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Textes - Page 32

  • Florence Burgat : "La question morale de nos rapports avec les animaux"

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    Et si la question d'un sens moral chez l'animal était une manière détournée de poser la question morale de nos obligations envers les animaux ? L'éthique animale est-elle subordonnée à l'ontologie scientifique ?

    La question de la présence - ou de l'ébauche - d'un sens moral chez les animaux est parfois posée non pour elle-même, mais pour répondre à deux autres problèmes :-celui des éventuelles origines naturelles de la morale humaine ; celui d'un lien, jugé requis, entre les impératifs moraux que nous aurions à observer dans nos rapports avec les animaux et leur propre capacité à ne pas se présenter comme de purs êtres de nature, c'est-à-dire à faire eux-mêmes preuve de quelque sens moral.

    Pour ce qui concerne le premier problème, la morale ne se bornerait pas à un fait de culture, mais trouverait ses assises dans la nature. A la recherche des « fondements naturels de l'éthique » correspond celle d'un substrat biologique aux comportements moraux humains ; dès lors, l'organisme animal ne peut être totalement exclu de cette réflexion.

    Si les racines du comportement moral sont biologiques, se profile l'idée que, lorsque l'homme croit agir au nom d'une volonté libre, il n'est en réalité - comme l'animal - que l'instrument d'intérêts servant à faire prospérer son groupe social ou à pérenniser son espèce.

    Quelle conception de la nature et des animaux cette posture engage-t-elle ? Premièrement, l'entreprise de naturalisation de l'éthique prend ses distances avec le schéma classique d'une sauvagerie propre à une nature sans foi ni loi que viendraient contrer l'oeuvre civilisatrice et la puissance organisatrice de la raison.

    Deuxièmement, les présupposés comme la finalité des conduites dites « morales » ne seraient point d'ordre éthique, mais biologique. On reconnaît la thèse dite réductionniste. Exit la morale, supplément d'âme finalement superflu si la nature pourvoit si bien à l'intérêt général.

    On peut enfin mettre en doute la puissance d'une telle nature, et se demander s'il n'existe pas bel et bien des comportements moraux dignes de ce nom dans le monde animal. Mais est-on encore dans la nature, ce lieu par excellence de la répétition ? Ne se voit-on pas alors contraint de dénaturaliser, dans un même mouvement, le sens moral et les animaux eux-mêmes ?

    Les animaux feraient preuve, pour des motifs étrangers au code génétique et de manière aussi mystérieuse que la présence de « la loi morale » dans l'être de raison kantien, de sens moral. Pourquoi ne pas cesser, les concernant, de toujours chercher une explication fonctionnelle ou utilitaire, pour se tourner vers une conception hégélienne - que l'on retrouve chez Hans Jonas - de la vie animale comme liberté et comme inquiétude ?

    A ce point de la discussion, il convient de disjoindre deux aspects : l'assimilation de la nature au biologique, et celle-ci à l'animal. Les questions tapies dans cette assimilation sont de taille : l'animal n'est-il, de l'insecte au mammifère, rien d'autre que cet « être de nature » entièrement soumis aux déterminismes biologiques que d'aucuns convoquent encore afin de réduire à néant l'épaisseur ontologique des animaux et de leur monde ?

    A propos du second problème, on peut se demander s'il ne s'agit pas d'un nouvel argument discriminant repoussant un cran plus loin la véritable question morale celle qui a trait à la manière dont nous traitons les animaux. Après avoir décidé que, pour être dignes d'entrer dans la communauté morale, les animaux devaient faire preuve de quelque intelligence, d'une espèce de langage, d'un semblant de conscience, bref, être des esquisses de l'humain, voilà qu'il leur serait demandé d'être moraux !

    Ce faisant, ne renoue-t-on pas avec l'argument classique - et qui a encore ses défenseurs Luc Ferry, Janine Chanteur, Jean-Marc Varaut... - selon lequel, parce qu'il n'y a ni droit ni morale dans la nature, l'homme ne saurait attribuer aucun droit ni observer de devoirs moraux à l'égard des individus qui la peuplent. Au mieux doit-il, à des fins strictement anthropocentristes, se conformer à certains devoirs : en préservant le mande végétal d'agressions massives ou aveugles, il oeuvre à la conservation de son environnement et sert l'intérêt des générations futures.

    En adoptant le même type de réserve à l'égard de la faune sauvage, il tend à garantir un peu de ce merveilleux qui contribue à la beauté du monde... Sur un autre plan, en ne se livrant pas inconsidérément à la cruauté envers les animaux, il se montre fidèle à l'injonction kantienne - « La cruauté envers les bêtes est la violation d'un devoir de l'homme envers lui-même : elle émousse en l'homme la pitié pour les douleurs des bêtes, et par là affaiblit une disposition naturelle, de celles qui concourent le plus à l'accomplissement du devoir envers les autres hommes. »

    L'idée selon laquelle un semblant de morale existerait chez les animaux, sans que cela leur donne pour autant droit à notre considération morale, est ancienne. On la trouve notamment chez les théoriciens du droit naturel moderne. Ainsi, après avoir mis en évidence la disposition de bienveillance chez les animaux, Richard Cumberland referme le cercle de nos devoirs « au corps entier de tous les êtres raisonnables ». Samuel Pufendorf remarque à son tour que les bêtes présentent des attitudes comparables à celles que l'homme observe lorsqu'il suit les lois de la justice morale, mais il s'empresse d'ajouter que cette similitude n'est qu'apparente.

    Car les mouvements des bêtes ne sauraient être que le produit d'une disposition mécanique de leur nature, d'un penchant qu'elles ne font que suivre aveuglément. Si les effets sont semblables, les causes diffèrent profondément. Ce qui sous-tend cette argumentation est la réciprocité, dont on peut se demander si elle n'est pas d'une certaine manière reconduite avec l'actuelle interrogation sur le sens moral chez les animaux. Selon cette perspective en effet, vis-à-vis de ceux qui ne peuvent rendre la pareille, il ne saurait y avoir rien de juste ou d'injuste.

    Les services rendus par les animaux domestiques (animaux de travail, de consommation...) ne leur donnent au mieux droit qu'aux soins nécessaires à un rendement optimal. La communauté morale ainsi contractualisée trouve ses limites avec la capacité et la volonté de contracter. C'est tout autrement que Darwin aborda les choses. S’il tenta de mettre en évidence la présence d'un sens moral chez les animaux, il n'oublia point la question morale : il appela de ses voeux la réalisation de « l'une des dernières acquisitions morales », c'est-à­-dire la « sympathie étendue au-dehors des bornes de l'humanité ».

    Florence Burgat, philosophe, chercheuse à l'Inra

     

    Hors série Science et Avenir Juin/juillet 2004, p.73.

    A lire : Le Fondement de la morale, Schopenhauer (1841 ; Le Livre de Poche, 1978) ; Espèces et éthique - Darwin : une (r)évolution à venir, Yves Bonnardel, David Olivier, James Rachels, Estiva Reus (Editions Tahin Party, Lyon, 2001).

  • Francione vs Singer : "Le « luxe » de la mort" (Gary Francione)

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    George W. Bellows, Boxing, 1901

    Dans mon commentaire de la semaine dernière, je mentionnais que la The Vegan Society avait publié des interviews de Peter Singer, de Tom Regan et de moi-même dans son magasine The Vegan. À l’occasion de son entrevue, Singer affirmait :

    Pour éviter d’infliger de la souffrance aux animaux − nous devons drastiquement diminuer notre consommation de produits d’origine animale.
    Mais est-ce que cela signifie un monde végan ? Ce serait une solution, mais pas nécessairement la seule.
    Si c’est l’imposition de souffrance qui nous préoccupe, plutôt que la mort, alors je peux aussi imaginer un monde dans lequel les gens mangent principalement des végétaux, mais s’offrent occasionnellement le luxe de manger des œufs provenant de poules « en liberté », ou même possiblement la viande d’animaux qui ont vécu de bonnes vies dans des conditions naturelles pour leur espèce, et sont ensuite tués humainement sur la ferme. (The Vegan, Automne 2006)

    À l’occasion d’une entrevue accordée au Mother Jones en mai 2006, Singer énonçait :

    Il y a une petite marge de manœuvre pour l’indulgence dans toutes nos vies.
    Je connais certaines personnes qui sont véganes à la maison mais qui, lorsqu’elles se trouvent dans un restaurant haut de gamme, s’offrent le luxe de ne pas être véganes pour la soirée.
    Je ne vois là rien de vraiment mal.
    Je ne mange pas de viande. Je suis végétarien depuis 1971. Je suis graduellement devenu de plus en plus végan.
    Je suis largement végan, mais je suis un végan flexible.
    Je ne vais pas au supermarché acheter des produits non-végans pour moi-même. Mais lorsque je voyage ou lorsque je suis reçu chez des gens, je suis heureux de manger végétarien plutôt que végan.

    Il est tout de même remarquable que le soi-disant « père du mouvement en faveur des droits des animaux »

    • soit un « végan flexible » − c’est-à-dire qu’il n’est pas végan lorsqu’il considère qu’il serait malcommode de l’être. Cela signifie qu’il n’est pas végan du tout et, en effet, il a qualifié le fait d’être stictement végan de « fanatique » ;

    • pense qu’un monde végan n’est pas « nécessairement » la solution au problème de l’exploitation animale ; et

    • qualifie de « luxueuse » la consommation de viande et de produits d’origine animale.

    Ces commentaires sont parfaitement conformes à une des positions centrales de la théorie de Singer, qui est inconciliable avec la perspective droits des animaux/abolition.

    Selon Singer, c’est la souffrance des nonhumains, et non le fait que nous les tuions, qui soulève le principal et peut-être même unique problème moral.

    En effet, Singer ne pense pas qu’il soit sérieusement problématique que nous utilisions et tuions des animaux ; le seul problème est comment nous les utilisons et les tuons.

    Si les animaux ont « vécu de bonnes vies dans les conditions naturelles pour leur espèce, et qu’ils ont été humainement tués sur la ferme », alors nous n’agissons pas de manière immorale en utilisant et en mangeant ces animaux.

    Pourquoi est-ce que Singer adopte une telle position ? Pourquoi pense-t-il que tuer des nonhumains ne soulève aucun problème moral fondamental ?

    Même si Singer a énoncé cette position à plusieurs reprises dans ses écrits, son entrevue dans The Vegan contient une récente, brève et claire réitération de son opinion :

    Je pense qu’il y a des différences moralement significatives entre les diverses espèces, parce que les capacités cognitives des êtres sont pertinentes, par exemple, à l’égard de la moralité de la mise à mort.
    Je pense qu’il est pire de tuer un être conscient de soi, c’est-à-dire un être qui est conscient de sa propre existence à travers le temps et qui est capable d’éprouver des désirs par rapport au futur, plutôt qu’un être qui est peut-être conscient, mais qui n’a pas de conscience de soi et qui vit dans une sorte de présent perpétuel. (The Vegan, automne 2006)

    En d’autres mots, Singer soutient que, si un être n’est pas conscient de lui-même de la même manière qu’un être humain normal est conscient de lui-même − c’est-à-dire qu’un être ne dispose pas de ce que nous appelons la conscience de soi réflexive − alors cet être n’a pas la conscience de soi qui est moralement nécessaire pour que cet être soit considéré être intéressé par sa propre vie et pour que sa mise à mort soit un acte moralement mauvais.

    Tel que je l’ai défendu dans Introduction to Animal Rights: Your Child or the Dog? et ailleurs, la position de Singer est problématique pour plusieurs raisons.

    D’abord, Singer soutient qu’il n’y a qu’une façon moralement significative d’être conscient de soi − d’avoir le type de représentation de soi que les humains normaux ont.

    Or, il y a plusieurs manières d’être conscient de soi. Tout être qui est sensible ou subjectivement conscient est nécessairement conscient de lui-même.

    Anna Charlton et moi vivons avec cinq chiens réfugiés. Lorsqu’un de nos chiens voit un autre de nos chiens recevoir une friandise, le premier est conscient que ce n’est pas lui qui reçoit la friandise, et il vient et s’assoit devant moi jusqu’à ce que je lui en donne une également.

    C’est cela être conscient de soi. Il est perceptivement conscient que c’est un autre chien qui a reçu la friandise et non pas lui-même.

    Les humains peuvent regarder un miroir et reconnaître leur propre image ; les chiens peuvent reconnaître leur propre odeur dans un buisson qu’ils ont visité il y a de cela plusieurs semaines.

    Il s’agit simplement de différentes sortes de conscience de soi. Mais il est spéciste de dire qu’une sorte de conscience de soi est moralement meilleure que les autres.

    Deuxièmement, Singer semble croire que seuls les humains (et peut-être les grands singes nonhumains) ont des désirs pour le futur.

    Une fois de plus, la position de Singer est spéciste en ce qu’il soutient que la seule manière d’avoir des désirs à l’égard du futur est d’avoir des désirs qui soient exactement du même type que ceux des humains.

    Si un être ne planifie pas à l’aide de calendriers et d’horloges, alors cet être ne peut pas avoir de désir à l’égard d’événement futur.

    Nous vivons avec un border collie dont le passe-temps favori est de se promener en voiture. Si elle aperçoit les clés de ma voiture quelque part, elle les attrape dans sa gueule, s’approche de moi et les place près de mes pieds en me regardant.

    Il n’y a aucune autre façon d’interpréter ce comportement que d’admettre qu’il s’agit de l’expression d’un désir de faire quelque chose.

    Le fait qu’elle ne porte pas une montre au poignet (ou à la patte) et ne se dit pas « j’aimerais faire un tour de voiture d’une quinzaine de minutes » n’est pas pertinent. Elle exprime un désir à propos de quelque chose qu’elle veut faire.

    Troisièmement, même si la conscience d’un individu était essentiellement associée à un « présent perpétuel », cela ne signifierait pas que cet être n’est pas conscient de lui-même dans un sens moralement pertinent.

    Pensons à un être humain atteint d’amnésie globale transitoire, une forme d’amnésie qui fait en sorte qu’une personne a un sens d’elle-même limité au présent et ne peut ni former des souvenirs ni avoir des pensées à propos de son futur.

    Il s’agit à peu près de la manière dont Singer conçoit l’esprit de la plupart des nonhumains − c’est-à-dire enraciné dans un présent continuel. Peut-on conclure qu’un humain atteint de ce type d’amnésie n’a pas de conscience de soi ?

    Bien sûr que non. Une tel être humain est conscient de lui-même, même s’il n’est conscient de lui-même que dans le présent.

    De manière similaire, même si les nonhumains avaient un sens d’eux-mêmes limité au présent, nous ne pourrions dire qu’ils n’attribuent pas de valeur à leur propre vie et ne se préoccupent que de la manière selon laquelle nous les traitons.

    Cela serait spéciste.

    Quatrièmement, et au-delà de tout ce qui précède, il n’y a simplement pas de relation logique entre les différences se situant au niveau des caractéristiques cognitives et la question de l’utilisation des animaux.

    Les différences au niveau des habiletés cognitives sont sans doute pertinentes pour certaines fins. Pensons au cas des êtres humains sévèrement handicapés mentalement.

    Nous pouvons préférer ne pas accorder de permis de conduire à ces individus en raison de leur incapacité à conduire.

    Mais est-ce que leur déficience pourrait justifier que nous soumettions ces êtres humains à des expérimentations biomédicales sans leur consentement ou que nous les forcions à donner leurs organes ? Non, bien sûr que non.

    En fait, plusieurs d’entre nous soutenons que leur vulnérabilité signifie que nous avons envers eux des obligations morales d’une plus grande importance, certainement pas d’une moins grande importance.

    Similairement, le fait qu’une vache ait peut-être un esprit qui diffère du nôtre pourrait signifier que nous n’accordions pas de permis de conduire aux vaches, mais cela ne veut pas dire que nous pouvons les utiliser pour des fins pour lesquelles nous n’utiliserions aucun être humain.

    Pour Singer, le véganisme est simplement une manière d’aborder la souffrance animale mais, selon lui, il ne s’agit « pas nécessairement [de] la seule ».

    Nous pouvons aussi continuer à nous permettre le « luxe » de manger des œufs et de la viande d’animaux qui ont pu jouir de « bonnes vies » et ont été « humainement tués ».

    Considérant le fait que Singer fait activement la promotion de distributeurs comme Whole Foods, dont les animaux n’ont certainement pas eu de « bonnes vies » ou une mort « humaine », ce qu’il dit, en fait, c’est qu’il est acceptable de consommer des animaux ayant (peut-être) été un tout petit peu moins torturés.

    Et si nous sommes végans la plupart du temps, nous pouvons même nous permettre le « luxe » de manger de la viande et des produits d’origine animale produits de manière conventionnelle lorsque nous fréquentons des « restaurants haut de gamme ».

    Est-ce que cette excuse ne s’applique qu’aux personnes ayant suffisamment d’argent pour manger dans les restaurants « haut de gamme » ?

    Est-ce que les hambourgeois occasionnels sont toujours à éviter parce que McDonald n’est pas assez haut de gamme ?

    Ou est-ce que les hambourgeois de McDonald sont toujours corrects parce que McDonald a, ce qui a été louangé par Singer, adopté les lignes directrices de Temple Grandin concernant l’abattage et la manipulation d’animaux ?

    Voilà qui est troublant pour l’esprit.

    De plus, si, comme Singer le dit, sa préoccupation est la souffrance et non la mise à mort des animaux, alors son propre comportement est aberrant.

    Singer prétend être vegan lorsqu’il magasine pour lui-même: « mais lorsque je voyage ou lorsque je visite des gens, je suis heureux de manger végétarien plutôt que végan. »

    Donc lorsqu’il voyage ou est invité pour un repas chez d’autres personnes, il consommera des produits d’origine animale mais ne consommera pas de viande (je suppose que c’est ce qu’il veut dire lorsqu’il parle de manger « végétarien »).

    Mais pourquoi est-ce que Singer distinguerait entre la viande et les autres produits animaux ?

    Même si la viande implique la mise à mort des animaux, Singer ne croit pas que tuer des animaux soit moralement problématique, ou du moins pas suffisamment problématique pour faire du véganisme un impératif moral.

    Si c’est la souffrance qui compte, les produits laitiers et les œufs impliquent certainement au moins autant de souffrance que les produits de la chair, et les animaux exploités pour leur lait et leurs œufs se retrouvent en bout de ligne dans les mêmes abattoirs que les animaux élevés pour leur viande lorsqu’ils ne sont plus rentables.

    En fait, comme je l’ai dit plusieurs fois, il y a probablement plus de souffrance dans un verre de lait que dans une livre de steak.

    Alors il serait raisonnable de croire que, si la souffrance est ce qui préoccupe Singer, il ne devrait pas être « flexible » à propos de la nourriture autre que la viande.

    Si la position de Singer était simplement le résultat des réflexions de quelques penseurs confus et restait sans conséquence dans le vrai monde, nous pourrions être tentés d’ignorer ses propos élitistes à l’égard de ce qui constitue une conscience de soi moralement significative par rapport à l’objectif de justifier le « luxe » de manger de la viande et d’autres produits d’origine animale.

    Mais malheureusement, l’opinion de Singer, aussi absurde et spéciste soit-elle, se trouve au fondement du mouvement omniprésent de la « viande heureuse » qui tente de travailler de pair avec les industries exploitant les animaux, afin de rendre l’exploitation animale plus « humaine » de façon à ce que soient augmentées les opportunités pour les gens d’être des « omnivores consciencieux ».

    Les idées de Singer sont suivies par un grand nombre d’organisations welfaristes de PETA, qui donne des prix à Grandin et à d’autres colporteurs de « viande heureuse », comme Whole Foods ;

    jusqu’à la Humane Society of the United States, qui fait la promotion de réformes welfaristes qui augmenteront la productivité et les profits des exploiteurs d’animaux et qui parraine les étiquettes « Certified Humane Raised and Handled » visant à assurer aux consommateurs qu’ils agissent d’une manière moralement supérieure en n’achetant que certains cadavres d’animaux et autres produits de leur corps ;

    et au Vegan Outreach, qui soutient que le véganisme « n’est pas une fin en soi.

    Ce n’est pas un dogme ou une religion, pas plus qu’une liste d’ingrédients interdits ou de lois immuables − ce n’est qu’un outil servant à s’opposer à la cruauté et à réduire la souffrance ».

    Singer et ces organisations welfaristes qui ont adopté son approche sont devenus des partenaires des exploiteurs institutionnalisés et aide le marketing des industries de la viande, des produits laitiers et des œufs.

    Les réformes welfaristes qu’ils supportent font peu, si ce n’est rien du tout, pour aider les animaux.

    Et ces réformes, lorsqu’elles sont associées aux louanges et au support offerts par Singer et par sa brigade de la « viande heureuse », participent assurément à faire en sorte que les gens se sentent plus confortables de continuer à manger des produits d’origine animale, ou de recommencer à consommer ces produits qu’ils évitaient avant.

    Pour saisir le problème lié à l’approche de Singer (si ce n’est pas déjà clair comme de l’eau de roche pour vous), insérez vos principes à propos du racisme, du sexisme ou de l’homophobie dans le cadre d’analyse de Singer.

    Qu’est-ce que ça donne lorsque vous tentez de justifier le fait de « tomber du wagon » de temps en temps à l’égard de ces autres formes de discrimination ?

    Est-il correct de se permettre le « luxe » d’être un peu sexiste un samedi soir ? Est-il correct d’être indulgent par rapport au « luxe » de participer à un rassemblement du Ku Klux Klan ?

    Y a-t-il de la place pour l’indulgence si on limite ses écarts homophobes à un par semaine ?

    Voilà une autre citation provenant de l’entrevue de Singer accordée au Mother Jones:

    J’insiste sur le fait que je ne pense pas que manger éthiquement, particulièrement d’une point de vue utilitariste, est une question de dire « voilà une loi stricte et je dois faire tout ce qui est en mon possible pour la respecter ».
    Je pense que nous pouvons être éthiquement consciencieux et reconnaître qu’il y aura quelques fois des compromis. Il sera quelques fois très difficile, très malcommode, de faire les meilleurs choix, alors nous accepterons d’agir autrement.

    Utilisez ce raisonnement pour ordonner vos idées à l’égard du viol.

    Serait-il acceptable de dire que nous n’avons pas à respecter strictement une prohibition à l’égard du viol ? Après tout, il peut y avoir des occasions où il est « très difficile et très malcommode » de ne pas violer.

    L’exploitation animale est si profondément incarnée dans notre société, dans notre culture et dans notre histoire que nous ne sommes pas habitués à l’aborder comme les autres formes de discrimination.

    Si nous souhaitons que quelque chose change un jour, il faut réfléchir à notre manière de nous sortir de ce gâchis et reconnaître clairement que nous ne sommes pas justifiés d’utiliser les animaux − peu importe que nous les traitions « humainement » ou non.

    Aussi longtemps que nous ne serons pas dégoûtés à l’idée de qualifier des cadavres d’animaux et des produits d’animaux de « luxueux », ou que nous accepterons l’idée que nous n’avons pas à être végans lorsque nous trouvons cela « très difficile ou très malcommode », nous n’aurons pas encore commencé le processus.

    En terminant, je voudrais partager avec vous une histoire à propos de quelque chose qui m’est arrivé la fin de semaine dernière.

    Puisque la température était clémente samedi, je suis allé chez Whole Food pour acheter des légumes organiques.

    Je portais un chandail en denim par-dessus le T-shirt Vegan Freak que Bob et Jenna Torres m’avait récemment fait parvenir.

    J’attendais en ligne derrière une dame qui avait un panier rempli d’aliments, incluant pas mal de viande et de fromage.

    Elle a vu mon chandail et m’a demandé ce que « Vegan Freak » signifiait.

    Je lui ai expliqué qu’il s’agissait d’un site web et d’un podcast voués à l’éducation au véganisme. Elle m’a demandé si j’étais végan. Je lui ai répondu que je l’étais depuis 25 ans.

    Elle m’a dit qu’elle avait été végétarienne quelques années plus tôt mais que son mari et ses enfants aimaient la viande, ce qui l’a incitée à recommencer à manger de la viande, mais elle a ajouté :

    « Je n’achète ma viande qu’ici. Je suis membre de PETA et ils ont donné à ce magasin un prix parce qu’il traite bien ses animaux ».

    Elle m’a demandé si j’avais vu les étiquettes derrière les emballages de la viande et des œufs sur lesquelles on peut lire que Whole Foods n’achète que de producteurs qui élèvent leurs animaux « humainement ».

    Je lui ai répondu que je les avais vues. En effet, Whole Foods pose de telles étiquettes − et elles sont grandes en fait.

    Je lui ai dit que je ne pensais pas que la vie des animaux de Whole Foods était significativement différente de la vie des autres animaux et qu’ils étaient tués, de toute manière.

    Sa réponse : « Oui, mais j’espère qu’ils souffrent moins ».

    Voilà où Peter Singer nous a amenés. Le véganisme n’est pas nécessaire.

    Le « père du mouvement pour les droits des animaux » n’est même pas végan et considère qu’être strictement végan est « fanatique », alors pourquoi est-ce que qui que ce soit d’autre devrait être végan ?

    Nous pouvons apprécier le « luxe » de manger de la viande et des produits provenant d’animaux ayant été torturés moins que d’autres et, si nous sommes végans la plupart du temps, nous pouvons même nous sentir à l’aise de nous permettre de consommer quelques animaux torturés de manière conventionnelle lorsque nous nous offrons un « restaurant haut de gamme ».

    Nous pouvons nous permettre d’être indulgents à l’égard du « luxe » que seule la mort permet.

    Gary L. Francione

    http://www.abolitionistapproach.com/fr/2007/03/14/le-luxe-de-la-mort/

  • Gary Francione : "Humanité, animalité, quelles frontières ?"

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    Humanité, animalité, quelles frontières ?

    En 1993, un grand nombre d’experts ont élaboré en commun un livre-manifeste intitulé The Great Ape Project : Equality Beyond Humanity [Le Projet Grands singes. l’égalité au-delà de l’humanité] (1). Ce livre servait de support à un document, la Déclaration sur les grands singes anthropoïdes, à laquelle ont souscrit les initiateurs du projet ainsi que trente-quatre autres premiers signataires.

    Cette déclaration établit que les grands singes « sont les plus proches cousins de notre espèce » et que ces animaux non humains « sont pourvus de capacités mentales et d’une vie émotionnelle suffisantes pour justifier leur intégration au sein de la communauté des égaux (2) ».

    Ces dernières années, une littérature considérable s’est développée autour du thème de l’aptitude des grands singes, des dauphins, des perroquets, et peut-être d’autres animaux à posséder des caractéristiques cognitives que l’on pensait jusqu’alors strictement humaines (3).

    Ces caractéristiques incluent la conscience de soi en tant qu’individu, la capacité à éprouver des émotions et à communiquer en utilisant un langage symbolique. Des efforts ont été faits – récemment en Espagne – pour créer avec les grands singes anthropoïdes une catégorie d’êtres vivants qui bénéficieraient d’une protection renforcée.

    Le Projet grands singes a tout simplement appliqué ce que j’appelle la « théorie de la similitude de pensée (4) » de la relation humains/non-humains : les animaux doués d’une capacité de réflexion similaire à la nôtre devraient, de notre part, faire l’objet d’une considération morale et d’une protection légale plus importantes.

    L’approche de la théorie de la « similitude de pensée » a donné naissance à une industrie d’éthologistes impatients d’étudier quelles sont les caractéristiques cognitives communes à l’être humain et au non-humain, et ce, paradoxalement, la plupart du temps, par le biais de l’expérimentation animale.

    Or, cette théorie présente un inconvénient : elle induit que les animaux qui ne possèdent pas les qualités cognitives requises pour avoir droit au traitement préférentiel – réservé, donc, aux non-humains possédant une capacité de pensée semblable à la nôtre – seraient comparables à des objets, tout juste bons à être traités, à la rigueur, avec « humanité ».

    J’ai, pour ma part, collaboré au Projet grands singes et ai compté au nombre des premiers signataires de la Déclaration sur les grands singes (5). Mais ma contribution au projet, sous forme d’essai en 1993, comme le livre que j’ai publié quelques années plus tard (6), marquent bien ma divergence sur les critères d’intégration de l’individu non humain à la communauté morale : la seule capacité de ressentir du plaisir ou de la douleur est suffisante ; aucune autre caractéristique cognitive ne doit être exigée.

    La théorie de la similitude de pensée est présentée par ses concepteurs comme une avancée car elle permettrait au moins l’intégration de quelques individus non humains à la communauté des égaux. A mes yeux, cette analyse est inexacte, dans le sens où le contraire est vrai – la théorie de la similitude de pensée ne fera qu’étayer notre propension à exclure pratiquement tous les non-humains de la communauté morale.

    Peut-être est-il temps d’étudier de plus près cette vaste entreprise qui consiste à subordonner la signification morale des individus non humains à des qualités cognitives plus importantes que leur sensibilité, plutôt que de tenter de déterminer si les non-humains possèdent de telles qualités cognitives, ou les possèdent d’une façon qui les rende suffisamment proches de l’homme pour mériter d’avoir une existence morale et légale.

    Les humains n’ont pas le monopole de capacités cognitives telles que la confiance et le désir

    Tout d’abord, la théorie de la similitude de pensée me paraît, dans un certain sens, franchement absurde. Existe-t-il une personne qui, ayant déjà vécu avec un chien ou un chat, leur dénie toute forme d’intelligence, de conscience de soi, même s’ils sont génétiquement beaucoup plus éloignés de nous que les grands singes ?

    On ne peut tout simplement pas expliquer de façon plausible et cohérente le comportement de ces animaux non humains sans se référer au concept de pensée. Peut-être est-il impossible d’affirmer de façon absolue et définitive l’existence de leur part de démarches intentionnelles comparables à celles des individus utilisant le langage des signes, mais ils sont indéniablement dotés de capacités cognitives telles que la confiance, le désir, etc.

    En outre, cent cinquante ans après Darwin, on peut trouver surprenant l’émoi provoqué par le fait de constater que d’autres animaux possèdent des caractéristiques habituellement réservées à l’homme. La thèse selon laquelle les êtres humains auraient des facultés mentales absolument absentes chez les animaux non humains est incompatible avec la théorie darwinienne de l’évolution, laquelle repose sur le principe même qu’il n’existe pas de spécificités purement humaines.

    Cela ne veut pas dire qu’aucune différence significative ne distingue un animal se servant du langage symbolique d’un autre qui est incapable de le faire. Cela signifie simplement que l’animal détenteur d’une particularité cognitive n’est pas pour autant « qualitativement » supérieur à celui qui en est dépourvu.

    Malgré ma conviction que les non-humains possèdent ces fameuses caractéristiques que nous considérons comme exclusivement humaines, je suis bien conscient qu’un débat subsiste sur ce point. C’est un fait : des distinctions entre l’intelligence humaine et celle des animaux qui n’utilisent pas le langage sont évidentes.

    Mais il existe au moins deux raisons de rejeter la notion selon laquelle le critère de sensibilité des individus non humains serait insuffisant pour leur reconnaître le droit d’être membres à part entière de la communauté morale.

    La première est d’abord d’ordre pratique : la théorie de la similitude de pensée induit-elle au moins de sérieux changements pour ces non-humains qui possèdent des caractéristiques cognitives très proches des nôtres ?

    La seconde raison est d’ordre conceptuel et met en évidence l’impuissance de cette théorie à aborder la question morale fondamentale : pourquoi des caractéristiques autres que la sensibilité seraient-elles requises pour pouvoir appartenir à la communauté morale ?

    Il est probable que la théorie de la similitude de pensée n’aura d’autre effet que de retarder le moment où il nous faudra faire face à nos obligations légales et morales envers les non-humains. Le temps que nous établissions la prétendue « preuve empirique » que certains de ces individus ont, au moins, une intelligence proche de celle de l’homme.

    Cependant, même lorsque cette similitude est démontrée, nous faisons mine de l’ignorer et continuons à exploiter ces animaux. Par exemple, la proche parenté entre les humains et les chimpanzés est irréfutable. Leur ADN est pour 98,5 % semblable au nôtre.

    De surcroît, ils ont un comportement mental et culturel comparable à celui de l’être humain. Nous connaissons ces ressemblances depuis longtemps déjà. D’ailleurs, l’ensemble du Projet grands singes avait pour but de démontrer de manière écrasante qu’il n’existe, entre les humains et les grands singes, aucune disparité qui justifie la mise à l’écart de ces derniers de la communauté morale.

    Pourtant, nous continuons d’emprisonner les chimpanzés dans les zoos et de les utiliser comme cobayes dans des expériences biomédicales. Même Jane Goodall, qui a le mérite d’avoir « fait découvrir au public que les chimpanzés sont des individus avec des personnalités distinctes et des relations sociales complexes (7) », a refusé d’appeler au bannissement complet de l’exploitation par l’homme de ces non-humains.

    Ce problème révèle la faille évidente de cette théorie de la similitude de pensée : quel degré de ressemblance avec l’homme exige-t-on d’un non-humain pour que nous le considérions comme suffisamment « semblable à nous » pour lui reconnaître une valeur morale ?

    Il a été prouvé, par exemple, que les perroquets sont doués des mêmes capacités conceptuelles qu’un enfant de 5 ans. Pourtant, les animaleries continuent de vendre des perroquets. Quel degré d’intelligence exigeons-nous du perroquet pour l’accepter dans la communauté morale ? Faut-il que le perroquet ait les capacités conceptuelles d’un enfant de 8 ans ? De 12 ans ?

    De la même manière, des chimpanzés ont démontré leur aptitude à se servir du langage humain. Quelle doit être l’étendue de cette aptitude à manier la syntaxe et le vocabulaire pour que nous leur reconnaissions une intelligence comparable à la nôtre ?

    Nul n’affirme que les animaux devraient conduire des automobiles ou suivre des cours à l’université

    L’ennui, avec ce jeu des caractéristiques particulières, c’est que les non-humains ne peuvent jamais gagner. Quand nous observons que les perroquets possèdent l’habileté conceptuelle de comprendre et de manipuler des nombres à un seul chiffre, nous exigeons qu’ils fassent de même avec les nombres à deux chiffres, pour admettre qu’ils nous ressemblent davantage.

    Quand un chimpanzé prouve qu’il possède un vocabulaire étendu, nous réclamons qu’il révèle son niveau syntaxique afin de corroborer son lien de parenté avec nous. Bien entendu, nous sélectionnons pour les juger certaines aptitudes, et pas d’autres.

    Car il va sans dire que nombre de non-humains en possèdent diverses, et de bien meilleures, dont nous sommes dénués. Mais il ne nous viendrait jamais à l’esprit d’appliquer à des membres de notre espèce le traitement que nous infligeons aux animaux.

    Il est à craindre que la théorie de la similitude de pensée ne finisse par exiger que les animaux aient une capacité de réflexion non seulement similaire mais identique à la nôtre. Si leur intelligence n’est pas calquée sur celle des humains, ils n’auront aucune chance d’être, un jour, considérés comme membres de notre communauté morale. Et, dans le cas contraire, quelle garantie ont-ils de ne pas être victimes de discrimination ?

    Après tout, il n’y a pas si longtemps encore, au XIXe siècle, les racistes se fondaient sur la phrénologie, c’est-à-dire l’étude des facultés dominantes d’un individu d’après la forme de son crâne, pour déclarer que d’autres êtres humains avaient une intelligence différente.

    Posséder une intelligence identique n’est donc pas un gage de bon traitement si le désir de discriminer reste vivace. La capacité de réflexion entre les animaux qui utilisent le langage des signes et les autres laisse présumer des différences.

    La théorie de la similitude de pensée ne servira de ce fait que de prescription à la poursuite de l’oppression des animaux, puisque nous sommes perpétuellement en quête d’une identité qui ne sera sans doute jamais atteinte, surtout si seul le désir de consommer des produits animaux nous anime.

    Dans l’hypothèse où la théorie de la similitude de pensée aboutirait à nous faire reconnaître la personnalité de certains non-humains, tels que les grands singes anthropoïdes ou les dauphins, qu’adviendrait-il alors des espèces d’animaux qui ne pourront jamais démontrer une aptitude à utiliser le langage humain ou d’autres caractéristiques que nous associons à l’intelligence humaine ?

    Cette théorie esquive la question morale sous-jacente, et cependant fondamentale : pourquoi les animaux non humains devraient-ils se distinguer par d’autres qualités que la sensibilité pour avoir le droit de ne pas être exclusivement considérés par l’homme comme des objets à son service ?

    La théorie de la similitude de pensée suppose que les propriétés cognitives humaines ont une valeur morale et, de ce fait, méritent un traitement particulier. Bien entendu, rien ne justifie une telle position : en quoi les caractéristiques spécifiques à l’homme auraient-elles, au sens moral du terme, plus de valeur que celles des non-humains ?

    Notre faculté de langage nous est précieuse parce que nous sommes des êtres humains, de même que l’écholocation (8) est précieuse pour les chauves-souris en tant que mammifères volants aveugles. Serions-nous enclins à dire que la faculté d’utiliser le langage symbolique possède, sur le plan moral, davantage de prix que de se guider à l’aide d’ultrasons ?

    De surcroît, même si tous les animaux étaient privés de toute caractéristique cognitive particulière au-delà de la sensibilité, ou possédaient l’une de ces facultés cognitives à un degré moindre, ou d’une façon différente de l’homme, cette dissemblance ne justifierait en aucun cas que nous nous servions des animaux comme de choses.

    En ce qui concerne certaines aptitudes, les différences entre l’homme et l’animal sont pourtant flagrantes. Nul n’affirme, par exemple, que les animaux devraient conduire des automobiles ou suivre des cours à l’université et, pourtant, nous sommes bien d’accord, ces différences n’expliquent en rien que nous mangions ou non les animaux, ou que nous les soumettions à des tortures dans l’expérimentation.

    Dans les situations qui ne concernent que les êtres humains, c’est plus évident. Quelle que soit la caractéristique identifiée comme propre à l’homme, on en retrouvera parfois à peine la trace chez certaines personnes, et chez d’autres elle sera totalement absente. Des êtres humains souffriront d’une déficience en tous points identique à celle que nous attribuons aux non-humains.

    Cette déficience peut se révéler problématique dans certaines perspectives, mais elle n’implique en aucun cas que nous fassions de ces êtres humains des esclaves ou que nous les considérions comme des objets sans valeur.

    Que l’intelligence des animaux soit similaire ou non à la nôtre ne doit pas être une condition pour que nous ne respections pas le devoir moral de cesser toute exploitation des non-humains, ni primer sur le fait que ce sont des êtres sensibles.

    Ce soir, vous allez vous mettre à table pour dîner. Dans votre assiette, vous allez peut-être trouver de la viande de bœuf, de volaille, ou de poisson. Vous ne pourrez alors guère échapper à une évidence : des animaux auront été tués pour composer votre repas.

    En outre, vous saurez que l’animal dont vous mangerez la chair aura non seulement été tué pour vous nourrir, mais aussi souffert avant et pendant sa mise à mort. Cette prise de conscience ne devra pas reposer sur l’éventualité d’une similitude d’intelligence entre cet animal et vous, mais sur le fait qu’il était, comme vous, un être sensible n’aspirant qu’à vivre.

    Et même s’il reste encore quelques incertitudes sur l’existence d’une sensibilité chez les insectes ou d’autres créatures vivantes, les millions de vaches, cochons, poulets et canards que nous tuons chaque année ne rentrent en aucun cas dans cette catégorie.

    En conclusion, les initiatives comme le Projet grands singes révèlent bien moins notre préoccupation pour les grands singes que la volonté de consolider la classification spéciste (9), qui ne les reconnaîtra jamais comme membres à part entière de la communauté morale.

    Et qui fera très certainement en sorte que tous les autres animaux ne franchissent jamais le seuil du cercle bien fermé des animaux-élus.

    Gary L. Francione.

    Animal, Idées

    Professeur à la Rutgers University School of Law, Newark (New Jersey, Etats-Unis), où il dirige un enseignement consacré aux droits des animaux (www.animal-law.org). Auteur, entre autres, de : Introduction to Animal Rights, Temple University Press, Philadelphie, 2000.

    (1) Paola Cavalieri et Peter Singer (sous la dir. de), The Great Ape Project, Fourth Estate, Londres, 1993. En français : Le projet grands singes. L’égalité au-delà de l’humanité, traduction de Marc Rozenbaum, One Voice éditeur, Nantes, 2003.

    (2) The Great Age Project, op. cit., p. 5.

    (3) NDLR : pour en savoir plus, consulter par exemple www.onevoice-ear.org ou www.animauzine.net

    (4) « Our hypocrisy », The New Scientist, Londres, 4 juin 2005.

    (5) « Personhood, property and legal competence », dans Great Ape Project, op. cit., p. 248-257.

    (6) Introduction to Animal Rights : Your Child or the Dog ? Temple University, Philadelphie, 2000.

    (7) The Great Ape Project, op. cit., p. 10.

    (8) Mode d’orientation propre à certains animaux qui repèrent les obstacles et les proies au moyen d’ultrasons produisant un écho.

    (9) Le spécisme (ou espécisme) est un néologisme formé pour contester la place particulière accordée à l’être humain qui ne serait qu’un animal parmi les autres.

    Le Projet grands singes

    Édition imprimée — février 2007 — Pages 24 et 25

    http://www.monde-diplomatique.fr/2007/02/FRANCIONE/14423

  • Florence Burgat : "Le Projet grands singes"

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    Le Projet grands singes

    Il n’est point d’espèces animales qui échappent à la mainmise quasiment toujours mortelle de l’homme : il les élève de manière industrielle, les chasse, piège leurs territoires, les pêche, conduit sur elles toutes sortes d’expériences, les enferme dans des zoos, les dresse à exécuter des numéros de cirque, se plaît encore à les faire combattre...

    Faut-il rappeler que l’on tue par an, en France, environ un milliard quatre-vingt millions de mammifères et d’oiseaux et quatre cent dix mille tonnes de poissons ?

    La condamnation de la violence contre les animaux est fort ancienne, elle n’est en rien une préoccupation de nantis. Chaque époque jouit de tenants et d’adversaires de la cause animale : Pythagore, Porphyre, Plutarque condamnent les pratiques sacrificielles ; Montaigne réclame la bénignité pour les bêtes ; Descartes les réduit à des machines insensibles...

    Claude Bernard écrit une défense de la vivisection, tandis que Victor Hugo, Lamartine, Michelet engagent la question sur le plan politique, contribuant ainsi, en Europe, à la naissance des premières lois d’une timide protection des animaux au milieu du XIXe siècle. Face à l’évidente continuité des êtres vivants, si magnifiquement pensée par Aristote, il fallut se donner les moyens d’effectuer une rupture radicale entre l’homme et ces vivants qui, comme lui, viennent au monde, souffrent, vieillissent et meurent.

    On pourrait résumer les choses par le syllogisme suivant : seuls les êtres de raison ont droit à la justice et à la bienveillance ; or les animaux sont dépourvus de raison ; il n’y a donc envers eux ni justice ni injustice. Cet argument, énoncé pour la première fois par les stoïciens, pose que les devoirs de justice sont circonscrits à la seule humanité.

    Cela signifie qu’aucun des éléments de proximité entre l’homme et les animaux dégagés par les savoirs positifs (proximité génétique, « protoculture », capacités langagières complexes, dispositions à l’empathie...) ne pourra remettre en cause une frontière invisible, non localisable, qui permet de discriminer l’ordre des fins (l’homme) de l’ordre des moyens (le monde animal).

    Les théoriciens du droit naturel moderne (XVIIe siècle) réaffirmèrent la posture stoïcienne, en s’appuyant sur l’idée que Dieu a placé d’emblée dans l’esprit humain un entendement capable de se représenter la loi naturelle – ce que les animaux ne sauraient faire.

    L’argument, laïcisé, reconduit le motif. Partant, si elles sont utiles (et le critère est large), les douleurs infligées aux animaux sont moralement acceptables. Seules les cruautés inutilement infligées sont répréhensibles, au titre que l’homme dégrade l’humanité en lui en se laissant aller à de tels actes.

    La notion kantienne des devoirs indirects à l’égard des animaux rend compte de cette idée : ne pas les faire souffrir inutilement ou par plaisir est un devoir que l’homme a envers lui-même, car, en tant que privés de raison, les animaux ne sauraient faire l’objet d’aucun devoir moral.

    Les animaux devinrent donc, sous la plume des philosophes, dans les laboratoires et, chemin faisant, dans le sens commun, ces fictions conceptuelles destinées à délimiter le champ de ce qui est dépourvu des qualités donnant des droits et octroyant quelque dignité.

    Une telle déduction (posséder la raison pour se voir reconnaître des droits) fut d’emblée contestée, puisqu’elle place le fondement de la considération morale dans des compétences intellectuelles et non dans la capacité à pâtir.

    Les études scientifiques viennent du reste conforter cette posture, en évaluant les animaux à l’aune de l’humain, les notant en fonction de leurs aptitudes à s’approcher de nos combien plus hautes performances ? Ainsi place-t-on des singes devant des ordinateurs pour voir de quoi ils sont capables...

    Dans cet esprit, depuis 1993, de nombreuses personnalités, parmi lesquelles Peter Singer, professeur de bioéthique à l’université de Princeton (Etats-Unis), ont développé le Projet grands singes, aujourd’hui préconisé par les défenseurs des animaux à travers le monde.

    Ce projet se fonde sur l’idée que les gorilles, orangs-outangs, chimpanzés, bonobos ont une intelligence et une sensibilité proches de l’homme, ce qui les différencie des autres animaux. Aussi méritent-ils, selon ce projet, de bénéficier de droits, certes inférieurs à ceux de l’être humain, mais supérieurs à ceux des autres animaux.

    Le professeur Gary L. Francione, qui avait pourtant participé à ce projet, considère pour sa part, après réflexion, que cette thèse pourrait finir par aggraver le sort de tous les autres animaux.

    Florence Burgat.

    Animal, Idées

    Philosophe, auteur de L’animal dans les pratiques de la consommation, PUF, coll." Que sais-je ? ", Paris, 1995.

    Édition imprimée — février 2007 — Pages 24 et 25

    http://www.monde-diplomatique.fr/2007/02/BURGAT/14424

  • Jean-Jacques Rousseau : "Comme les satyres, les faunes et les sylvains"

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    « Toutes ces observations sur les variétés que mille causes peuvent produire dans l’espèce humaine me font douter si divers animaux semblables aux hommes, pris par les voyageurs pour des bêtes sans beaucoup d’examen, ou à cause de quelques différences qu’ils remarquaient dans la conformation extérieure, ou seulement parce que ces animaux ne parlaient pas, ne seraient point en effet de véritables hommes sauvages.

    Donnons un exemple de ce que je veux dire. “On trouve, dit le traducteur de l’Histoire des voyages, dans le royaume de Congo, quantité de ces grands animaux qu’on nomme orangs-outangs aux Indes orientales, qui tiennent comme le milieu entre l’espèce humaine et les babouins (...).”

    Il est encore parlé de ces espèces d’animaux anthropoformes dans le troisième tome de la même Histoire des voyages, sous le nom de beggos et de mandrills : mais, pour nous en tenir aux relations précédentes, on trouve dans la description de ces prétendus monstres des conformités frappantes avec l’espèce humaine, et des différences moindres que celles qu’on pourrait assigner d’homme à homme.

    On ne voit point dans ces passages les raisons sur lesquelles les auteurs se fondent pour refuser aux animaux en question le nom d’hommes sauvages : mais il est aisé de conjecturer que c’est à cause de leur stupidité, et aussi parce qu’ils ne parlaient pas ; raisons faibles pour ceux qui savent que, quoique l’organe de la parole soit naturel à l’homme, la parole elle-même ne lui est pourtant pas naturelle, et qui connaissent jusqu’à quel point sa perfectibilité peut avoir élevé l’homme civil au-dessus de son état original. (...)

    Quoi qu’il en soit, il est bien démontré que le singe n’est pas une variété de l’homme, non seulement parce qu’il est privé de la faculté de parler, mais surtout parce qu’on est sûr que son espèce n’a point celle de se perfectionner, qui est le caractère spécifique de l’espèce humaine : expériences qui ne paraissent pas avoir été faites sur le pongo et l’orang-outang avec assez de soins pour en pouvoir tirer la même conclusion. (...)

    Les jugements précipités, qui ne sont point le fruit d’une raison éclairée, sont sujets à donner dans l’excès. Nos voyageurs font sans façon des bêtes, sous les noms de pongos, de mandrills, d’orangs-outangs, de ces mêmes êtres dont, sous le nom de satyres, de faunes, de sylvains, les anciens faisaient des divinités. Peut-être, après des recherches plus exactes, trouvera-t-on que ce ne sont ni des bêtes ni des dieux, mais des hommes. (...)

    Quel jugement pense-t-on qu’eussent porté de pareils observateurs sur l’enfant trouvé en 1694 qui ne donnait aucune marque de raison, marchait sur ses pieds et sur ses mains, n’avait aucun langage, et formait des sons qui ne ressemblaient en rien à ceux d’un homme ? “Il fut longtemps avant de pouvoir proférer quelques paroles, encore le fit-il d’une manière barbare. Aussitôt qu’il put parler, on l’interrogea sur son premier état : mais il ne s’en souvint non plus que nous nous souvenons de ce qui nous est arrivé au berceau.”

    Si, malheureusement pour lui, cet enfant fût tombé dans les mains de nos voyageurs, on ne peut douter qu’après avoir remarqué son silence et sa stupidité, ils n’eussent pris le parti de le renvoyer dans les bois ou de l’enfermer dans une ménagerie : après quoi, ils en auraient savamment parlé dans de belles relations, comme d’une bête fort curieuse qui ressemblait assez à l’homme. »

    Du contrat social. Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes (1753), Union générale d’éditions, coll. « 10/18 », Paris, 1963, p. 348-353.

    Animal, Idées

    Le Projet grands singes

    Édition imprimée — février 2007 — Page 25

    http://www.monde-diplomatique.fr/2007/02/ROUSSEAU/14473

  • Helmut F. Kaplan : "La consommation de viande tue les animaux, nuit gravement à la santé, détruit l'environnement et contribue à la faim dans le monde"

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    Interview - Février 2007

    EVANA : Vous venez de publier un nouveau livre sous le titre "Der Verrat des Menschen an den Tieren" (La Trahison des humains vis-à-vis des animaux) . En quoi ce livre se distingue-t-il de votre best-seller "Leichenschmaus – Ethische Gründe für eine vegetarische Ernährung" (La Mort à table : fondements moraux pour une alimentation végétarienne) ?

    HFK : La Mort à table contient l’éventail quasi complet des méfaits que nous commettons envers les animaux. Dans mon dernier livre, j’ai voulu dégager un aspect particulier n’ayant pas encore retenu suffisamment l’attention d’après moi, à savoir qu’il s’agit là d’une trahison ; nous devons beaucoup aux animaux, pensez aux chiens guides d’aveugles, aux chiens qui nous aident à retrouver les gens ensevelis et aux animaux domestiques. Nous devrions leur en être reconnaissants. Au lieu de quoi, nous les traitons individuellement et collectivement de la manière la plus abjecte qui soit.

    EVANA : Quel était le but recherché en écrivant ce livre ?

    HFK : En plus de ce que j’ai déjà dit, j’ai voulu décrire le régime de terreur que nous faisons subir aux animaux. J’ai voulu montrer aussi que notre comportement vis-à-vis d’eux est en contradiction totale avec toutes nos convictions morales. Enfin, j’ai cherché à montrer comment on peut mettre un terme à cette situation effroyable.

    EVANA : En ce moment, on parle beaucoup du philosophe des droits de l’animal Peter Singer. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

    HFK: Les déclarations de Singer en faveur de l’expérimentation animale et le fait qu’il ait ensuite relativisé ces propos et qu’il se soit rétracté ont mis en lumière la contradiction fondamentale qui existe dans son éthique, à savoir la contradiction entre utilitarisme et principe d’égalité. Je pense que la mise en lumière de cette contradiction est une bonne chose.

    EVANA : Quelle est la portée de ce « scandale » pour le rôle à venir de Singer dans le mouvement pour les droits de l’animal ?

    HFK : Plus important que toutes les discussions théoriques et déclarations individuelles, il y a le fait que Singer a mieux que personne introduit la pensée rationnelle dans le domaine de la pensée éthique envers les animaux. Quand on pense à l’irrationalité scandaleuse qui caractérise traditionnellement cette pensée, il est presque impossible d’apprécier le mérite de Singer à sa juste valeur.

    EVANA: Avez-vous le sens de l’humour ?

    HFK : Drôle de question, pourquoi n’aurais-je pas le sens de l’humour ?

    EVANA: Parce que l’on entend bien souvent, même de personnes qui vous sont acquises, que M. Kaplan est sombre et négatif.

    HFK : Il faut distinguer deux choses. Tout d’abord, le sujet de mes écrits : on ne peut sérieusement reprocher à quelqu’un de ne pas avoir d’humour quand il cherche à décrire fidèlement le massacre permanent que subissent les animaux dans les abattoirs et les laboratoires. Ce que les animaux endurent n’a rien de drôle ni de joyeux. Ira-t-on reprocher à quelqu’un de ne pas décrire avec humour l’horreur des camps de concentration nazis ou bien les actes de torture commis dans les prisons de la CIA ?

    EVANA : Il n’y a donc aucune issue au désespoir ?

    HFK : Si ! En lisant mes textes, vous verrez que je ne cherche jamais à enjoliver le destin épouvantable des animaux. Mais, dans le même temps, je cherche à montrer concrètement aux humains comment ils peuvent contribuer à changer les choses.

    Par ailleurs, je me réfère sans cesse au parallèle porteur d’espoir qui existe entre le mouvement pour les droits de l’homme et le mouvement pour les droits de l’animal. Autrefois, l’esclavage avait pignon sur rue, maintenant il est voué aux gémonies.

    Jadis, les droits de l’animal ne dépassaient pas le cadre de cercles minoritaires. Ils sont désormais universels, du moins dans leur revendication.

    EVANA : Vous disiez tout à l’heure qu’il faut distinguer deux choses.

    HFK : La première est la description réaliste et idoine de ce que nous faisons subir aux animaux. La seconde concerne ma philosophie personnelle de la vie.

    EVANA : Et là vous êtes quelqu’un de drôle ?

    HFK (riant) : D’une certaine manière, oui. Dès lors qu’il n’est pas question de catastrophes, de camps de la mort ou encore d’actes de torture, j’ai sans cesse l’occasion de constater que j’ai bien plus d’humour que la plupart de mes semblables.

    EVANA : Comment est-ce que cet humour s’exprime ?

    HFK : Dans ma famille, il y a une expression qui m’est consacrée : « Et ça te fait rire ! » Quand les autres sont accablés par leurs soucis ou qu’ils sombrent dans la déprime, je me mets à rire et j’essaie de voir ce qu’il y a de drôle dans la situation.

    EVANA : Comment expliquez-vous ce flegme ?

    HFK : Depuis des décennies, je lutte quotidiennement contre le sort effroyable que nous réservons aux animaux ; cela contribue beaucoup à relativiser ce qui préoccupe communément les êtres humains.

    EVANA : La souffrance aiderait-elle à vivre ?

    HFK : En un sens, oui. Par rapport aux souffrances des animaux, nos soucis et nos préoccupations sont généralement dérisoires.

    EVANA : D’où vient votre intérêt pour les animaux ? Y a-t-il eu un événement décisif dans votre vie ?

    HFK : Les animaux ne m’intéressent pas en tant que tels. Je ne suis ni un ami des chevaux ni un inconditionnel des chats – encore que pour ces derniers… Ce qui me mobilise, c’est l’incroyable injustice qui caractérise notre comportement envers les animaux et les souffrances indicibles qui en découlent.

    Je ne me souviens pas d’un événement–clef. Je dirais plutôt que c’est le spectacle répété de cadavres d’animaux dans les magasins qui m’a sensibilisé à ce scandale.

    EVANA : Quels projets avez-vous maintenant ?

    HFK : Tout d’abord, un livre va paraître, qui de prime abord n’a rien à voir avec les animaux : La Joie, étincelle divine – le bonheur entre souffrance et mort. Bien sûr, quand on y regarde de près, la souffrance et la douleur ont hélas un rapport avec les animaux. Après cela, je ferai paraître un recueil d’aphorismes.

    EVANA : Quel est votre prochain projet en relation avec les droits de l’animal ?

    HFK : Je poursuis actuellement mon projet d’une éthique extrêmement simple. Le mot-clef en sera « précepte éthique universel ». Cela sera construit sur des bases biologiques, psychologiques et naturellement éthiques.

    EVANA : Une nouvelle année a commencé ; comment voyez-vous l’avenir du mouvement pour les droits de l’animal ?

    HFK : C’est une question difficile ; on note des tendances contradictoires. Par exemple, il y a lieu de se réjouir que la FAO ait fini par reconnaître que la production de viande est une folie. À l’inverse, il me semble que la publicité pour la viande est plus envahissante et plus éhontée que jamais.

    EVANA : Quel bilan tirez-vous de cela ?

    HFK : En fait, je suis optimiste. Je vais vous raconter une petite anecdote : il y a quelques décennies, je passais pour un fanatique pathologique de la sécurité. En effet, j’avais installé des ceintures de sécurité et des appuis-tête dans ma voiture, des détecteurs de fumée dans ma maison, et par ailleurs je portais des vêtements clairs pour que les automobilistes me voient mieux dans l’obscurité.

    Aujourd’hui, tout cela est généralement admis ou même imposé par la loi. Il y a donc une évolution collective vers plus de raison, même si aucun homme sensé n’ira prétendre que ses semblables sont devenus plus raisonnables.

    EVANA : Quel est le rapport avec les animaux ?

    HFK : Une évolution analogue est en cours sur le plan moral. Certes, je n’ai pas l’impression que mes semblables soient devenus plus moraux ces derniers temps. Il n’en demeure pas moins que les revendications politiques et de société le sont devenues.

    Pensez par exemple à notre comportement vis-à-vis des personnes âgées, des handicapés, des droits de l’enfant, des droits de la femme ou bien à l’abolition de la peine de mort. La collectivité est devenue plus raisonnable et plus morale que les individus qui la constituent. Et cela va conduire aussi à l’avènement des droits de l’animal.

    EVANA : Concrètement parlant, comment voyez-vous l’avenir ?

    HFK : L’interdiction de fumer constitue un changement profond et spectaculaire au sein de notre société. Il y a dix ans encore, qui aurait pensé que cela fût possible ? Quoi qu’il en soit, plus encore que d’exclure les fumeurs, il serait sensé de marginaliser les mangeurs de viande comme étape intermédiaire en vue de l’interdiction totale de la viande.

    Les mangeurs de viande ne devraient avoir le droit de s’adonner à leur vice que sur le pas de la porte ou bien dans des arrière-salles. Par ailleurs, tout produit carné devrait porter la mention suivante : « La consommation de viande tue les animaux, nuit gravement à votre santé, détruit notre environnement et contribue à la faim dans le monde. »

    EVANA : Monsieur Kaplan, nous vous remercions pour cet entretien.

    Source/Quelle: Helmut F. Kaplan

    http://www.evana. org/index. php?id=20155& lang=fr

  • "Abolition de l’exploitation animale : le voyage ne commencera pas tant que nous marcherons à reculons" (Gary Francione)

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    Gary L. Francione (Traductrice : Carine Dos Santos)

    Dans The longest journey begins with a single step : Promoting animal rights by promoting reform (Le plus grand voyage commence par un simple pas : promouvoir les droits des animaux en encourageant la réforme), Peter Singer et Bruce Friedrich, co-directeur de PETA, déclarent qu’une " drôle " de controverse s’est développée au cours " des dernières années " afin de savoir si les défenseurs des animaux devaient suivre la voie de la protection animale comme un moyen d’obtenir des droits pour les animaux.

    Cette controverse n’est ni " drôle " ni " récente ". Elle n’est pas " drôle " parce qu’il existe une incohérence entre la réglementation de l’exploitation animale et son abolition.

    La controverse n’est pas " récente " en ce sens que la tension entre les droits et la protection a toujours été constante dans le mouvement de défense des animaux au cours des quinze dernières années.

    Ce qui est par contre " récent ", c’est l’émergence d’un mouvement mondial basique défiant l’hégémonie des organisations de protection animale bien établies à la tête du mouvement et qui tente de formuler une alternative, un paradigme abolitionniste.

    Il est par conséquent peu surprenant que Singer, principal théoricien de l’idéologie welfariste [1] et PETA, qui met en place cette idéologie et soutient que toute discussion est " source de conflit " et menace " l’unité " du mouvement, se fassent du souci.

    Il existe au moins 5 raisons pour un abolitionniste de rejeter l’approche welfariste exprimée dans l’essai de Friedrich et Singer.

    1. Le bien-être animal : rendre l’exploitation plus efficace

    Singer et Friedrich déclarent que les réformes de la protection reconnaîtront que les non-humains ont des " droits " et " intérêts ", qu’elles éloigneront de façon significative les animaux du statut de bien ou denrée n’ayant qu’une valeur extrinsèque ou conditionnelle.

    Ils se trompent.

    Les réformes qu’ils soutiennent n’ont rien à voir avec le fait de reconnaître que les animaux possèdent des intérêts moraux significatifs qui doivent être protégés même lorsqu’il n’y a aucun profit économique pour les humains.

    La plupart de ces réformes, tout comme la majorité des mesures de protection animale, ne font rien d’autre que rendre l’exploitation animale plus rentable pour les exploiteurs d’animaux et les enfermer un peu plus dans le modèle de la propriété.

    Il suffit par exemple de s’intéresser à la campagne qui a permis de conclure un accord avec McDonald’s pour exiger de supposés standards " humains " pour les abattoirs et plus d’espace pour les poules de batterie.

    Singer applaudit ces actions de McDonalds, suivies ensuite par Wendy’s et Burger King, comme une " lueur d’espoir " et "les premiers signes d’espérance pour les animaux de ferme américains depuis les débuts du mouvement animal moderne. " (dans N.Y. Rev.of books, 15 mai 2003).

    Friedrich déclare qu’un " véritable changement s’est opéré dans les consciences " concernant le traitement des animaux destinés à la consommation " (dans L.A. Times, 29 avril 2003) et Lisa Lange de PETA se targue de voir que McDonalds a " ouvert la voie de la réforme des pratiques des fournisseurs de fast foods en matière de traitement et d’abattage des bovins et volailles. " (dans L.A. Times, 23 février 2005)

    Les standards d’abattage loués par Singer et PETA ont été développés par Temple Grandin [2] , conceptrice des systèmes de manipulation et d’abattage " humains ".

    Les lignes de conduite de Grandin, qui comportent des techniques de déplacements des animaux dans le processus d’abattage et d’étourdissement, sont explicitement basées sur des critères économiques.

    Selon Grandin, une manipulation appropriée des animaux à abattre " permet à l’industrie de la viande d’être gérée de façon sûre, efficace et rentable ".

    Un étourdissement convenable est important car " il fournira une viande de meilleure qualité. Une électronarcose [3] incorrecte engendrera des caillots de sang dans la viande ainsi que des fractures des os...

    Un animal correctement étourdi produira une carcasse rigide qui ne fait courir aucun risque aux employés.

    Elle soutient qu’une " manipulation souple dans un environnement bien conçu minimisera les niveaux de stress, améliorera l’efficacité et assurera une bonne qualité de viande.

    Une manipulation dure ou un équipement mal agencé est nuisible tant au bien être animal qu’à la qualité de la viande. " ( http:/ /www.grandin.com)

    De façon générale, les améliorations concernant l’abattage et les cages auxquels se réfèrent Singer et Friedrich sont évoquées en ces termes par McDonalds :

    " Les animaux bien traités sont moins enclins aux maladies, aux blessures et au stress, qui ont tous le même impact négatif sur l’état du bétail ainsi que sur les personnes.

    Des conditions correctes de bien être animal sont également rentables pour les producteurs. Se conformer à nos lignes de conduites en matière de bien être animal nous aide à assurer une production efficace et réduit les pertes.

    Ceci permet à nos fournisseurs d’être hautement compétitifs. " ( http:/ /www.mcdonalds.com)

    Wendy’s insiste également sur l’efficacité de son programme de bien-être animal :

    " Des études ont démontré que des méthodes humaines de manipulation des animaux ne se contentent pas d’empêcher des souffrances inutiles, mais fournissent également un environnement plus sûr pour les employés de l’industrie agroalimentaire. " http:/ /www.wendys.com)

    Dans un rapport concernant les réformes volontaires dans l’industrie du bétail, le Los Angeles Times expliquait qu’une " partie des réformes sont dictées par l’intérêt propre.

    Quand un animal est meurtri, sa chair devient impropre et il doit être écarté.

    Même le stress, tout particulièrement juste avant l’abattage, peut affecter la qualité de la viande. " (29 avril 2003)

    Cet exemple (et il en existe d’autres) illustre la façon dont les producteurs de denrées animales, qui travaillent avec d’importants protecteurs des animaux, rendent l’exploitation des animaux plus lucrative en adoptant des mesures qui améliorent la qualité de la viande et la sécurité des travailleurs.

    Mais cela n’a absolument rien à voir avec la reconnaissance de la valeur inhérente des animaux ou de leurs intérêts qui devraient être respectés même lorsqu’il n’y a aucun profit économique pour les humains.

    Les améliorations supposées du bien-être animal sont généralement limitées et justifiées par les profits des producteurs et des consommateurs.

    De plus, les grandes entreprises d’exploitation animale peuvent à présent souligner que les protecteurs des animaux comme Singer ou PETA les admirent pour leur soi-disant traitement " humain " des animaux non-humains.

    PETA a ostensiblement offert à Grandin, consultante pour McDonalds et autres chaînes de fast food, sa récompense du Visionnaire de l’Année 2005 pour ses " améliorations innovantes " des procédés d’abattage et Ingrid Newkirk, de PETA, loue Grandin d’avoir " fait plus pour réduire la souffrance dans le monde que quiconque " (New Yorker, 14 avril 2003)

    On peut sérieusement douter des changements réellement apportés au traitement de l’animal sauf en ce qui concerne la question d’une exploitation efficace.

    Un abattoir qui suit les lignes de conduite de Grandin pour l’étourdissement, l’utilisation des coups et d’autres aspects du processus d’abattage demeure un endroit indiciblement horrible.

    Les poules de batterie qui fournissent la plupart des grandes chaînes de fast food vivent à présent sur une surface équivalente à environ 21,59 cm2 alors que les standards de l’industrie sont à 17,78cm2 mais il serait absurde de dire que l’existence d’une poule de batterie est tout sauf misérable.

    2. Le bien-être animal : Mettre le public plus à l’aise face à l’exploitation animale

    Singer et Friedrich affirment sans aucun support que toute réforme sur le bien-être animal conduira à une meilleure protection des animaux et à la " libération animale ".

    Cela fait maintenant 200 ans que la protection animale existe et rien ne prouve que les réformes sur le bien être aient conduit à une protection significative des intérêts des animaux et encore moins à l’abolition.

    En réalité, nous utilisons plus d’animaux non humains aujourd’hui, et de façon plus horrible qu’auparavant.

    Au point d’avoir conclu des améliorations marginales dans certains aspects du traitement animal qui ont, pour la plupart d’entre elles, été limitées à des mesures rendant l’exploitation animale plus avantageuse.

    Bien qu’il soit en théorie possible d’aller au-delà de ce niveau minimal de protection, le statut des non humains en tant que propriété et le souci résultant de maximiser la valeur de la propriété animale milite fortement contre toute amélioration significative de notre façon de traiter les animaux et assure que la protection animale fera un peu plus que rendre l’exploitation animale plus efficace économiquement et acceptable socialement.

    Quoi qu’il en soit, les réformes proposées pas Singer et Friedrich et qui sont actuellement promues par les associations de protection animale aux Etats-Unis, ne dépassent pas le niveau minimal.

    Singer et Friedrich avancent que les opposants à la protection disent " qu’avant ces réformes, un grand nombre de personnes refusaient de manger de la viande, mais ils ont à présent décidé que, puisque les animaux ne sont plus aussi maltraités, ils peuvent en manger à nouveau. "

    Ni moi, ni aucune personne critiquant la protection animale à ma connaissance n’a jamais énoncé une telle chose.

    J’ai bien dit que la protection animale n’a pas entraîné un grand nombre de non végétaliens à changer leur comportement et à refuser de manger de la viande ou d’autres produits animaux, et que les réformes sur le bien-être ne sont pas susceptibles de prendre cette direction sous peu pour la simple raison qu’elles mettent les gens plus à l’aise face à l’exploitation animale.

    Ce sentiment est le message explicite du mouvement de la protection. Les protecteurs des animaux déclarent que nous pouvons " consommer avec conscience. " (New York Times, 6 octobre 2004, citation de Paul Waldau).

    Dans le dernier livre de Singer, The Way we eat : Why our food choices matter (Notre façon de manger : pourquoi nos choix alimentaires comptent), il affirme avec son co.-auteur, Jim Mason que nous pouvons être " des omnivores conscients " et exploiter les animaux éthiquement si, par exemple, nous ne mangeons que les animaux qui ont été bien soignés et tués sans souffrance.

    Le message envoyé par cette approche est plutôt clair et si Singer et Friedrich pensent réellement que ceci n’encourage pas la consommation de produits animaux, ils se font des illusions.

    De plus, les réformes sur le bien-être peuvent entraîner une hausse de la demande et donc une hausse nette de la souffrance animale.

    La relation entre une demande accrue et des standards " humains " est reconnue par les protecteurs mêmes.

    Par exemple, l’association The Humane Society of the United States édite des brochures dans le but de promouvoir sa campagne pour des alternatives plus " humaines " concernant les cages de gestation des truies et signale explicitement que l’adoption de systèmes alternatifs peut engendrer une demande accrue ou des parts de marché pour les producteurs.

    Je voudrais partager une histoire avec vous, qui bien qu’anecdotique, illustre le problème. Lorsque le magasin " Whole Foods [4]" à côté de chez moi a ouvert, il vendait des produits carnés, mais n’avait pas de rayon viande.

    Il y a maintenant un rayon entier de viande et poisson. Il existe également des affiches dans le magasin faisant de la pub pour le " Animal Compassion Foundation " (± Fondation pour la compassion envers les animaux) établi par Whole Foods, qui finance des projets pour les fermiers et les propriétaires de ranch leur permettant de développer des méthodes d’élevage plus " humaines ".

    Il y a plusieurs semaines, je passais devant l’étal de viande et j’ai fait remarquer à un employé que je trouvais honteux que Whole Foods vende des cadavres.

    Telle fut la réponse de l’employé :

    " Saviez-vous que PETA a récompensé Whole Foods pour sa façon de bien traiter les animaux ? " Oui, c’est vrai. En plus de donner une récompense à Temple Grandin, PETA a également loué Whole Foods pour son " exigence de standards stricts envers ses producteurs. " http://www.peta.org

    The way we eat cite également Whole Foods et noircit des pages et des pages pour encenser l’entreprise comme étant un vendeur de produits animaux éthiquement responsable.

    En mettant de côté qu’il y a un sérieux problème, à savoir si les standards " stricts " dont PETA et bien d’autres sont si fiers ont un effet significatif sur la vie et la mort des animaux dont les cadavres sont vendus chez Whole Foods (un article à venir du Pr Darian Ibrahim de l’Université d’Arizona soutient que ces standards comportent des lacunes), ce type d’approche ne peut qu’alimenter la confusion là où la clarté devrait être présente et encourage les gens à croire que nous pouvons " consommer avec conscience ", ce qui tend à perpétuer et légitimer la consommation de produits animaux.

    Voici un avis paru sur Amazon.com au sujet du livre The way we eat :

    " Inutile de devenir végétarien ou végétalien, bien que le devenir pourrait constituer un bon mode de vie, à la fois sain et moral, mais le livre vous donne vraiment envie d’acheter chez Whole Foods et d’acheter du poulet élever en parcours libre et de faire tout ce que vous pouvez pour que vos besoins en provisions aient une origine décente. "

    3. Le but ? Quel but ?

    Singer et Friedrich expliquent comment la protection animale encourage les " droits des animaux " et déclarent que l’opposition au bien-être animal est " contre productive face au but de la libération animale que nous partageons tous ".

    Quel est exactement ce but que nous partageons tous ?

    Singer est un utilitariste [5] qui a fortement rejeté les droits moraux des animaux non-humains et humains bien qu’il utilise confusément le langage des droits quand cela lui convient. Il en ressort que ceux qui soutiennent que les humains disposent de certains droits, comme celui de ne pas être réduits en esclavage ou d’être utilisés comme une marchandise par d’autres, ne partagent pas le but de Singer en ce qui concerne les humains.

    Pour ce qui est des non-humains, Singer ne s’oppose pas à leur exploitation pour la majorité d’entre eux, il s’inquiète seulement de leur traitement.

    S’il discute l’utilisation, c’est uniquement dans le contexte du souci de ne pas être capable d’assurer un traitement adéquat.

    Mais son but n’est pas l’abolition de l’exploitation animale ; selon la théorie morale générale de Singer, l’abolition ne peut pas être son but. Singer a toujours fortement soutenu que la plupart des non-humains n’ont aucun intérêt à continuer de vivre parce qu’ils n’ont pas conscience d’eux-mêmes dans le même sens que les hommes.

    Par conséquent, ils se moquent de savoir si on les utilise, ils se préoccupent seulement de la façon dont on les utilise.

    Ceci reflète les pensées de Jeremy Bentham, l’utilitariste du XIXe siècle, sur lesquelles Singer base sa théorie.

    Bentham prétend que bien que les animaux puissent souffrir, et avaient donc une importance morale, les animaux ne s’inquiètent pas de savoir, par exemple, si nous les mangeons. Ils s’inquiètent seulement de la façon dont nous les traitons jusqu’à ce que nous les mangions.

    Ce point de vue, qui ne concerne pas l’utilisation en soi mais le traitement, est le fondement de l’idéologie de la protection animale et se différencie de la position des droits des animaux comme je l’ai clairement exprimé.

    Je maintiens que si les animaux ont un intérêt à mener une existence continue (et je soutiens que c’est valable pour tout être conscient), les utiliser comme une ressource pour les humains (même si on les traite " humainement ") n’est pas défendable moralement et nous devrions tendre à abolir et non réguler l’exploitation animale.

    Je soutiens également que Singer se trompe en maintenant qu’il est possible d’accorder une considération égale à tous les intérêts qu’il reconnaît aux animaux en tant que propriété de l’homme.

    Les intérêts de la propriété seront toujours considérés comme moindres face à ceux des propriétaires.

    Cependant, il n’y a pas besoin d’être très philosophe pour évaluer la nature de la " libération animale " selon Singer.

    Son dernier livre soutient non seulement que nous pouvons manger les animaux et leurs sous-produits éthiquement, mais comporte également une information qui devraient éclairer nos idées sur Singer et ses pensées au sujet de la violence envers les non humains.

    Dans The way we eat, Singer et Mason nous racontent qu’ils ont appris qu’un élevage de dindes nécessitait des travailleurs pour assister l’insémination artificielle.

    " Notre curiosité était piquée et nous avons décidé de voir par nous-mêmes en quoi consistait réellement ce travail. "

    Singer et Mason ont passé une journée " à collecter la semence et à l’introduire dans les dindes. " Ils attrapaient les mâles et les maintenaient pendant qu’un autre travailleur " pressait l’organe de reproduction du mâle jusqu’à ce qu’il s’ouvre et que la semence blanche en sorte. "

    En se servant d’une pompe, il la transférait dans une seringue.

    " Singer et Mason devaient ensuite " forcer " les femelles, ce qui sous-entend de les maintenir afin que " leur train arrière soit bien en place et leur organe ouvert.

    " L’inséminateur introduit ensuite un tube dans la dinde et utilise un souffle d’air comprimé pour injecter la semence dans la dinde. "

    Et il n’y avait pas que les dindes qui passaient un mauvais quart d’heure.

    Singer et Mason se sont plaint de leur journée à l’élevage de dindes disant que c’était le travail " le plus difficile, rapide, sale, dégoûtant et le plus mal payé qu’ils n’aient jamais fait.

    Pendant 10 heures, nous avons attrapé et lutté avec des volailles, retournées à l’envers et vus leurs derrières, évité leurs excréments jaillissants en respirant un air vicié par la poussière et les plumes dégagées par des volailles paniquées [6]"

    Et par-dessus tout, ils ont " reçus un torrent d’insultes de la part du chef d’équipe. On a duré une journée. "

    On se demande bien si Singer et Mason y seraient retournés un deuxième jour si les conditions de travail avaient été meilleures.

    Il est vraiment dérangeant de constater que Singer et Mason considèrent moralement acceptable de commettre des violences à l’égard de non-humains quel que soit le but et plus particulièrement pour satisfaire leur curiosité sur " ce qu’implique vraiment ce travail ".

    Je pense qu’il n’y a aucun moyen antispéciste de justifier ce que Singer et Mason se targuent d’avoir fait sans également justifier le viol d’une femme ou la molestation d’un enfant afin de voir ce qu’un acte de violence " implique réellement. "

    On peut peut-être expliquer les actions perverses avec les dindes commises par Singer en se référant à sa citation en 2001 sur le site nerve.com : " les relations sexuelles avec les animaux n’impliquent pas toujours de la cruauté " et que l’on peut y trouver " une satisfaction mutuelle ".

    Quoi qu’il en soit, si la violence envers les non-humains est permise selon la théorie de Singer, il n’y a pas besoin d’en savoir beaucoup plus pour en conclure que cette théorie comporte de sérieux défauts et que ses buts ne sont probablement pas, comme Singer le pense, ceux que nous partageons.

    En ce qui concerne les buts de Friedrich et PETA, une chose est devenue claire au fil des ans : la compréhension des droits des animaux par PETA est, pour le moins, idiosyncratique [7].

    Pour citer un exemple parmi tant d’autres, à ma connaissance, aucune théorie des droits des animaux n’approuverait l’abattage massif de non-humains en bonne santé comme dans le " sanctuaire " PETA d’Aspen Hill en 1991 ou, plus récemment, aux siège de PETA où des employés auraient usé de tromperie pour obtenir des animaux sains qui ont par la suite été tués et jetés.

    Je suppose que si on est d’accord avec Singer, à savoir que les animaux tués par PETA n’avaient aucun intérêt à vivre, mais voulaient seulement une mort " douce " ou " pleine de compassion " alors cela à un sens.

    Personnellement je n’y adhère pas.

    Lorsque les protecteurs des animaux posent des questions aux associations de protection animale, la réponse en bloc est que nous avons tous le même but, nous travaillons tous pour les animaux et toute controverse nuirait à l’unité du mouvement.

    Comme la " consommation avec compassion ", la notion d’unité de mouvement est une fiction utilisée pour maintenir le contrôle du discours et de la stratégie.

    Il n’y a pas d’unité de mouvement parce qu’il existe une différence inconciliable entre la position d’abolitionniste/droits et de protection/règlementation, entre ceux qui soutiennent que nous devrions être aussi " fanatiques " (pour utiliser le terme désobligeant de Singer) au sujet du spécisme que nous le sommes pour l’exploitation humaine et ceux qui, comme Singer, ne le sont pas.

    Les déclarations sur l’unité du mouvement sont tout simplement un autre moyen d’empêcher les protecteurs de remettre en question le contrôle du mouvement exercé par les associations.

    4. La protection ou rien : la fausse dichotomie

    Singer et Friedrich soutiennent que ceux qui se sentent concernés par les non-humains ont deux choix : la protection animale ou ne rien faire pour aider les animaux.

    Ceci sous-entend que la position abolitionniste est trop idéaliste et ne peut fournir une stratégie à court terme.

    Voici un leitmotiv des associations de protection et il ne me paraît pas bien clair de déterminer s’ils y croient vraiment ou si c’est uniquement un slogan.

    Quoi qu’il en soit, Singer et Friedrich nous exposent une fausse dichotomie.

    Nous infligeons de la douleur, de la souffrance et la mort à des milliards de non-humains chaque année.

    Personne, même parmi les abolitionnistes les plus convaincus, ne soutient que l’on puisse arrêter ça du jour au lendemain ou à court terme.

    Le souci des protecteurs est ce qui peut-être fait maintenant.

    De plus, nous vivons dans un monde qui a une durée et des ressources limitées.

    On ne peut pas tout faire.

    Par conséquent, le problème, du moins pour ceux dont le but est l’abolition, devient : que choisissons-nous de faire maintenant qui permettra de réduire la souffrance à court terme, qui pertinent dans l’optique abolitionniste, et qui mettra sur pieds un mouvement politique allant dans la direction de l’abolition ?

    Je ne conseille pas la protection comme choix rationnel pour les abolitionnistes.

    Il est un peu tard pour promouvoir la protection comme le pas qui nous permettra de commencer le long voyage.

    Nous avons dépensé des milliards de dollars et qu’avons-nous à montrer ?

    Voici ma réponse : rien et surtout rien qui ne puisse être décrit comme une utilisation efficace de nos ressources limitées.

    Singer et Friedrich font référence à l’Animal Welfare Act (une loi fédérale aux Etats-Unis supposée réglementer l’utilisation des non humains dans les expériences et expositions) et le Human Slaughter Act américain comme des exemples de lois de protection qui laisseraient les animaux dans les pires conditions si elles n’existaient pas. Je ne suis pas d’accord.

    L’Animal Welfare Act, qui ne s’applique même pas à 90% des non-humains utilisés pour l’expérimentation, n’impose pas de réelles limites à ce que peuvent faire les vivisecteurs en laboratoire.

    Cependant, cette loi fournit une source à citer pour la communauté scientifique et pour les personnes comme Singer et Friedrich afin de rassurer le public quant à la réglementation de la vivisection.

    Le Humane Slaughter Act, qui ne s’applique pas non plus à la majorité des animaux mangés, est cependant destiné à réduire les problèmes de carcasse et à assurer la sécurité des travailleurs. Une fois encore, le but premier de cette loi est de mettre les consommateurs plus à l’aise.

    Cette loi de ne requiert pas plus de protection que n’en fournirait un propriétaire d’exploitation et il existe d’innombrables exemples pour lesquels le gouvernement américain n’applique pas cette loi.

    Singer et Friedrich citent également comme exemple de progrès " les changements de densité d’individus chez les poules, même maigres, qui ont permis de passer de 20% de morts annuelles à 2-3%. "

    Ceci est particulièrement bizarre puisque 100% des poulets finiront par être tués. Toute réduction de mortalité avant l’abattage prolonge la vie des volailles dans d’horribles conditions et augmente les bénéfices des exploitants.

    Les protecteurs ont donc réussi à éduquer les exploitants à, selon les termes de McDonald’s, " assurer une production efficace et réduire les déchets et les pertes. "

    Singer et Friedrich trouveront peut être cela passionnant, pas moi.

    Que peut donc faire un abolitionniste maintenant pour réduire plus efficacement la souffrance à court terme et en accord avec le but de l’abolition ?

    L’approche abolitionniste fournit des indications pratiques à plusieurs égards.

    Un changement conséquent induit que chacun prenne la décision de devenir végétalien [8].

    Le végétalisme, ou suppression de tout produit animal, est plus qu’une simple question de régime alimentaire ou de style de vie : c’est la déclaration par un individu d’accepter le principe d’abolition dans sa propre vie.

    Le végétalisme est le seul véritable but que nous pouvons atteindre, et ce de façon immédiate, dès notre prochain repas.

    Si nous voulons vraiment changer notre façon de traiter les animaux et ne plus les exploiter un jour, il est impératif de créer un mouvement social et politique qui tend vraiment vers l’abolition et considère le végétalisme comme une ligne de base morale.

    Il n’y a, bien sûr, aucune distinction rationnelle entre la viande et les autres produits animaux, comme les œufs ou les produits laitiers, entre la fourrure et le cuir, la soie ou la laine.

    La majorité des associations de protection animale aux Etats-Unis se concentre sur le bien-être animal même si elles soutiennent le végétalisme.

    PETA est un excellent exemple.

    D’une part, PETA encourage le végétalisme.

    D’autre part, les campagnes de PETA sont en général concentrées sur la réglementation traditionnelle du bien-être et soutient activement et de manière déroutante le concept de produits animaux fabriqués " humainement ".

    Cependant, le végétalisme n’est en aucun cas avancé comme une ligne de base morale du mouvement.

    Il est même simplement présenté comme un choix de vie optionnel et est souvent décrit comme difficile et uniquement pour le peu de personnes engagées et non pas comme un moyen accessible d’éliminer l’exploitation.

    C’est la marque du mouvement, dont bon nombre de " leaders " ne sont pas végétaliens, qui présente la position végétalienne/abolitionniste comme " marginale " ou " radicale ", faisant de " la consommation avec conscience " la règle " normale " ou " principale ".

    En réalité, Singer déclare que nous ne devons pas être " fanatiques " concernant la nourriture et qu’un peu " d’indulgence contrôlée envers soi " est acceptable (dans The way we eat , 281, 283).

    Nous ne dirions bien sûr jamais " qu’un peu d’indulgence envers soi " est acceptable quand il s’agit de viol, meurtre, maltraitance d’enfant ou d’autres formes d’exploitation humaine mais le soi-disant nommé " père du mouvement des droits des animaux " assure " qu’un peu d’indulgence envers soi " en participant en tant que consommateurs à l’abattage brutal de non-humains ne doit pas nous inquiéter.

    Il est acceptable (en réalité, attendu) d’être " fanatique " concernant la maltraitance des enfants ou envers d’autres formes d’exploitation humaine, mais Singer nous informe qu’il est admissible d’être flexible quand il s’agit des animaux.

    Un mouvement dont l’abolition est le but doit avoir le végétalisme comme ligne fondamentale de conduite et ne devrait pas promouvoir " la consommation avec compassion " comme ligne directrice.

    Nous devons être clairs.

    La " consommation avec compassion " est un mythe insidieux.

    Tous les produits animaux, y compris ceux portant la mention "élevage respectueux " délivrée par des organisations de protection animale, impliquent une brutalité indicible.

    La culture abolitionniste et végétalienne fournit des stratégies pratiques permettant de réduire à la fois la souffrance animale dès maintenant et de construire un mouvement à long terme qui obtiendra une législation significative sous la forme d’interdictions plutôt que de réglementations " humaines ".

    Cette culture comprend : les boycotts, les manifestations pacifiques, les programmes scolaires ainsi que d’autres actions non-violentes visant à informer le public sur les dimensions morales, environnementales et sanitaires du végétalisme.

    Si, à la fin des années 1980, au moment où la communauté de la protection animale aux Etats-Unis a décidé de poursuivre un ordre du jour mettant en avant la protection, une portion substantielle des ressources du mouvement s’était investie dans la culture végétalienne, il y aurait aujourd’hui des centaines de milliers de végétaliens en plus.

    C’est une estimation très conventionnelle étant donné les centaines de millions de dollars dépensés par les groupes de protection animale pour promouvoir des législations et des initiatives qui protègent les animaux.

    Le nombre accru de végétaliens diminuerait la souffrance en réduisant la demande de produits animaux plus efficacement que tous les " succès " des associations de protection rassemblées.

    Augmenter le nombre de végétaliens aiderait à construire une base économique et politique nécessaire à un changement social de fond duquel résulterait une modification légale.

    Etant donné que nous disposons d’un temps et de ressources financières limités, l’expansion de la protection animale traditionnelle n’est pas un choix rationnel ni efficace si nous recherchons l’abolition à long terme ou la réduction de la souffrance animale à court terme.

    Singer déclare qu’en réalité, " devenir végétalien est encore un trop grand pas pour la plupart de gens. " (dans The way we eat, 279)

    En laissant de côté le fait que les gens pourraient devenir végétaliens si Singer et les associations de protection animale ne leurs disaient pas qu’ils peuvent " consommer avec compassion ", la solution est le végétalisme et non pas les produits animaux " fabriqués humainement. "

    Par exemple, une campagne incitant à faire un repas végétalien par jour, puis deux et enfin trois est plus efficace que de les encourager à consommer de la viande, des œufs ou produits laitiers issus d’animaux " élevés en libre parcours. "

    Mais le message devrait être clair : le végétalisme est le principe de base d’un mouvement qui soutient l’abolition, ce n’est pas le cas de la " consommation avec compassion. "

    A ce moment précis, il est peu probable que les campagnes de réglementation ou de législation qui cherchent à dépasser la réforme traditionnelle de la protection seront un succès ; il n’existe aucune base politique soutenant de telles réformes car le mouvement organisé n’a pas essayé d’en construire une.

    Si les protecteurs des animaux souhaitent poursuivre de telles campagnes, elles devraient au moins inclure des interdictions et non pas des réglementations.

    Ces interdictions devraient reconnaître que les animaux ont des intérêts qui dépassent ceux qui doivent être protégés pour les exploiter et ne peuvent être compromis pour des motifs économiques.

    Les protecteurs des animaux ne devraient jamais proposer d’alternative, supposées plus " humaines ".

    Par exemple, une interdiction d’utiliser les animaux dans une expérience particulière est à favoriser par rapport à la substitution par une autre espèce.

    Je tiens à être clair sur le fait que je ne suis pas enclin à investir quelque ressource que ce soit dans les campagnes de réglementation ou de législation en ce moment.

    Le compromis politique requis résulte généralement en une éviscération du bénéfice recherché. Le mouvement abolitionniste devrait plutôt se concentrer sur le végétalisme, qui est une façon efficace et pratique de réduire l’exploitation animale.

    J’insiste sur une approche non-violente de la part de ce mouvement, tant au niveau des interactions individuelles qu’idéologiques.

    Comme je l’ai bien expliqué, le mouvement des droits des animaux devrait se voir comme la prochaine étape dans le progrès d’un mouvement pacifique, comme un mouvement qui fait monter le rejet de l’injustice d’un cran.

    Le problème de l’exploitation animale est compliqué et profondément enraciné dans notre culture patriarcale et notre dérangeante tolérance envers la violence contre ceux qui sont vulnérables. La violence n’est pas seulement problématique d’un point de vue moral, mais est également une stratégie pratique peu solide.

    Nous n’affronterons jamais le problème avec succès en l’abordant avec violence pour essayer de créer un mouvement social en faveur de l’abolition.

    Comme le disait le Mahatma Ghandi, la force la plus puissante que nous pouvons opposer à l’injustice n’est pas la violence mais le refus de coopérer.

    Il n’y a aucun moyen plus efficace pour refuser de coopérer avec l’exploitation des non humains que de l’éliminer de nos propres vies grâce au végétalisme et incitant les autres à le faire.

    Il est dérangeant de voir que PETA passe plus de temps à critiquer ceux qui s’opposent à l’approche de protection animale que ceux qui ne feront que marginaliser le problème animal en l’associant à la violence.

    Il est également dérangeant de voir à quel point PETA utilise le sexisme dans ses campagnes, brochures, et manifestations.

    Le spécisme est étroitement lié au sexisme et à d’autres formes de discrimination contre les humains.

    Tant que nous continuerons à traiter les femmes comme de la viande, nous continuerons à traiter les non-humains comme tels.

    Il est plus que temps que de vrais défenseurs des animaux informent PETA que son sexisme est destructeur et contre productif.

    5. De quel côté êtes-vous ? Bonne question

    Singer et Friedrich terminent leur essai en demandant : " De quel côté êtes-vous ? "

    Ils nous disent que les exploiteurs d’animaux sont tous opposés au bien-être animal et nous demandent si nous voulons être du côté de ces exploiteurs ou du côté de Singer et Friedrich, qui soutiennent le bien-être animal.

    Cette question pose problème à au moins deux égards.

    Elle suppose tout d’abord que si les exploiteurs d’animaux s’opposent au bien-être animal c’est probablement parce que ce bien-être est nuisible pour eux.

    C’est absurde et montre soit de la naïveté soit de la bêtise.

    Une industrie s’opposera à la réglementation même quand elle ne la conteste pas vraiment et même quand cette régulation peut s’avérer profitable.

    La modification fédérale en 1985 de l’Animal Welfare Act en est un exemple probant.

    Cette loi avait permis de créer des " comités de vigilance animale " pour surveiller les expériences impliquant des animaux.

    Ces comités n’ont pas seulement échoué à fournir toute limitation significative des expériences incluant des animaux, ils ont aussi isolé un peu plus la vivisection des examens publics qu’avant 1985.

    Les vivisecteurs se sont publiquement opposés à la modification de 1985 bien que nombre d’entre eux m’aient confié en privé que la modification était, du reste, peu nuisible à la pratique d’utiliser les animaux.

    Ils s’y sont opposés car ils sont contre le principe de toute réglementation gouvernementale dans ce domaine.

    Il serait difficile de trouver un vivisecteur qui dirait franchement que la modification de 1985 a fait quoi que ce soit pour réduire la vivisection et beaucoup d’entre eux sont à présent ravis de pouvoir dire au public qu’un comité passe en revue toutes les expériences incluant des animaux.

    De plus, Singer et Friedrich se trompent en affirmant qu’un grand nombre d’exploiteurs embrassent publiquement et ouvertement les réformes sur le bien-être applaudies par Singer et Friedrich.

    McDonald’s et d’autres les ont appliquées car ils comprennent que c’est là une bonne affaire. Ils ont effectué des changements minimes qui ont été plus que compensées par la belle publicité que leur ont faite d’importantes associations de protection animale.

    Un actionnaire de ces entreprises aurait raison de se plaindre s’ils n’avaient pas conclu cet " accord " avec PETA et d’autres organisations car il ne peut que maximiser la richesse de l’actionnaire.

    Généralement, je ne pense pas que des questions telles que " de quel côté êtes-vous " sont utiles mais je vais faire une exception dans ce cas et leur poser la même question.

    La voici :

    - Singer soutient que l’utilisation des animaux en soi ne pose pas de problème moral car la plupart des non humains n’ont aucun intérêt à continuer de vivre ;

    - Singer soutient que nous pouvons consommer des animaux de manière éthique ;

    - Singer considère qu’infliger des violences à des non humains est une manière acceptable de s’instruire sur l’exploitation animale ;

    - PETA tue (" euthanasie " n’est pas le mot approprié car il implique que la mort est donnée dans l’intérêt de l’animal) des milliers d’animaux sains car PETA semble partager le point de vue de Singer selon lequel les animaux n’ont aucun intérêt fondamental et moral à continuer de vivre. " Droits des animaux " signifie pour eux exécutions " humaines "

    - PETA soutient des campagnes embrassées par les entreprises exploitant des animaux et leur offre des récompenses.

    - PETA a complètement dénigré le mouvement des droits des animaux en transformant la question de leur exploitation en un énorme coup de pub et a fait du sexisme un thème récurrent de ses campagnes.

    Alors, de quel côté êtes-vous ?

    © Copyright 2006 by Gary L. Francione. Please do not reprint without permission. You may contact the author at : gfrancione@earthlink.net

    Une sélection de liens en complément à cet article :

    Abolition of Animal Exploitation : The Journey Will Not Begin While We Are Walking Backwards” (texte original en anglais
    “ANIMALS (LOST) IN TRANSLATION Animal Rights vs Animal Abuse “

    The Animal Rights Industry Reflections on the Exploitation of Nonhuman Suffering”

    Notes :

    [1] " Welfariste " est un terme dérivé de l’anglais " welfarist " et définit une idéologie axée sur le bien être des animaux et n’est pas incompatible avec leur exploitation. Le mot s’oppose à " abolitionniste ", axé sur l’abolition de l’exploitation des animaux sous quelque forme que ce soit. (N.d.T.).

    [2] Temple Grandin (née le 29 août 1947), Professeur de l’Université du Colorado est une spécialiste de renommée internationale en structures de stockage animalier (livestock en anglais).

    Propriétaire d’une entreprise de conseils sur les conditions d’élevage des animaux qui a fait d’elle une expert de renommée en conception d’équipements pour le bétail, Temple Grandin est également professeur en sciences animales de l’université de Fort Collins (Colorado)..

    [3] Méthode d’insensibilisation et d’immobilisation des animaux par passage d’un courant électrique dans le cerveau..

    [4] Whole Foods est la plus importante chaîne de magasins biologiques aux Etats-Unis.

    [5] L’utilitarisme est une doctrine éthique (dans le sens comportemental) qui pose en hypothèse que ce qui est " utile " est bon et que l’utilité peut être déterminée d’une manière rationnelle. Le père de cette philosophie est Jeremy Bentham.

    C’est cependant avec l’apport de John Stuart Mill que l’utilitarisme devient une philosophie véritablement élaborée. fr.wikipedia.org/wiki/Utilitarisme ∑ Principe selon lequel la valeur de toute chose est fonction de son utilité. www.samizdat.qc.ca/vc/theol/dict_rb.htm.

    [6] Le vocabulaire utilisé par Singer et Mason est largement plus vulgaire.

    [7] Relatif aux caractéristiques propres à chaque individu, qui le distinguent des autres et qui déterminent sa façon particulière de réagir à son milieu et aux agents extérieurs..

    [8] Vegan dans le texte original. Le mot commence à s’utiliser en français également. Cette définition implique le fait de refuser toute forme d’exploitation animale.

    http://www.veganimal.info/article.php3?id_article=548

  • Helmut F. Kaplan : "Les amis des animaux doivent devenir végétariens."

    http://www.tierrechte-kaplan.org/tierrechte/singer_und_kaplan.jpg
    Peter Singer et Helmut Kaplan

    « Les animaux sont mes amis… et je ne mange pas mes amis », disait George Bernard Shaw. Non seulement ça semble logique, mais c’est logique ; ça ne signifie ni plus ni moins que la chose suivante : les amis des animaux doivent devenir végétariens ! Souvent, on entend cette objection : « Ne pas manger de viande est sans doute un bon principe. Mais, si l’individu que je suis deviens végétarien, cela ne changera pas le cours des choses ; cela n’aura aucun impact. » Celui qui dit ça devrait songer aux remarques qui suivent :

    Chaque jour, des milliers d’êtres humains sont assassinés de par le monde. Cela ne changerait donc fondamentalement pas grand-chose si j’en assassinais un de plus. Pourtant, ce n’est ni notre manière de penser ni notre manière d’agir.

    L’industrie de la viande n’est pas le seul domaine où se produisent des choses que nous condamnons sans que nous puissions dans le moment influer directement sur elles. C’était le cas par exemple à l’époque de la course aux armements. Qu’ont fait les gens qui s’opposaient à cela ? Ils ont manifesté. Devenir végétarien est aussi une manière de manifester. En devenant végétarien, on manifeste que l’on trouve injuste de torturer et de tuer des êtres sensibles dans un objectif aussi futile que nos goûts culinaires.

    Qui plus est, le végétarisme n’est pas n’importe quelle manière de manifester ; c’est la plus essentielle et la plus urgente qui soit. On ne peut convaincre personne du bien-fondé de quelque chose que l‘on ne met pas soi-même en pratique. Aucun des mouvements contre l’injustice et l’oppression, par exemple contre l’esclavage, le racisme ou le sexisme, n’aurait pris corps ni encore moins triomphé si les militants avaient attendu d’être certains de la victoire avant de s’engager.

    Après chaque grand crime de l’histoire de l’humanité, les gens impliqués se sont justifiés rétrospectivement de la manière suivante : « Seul, que pouvais-je faire ? Ça ne dépendait pas de moi. » Et si, justement, ça dépend de chaque individu. Tant qu’on ne devient pas un élément constituant de la résolution d’un problème, on reste partie intégrante de ce problème. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne la consommation de viande. Que l’on se représente quelle différence il y a entre une vie de mangeur de viande et une vie de végétarien ! Concrètement parlant, les consommateurs de viande sont responsables de la mort de six moutons, huit vaches, vingt-cinq lapins, trente-trois cochons, trois cent quatre-vingt-dix poissons, sept cent vingt poules et maints autres animaux. C’est en effet le nombre d’animaux que les êtres humains mangent en moyenne durant leur vie.

    Mais chacun a le pouvoir d’arrêter à tout moment de participer à ce massacre envers les animaux. Chacun a le pouvoir de cesser immédiatement de participer à cette guerre contre ces êtres innocents et sans défense.

    Extrait du livre le plus récent de Helmut F. Kaplan, Der Verrat des Menschen an den Tieren (La Trahisondes hommes envers les animaux), Vegi-Verlag, ISBN 3-909067-06-9, 260 pages, 15 E chez l'Association Suisse pour le Végétarisme (AVS) asv@vegetarisme.ch - www.vegetarisme.ch

    http://www.evana.org/index.php?id=15973&lang=fr

  • Élisabeth de Fontenay : "Les droits des animaux ne sont pas réactionnaires"

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    Le Monde, 8 septembre 2006

    « Des barbares saisissent ce chien... », pouvait écrire Voltaire. Mais Jean-Yves Nau, dans un article du Monde du 25 août intitulé « La bête humanisée », ne partage pas du tout cette opinion, puisqu'il raille ceux qui qualifient de « barbares » les auteurs de mauvais traitements infligés aux bêtes. 

    Prenant prétexte d'infantiles abus de langage et d'anecdotes navrantes, au sujet de la problématique réintroduction des ours dans les Pyrénées, il passe à côté de ce qui représente un combat porteur d'avenir, à savoir l'institution de droits pour les animaux.

    De telles mesures juridiques relèveraient selon lui d'une régression anthropomorphique, qu'il qualifie bizarrement de "nouvelle révolution copernicienne". J'essaie de comprendre : car, même au cas où il aurait cru amuser ou parler par antiphrase, son mot d'esprit ne fonctionne guère.

    Ce qu'on désigne en effet par révolution copernicienne, c'est la transformation, du XVIe au XVIIIe siècle, des idées scientifiques et philosophiques ayant accompagné le changement de représentation de l'Univers.

    Or l'héliocentrisme (idée que la Terre tourne autour du Soleil et non l'inverse) semble un modèle trop général pour prendre en charge une mutation décisive des représentations du rapport de l'homme aux autres vivants.

    La qualification adéquate pour désigner la prétendue humanisation de la bête aurait pu être, à la rigueur, "l'animalisation de l'homme", opérée jusqu'à un certain point par la "révolution darwinienne".

    Avec la consolidation de la théorie de l'évolution par la génétique - plus de 99 % de gènes identiques entre l'homme et le chimpanzé -, on a changé de paradigme et il ne sert à rien de rameuter la vieille métaphysique du propre de l'homme.

    Freud avait nommé les auteurs des trois grandes blessures narcissiques infligées à l'humanité : Copernic, qui avait mis fin au géocentrisme, Darwin, qui avait ruiné l'anthropocentrisme, et lui-même, qui avait renversé le règne sans partage du conscient.

    C'est dire que la révolution dont parle Jean-Yves Nau a déjà eu lieu, et qu'il suffit de lire The Descent of Man, qu'on doit traduire par "l'ascendance de l'homme", pour comprendre le formidable bond en avant qui s'est opéré dans la manière de se représenter tout à la fois la généalogie des espèces et les nouveaux devoirs impartis aux hommes.

    Certains chercheurs ont du reste souligné que les avancées de l'éthologie constituaient une quatrième blessure narcissique.

    Brocardant un certain nombre de résolutions internationales et d'initiatives françaises en faveur des animaux, M. Nau ne marque-t-il pas son rejet du nouveau code pénal, pour lequel les animaux ne sont désormais plus des choses mais, bel et bien, des personnes juridiques ?

    La notion de "personnalité juridique" ne se confondant pas avec celle de "sujet de droit" ne tend aucunement à effacer la frontière entre l'humanité et l'animalité. L'animal ne se trouve plus soumis au seul droit de propriété, le code pénal punissant d'amendes les mauvais traitements.

    L'abusus, prérogative du propriétaire, se voit donc limité dans l'intérêt de la bête elle-même, qui n'est plus une chose ou un bien, pour autant qu'on classe les actes de cruauté envers les animaux dans une catégorie distincte de crimes et délits : ni contre les personnes, ni contre les biens, ni contre l'Etat, la nation, la paix publique, l'humanité.

    On doit penser que, comme l'écrit un juriste contemporain, cette catégorie inédite de crimes et délits, "naviguant entre les biens et les personnes", ne pourra pas subsister longtemps telle quelle. Ce qui est avouer que beaucoup reste à faire, ne serait-ce que pour se mettre en accord avec le droit européen.

    Enfin, puisque l'article s'en prend aux hommes politiques au pouvoir, stigmatisant chez eux une démagogie animalière, il faut rappeler que ce sont des hommes de progrès, qui, en France, au XIXe siècle et même au début du XXe ont défendu, contre la droite catholique, l'idée d'un droit des animaux : Grammont auteur de la première loi de protection, Michelet, Hugo, Larousse, Zola, Schoelcher, Clemenceau.

    Ils ne craignaient pas, ces républicains, qu'on les soupçonne d'aller à contre-courant de l'émancipation humaine quand ils réclamaient l'élargissement du cercle de ceux qui ont ou devraient avoir droit au droit : ils y voyaient un véritable accroissement d'humanité.

    Pour eux la régression, la "réaction" consistait bien plutôt à reconduire la vieille tradition cartésienne, mécaniste et spiritualiste, celle qui enseigne le mépris envers la sensibilité d'êtres vivants non humains.

  • Gary Francione : "Les animaux ne sont pas une marchandise"

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    LES ANIMAUX NE SONT PAS UNE MARCHANDISE

    POUR L’ABOLITION DE L’ANIMAL ESCLAVE

    (Monde diplomatique – août 2006)

    NOUS ADORONS NOS CHIENS ET NOS CHATS DOMESTIQUES, RAFFOLONS DES DESSINS ANIMÉS OU DES FILMS ANIMALIERS, ET CEPENDANT NOTRE COMPORTEMENT À L'ÉGARD DES ANIMAUX EN GÉNÉRAL PROUVE NOTRE INSENSIBILITÉ ET NOTRE COMPLICITÉ PASSIVE DEVANT LEUR IMMENSE SOUFFRANCE. TANT QUE L'ANIMAL CONTINUERA D'ÊTRE UNE PROPRIÉTÉ ET QU'IL SERA CONSIDÉRÉ COMME UN BIEN MARCHAND, SES SUPPLICES SE POURSUIVRONT.

    Par Gary L. FRANCIONE

    Selon le ministère américain de l'agriculture, les États-Unis, à eux seuls, abattent plus de huit milliards d'animaux par an destinés à l'alimentation. Chaque jour, plus de vingt-deux millions d'entre eux sont sacrifiés dans les abattoirs américains, c'est-à-dire plus de neuf cent cinquante mille par heure, seize mille par minute !

    Malgré les progrès effectués ces dernières années, ils continuent d'être maintenus dans des conditions d'élevage intensif effrayantes, mutilés de diverses manières, sans produit antidouleur, transportés sur de longues distances tassés dans des conteneurs exigus et insalubres, pour être finalement exécutés dans les cris, la puanteur et la saleté d'un abattoir.

    Les animaux sauvages ne sont guère mieux lotis. Aux États-Unis, environ deux cents millions d'entre eux sont, chaque année, victimes de la chasse. Des millions d'autres sont utilisés pour la recherche biomédicale et l'essai de nouveaux produits.

    On mesure sur eux l'effet des toxines, des maladies rares, des molécules expérimentales, des radiations, des tirs d'armes à feu, et ils sont soumis à de multiples formes physiques ou psychologiques de privation.

    S'ils survivent aux expérimentations, ils sont presque toujours tués ensuite, ou recyclés pour d'autres expériences qui, cette fois, auront raison de leur résistance.

    Cirques, zoos, carnavals, parcs d'attractions, spectacles de dauphins et autres utilisent les animaux à seule fin de divertir. Près de quarante millions d'animaux à fourrure sont abattus chaque année pour la mode ...

    Avant le XIXe siècle, les animaux étaient considérés comme des objets. Même pour Descartes, le gémissement d'un chien était semblable au crissement d'un mécanisme ayant besoin d'huile (1). Parler de nos obligations morales envers les animaux, « machines créées par Dieu », n'avait, pour l'auteur du Discours de la méthode, pas plus de sens que de parler de nos obligations morales envers les horloges, machines créées par l'homme.

    Cent mille litres d'eau pour un kilo de viande

    Le principe humaniste du traitement médical des bêtes souffrantes et l'application des lois sur le bien-être animal qui en résulte supposent que nous acceptions de nous demander si la souffrance animale est inévitable. Si le fait de ne pas utiliser des animaux pour notre confort nous cause plus de préjudices que la souffrance n'en cause aux animaux.

    En général, l'intérêt de l'homme l'emporte, et la souffrance animale est considérée comme un « mal nécessaire ». Par exemple, la loi britannique régulant l'utilisation des animaux de laboratoire exige, avant qu'une expérience soit engagée, une évaluation des « possibles effets nocifs sur les animaux concernés par rapport au bénéfice pouvant en découler (2) ».

    Pour qu'une interdiction de la souffrance animale ait une portée minimale, il faut qu'elle condamne toute douleur infligée uniquement par plaisir, amusement ou convenance (3). Porter un manteau de fourrure, imposer aux cobayes de multiples tests pour les produits ménagers ou pour de nouvelles marques de rouges à lèvres ne relève pas d'intérêts vitaux pour l'être humain.

    De même, manger de la viande est considéré par la plupart des nutritionnistes comme nuisible pour la santé. Par ailleurs, des experts écologistes ont souligné les dégâts de l'élevage intensif sur notre environnement. Pour chaque kilogramme de protéines animales fourni, la bête d'élevage doit consommer environ six kilogrammes de protéines végétales et de fourrage. De surcroît, produire un kilogramme de viande requiert plus de cent mille litres d'eau. Alors que la production d'un kilogramme de blé en exige à peine neuf cents ...

    L'incohérence entre nos actes et nos pensées au sujet des animaux vient de leur statut de propriété (4). Selon la loi, « les animaux sont des propriétés, au même titre que des objets inanimés comme les voitures ou les meubles (5) ». Les animaux sauvages sont considérés comme appartenant au patrimoine de l'Etat, qui les met à la disposition du peuple ; mais ils peuvent devenir la propriété d'individus, en particulier par le biais de la chasse, du dressage ou du confinement.

    La « souffrance » des propriétaires de ne pouvoir jouir de leur « propriété » à leur gré compte plus que la douleur de l'animal. Dès lors qu'il s'agit d'intérêts économiques, il n'existe plus de limite à l'utilisation ou au traitement abusifs des bêtes. L'élevage intensif, par exemple, est autorisé parce qu'il s'agit d'une exploitation institutionnalisée et acceptée. Les industriels de la viande estiment que les pratiques consistant à mutiler les animaux, quelles que soient les souffrances endurées par ceux-ci, sont normales et nécessaires.

    Les tribunaux présument que les propriétaires n'infligeront pas intentionnellement à leurs bêtes des sévices inutiles qui diminueraient leur valeur marchande (6). Les lois sur le bien-être animal visent à protéger les animaux dans la mesure ou ceux-ci demeurent des biens monnayables. Les évolutions de l'industrie agroalimentaire en leur faveur répondent généralement à des critères de rendement économique, les animaux ayant valeur marchande (7).

    Pour faire évoluer le statut de l'animal dans nos sociétés, nous devons appliquer le principe d' « égalité de considération ») (selon lequel il faut traiter de façon égale des cas semblables), une notion essentielle à toute théorie morale. Même s'il existe un grand nombre de différences entre les humains et les animaux, une chose fondamentale au moins nous rapproche : notre capacité à souffrir. Si notre désir de ne pas faire souffrir inutilement les animaux revêt quelque signification, nous devrions alors leur accorder une égalité de considération.

    Le problème est que l'application de ce principe a déjà échoué du temps de l’esclavage, qui autorisait des hommes à exercer un droit de propriété sur leurs semblables. L'esclave étant considéré comme un bien, son propriétaire pouvait ne pas tenir compte de ses intérêts si cela ne lui était pas économiquement profitable. On admettait, certes, que l'esclave pouvait ressentir de la souffrance.

    Toutefois, les lois pour le respect de son bien-être n'ont pas abouti, pour les mêmes raisons qu'échouent de nos jours celles pour le respect du bien-être animal. Aucune véritable limite n'est fixée à notre droit de propriété. Les intérêts des esclaves n'étaient préservés que lorsqu'ils généraient du profit pour les propriétaires ou servaient leurs caprices.

    À l'heure actuelle, l'intérêt d'un être humain à ne pas être considéré comme propriété est protégé par un droit. Avoir le droit fondamental de ne pas être traité comme une propriété est une condition minimale pour exister en tant que personne. Nous devons étendre aux animaux ce droit que nous avons décidé d’appliquer à tous les hommes.

    Cela n'éradiquerait pas toute forme de souffrance, mais cela signifierait que les animaux ne pourraient plus être utilisés comme source de profit. Pourquoi jugeons-nous acceptable de chasser des animaux, de les emprisonner dans des cirques et des zoos, de les utiliser dans des expérimentations et de les manger, autrement dit de leur faire subir ce que nous n'oserions jamais infliger à aucun être humain ?

    La thèse selon laquelle les hommes sont pourvus de caractéristiques mentales complètement absentes chez les animaux est contradictoire avec la théorie de l’évolution. Darwin affirmait qu'il n'existait pas de caractéristiques exclusivement humaines : « La différence d'intelligence entre l'homme et l'animal le plus évolué est une question de degrés et non d'espèce. »

    Les animaux sont capables de penser, de sentir et de produire des réponses émotionnelles semblables à celles des humains. Darwin notait qu' « un animal vivant en collectivité éprouve des sentiments d'amour envers les autres » et que les animaux sont réceptifs à la détresse de leurs congénères.

    Même si nous ne sommes pas en mesure d'évaluer la nature précise de la conscience animale, il semble évident que tout être doué de perception est conscient et possède une existence mentale continue.

    Le professeur Antonio Damasio, un neurologue travaillant avec des personnes victimes d'infarctus cérébraux et de graves dommaages au cerveau, atteste que ces malades possèdent ce qu'il nomme une « conscience noyau ». Les sujets souffrant d'amnésie transitoire n'ont aucune notion du passé ou du futur mais conservent une conscience de leur corps par rapport aux objets et aux événements présents.

    Darnasio affirme que de nombreuses espèces animales détiennent cette même conscience noyau (8). Le fait qu'ils n'aient pas de notion autobiographique de leur vie (du moins, à notre connaissance) ne signifie pas qu'ils n'aient pas une existence mentale continue, ni qu'ils n'éprouvent nul intérêt à vivre, ni qu'être tué leur soit indifférent.

    Les animaux possèdent une intelligence considérable et sont capables de traiter une information de façon sophistiquée. Comme les humains, ils communiquent avec les membres de leur propre espèce. Il est prouvé, par exemple, que les grands singes utilisent un langage symbolique.

    Aucune créature, à part l'homme, n'est peut-être capable de se reconnaître dans un miroir, mais aucun humain n'a non plus l'aptitude de voler, ou de respirer sous l'eau sans assistance. Pourquoi la capacité de se reconnaître dans un miroir ou d'utiliser le langage articulé serait-elle supérieure, au sens moral du terme, au pouvoir de voler ou de respirer sous l'eau ?

    La réponse, bien entendu, est que nous le proclamons. Mais il n'existe aucune raison de conclure que les caractéristiques prétendument humaines justifient le fait que nous traitions l'animal comme une propriété marchande. Certains hommes sont privés de ces caractéristiques, et pourtant nous ne les considérons pas comme des objets.

    Par conséquent, la question centrale n'est pas : « Les animaux peuvent-ils raisonner ? Ou peuvent-ils parler ? Mais bien : peuvent-ils souffrir ? » (Bentham).

    Si nous voulons que leurs intérêts soient respectés, nous n'avons qu'un droit à leur accorder : celui de ne plus être assimilés à de simples marchandises.

    _______

    Notes :

    (1) René Descartes, Discours de la méthode, Ve partie (sur l'animal-machine) (1637).

    (2) Cf. Animals (Scientific Procedures) Act, Londres, 1986. Cf. pour l'Union européenne, la directive 86/609/CEE du 24 novembre 1986, relative à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d'autres fins scientifiques.

    (3) Lire les entretiens avec Gary L Francione : www.friendsofanimals.org/programs/animal-rights/interview... et http://veganrevolutlon.free.fr/documents/itwfrancionefran...

    (4) La conception occidentale moderne de la propriété, selon laquelle les ressources sont des biens définis qui appartiennent ou sont assignés à des individus particuliers à l'exclusion de tout autre, trouve son origine, selon la Bible, dans la décision de Dieu d'accorder aux hommes le pouvoir de régner sur le monde animal (Genèse, I, 26, et I, 28).

    (5) Godfrey Sandys·Winsch. Animal Law, Shaw, Londres, 1978.

    (6) En ce qui concerne la protection de l'animal de ferme en Europe, le 30 mars 2006 s'est tenue à Bruxelles la première conférence de l'Union européenne sur le bien-être animal : http://ec.europa. eu/food/animal/welfare/index_en.htm

    (7) Par exemple, un conseiller de la chaîne de restauration rapide McDonald's a déclaré: « Des animaux en bonne santé, bien soignés, permettent à l’industrie de la viande de fonctionner efficacement, sans problème et avec un bon rendement. » Cf. Temple Grandin, Recommended animal handling guidelines for meat packers, American Meat Institute Foundation, Washington DC, 2005.

    (8) Cf. Antonio R. Damasio, Spinoza avait raison, Odile Jacob, Paris, 2004 ; et « Oui, il y a une biologie des sentiments », (entretien avec Antonio Damasio), L'Express, Paris, 7 juin 2004.

    Gary L. Francione est professeur à la Rutgers University School of Law, Newark, (New Jersey, États-Unis) où il dirige un enseignement consacré au droit des animaux (http://www.animal.org).

    Auteur entre autres de : Introduction to Animals Rights, Temple University Press, Philadelphie 2000.

    Ce texte est tiré de son intervention au colloque " Théories sur les droits des animaux et le bien-être animal " qui s’est tenu à l’Université de Valence (Espagne) du 15 au 19 mai 2006.