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  • Pénalisation des clients des prostituées : "La vérité, c'est que j'aurais pu en tuer un" (témoignage de Rosen Hicher)

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    Par 

    Ex-prostituée

    Avatar de Rosen Hicher

    LE PLUS. C'était à la fois la mesure phare du texte de loi sur la prostitution et la plus controversée. La pénalisation des clients des prostituées a été votée par les députés vendredi. Rosen Hicher a été prostituée pendant 22 ans. Elle nous dresse le portrait de ces fameux clients.

    Édité par Louise Pothier  Auteur parrainé par Rozenn Le Carboulec

    Manifestation pour l'abolition de la prostitution. À Paris, le 29 novembre 2013. (SEVGI/SIPA)

    Savez-vous ce que font concrètement les "clients" prostitueurs lorsqu’ils achètent un acte prostitutionnel ?

    Les "clients" prostitueurs. Les gens qui les présentent comme de braves types sont-ils dans la chambre pour pouvoir en parler ? Que savent-ils de ce qui se passe quand la porte est fermée ? Ils ne veulent pas savoir que ces hommes, avec leurs billets, se payent le luxe de nous rayer de la carte, de franchir les limites, de penser que tout est permis.

    On ne sait rien des clients

    J’ai été prostituée pendant vingt deux ans. Pendant vingt deux ans, j’ai gardé pour moi les peurs, les horreurs, j’ai serré les dents. Se confier à qui quand on est "une pute" ?  

    Un exemple : depuis quatre ans, ce "client" vient me voir chaque semaine ; un pépère sans exigence extraordinaire. Un jour il me demande de venir chez lui (il s’est fait retirer son permis) et me dit qu’il a une surprise. Pour une surprise, c’en est une : il a mis une poule dans une cage et me demande de le regarder pendant qu’il la sodomise. Je suis pétrifiée. Le pépère s’est transformé en monstre. Je touche le fond. C’est un choc, un affolement. Le choc de l’acte mais aussi le choc de la métamorphose. L’image lisse qu’il me donnait est complètement bidon.

    Et celui-là ; il a bu, il veut que je le frappe. Je me fais violence, j’ai ces gestes en horreur. Mais il n’est pas là pour se soucier de ce que je ressens ; il ne se demande même pas si je peux, si je veux. Il a payé, il impose. Je fais tout pour ne pas adhérer à ce que je fais, je m’éloigne dans ma tête ; il pue en plus.

    Un autre frappe à ma porte : jeune, 24 ans, il dit qu’il est amoureux de moi, et moi je sais que c’est un jeu, rien d’autre. On frappe à nouveau : c’est celui d’avant qui revient, encore plus alcoolisé. J’entrouvre la porte, et là, il sort un revolver et me dit : rends moi l’argent. Je refuse, il entre de force. C’est le pire moment de ma vie. Je sens l’arme sur ma tempe, j’ai peur, je suis tétanisée. Je parviens à attraper une cravache mais je tremble de tout mon corps. Ma vie est entre les mains de ce fou furieux. Je m’en sors mais ce souvenir ne me lâche pas.

    On ne sait rien des "clients". Ils portent un masque.

    Des féroces

    Je me souviens aussi de celui-ci, si doux avec ses yeux bleus. Un jour, pourquoi, le monstre qui sommeille en lui se réveille. Il me viole. C’est effroyable. Il se montre sous son jour le plus favorable mais c’est un prédateur, comme les autres. Et celui qui ne jouit qu’en allant se mettre au fond d’un trou, dans un cimetière, et m’appelle pour me dire qu’il va se suicider en se masturbant ! Pensez-vous vraiment que l’on sorte indemne de toute cette folie misogyne ?

    Et tous ces hommes sans respect aucun, qui nous parlent de leur sexe et du nôtre, jusqu’à l’obsession. Chacun de leurs mots, je l’ai vécu comme une intrusion dans mon intimité. La grosseur de mes seins, ou plus glauque, la profondeur de mon vagin. Jamais ils ne m'ont parlé de la couleur de mes yeux. Pourtant j’aurais tant aimé.

    Un "client" est une bête féroce. Ces hommes ne cherchent pas la douceur mais du sexe brut. Les films pornos leurs donnent des idées. Avec nous, ils veulent tout essayer : debout, couchés, sur la tête ! Qu’importe ! C’est leur désir, leur lubie. Ils ont payé, ils ont le pouvoir d’humilier.

    C'est lui qui a tous les droits

    Et on ose parler de notre choix ? Mais quel choix ? Le choix d’attendre, d’avoir peur et de subir. Le choix de rien. C’est le client qui choisit, c’est lui qui a le droit de penser, de décider, lui qui choisit le moment, le comment, le combien. Nous, notre "choix", notre "liberté", c’est de subir des viols et des viols, toujours impunis. Les clients, on a envie de leur dire que ce sont des abrutis mais on est obligée de dire comme eux et de leur faire des compliments. De devoir supporter ces types, ça me prenait aux tripes.

    La vérité, c’est que j’aurais pu en tuer un.

    Ces années de prostitution m’ont lessivée. J’étais devenue une vide-couille sans cerveau. J’ai fini morte de fatigue, d’épuisement mental, à ne plus tenir debout. J’ai bu, j’ai pris des médicaments. J’ai essayé de lancer des appels au secours, mais personne ne les entendait. Pire, c’est moi que la société condamnait. Le "client" prostitueur, lui, avait le droit. Et vous ne pensez pas qu’il serait temps que les choses changent ?

    http://leplus.nouvelobs.com/contribution/978178-penalisation-des-clients-des-prostituees-la-verite-c-est-que-j-aurais-pu-en-tuer-un.html

  • Le 29 novembre 2013, la France a voté l’abolition

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    http://www.senat.fr/evenement/archives/D25/manif.html                   

            La nuit dernière, la France a choisi de faire prévaloir les droits des femmes [1]. Nos droits fondamentaux, civiques et sociaux sans aucune réserve négociable moyennant finance. Hier l’on a affirmé les droits des femmes et des citoyennes dans la lignée de nos prédécesseures courageuses et brillantes. J’ose le dire, nous pouvons être fières nous les femmes, de la ténacité des militantes associatives, des députées abolitionnistes et de la porte-parole du gouvernement, qui toutes (et tous) ont porté ce projet féministe abolitionniste devant l’Assemblée Nationale et donné suite à la proposition de loi.

    Cette proposition de loi est un moment fort dans la citoyenneté des femmes. Comme l’a rappelé Catherine Coutelle, elle est constitutive d’une République (res-publica) qui consacre l’égalité des femmes, leur dignité et le respect qui leur est dû. La République démocratique française n’entend pas faire le tri parmi les citoyennes égales, celles qui participent à la vie politique, celles qui exercent leur pouvoir politique, celles qui pensent, qui jugent, agissent, transforment, créent et fomentent des institutions nouvelles, celles qui marquent leur ancrage dans le monde (Hannah Arendt), et celles dont les droits politiques et la dignité seraient relatives. Les femmes dans la prostitution ne sont pas des citoyennes de seconde zone. Elles ne sont pas des êtres humains subalternes, ou des catégories de femmes spécifiques dont on pourrait piétiner les droits humains contre quelque monnaie.

    On ne saurait que trop relayer la formulation de la ministre des droits des femmes, n’oubliez pas qu’avant de parler de prostituées, nous parlons d’êtres humains. Ainsi, la gageure qui consistait à réifier les femmes, leur être, leur chair en éjaculatoires, telles des objets ou des automates, n’est plus aujourd’hui. Quelle est donc cette  charité aristocrate qui prendrait les femmes dans la prostitution comme de pauvres filles qui ne mériteraient rien de mieux que des préservatifs pour assurer leur rôle, naturel peut-être ? L’affront que l’on fait à ces femmes, l’affront que l’on a fait pendant longtemps aux survivantes de la prostitution, c’est de n’avoir pas considéré leur intégrité en tant que femmes, libres, égales et dignes. Mépris de l’indifférence, condescendance pragmatique, les tenants du règlementarisme et impensés qu’il sous -tend, n’ont fait qu’asseoir les femmes prostituées dans la servitude.

    Aucune lutte pour l’émancipation n’a été menée en référence au statut de subordon-n-és. « Prostituées » n’est donc pas un titre dont devrait découler les lois. On ne renverse pas un tort commis à la citoyenneté des femmes, à leur humanité par un simple renversement de valeurs. Le problème du système prostitionnel ne réside pas dans les stigmates qu’il engendre contre les femmes prostituées, mais bien dans le fait qu’il est contraire de manière inhérente aux principes d’égalité et de liberté, que certains tendent à confondre avec l’anomie. Et c’est bien ce que l’on observe dans les pays règlementaristes. Parquées dans des zones réservées, des lieux clos, femmes impures, malpropres que l’on ne veut pas voir, ces femmes dans la prostitution sont mises sous tutelle, forcées de passer des tests tels du bétail pour assurer la bonne qualité de la marchandise aux prostitueurs (proxys[2]).  Hygiénisme propre au XIXème siècle, c’est bien le curé voisin qui serait content. Ségrégation, isolement, désolation, l’on affirmerait pourtant en Allemagne l’égalité entre les femmes et les hommes, quand ces-derniers peuvent les acheter à leur guise (et avec ristourne selon les revenus !) ? A l’instar d’Elisabeth Badinter qui considère la prostitution comme un droit de l’homme et que la proposition de loi viendrait contredire, peut-être qu’un œil dans le Larousse ne lui ferait pas de mal. Un droit unilatéral s’appelle privilège. Or les femmes ne sont pas les privilèges, ni les biens légitimes des hommes.

    On a fait des femmes dans la prostitution des objets sacrifiables, des femmes subalternes spécialement conçues pour satisfaire les désirs pervers des proxys. Et l’on nous a commandé de mettre en place des dispositions pour que cela s’effectue dans de meilleures conditions. Outre une vision romantique, nihiliste, idéaliste et fantasmée de la réalité de la prostitution, il s’agit là non pas d’une demande qui consisterait à étendre les droits universels de toutes, mais bien d’un traitement exceptionnel qui vise à assoir un état de fait abusif. Alors que l’on a lutté pendant des siècles pour mettre fin à la privatisation masculine et arbitraire de l’humanité,  l’on voudrait à présent éloigner l’humanité des droits des femmes. Puisqu’ « il y a dans l’humanité, une obligation à la responsabilité collective » (Hannah Arendt), c’est bien de cette responsabilité civique là, que l’on entend(ait) une fois de plus se dédouaner.

    Dès lors, loin de l’universalisation des torts induite par les femmes qui s’affranchissent et font émerger de nouveaux principes ou donnent substance aux principes déclarés, l’on se déplace dans la perspective postmoderne à la marge. Une périphérie à partir de laquelle les modalités institutionnelles devraient simplement assurer la reconnaissance méliorative des places assignées. Ce que cela implique ? La réactualisation d’un syncrétisme patriarcaliste selon lequel le destin des femmes est scellé par le sort réservé aux hommes.

    En effet, l’on rabâche l’idée fallacieuse qu’en touchant aux « clients », l’on met dans l’embarras les « prostituées ». Mais ce que l’on ne dit pas, c’est qu’en responsabilisant celui qui paie pour porter impunément atteinte à l’intégrité physique et morale des femmes, l’on permet aux femmes dans la prostitution de poser des limites, de se faire respecter, mais surtout de bénéficier d’alternatives (voir ce que propose la loi pour la réinsertion sociale http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta-pdf/1558-p.pdf ) pour en sortir. Voilà ce que c’est, l’auto-nomie.

     Le corps humain est inaliénable (art 16 du Code Civil que la ministre a rappelé, principe constitutionnel d’autant plus), et le corps des femmes devraient y déroger ? Qu’est-ce que cela veut dire, réclamer qu’une constitution démocratique cautionne et laisse des femmes dans la misère -qu’elle soit économique et/ou traumatique (et définitivement coutumière, car 90% des personnes dans la prostitution sont des femmes)- au point d’être contraintes d’aliéner leur être et leur corps ?

    De plus, parler de sexualité, quand précisément les femmes prostituées ne poseraient même pas le regard sur les proxys si ce n’était pour de l’argent ? Seule l’unilatéralité règne dans la prostitution.

    Ainsi pour les femmes et les filles des générations futures, pour nos concitoyennes d’aujourd’hui et de demain, la proposition de loi affirme l’intégrité physique, morale et politique des femmes. Femmes, citoyennes, et pas à vendre !

    Le combat continue mercredi prochain, et à l’échelle internationale pour toutes les femmes qui luttent contre les féminicides, prostitutionnels en l’occurrence.

    Intervention de la ministre des droits des femmes à l’AN. :
    «  Les femmes ont chèrement conquis le droit à la libre disposition de
    leur corps. Ce droit est essentiel. (…) C’est précisément parce que je soutiens
    ce droit, que je ne reconnais pas le droit à disposer du corps d’autrui. Et que
    je réfute de toutes mes forces, cette vision archaïque selon laquelle le corps
    des femmes serait un corps disponsible. (…) Je ne veux pas d’une société dans
    laquelle les femmes ont un prix. (…) Le corps humain est inviolable. Le corps
    humain ne peut pas faire l’objet d’un bien patrimonial, voilà ce qui est écrit
    à l’article 16 du Code Civil, et qui fait partie désormais de notre
    Constitution. » – Najat Vallaud-Belkacem.

    Discours de Catherine Coutelle, Présidente de la délégation aux droits des femmes. " La loi dispose d’un message clair : il n’existe pas d’un droit des hommes à disposer du corps des femmes" – Catherine Coutelle.

    © Women’s liberation without borders 2013


    [1] Vote solennel attendu le 4 décembre 2013.

    [2] Je reprends le terme élaboré judicieusement ici http://susaufeminicides.blogspot.fr/2013/02/index-illustre-bal-feministe.html

    http://beyourownwomon.wordpress.com/2013/11/30/le-29-novembre-2013-la-france-vote-labolition1/

  • La prostitution n'est pas un travail mais une violence (AIVI)

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    Pics on Sodahead (photo d'une femme ukrainienne victime de la prostitution et de la drogue)

    Aux détracteurs de la loi visant à protéger les personnes prostituées, à ceux qui veulent entendre les principaux concernés,  nous victimes de l’inceste, prostitués par nos parents et par nous-mêmes, affirmons, en connaissance de cause, que la prostitution n’est pas un travail, ni une fonction sociale, ni une relation sexuelle tarifée, c’est une VIOLENCE faite aux femmes et aux hommes prostitués.

    12% des victimes d’inceste interrogées par AIVI déclarent s’être prostituées (sondage IPSOS pour AIVI 2010). 80% des personnes prostitués sont des victimes d’inceste, et si l'on ajoute les abus sexuels (hors inceste) et viols, on frôle les 100 % (SOS Femmes).

    Se prostituer ou être prostitué par un proxénète est toujours le résultat d’une grave fêlure dans l’enfance qui se traduit par une exploitation, une victimisation par autrui ou par une autodestruction inconsciente. Certaines victimes tenteront de se suicider (les victimes d’inceste font en moyenne deux tentatives de suicide dans leur vie), s’alcooliseront, deviendront anorexiques, toxicomanes, d’autres subiront des violences conjugales, des viols… Celles-ci trouveront peut-être de l’aide, pourquoi pas celles qui se prostituent ?

    Si, informés de la réalité de la prostitution, nous la comprenons comme une VIOLENCE, nous ne pouvons prôner qu’il s’agit d’une liberté individuelle à disposer de son corps, ni d’une fonction sociale, encore moins comme de la sexualité. Ceux qui parlent ainsi ne sont pas informés d’autant qu’il y a de plus en plus de mineurs qui se prostituent. Les victimes d'inceste commencent à se prostituer plus tôt que les autres (17 ans contre 24, selon le n°131 de Prostitution et société) espérant retrouver un peu de pouvoir face à des années d’impuissance aux mains de leur agresseur.

    Pour insulter une personne, on la traite de « sale pute !» et non de « sale plombier ! » ou « sale ingénieur ! ».  Transformer l’asservissement du corps et de l’esprit des personnes prostituées en « métier », en « travail du sexe » est un déni confortable pour occulter la violence de la prostitution. Croire qu’un être considéré et acheté comme un objet sexuel peut vivre cela comme un choix personnel, c’est faire preuve d’une grande naïveté ou d’une grande perversité

    Une personne prostituée est une personne fragile, victimisée, que la société doit protéger. Nous devons aider les personnes prostituées à sortir de l’enfer dans lequel elles se trouvent, comme nous le ferions pour une victime de viol. Car la prostitution est un viol permanent du corps et de la dignité humaine, dignité volée aux enfants dans la plus grande indifférence. Et c’est bien à l’Etat d’agir et de légiférer pour protéger les plus faibles.

    Enfin, si les clients, salauds ou pas,  vivent une misère sexuelle ou affective, ce n’est pas en monnayant quelques minutes de sexe avec une personne prostituée qu’ils résoudront leurs problèmes. Qu’ils aillent voir un psy, ce sera bien plus efficace. Par ailleurs, il faut avoir conscience que la personne la plus dangereuse pour la personne prostituée est le client, celui qui menace, frappe, viole, mutile, parfois tue, se croit tout permis parce qu’il paye. Quel bonheur de faire cela en toute impunité !

    Nous, victimes de l’inceste, l’école de la prostitution, demandons à tous, citoyens, associations, politiques, salauds, salopes, artistes, penseurs, de s’informer auprès de nous et de soutenir le projet de loi visant à protéger les personnes prostituées.

    Témoignage : L’inceste, école de la prostitution

    Loin de  l’expression d’une  liberté individuelle, voici l’une des nombreuses conséquences de l’inceste dont la prostitution est une violence auto infligée parmi d’autres :  

    Témoignage : La vie est dure, survivre aussi

    Quelle vie ai-je aujourd'hui? je déteste ce corps, j'arrive pas à me dire que c'est le mien, a en prendre soin parce que ce que je vois dans le miroir, c'est un reflet de ce salaud... Oui je me suis prostituée, oui mes bras sont couverts de cicatrices, oui je dois maquiller mon cou parce que parler et n'être pas crue m'est resté en travers de la gorge ; oui j'ai des problèmes de bouffe : je vais me faire vomir quand l'envie m'en prend pour avoir le sentiment d'être purifiée, ou alors je ne bouffe plus... mais mon corps est traitre : il enfle au fur et à mesure que les mots restent en moi ; oui je bois pour arriver à dormir certains soirs, je fume parfois pour les mêmes raisons...oui j'ai parfois envie de me foutre en l'air.

    Faut pas se mentir ma vie ce n’est pas le paradis ! Chaque jour faut se lever et aller en cours, faire comme si tout allait bien et c'est fatiguant d'être ce pantin souriant qui a si mal à l'intérieur, qui devient fou dans sa tête parce qu'il a besoin de parler mais personne avec qui échanger...oui ça fait mal de s'être fait anéantir ainsi...pis j'ai 24 ans ; l'instruction est en cours , c'est ce que je voulais en rouvrant le dossier, mais y'a une douleur qui grandit au fur et à mesure que ça avance.

    En verrai-je le bout de tout ça ? Est-ce que je pourrai trouver un homme qui me comblera ? Est-ce que je pourrai avoir des enfants sans me dire que c'est être envahie une fois de plus ? Est-ce que j'arrêterai de voir les hommes comme des monstres et des agresseurs potentiels ? Est-ce que j'arriverai à faire ma vie sans trainer ce boulet de douleur et de souvenirs ? Même si ça choque, ben oui je préfèrerais être morte plutôt que de vivre ça ; mes copines s'éclatent et moi… La mort et la folie me guettent chaque jour. Ça ne devrait pas être une vie à 24 ans.

    http://aivi.org/fr/medias/communiques/2328-communique-la-prostitution-n-est-pas-un-travail-mais-une-violence.html

  • Prostitution : « Je n’étais qu’une marchandise » (Rosen Hicher pour Le Monde)

    Scène de prostitution à Nice, en mars 2013.

    LE MONDE | 26.11.2013 à 17h56 • Mis à jour le 29.11.2013 à 08h19 |

    Par Rosen Hicher (Ex-prostituée, membre des Survivantes)

    Mesdames, Messieurs, vous qui avez signé la pétition lancée par Antoine ou le « Manifeste des 343 salauds », savez-vous quelle réalité vous défendez ? Vous, célébrités qui vivez sous les projecteurs, vous ne connaissez ni la précarité ni la violence, vous pensez vraiment que la prostitution, c'est du cinéma ?

    J'ai été prostituée pendant plus de vingt ans. Dans la pénombre des bars, j'ai été soumise au « bon plaisir » des clients. J'y ai subi leurs insultes, leurs exigences humiliantes. J'ai côtoyé des Françaises en pleine détresse et des victimes de la traite venues de pays en ruine ; toutes mourant à petit feu ; toutes ou presque manipulées par un réseau ou un salaud, petit proxo ou grand trafiquant dont le job est de fournir au client la « marchandise » qu'il convoite.

    LES SANS-VOIX

    Aujourd'hui, au nom de toutes les sans-voix, de toutes ces femmes interdites de parole, je veux vous dire ma colère ! Que croyez-vous ? Que notre silence est le signe de notre acceptation ? Mais regardez-vous ! Nous nous taisons à cause de votre jugement, de votre mépris ! Car soit nous avons peur, soit nous avons honte ! Malgré tous les beaux discours, vous nous considérez comme des moins que rien ; en un mot, comme des « putes ».

    Que pouvez-vous savoir, dans ces conditions, de nos larmes quand le client a tourné le dos ? De notre désespoir, de notre sentiment d'abandon, de notre révolte face à ces hommes qui nous salissent et volent jusqu'à notre intimité ? Que savez-vous de notre détresse ? De la peur au ventre qui nous saisit à chaque passe ?

    Vous aimez penser que nous avons le choix. J'en rirais si j'avais encore la force d'en rire. Pour moi, comme pour beaucoup de celles que j'ai rencontrées, tout a commencé par les belles paroles d'un homme. Il était beau et me couvrait de cadeaux, moi qui n'avais jamais rien reçu, sinon la violence de mon père et les viols de mon oncle. Je l'ai cru.

    Pas de chance : il était mac. J'avais 17 ans, j'étais en fugue. Il m'a prise en stop et balancée dans les « tournantes » pour me préparer à mon futur statut de femme vendable, de femme jetable. Ces hommes sont des prédateurs. Ils s'attaquent aux plus vulnérables, flairent « la bonne pute ». Après, il nous reste à nous montrer grandes gueules pour éviter les violences et les perversions des clients que notre fragilité excite.

    Je suis donc tombée dedans. Et j'ai mis vingt-deux ans à en sortir. Vingt-deux ans de violences sexuelles, arrosées de beaucoup d'alcool pour tenir le coup, pour ne pas voir, ne pas sentir. Quand on est dedans, on ne peut rien faire d'autre que dire : c'est bien ! C'est pour ma famille, c'est pour mes enfants ! Sinon on s'effondrerait, comme un château de cartes. Moi, un temps, j'ai même défendu la prostitution et revendiqué les maisons closes !

    UNE VIE SANS VIE

    Pourquoi n'as-tu rien fait pour changer de vie, allez-vous dire ? Mais qui embaucherait une femme sans passé ? Je n'ai plus de vie ; si, une vie éteinte, une vie sans vie. Je ne sais plus chercher, je ne sais plus me vendre. Car il faut se vendre et moi, je ne sais que vendre mon corps. Vendre mon courage, mon ardeur, ma force, démontrer que je sais travailler, mais comment ? Et faire quoi ? Je ne sais plus.

    Je me suis perdue en route ; comme si j'étais morte sans m'en rendre compte. A force de m'absenter de moi-même pour résister aux assauts de tous ces hommes, j'ai le sentiment de vivre dans une bulle au-dessus de mon corps. Je ne ressens plus rien. Je voudrais tellement me réhabiter ! Mais je ne m'aime plus, je déteste la femme que je suis devenue. Leur souvenir me poursuit : des mains me touchent, des ventres tous plus gros les uns que les autres, des peaux rugueuses et sales…

    Les clients ne peuvent pas aimer, ils ne peuvent que baiser. Je suis une marchandise qu'ils achètent, comment pourrais-je encore être moi ? Clients, je vous accuse ! Et j'accuse la société qui ne m'a pas aidée à sortir de cette entreprise de démolition.

    Vous croyez que mon histoire date ? Qu'aujourd'hui les filles sont libres ? Non, je les rencontre, elles me parlent. Et leur histoire n'a pas bougé d'un pouce. Le décor change, la rue Saint-Denis est remplacée par Internet, les bordels par les bars à hôtesses, mais leur vulnérabilité est la même. Et vous persistez à l'exploiter sans vouloir savoir, en vous berçant de fantasmes et de littérature.

    Quand on survit – car beaucoup en sont mortes et en mourront encore –, on est détruite à jamais. Aujourd'hui, je vous le demande : aussi dérangeante soit-elle, regardez la réalité en face. Vous parlez de risques sanitaires, de clandestinité. Mais la clandestinité est dans la chambre, quand la porte se referme et nous laisse seule aux mains du client ! Ce qui ravage notre santé, ce n'est pas le lieu où s'exerce la prostitution. C'est la prostitution.

    Et puis regardez enfin mes soeurs prostituées comme des femmes, pas comme des « putes » ! Des femmes que seule une loi pourra protéger, désintoxiquer de toutes leurs dépendances : la came, l'alcool, les macs. Je veux leur dire que c'est possible. J'y crois. J'y suis arrivée.

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2013/11/26/prostitution-je-n-etais-qu-une-marchandise_3520706_3232.html

  • "Halte à l'esclavage sexuel ! Mettons à l'abri les victimes" (Taslima Nasreen - Le Monde)

    Pour moi, comme pour la plupart des féministes, la prostitution, c'est-à-dire l'esclavage sexuel, doit disparaître. Etonnamment, cette affirmation et mon soutien apporté à la loi qui en Suède pénalise les clients m'ont valu des critiques nombreuses et enflammées, notamment de libres-penseurs, d'athées, de laïques, d'humanistes et de rationalistes.

    Ces réactions, qui se drapent dans le choix et la liberté de la prostitution, m'oppressent. Je me demande combien de personnes, parmi ceux qui assurent que des femmes se prostituent par choix, encourageraient leurs filles bien-aimées à se prostituer. Les prostituées elles-mêmes ne le souhaitent pas à leurs filles. Elles rêvent désespérément de pouvoir les scolariser, pour qu'elles aient une éducation et un métier correct.

    SE NOURRIR ET NOURRIR LEURS ENFANTS

    Des chercheurs qui ont travaillé sur le sujet montrent que, pour la plupart des prostituées, cela n'a pas été un choix. Elles n'ont pas décidé de devenir prostituée plutôt que médecin, ingénieure ou avocate. Leur « choix » » est plus généralement celui de trouver suffisamment d'argent pour se nourrir et nourrir leurs enfants.

    Quand on les interroge, ces femmes répondent dans une proportion constante d'environ 90 % qu'elles souhaitent sortir immédiatement de la prostitution, mais cette décision ne leur appartient pas : elle appartient à leur proxénète, à leur mari, au propriétaire de leur logement, à leurs addictions, au ventre de leurs enfants.

    Une étude menée auprès des femmes se livrant à la prostitution de rue à Toronto (Canada) a ainsi établi qu'elles étaient près de 90 % à vouloir en sortir, sans y parvenir. Selon des travaux conduits dans cinq pays, 92 % des femmes, des hommes et des transgenres qui se prostituent souhaitaient bénéficier sans délai d'une aide pour en sortir. Face à tous ces êtres qui veulent en sortir, comment affirmer que se maintenir dans la prostitution relève d'un choix ?

    Certes, un petit nombre de femmes disent se prostituer par choix, mais surtout dans un contexte public, orchestré par l'industrie du sexe. Je serais très curieuse de savoir en quoi elles aiment ces viols quotidiens. Qui les pousse à penser que c'est un bon moyen de gagner de l'argent ?

    Chaque jour, des pères vendent leurs petites filles à des maisons de prostitution. Chaque jour, des petits amis, des maris, des voisins, des connaissances vendent des jeunes femmes à des maisons de prostitution. Chaque jour, des filles et des femmes pauvres tombent sous la coupe de réseaux d'exploitation sexuelle. Je me suis rendue dans des bordels, en Inde et en Suède. Dans le pays riche comme dans le pays en développement, j'y ai vu des êtres livrés à un sort terrible.

    DÉNONCER LES VIOLENCES

    Voilà pourquoi je soutiens la proposition de loi portée par Najat Vallaud-Belkacem visant à pénaliser les clients de la prostitution, tout comme j'ai soutenu la loi qui, en Suède, porte ses fruits en dissuadant le consommateur (la prostitution y a diminué de moitié), mais aussi en autorisant les prostituées à dénoncer les violences qui leur sont faites.

    Il est faux de dire que la pénalisation des clients conduira les prostituées à quitter la rue pour travailler depuis Internet et à s'exposer à des violences accrues. La violence de la prostitution n'a lieu ni sur Internet ni dans la rue, elle est dans le lit. Grâce à cette loi, une prostituée peut prendre un client, le laisser assumer ce risque, mais le dénoncer si elle change d'avis. Enfin un choix, un vrai, que ce type de législation offre aux victimes d'exploitation sexuelle.

    Traduit de l'anglais par Julie Marcot

    Taslima Nasreen (Ecrivain)

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2013/11/28/halte-a-l-esclavage-sexuel_3521323_3232.html

  • "L’égalité passe par la pénalisation du client" (Christine Delphy, Françoise Héritier, Yvette Roudy - Le Monde)

    La simple cohérence veut qu'après le droit de cuissage et le harcèlement sexuel (accès sexuel obtenu par le pouvoir), après le viol (obtenu par la force), ce séculaire droit masculin conféré par l'argent, l'achat d'acte sexuel, soit à son tour remis en cause.

    Dès les années 1980, les études du sociologue suédois Sven Axel Mansson débusquaient, dans la prostitution, un système fortement conservateur, un « espace homosocial libéré des exigences égalitaires des femmes » « l'ordre ancien est restitué ». En 2004, la seule enquête nationale jamais menée en France mettait au jour un imaginaire sexuel souvent fondé sur la domination, la violence et la chosification de l'autre.

    « REMETTRE LES FEMMES À LEUR PLACE »

    Manifestations sportives, signatures de contrats, fins de soirée arrosées… Au nom d'une idée – datée – de la virilité, le client achète le pouvoir d'imposer son bon plaisir à des femmes qui se voient ainsi retirer le droit, pourtant chèrement conquis, de lui dire non. En se dédouanant d'un billet, il exprime son appartenance à un monde masculin traditionnel qui entend « remettre les femmes à leur place ».

    Ce qui le caractérise, c'est l'indifférence morale. « Quand je mange un bifteck, je ne me demande pas si la vache a souffert », dit l'un d'entre eux, interrogé sur le risque d'exploiter une victime de la traite. « Tu n'as que ça ? », lance un autre à la tenancière d'un bar à hôtesses. Le huis clos prostitutionnel est le lieu emblématique du mépris, voire de la haine des femmes, qui s'expriment sur les forums des sites d'« escort » où les commentaires rivalisent de sexisme et de racisme.

    Ce qu'achète le client prostitueur, c'est le droit d'échapper aux règles et aux responsabilités qui fondent la vie en société. Dans la prostitution, il trouve le dernier espace qui le protège du devoir de répondre de ses actes : un territoire d'exception où les violences et humiliations qu'il exerce sont frappées de nullité, au prétexte qu'il a payé. Il est pourtant, comme le montrent toutes les enquêtes, le premier auteur des violences subies par les personnes prostituées : insultes, agressions, viols et même meurtres. Et les travaux actuels montrent qu'il est à la source d'atteintes graves à leur santé physique et psychologique.

    Ces mises au jour progressives n'empêchent pas ce consommateur de plus en plus décomplexé de faire son marché dans un vivier de femmes dont les parcours sont marqués par la précarité, les violences, les proxénètes et les réseaux. Faut-il rappeler que le protocole de Palerme (Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, 2000) comme la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, dite de Varsovie (2005) demandent aux Etats de « décourager la demande » qui est à l'origine de la traite des êtres humains ? Ces textes invitent à adopter des mesures sociales, culturelles, éducatives, mais aussi législatives pour y parvenir.

    EXIGENCE DE COHÉRENCE

    Inévitablement, les résistances sont nombreuses. Pour s'opposer à la remise en cause de ce droit séculaire sont invoqués les risques de clandestinité (l'aveu même de la dangerosité du tête-à-tête avec le client !) ou encore le pragmatisme.

    Pénaliser les clients n'obéit pas à un goût pour la répression, mais à une exigence de cohérence. Comment se satisfaire du statu quo ? Des personnes prostituées considérées comme des délinquantes, des clients comme des innocents, des étrangères exposées à la menace de l'expulsion quand il faudrait les protéger des réseaux qui les exploitent…

    Comment avancer dans la prévention de la prostitution et la création d'alternatives si aucune sanction ne vient responsabiliser ceux qui en sont les moteurs ? A quoi bon multiplier les incantations sur la lutte contre les violences ou l'égalité entre les filles et les garçons, si le droit de les fouler au pied reste préservé dans la prostitution ?

    Seule une politique courageuse pourrait faire reculer cet archaïsme indigne de nos démocraties et libérer la sexualité, non seulement de l'ordre moral et de la violence, mais aussi du carcan du marché. Cette révolution culturelle permettrait de mesurer enfin la volonté des hommes de considérer les femmes comme des égales, de leur reconnaître des désirs, le même droit qu'eux au plaisir et une place à égalité dans la société.

    Christine Delphy (Sociologue)
    Françoise Héritier (Anthropologue)
    Yvette Roudy (Ancienne ministre des droits des femmes)

    Cette tribune est également signée par:

    Olympia Alberti, écrivaine ; Eva Darlan, comédienne, écrivaine ; Claudine Legardinier, auteure, en collaboration avec Saïd Bouamama, du livre " Les Clients de la prostitution, l'enquête " (Presses de la Renaissance, 2006) ; Florence Montreynaud, historienne ; Coline Serreau, cinéaste

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2013/11/28/l-egalite-passe-par-la-penalisation-du-client_3521324_3232.html

  • "Refusons le puritarisme et la déraison" (Caroline Fourest - Le Monde)

    Le féminisme se démocratise. Il suffit de voir le nombre de personnes se disant féministes pour mieux soutenir le port du voile et la prostitution. La très grande vitalité de l'industrie mafieuse et la très grande générosité de l'économie qatarie ne peuvent, à elles seules, expliquer un tel engouement. Il existe de vraies divergences de points de vue entre différents féminismes, d'un sujet à l'autre.

    Le Strass (Syndicat du travail sexuel) ne voit aucune difficulté à militer pour le port du voile et la prostitution en même temps. Les réseaux de l'industrie du sexe diffusent volontiers une affiche appelant à un « 8 mars pour toutes », où l'héroïne arbore un sigle féministe dans la main et un voile sur la tête.

    UNE VISION DU DROIT DE CHOISIR

    En retour, les réseaux pro-islamistes et pro-voile soutiennent leurs camarades pro-putes. Au nom d'une vision du droit de choisir bien théorique, déconnectée de tout désir de transformation sociale. Comme si tous les choix se valaient, comme si le féminisme n'avait rien à dire sur les rapports de force pesant sur ces « vocations » de femmes. Au choix, être la vierge ou la prostituée. Si possible les deux.

    Pour les signataires de l'appel « Féministes, donc contre la pénalisation des clients », qui rassemble des proches des Indigènes de la République et Act-Up en passant par les Indivisibles, toute loi portant sur la sexualité est vécue comme répressive et non émancipatrice. Même s'il s'agit non pas d'enfermer des transsexuels ou des homosexuels… mais de dissuader des clients de les acheter.

    Bien sûr, la question de l'efficacité de la loi mérite d'être débattue. Ceux qui détestent la « morale sexuelle » et militent pour la prévention du sida soulignent légitimement le risque de pousser les prostituées à négocier leurs tarifs loin des regards et donc des travailleurs sociaux pouvant les aider à se « protéger ».

    Le risque étant de glorifier une prostitution de rue guère enviable et peu protectrice, et de passer à côté de l'essentiel : celles et ceux qui se prostituent aiment tellement leur « job » qu'ils refusent souvent de prendre soin de leur corps déshumanisé et peuvent à tout moment accepter d'être consommés sans capote.

    C'est la prostitution en soi qui détruit la majorité des prostituées. Il faudrait la légaliser, l'encourager ? La pénalisation du racolage passif, tout le monde au moins est d'accord dessus, était absurde. Une double peine idiote faisant porter le délit sur la personne qui se vend, à la fois victime et coupable. Le fait de pénaliser les clients a au moins le mérite de pénaliser celui qui achète. Mais surtout soyons clair, très peu de clients seront arrêtés s'ils ne sont pas dénoncés par les prostituées, qui disposeront d'une arme pour équilibrer le rapport de force.

    DES PROSTITUÉES EN DANGER

    Car c'est bien au moment de passer à l'acte et non au moment de négocier, dans la rue ou sur Internet, qu'une personne prostituée est en danger. Quand elle n'est pas victime de chantage, de violences et de séquestration de la part des réseaux qui l'exploitent. Un trafic d'êtres humains et des passes à la chaîne constituent l'essentiel de la prostitution. N'en déplaise à ceux qui confondent l'industrie du sexe avec l'industrie du luxe, version escort girl, les professions libérales et libres sont bien rares. La loi n'est pas faite pour elles, mais pour le prolétariat esclavagisé.

    De même que la loi sur les signes religieux à l'école publique n'est pas faite pour celles qui préfèrent faire passer leurs convictions religieuses avant l'instruction publique, mais pour toutes celles qui voudraient bien finir leurs études sans se faire traiter de salopes parce qu'elles vont à l'école sans voile.

    Bien des femmes choisissent de se voiler. Elisabeth Badinter ne pense pas pour autant que le voile soit un choix à soutenir en tant que féministe. En revanche, la pénalisation des clients équivaut, selon elle, à « une déclaration de haine » envers « la sexualité masculine ». Au nom d'une vision libertaire du féminisme, ou plutôt libérale, qui laisse entendre que la sexualité masculine se caractérise par son consumérisme.

    A l'opposé, des féministes d'inspiration plus anticapitalistes, comme Osez le féminisme, n'hésitent pas à se dire abolitionniste, et même anti-gestation pour autrui, par principe. Comme si les services liés au corps ne pouvaient jamais être monnayés sans porter atteinte à la dignité humaine.

    Le féminisme, décidément, épouse des priorités bien différentes selon qu'il soit libéral ou anticapitaliste, tiers-mondiste ou antitotalitaire. Il devrait tout de même se garder de verser dans le puritanisme absolu ou, à l'inverse, dans la déraison feignant de confondre l'oppression avec un choix éclairé. A moins de perdre son sens émancipateur, qui est un peu son cœur.

    Caroline Fourest (Essayiste et journaliste)

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2013/11/28/refusons-le-puritarisme-et-la-deraison_3521320_3232.html

  • Halte à l'esclavage sexuel ! (Taslima Nasreen pour Le Monde)

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    LE MONDE | 28.11.2013 à 09h32 • Mis à jour le 28.11.2013 à 14h57 |

    Taslima Nasreen (Ecrivaine)

    Pour moi, comme pour la plupart des féministes, la prostitution, c'est-à-dire l'esclavage sexuel, doit disparaître. Etonnamment, cette affirmation et mon soutien apporté à la loi qui en Suède pénalise les clients m'ont valu des critiques nombreuses et enflammées, notamment de libres-penseurs, d'athées, de laïques, d'humanistes et de rationalistes.

    Ces réactions, qui se drapent dans le choix et la liberté de la prostitution, m'oppressent. Je me demande combien de personnes, parmi ceux qui assurent que des femmes se prostituent par choix, encourageraient leurs filles bien-aimées à se prostituer. Les prostituées elles-mêmes ne le souhaitent pas à leurs filles. Elles rêvent désespérément de pouvoir les scolariser, pour qu'elles aient une éducation et un métier correct.

    SE NOURRIR ET NOURRIR LEURS ENFANTS

    Des chercheurs qui ont travaillé sur le sujet montrent que, pour la plupart des prostituées, cela n'a pas été un choix. Elles n'ont pas décidé de devenir prostituée plutôt que médecin, ingénieure ou avocate. Leur « choix » » est plus généralement celui de trouver suffisamment d'argent pour se nourrir et nourrir leurs enfants.

    Quand on les interroge, ces femmes répondent dans une proportion constante d'environ 90 % qu'elles souhaitent sortir immédiatement de la prostitution, mais cette décision ne leur appartient pas : elle appartient à leur proxénète, à leur mari, au propriétaire de leur logement, à leurs addictions, au ventre de leurs enfants.

    Une étude menée auprès des femmes se livrant à la prostitution de rue à Toronto (Canada) a ainsi établi qu'elles étaient près de 90 % à vouloir en sortir, sans y parvenir. Selon des travaux conduits dans cinq pays, 92 % des femmes, des hommes et des transgenres qui se prostituent souhaitaient bénéficier sans délai d'une aide pour en sortir. Face à tous ces êtres qui veulent en sortir, comment affirmer que se maintenir dans la prostitution relève d'un choix ?

    Certes, un petit nombre de femmes disent se prostituer par choix, mais surtout dans un contexte public, orchestré par l'industrie du sexe. Je serais très curieuse de savoir en quoi elles aiment ces viols quotidiens. Qui les pousse à penser que c'est un bon moyen de gagner de l'argent ?

    Chaque jour, des pères vendent leurs petites filles à des maisons de prostitution. Chaque jour, des petits amis, des maris, des voisins, des connaissances vendent des jeunes femmes à des maisons de prostitution. Chaque jour, des filles et des femmes pauvres tombent sous la coupe de réseaux d'exploitation sexuelle. Je me suis rendue dans des bordels, en Inde et en Suède. Dans le pays riche comme dans le pays en développement, j'y ai vu des êtres livrés à un sort terrible.

    DÉNONCER LES VIOLENCES

    Voilà pourquoi je soutiens la proposition de loi portée par Najat Vallaud-Belkacem visant à pénaliser les clients de la prostitution, tout comme j'ai soutenu la loi qui, en Suède, porte ses fruits en dissuadant le consommateur (la prostitution y a diminué de moitié), mais aussi en autorisant les prostituées à dénoncer les violences qui leur sont faites.

    Il est faux de dire que la pénalisation des clients conduira les prostituées à quitter la rue pour travailler depuis Internet et à s'exposer à des violences accrues. La violence de la prostitution n'a lieu ni sur Internet ni dans la rue, elle est dans le lit. Grâce à cette loi, une prostituée peut prendre un client, le laisser assumer ce risque, mais le dénoncer si elle change d'avis. Enfin un choix, un vrai, que ce type de législation offre aux victimes d'exploitation sexuelle.

    Traduit de l'anglais par Julie Marcot

  • Demain 29/11, rassemblement à Paris pour l'abolition de la prostitution

    Demain après-midi sera enfin examiné le projet de loi d'abolition du système prostitueur en séance plénière de l'Assemblée Nationale.

    Venez nombreuses et nombreux demain midi, sur votre pause déjeuner, pour montrer notre détermination aux député-e-s!

    Ce rassemblement est important car il permettra de montrer aux principaux concernés que l'abolition de la prostitution est un projet de société porté par ce nombreuses et nombreux citoyen-nes.

    Nous votons
    « Abolition de la prostitution » 

     
       RASSEMBLEMENT 
     
    Vendredi 29 novembre
     
    12h30 à 13h30
     
    Place Edouard Hériot - Métro Solférino
  • L’égalité passe par la pénalisation du client (Le Monde)

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    LE MONDE | 28.11.2013 à 09h19 • Mis à jour le 28.11.2013 à 10h09 |

    Christine Delphy (Sociologue), Françoise Héritier (Anthropologue) et Yvette Roudy (Ancienne ministre des droits des femmes)

    La simple cohérence veut qu'après le droit de cuissage et le harcèlement sexuel (accès sexuel obtenu par le pouvoir), après le viol (obtenu par la force), ce séculaire droit masculin conféré par l'argent, l'achat d'acte sexuel, soit à son tour remis en cause.

    Dès les années 1980, les études du sociologue suédois Sven Axel Mansson débusquaient, dans la prostitution, un système fortement conservateur, un « espace homosocial libéré des exigences égalitaires des femmes » « l'ordre ancien est restitué ». En 2004, la seule enquête nationale jamais menée en France mettait au jour un imaginaire sexuel souvent fondé sur la domination, la violence et la chosification de l'autre.

    « REMETTRE LES FEMMES À LEUR PLACE »

    Manifestations sportives, signatures de contrats, fins de soirée arrosées… Au nom d'une idée – datée – de la virilité, le client achète le pouvoir d'imposer son bon plaisir à des femmes qui se voient ainsi retirer le droit, pourtant chèrement conquis, de lui dire non. En se dédouanant d'un billet, il exprime son appartenance à un monde masculin traditionnel qui entend « remettre les femmes à leur place ».

    Ce qui le caractérise, c'est l'indifférence morale. « Quand je mange un bifteck, je ne me demande pas si la vache a souffert », dit l'un d'entre eux, interrogé sur le risque d'exploiter une victime de la traite. « Tu n'as que ça ? », lance un autre à la tenancière d'un bar à hôtesses. Le huis clos prostitutionnel est le lieu emblématique du mépris, voire de la haine des femmes, qui s'expriment sur les forums des sites d'« escort » où les commentaires rivalisent de sexisme et de racisme.

    Ce qu'achète le client prostitueur, c'est le droit d'échapper aux règles et aux responsabilités qui fondent la vie en société. Dans la prostitution, il trouve le dernier espace qui le protège du devoir de répondre de ses actes : un territoire d'exception où les violences et humiliations qu'il exerce sont frappées de nullité, au prétexte qu'il a payé. Il est pourtant, comme le montrent toutes les enquêtes, le premier auteur des violences subies par les personnes prostituées : insultes, agressions, viols et même meurtres. Et les travaux actuels montrent qu'il est à la source d'atteintes graves à leur santé physique et psychologique.

    Ces mises au jour progressives n'empêchent pas ce consommateur de plus en plus décomplexé de faire son marché dans un vivier de femmes dont les parcours sont marqués par la précarité, les violences, les proxénètes et les réseaux. Faut-il rappeler que le protocole de Palerme (Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, 2000) comme la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, dite de Varsovie (2005) demandent aux Etats de « décourager la demande » qui est à l'origine de la traite des êtres humains ? Ces textes invitent à adopter des mesures sociales, culturelles, éducatives, mais aussi législatives pour y parvenir.

    EXIGENCE DE COHÉRENCE

    Inévitablement, les résistances sont nombreuses. Pour s'opposer à la remise en cause de ce droit séculaire sont invoqués les risques de clandestinité (l'aveu même de la dangerosité du tête-à-tête avec le client !) ou encore le pragmatisme.

    Pénaliser les clients n'obéit pas à un goût pour la répression, mais à une exigence de cohérence. Comment se satisfaire du statu quo ? Des personnes prostituées considérées comme des délinquantes, des clients comme des innocents, des étrangères exposées à la menace de l'expulsion quand il faudrait les protéger des réseaux qui les exploitent…

    Comment avancer dans la prévention de la prostitution et la création d'alternatives si aucune sanction ne vient responsabiliser ceux qui en sont les moteurs ? A quoi bon multiplier les incantations sur la lutte contre les violences ou l'égalité entre les filles et les garçons, si le droit de les fouler au pied reste préservé dans la prostitution ?

    Seule une politique courageuse pourrait faire reculer cet archaïsme indigne de nos démocraties et libérer la sexualité, non seulement de l'ordre moral et de la violence, mais aussi du carcan du marché. Cette révolution culturelle permettrait de mesurer enfin la volonté des hommes de considérer les femmes comme des égales, de leur reconnaître des désirs, le même droit qu'eux au plaisir et une place à égalité dans la société.

     Cette tribune est également signée par

    Olympia Alberti, écrivaine ; Eva Darlan, comédienne, écrivaine ; Claudine Legardinier, auteure, en collaboration avec Saïd Bouamama, du livre " Les Clients de la prostitution, l'enquête " (Presses de la Renaissance, 2006) ; Florence Montreynaud, historienne ; Coline Serreau, cinéaste.

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2013/11/28/l-egalite-passe-par-la-penalisation-du-client_3521324_3232.html?xtmc=le_monde_violence_femmes&xtcr=2