à mes yeux sont fondamentalement mauvaises et qu’il fait afin que nos prétendues organisations radicales puissent dire : « Ils vont dans la bonne direction, ils sont en train de procéder à des changements significatifs », et le résultat d’un tel discours, c’est que cela jette la confusion dans l’esprit du public. Elles n’informent pas celui-ci sur l’horreur des abattoirs, de la production de viande, de cuir, de produits laitiers et du reste. Non : elles l’ embrouillent. Elles l’embrouillent énormément.

    J’ai un collègue à l’université qui est allé jusqu’à me demander : « Vas-tu recommencer à manger de la viande ? » Et j’ai répondu : « Mais de quoi est-ce que tu parles ? »

    N : [rires]

    GF : Il a continué : « Je viens de lire dans le journal ce week-end que PETA – est-ce que ce n’est pas ce groupe… » Et j’ai répondu : « Dis donc, je n’ai plus rien à voir avec PETA depuis plus de dix ans ! » Lui : « Mais les gens de PETA sont supposés être à l’avant-garde, non ? Ils disent que McDonald’s est en train de prendre la bonne direction. Est-ce que ça ne change pas ta façon de penser ? » Je lui ai répondu : « Non. Non, non, pas le moins du monde. »

    Cette anecdote montre quel genre d’impact ce genre de campagnes a sur le public. Elles ne font aucun bien aux animaux. Tout ce qu’elles font, c’est de la pub pour PETA. Je vais vous dire, si j’étais président de McDonald’s, j’aurais fait affaire en une seconde. Pensez donc : vous obtenez une mention spéciale de la part d’une organisation de droits des animaux radicale (supposée radicale, PETA étant devenue très réactionnaire et sexiste) qui affirme que désormais vous allez dans la bonne direction et que vous produisez des hamburgers de façon humaine ! Pardieu, je conclus l’affaire sur-le-champ ! C'est évident si vous vous appelez McDonald’s.

    N : Gary, je serais curieuse de savoir quel genre de réaction vous obtenez de la part de la communauté des droits des animaux. Trouvez-vous que les grosses organisations sont ouvertes au dialogue ?

    GF : Non, absolument pas. Quand j’ai écrit Rain Without Thunder, il y avait des gens qui lors de mes conférences me crachaient dessus. J’ai reçu des menaces de mort. Vous savez, je m’amuse vraiment beaucoup. Cela fait vingt ans que je m’occupe de la question animale. Je débats avec des vivisecteurs tout le temps, je me rends dans des universités et des écoles de médecine et je rencontre des vivisecteurs. Est-ce que je les dérange ? Sans aucun doute. Et pourtant jamais personne ne m’a insulté, harcelé par téléphone ou menacé de mort. Des chasseurs l’ont fait, mais les plus violentes réactions proviennent davantage de ces soi-disant amoureux des animaux que de tous les exploiteurs réunis et multipliés par cinq.

    J’ai été tabassé par la police pendant des manifs, et j’ai été une fois agressé par un vivisecteur qui m’a donné des coups de pied à la tête. Comme je viens de le dire, j’ai eu au fil des ans des démêlés avec les chasseurs et d’autres anicroches. Mais ceux qui ont été les plus violents à mon égard sont les gens soi-disant amoureux de la paix et pleins de compassion pour les animaux. Cela me rend très triste. En fait l’une des raisons pour lesquelles je ne donne plus guère de conférences est que je suis désormais trop vieux pour ce genre de choses. Avoir en face de soi des jeunes qui vous crachent à la figure et vous disent que vous êtes un traître parce que vous critiquez PETA est une expérience très déconcertante mais qui se produit sans arrêt.

    Introduction to Animal Rights est de loin un livre beaucoup plus radical que Animal Liberation. Un des points que j’expose dans cet ouvrage est que les vues de Peter Singer constituent réellement les fondations du nouveau welfarisme. Je pense qu’en partant du principe que tout ce qui diminue la souffrance est quelque chose que nous devons poursuivre – n’importe quelle mesure à laquelle vous pouvez penser ou que je pourrais vous décrire qui réduirait la souffrance -, si cela réduit la souffrance pour un animal, estime Peter, alors vous devez le faire. Fondamentalement, cela signifie que quelque chose se passe et que n'importe quelle campagne welfariste peut toujours être présentée comme une diminution de la souffrance. Je pense que toute la philosophie utilitariste a soutenu la poursuite vaine d’une législation vaine et de réformes juridiques vaines.

    Ce livre est incontestablement plus radical que Animal Liberation. Il va même beaucoup plus loin que The Case for Animal Rights, de Tom Reagan. Selon Tom, pour être détenteur de droits, il faut que vous possédiez un libre arbitre, une autonomie. Mon argument est que la sentience est tout ce dont vous avez besoin pour être membre de la communauté morale. Mon livre va donc beaucoup plus loin que Animal Liberation ou The Case for Animal Rights, mais très peu de groupes en font la promotion parce qu’ils n’aiment pas mes opinions. J’ai encore un plein classeur de lettres datant de 96 et 97, l’époque où j’écrivais Rain Without Thunder, contenant des menaces de mort. [rires]

    C’est très instructif : les seules personnes à m’attaquer davantage que les exploiteurs sont les gens du milieu animal. Ce sont eux qui me critiquent le plus, et le plus personnellement. Les vivisecteurs s’opposent à moi, prétendent que mes idées sont fausses, radicales, extrémistes, qu’elles ne sont pas en phase, ou que je suis socialiste. Ils diront tous des trucs de ce genre. Mais les gens du milieu animal, eux, m’attaqueront personnellement. Ils auront des paroles très dures et utiliseront la violence contre moi. C’est une situation très déconcertante.

    N : Selon vous, de quelle manière devrait s’organiser un forum où ces idées pourraient être débattues afin que le mouvement soit régénéré et ses directions réévaluées ?

    GF : Je souhaiterais avoir une réponse. Pour ma part, je continuerai simplement à faire ce que je fais. Je continuerai d’écrire des livres, de faire des émissions de radio telles que celles-ci ou de télévision, et de participer à des débats dans les universités. Je m’apprête d’ailleurs à donner un discours-programme à l’Université de Richmond à la fin du mois de mars où je me retrouverai en présence des plus importants philosophes d’Amérique du Nord, afin de donner un aperçu de ces questions. En ce qui concerne un mouvement organisé, je n’ai franchement aucun espoir que les discours ou les discussions qui sont les miens… enfin j’entends que si vous dirigez un groupe de droits des animaux, je figurerais certainement à la même place que Dracula sur la liste des gens invités à débattre…

    Les gens de PETA ou du Farm Sanctuary ne sont manifestement pas disposés à discuter ou dialoguer avec moi. Et je trouve ça triste. Je connais Lori et Gene, du Farm Sanctuary, depuis longtemps. Ainsi qu’Ingrid et Alex, Ingrid Newkirk et Alex Pacheco, que j’ai rencontrés lorsque je commençais à m’impliquer dans le mouvement. J’ai été le premier avocat de PETA il y a de très nombreuses années, au début des années 80, quand j’étais beaucoup plus jeune qu’aujourd’hui. Ça n’empêche pas que la discussion avec ces personnes est impossible. J’ai essayé mais elles n’étaient pas intéressées.

    Lorsque le Farm Sanctuary s’apprêtait à donner une grande fête en l’honneur de la sortie du film Babe, ils voulaient que j’approuve leur plan et que je vienne faire un discours, etc. J’ai refusé parce que je ne voulais rien avoir à faire avec ça. Je ne veux rien avoir à faire avec un film où les animaux sont utilisés, tués ou blessés. Je me moque de savoir s’il véhicule un message pro-animal, à mes yeux ce serait comme faire un film avec un message pro-femme dans lequel une femme est violée. Je ne soutiendrai jamais ce genre de choses, même s’il fait passer un message positif. En outre je demanderais à ceux qui pensent que Babe véhicule un message tellement formidable pourquoi dans ce cas McDonald’s se l’est immédiatement approprié et a commencé à sortir des Babe Happy Meals. Manifestement, la valeur éducative du film a été quelque peu perdue en route.

    Je me rappelle avoir eu une discussion avec eux et leur avoir dit : « En quoi est-ce réellement différent d’un film sur les droits des femmes où l’on violerait une femme ? » Personne n’avait de réponse, excepté : «  Gary, arrête avec ça. On aimerait juste que tu coopères. » Mais j’ai dit non, que je n’étais pas intéressé pour coopérer. Je ne suis pas un commercial, ça ne m’intéresse pas de participer au business du welfarisme animal. Ni leurs millions de dollars ni leurs campagnes ne m’intéressent. Ce qui m’intéresse, c’est de les faire converger. Ils ne veulent pas que nous convergions, ils ne désirent même pas discuter.

    Friends of Animals est une des rares exceptions à la règle. C’est aussi l’une des rares organisations à être dirigée par une femme, Priscilla Feral, qui prend le féminisme au sérieux. C’est une autre partie du problème : le mouvement n’a jamais reconnu les connexions entre les autres mouvements de justice sociale. Ce qui explique pourquoi vous avez des groupes comme PETA qui créent des slogans aussi profondément stupides que « Je préfère être nue qu’en fourrure »… PETA est allé tellement loin en termes de sexisme... J’avais l’habitude de répéter constamment à Ingrid Newkirk que tant que nous continuerons à traiter les femmes comme des morceaux de viande, nous continuerons à traiter les animaux de la même manière. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai stoppé toute relation avec PETA.

    Il y a des années, quand ils ont commencé avec ce « Plutôt nue que… », je leur ai dit que si nous pensions que le spécisme était une mauvaise chose parce qu’il s’apparentait au racisme et au sexisme, alors nous ne pouvions qu’estimer que le racisme et le sexisme étaient aussi de mauvaises choses, et qu’à partir de là nous ne pouvions les encourager. Or ce genre de campagnes anti-fourrure et certaines autres plus récentes (qui sont à mon avis outrageusement stupides et ridicules) sont très, très sexistes.

    Priscilla Feral du Friends of Animals, cependant, est l’un des rares leaders du mouvement à prendre la question féministe au sérieux. Il y a deux ou trois ans, elle a donné une conférence au cours de laquelle nous avons discuté des connexions entre le féminisme et le mouvement des droits civiques et ce genre de choses. Nous allons bientôt donner une autre conférence, en septembre je crois. Ceux qui sont intéressés peuvent prendre contact avec Friends of Animals et se renseigner. Nous allons débattre de ces questions et des relations qui existent entre le mouvement animaliste et les autres mouvements de justice sociale, et l’activisme de base.

    Si jamais nous devions avoir la chance de voir émerger un vibrant et authentique mouvement, nous devrons faire en sorte que les gens s’ôtent de l’esprit l’idée que l’activisme pour les droits des animaux consiste à sortir son chéquier et à signer des chèques pour tel ou tel groupe. Ce n’est pas de l’activisme. L’activisme, c’est de vous lever de votre fauteuil, de parler à vos voisins et vos amis, de répandre le message et d’essayer de sensibiliser le maximum de gens. D’aller rendre visite aux autres groupes de justice sociale et tenter de les rallier…

    Je passe beaucoup de temps à parler avec, oserai-je le dire, des gens de gauche (j’ai toujours pensé que le mouvement pour les droits des animaux était un mouvement de gauche et qu’il devait en être un) de l’importance de bien voir les connexions. Vous êtes pour la justice sociale et les droits des femmes, mais pourquoi n’êtes-vous pas aussi pour les droits des animaux ? Pourquoi établissez-vous une frontière ? Si vous pensez que ces lignes sont arbitraires en ce qui concerne les humains, pourquoi estimez-vous qu’elles cessent de l’être dès lors qu’on érige des barrières entre les espèces ?

    Si jamais nous voulons avoir un mouvement vibrant et authentique, nous devons absolument venir à bout de l’idée que l’activisme pour les droits des animaux se résume à : laissez-moi prendre mon portefeuille et vous faire un don. Ce n’est pas de l’activisme. Ce qui s’est produit avec l’émergence des grosses organisations est qu’elles ont infantilisé les gens. Elles se présentent en disant : « Nous sommes la grande société et nous savons ce qu’il faut faire. Nous dirigeons des campagnes. Tout ce que vous avez à faire est de venir chaque jeudi soir aux réunions de volontaires et bourrer des enveloppes. Et assurez-vous de signer des chèques à notre intention et veillez à ce que les autres en fassent autant. »

    Pendant ce temps, personne n’apprend aux gens à devenir des éducateurs et des activistes. Je tiens à être très clair sur ce point : je parle d’activités éducatives non violentes. C’est la sorte d’activisme dont je parle. A mon sens, l’éducation est la plus puissante forme d’activisme qui soit, or nous n’avons pas réussi à la mettre en place. En aucun cas nous n’avons formé d’éducateurs pour sortir et informer le public. A la place, nous avons des sociétés commerciales. Nous n’avons pas un mouvement des droits des animaux, nous avons une industrie des droits des animaux. Vous comprenez ?

    N : Mark, notre technicien, est venu nous rejoindre. Il participe quelquefois aux débats et désire vous poser une question.

    Mark (M) : Gary, ce que vous avez dit jusque-là est très réconfortant. Ma vision des choses est très similaire à la vôtre. Je discute pas mal avec ma conjointe de la dérive commerciale du mouvement animaliste.

    Depuis quelque temps, un rassemblement a lieu chaque année à Washington D.C. Il en existe un autre, appelé la « Liberation Conference ». Apparemment c’est censé s’adresser aux jeunes. Il s’agit d’une conférence sur les droits des animaux, et pourtant j’ai eu le sentiment en y allant que c’était parfaitement absurde. J’ai eu l’impression que les intervenants programmés étaient les mêmes que lors des dix années précédentes. Parlant probablement des mêmes choses, ou ajustant légèrement le discours qu’ils avaient déjà donné l’année précédente.

    GF : Faites-vous allusion à AR2002 ?

    M : C’est ça. Si vous pouviez dire ce que vous en pensez... Je retrouve le même problème un peu partout, pas seulement à Washington mais dans beaucoup d’autres rassemblements de ce type. Vous voyez les mêmes intervenants parlant des mêmes choses. Ça arrive même ici avec la foire annuelle de la nourriture végétarienne de Toronto. Pour le dire franchement, je suis très déçu. Cela fait cinq ou dix ans qu’ils invitent les mêmes personnes. On va là-bas pour trouver des sandwiches à la crème glacée vegan bon marché, c’est le seul intérêt, et pas pour aller écouter les gens. Et non seulement ce sont les mêmes intervenants…

    GF : … mais ce sont les mêmes auditeurs. [rires]

    M : Les organisateurs ne font pas porter leurs efforts là où il faudrait. Il y a tellement de gens différents qui réfléchissent à la question animale, et pourtant ils ne font pas le moindre geste pour les contacter. Je me demande vraiment pourquoi. Peut-être qu’ils pensent : « Nos intervenants sont connus, donc ils sont populaires, donc ils attireront du monde. » Quel est votre avis là-dessus ?

    GF : Je suis complètement d’accord avec vous. AR2002 par exemple n’est rien d’autre qu’un rassemblement de célébrités. J’avais l’habitude de m’y rendre dans les années 80 et une partie des années 90, et ensuite j’ai eu une vision de l’enfer qui m’attendait : être condamné à parler éternellement avec les mêmes personnes et devant le même public. Mark, si vous aviez fait le décompte des vegans qui sont intervenus à l’AR2002, vous n’en auriez pas trouvé beaucoup. Fondamentalement, tout ce que vous avez est un assortiment de welfaristes en provenance d’organisations comme HSUS.

    La vérité, c’est que le mouvement/industrie des droits des animaux ne tient pas à faire bouger les choses, parce que s’il voulait vraiment les faire bouger, il commencerait par faire éclater la structure commerciale du nouveau welfarisme. Ce sont de grosses organisations où les gens s’adjugent de très, très gros salaires. Beaucoup de personnes du mouvement des droits des animaux aux Etats-Unis ramassent plus de 100.000 $ en salaires et bénéfices avec lesquels ils épongent une partie de leurs notes de frais et d’autres trucs comme ça. Certaines de ces personnes, à HSUS par exemple, empochent plus de 200.000 $, et certains salaires grimpent jusqu’à plus de 300.000 $ par an. C’est ce qu’on appelle l’establishment. Ça fait longtemps que PETA n’est plus une organisation radicale : désormais, elle fait partie de l’establishment. Dans ces conditions, on comprend que le but de ces organisations n’est pas vraiment de faire bouger les choses.

    Curieusement, il a été récemment découvert que l’organisateur d’AR2002 est un membre éminent d’une organisation pro-SM. J’avais eu une discussion avec lui (il s’appelle Alex Hershaft), au cours de laquelle je lui avais dit : « Alex, il me semble qu’il y a une incohérence réelle et fondamentale à promouvoir d’un côté la non-violence et de l’autre une pornographie sadomasochiste. » Et sa réponse a été que ça n’avait aucun rapport. Je ne crois pas que ça n’ait aucun rapport. Au contraire, je considère que la pornographie, qu’elle soit ou non sadomasochiste, est très comparable au fait de manger de la viande : vous réduisez la personne à des morceaux de corps, et vous les consommez. Vous la niez à travers la consommation des parties de son corps.

    M : Je sais que c’est très à la mode aujourd’hui, mais je dois vraiment avoir une réponse là-dessus. Très brièvement, parce que je ne veux pas faire dévier la discussion. La responsable de ce programme depuis cinq ans s’est prostituée pendant dix ans. Il se trouve que la question des droits des animaux la passionnait. Je trouve qu’il y a beaucoup de gens qui discutent du SM, de la prostitution, du travail du sexe ou de la pornographie sans vraiment prendre la peine de parler à ceux qui travaillent dans cette industrie.

    GF : Attendez, il se trouve que j’ai déjà beaucoup réfléchi là-dessus. Je suis d’ailleurs en train d’écrire quelque chose sur le sujet. Je ne parle pas de la prostitution, je parle des hommes qui en font la promotion. Je ne parle pas des femmes qui se trouvent dans une situation économique telle que la meilleure manière pour elle d’être indépendantes est de se prostituer. C’est un tout autre sujet, que nous aborderons peut-être dans une autre émission.

    Je suis en train de parler des hommes qui font la promotion de la pornographie. Pour moi, la pornographie soulève de très sérieuses questions. Si nous pensons que la pornographie est compatible avec l’éthique de la non-violence, alors où allons-nous ? Je ne parle pas des femmes qui choisissent de se prostituer, mais de quelque chose de bien différent, à savoir des hommes qui font la promotion de la pornographie et de l’industrie de la pornographie.

    Manifestement, AR2002 est le genre de rassemblement où on ne veut pas que vous veniez parler des relations entre sexisme et spécisme. Si vous organisez une conférence et que vous ne voyez pas ces relations, alors j’imagine que vous n’allez pas être très enthousiasmé à l’idée d’entendre quelqu’un d’autre en discuter. Ces sortes d’événements ont une orientation très réactionnaire, conservatrice, patriarcale et machiste, et ce sont les mêmes personnes qui s’y retrouvent – vous avez parfaitement raison, j’avais coutume d’aller là-bas et effectivement, d’une conférence à l’autre, je voyais toujours les mêmes têtes. J’ai parlé peut-être huit ou neuf fois au rythme de dix ou douze conférences par an, et j’ai vu les mêmes personnes. Je leur demandais : « Vous n’avez rien de mieux à faire que d’aller à ces conférences ? » Et puis j’ai pensé que j’avais moi-même bien mieux à faire.

    Mark, savez-vous ce que j’ai observé quand j’allais là-bas ? Quand je me levais et que je disais : «  L’abolition est essentielle. Nous devons tous nous engager dans l’abolition », le public me réservait une standing ovation. Quand l’intervenant suivant se levait à son tour et déclarait : « Non, nous ne devons pas promouvoir l’abolition. Ça dérangera beaucoup trop de monde. A la place, nous devons nous engager dans la voie réformiste et welfariste », il recevait lui aussi une standing ovation. C’est là que j’ai compris que je me retrouvais avec des gens qui manifestement ne savaient pas ce qu’ils pensaient, et qu’en dépit du fait qu’ils assistaient à maintes conférences ils n’avaient pas pigé le message.

    Ces rassemblements ne sont rien d’autre que des vitrines pour les leaders de l’industrie. Ils ne diffèrent guère des réunions des nababs du commerce qui viennent parler affaires. C’est exactement ce que font ces gens. C’est le genre d’événement où seuls ceux qui font partie du club ont droit au chapitre et qui se radinent avec l’idée qu’ils ne faut pas être trop dans la confrontation, ni trop provocateur, qu’il ne faut pas parler de choses qui risquent d’offenser les gens. Or on ne progresse pas si on passe son temps à avoir peur de choquer les gens. Je ne dis pas qu’il faut se lever et leur crier après, ou les insulter : je suis absolument opposé à cela. Je dis simplement qu’il faut les provoquer, les bousculer dans leurs certitudes afin de les amener à réfléchir à leurs positions morales ainsi qu’aux fondements de ces positions. Si vous ne voulez pas faire ça, alors j’estime que vous perdez votre temps.

    C’est exactement le cas des rassemblements que nous venons d’évoquer. Les mêmes gens s’y retrouvent pour parler des mêmes choses sans intérêt. « Nous devons être bons avec les animaux. » Qui va être en désaccord avec ça ? On ne risque pas grand-chose à le dire. Mais encore une fois, je ne suis pas surpris quand je vois qui organise ce genre de choses et qui ouvre la bouche. Il s’agit d’individus hyper réactionnaires, des gens qui ont généralement des vues très conservatrices. Je me souviens d’une fois où lors d’une de ces conférences j’ai dit à l’organisateur que je désirais aborder la question du socialisme et des droits des animaux. Je voulais parler des relations entre la justice économique et les raisons économiques pour lesquelles nous exploitons les animaux. Il m’a regardé et m’a répondu : « Vous ne pouvez pas parler du socialisme ici. »

    J’ai pensé, waouh, voilà quelque chose de très révélateur. Parce que vous ne pouvez pas bien comprendre l’exploitation animale si vous ne possédez pas des connaissances de base en économie. Vous ne pouvez pas comprendre pourquoi nous faisons ce que nous faisons aux animaux si vous ne savez pas comment fonctionne l’économie capitaliste. Le fait de prétendre que ces domaines excèdent les limites de ce dont on peut parler à propos de la question animale démontre qu’on ne désire pas repenser ces questions.

    L : C’est scandaleux.

    GF : Ça l’est, je suis d’accord avec vous. J’ajouterai juste une chose à propos de ce dont je parlais tout à l’heure : la plupart des lettres de menaces que j’ai reçues au fil des ans sont arrivées après que j’ai protesté contre la campagne « Plutôt nue qu’en fourrure ». Les gens qui m’écrivaient, dont beaucoup étaient des femmes, me disaient notamment : « Si des femmes montrent leur corps, où est le problème ? » Ce qui bien sûr omettait le point essentiel, à savoir qu’il existe des liens très forts entre sexisme et spécisme, et avec le fait que nous vivons dans une société où la violence est devenue érotique. Il ne s’agit pas juste de pornographie sadomasochiste : la violence, désormais, est érotisée. Quand vous évoluez dans une culture où la violence est érotisée, cela devient très difficile de briser les systèmes d’exploitation qui affectent les humains et les nonhumains.

    L : Gary, je dois malheureusement vous interrompre. L’heure est bientôt écoulée. Ç’a été fantastique de parler avec vous.

    N : Merci Gary, nous avons passé un moment excellent. Vous avez l’énergie communicative, et nous pourrions parler ainsi pendant des heures. J’avais encore beaucoup de questions à vous poser, mais nous devons nous arrêter là. Merci d’avoir écouté Animal Voices.

    GF : Merci à vous de m’avoir invité.

    1 Par « welfarisme », il faut entendre tout ce qui a trait aux mesures de bien-être animal. Cette attitude réglementariste entre en opposition fondamentale avec la philosophie de Gary Francione qui, elle, vise à l’abolition totale et absolue de l’exploitation des animaux nonhumains (NdT).

    (Traduction Méryl Pinque)