Opposé à toute atteinte aux animaux, et en particulier à l'expérimentation animale, les « antispécistes » prennent pour cible des laboratoires. Des chercheurs s'inquiètent des répercussions de ces actions sur la lutte contre certaines maladies.
La France va se doter ce mois-ci d'une nouvelle Charte nationale portant sur l'éthique de l'expérimentation animale. Ce texte, élaboré sous l'égide des ministères de la Recherche et de l'Agriculture, vise à rappeler que l'animal n'est pas une machine ni un objet de laboratoire, mais bien un être sensible sur lequel tout acte expérimental doit être mûrement réfléchi. Reste que si elle entend encadrer et limiter cette pratique, la charte ne remet pas en cause l'utilisation de cobayes vivants. Il y a donc peu de chances que cela suffise à calmer les ardeurs des militants antivivisection, qui exigent « l'abolition » totale et définitive de l'expérimentation animale.
D'autant que l'Europe doit s'attendre, en 2008, selon la revue Nature du 28 février, à une vague d'actes de violence menés par les défenseurs les plus extrémistes des droits des animaux. La Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Belgique, l'Espagne ont déjà enregistré, l'an dernier, plusieurs attaques contre des laboratoires de recherche. La France n'est pas épargnée. En janvier, une poignée de militants antispécistes (voir Repère) s'est installée devant le siège de la compagnie pharmaceutique Sanofi Aventis à Paris, en hurlant des slogans virulents évoquant « des nazis responsables de génocide ». Quelques semaines plus tard, les mêmes se retrouvaient devant le Centre international de toxicologie d'Evreux.
La renaissance de ce mouvement et sa radicalisation ont été lancées par les activistes de SHAC (1) venus spécialement d'Angleterre, de Belgique et des Pays-Bas. Leurs premières actions dans l'Hexagone ont été menées contre les bureaux de Sanofi, GSK, Bristol Meyers Squibb, Novartis..., avec la participation de sympathisants français, formés à l'occasion aux méthodes britanniques. En France, quelques grandes associations comme Peta, One Voice et d'autres enseignes historiques de la protection des animaux sont surtout ancrées dans le lobbying.
En marge, les mouvements radicaux orientés vers l'action directe, ne pèsent pas lourd en nombre. Mais leurs militants sont extrêmement déterminés. Une dizaine de groupes comme Droits des animaux mais aussi les Furieuses carottes (en Ile-de-France), les Artichauts mécontents (en Bretagne), les Pommes enragées (en Normandie), Coalition antivivisection (antenne de SFJAC en France), ou le Collectif antispéciste de Paris se sont constitués autour de noyaux durs très actifs, rejoints à l'occasion de manifestations par des dizaines de sympathisants.
A ces mouvements officiels, il faut ajouter les organisations clandestines comme l'Animal Liberation Front (ALF, Front de libération animale), adeptes d'expéditions commandos de plus en plus fréquentes. En avril 2007, l'ALF a revendiqué l'incendie qui a détruit une partie des locaux de l'entreprise Techniplast, à Limonest, près de Lyon. « Nous avons été «punis» par ces écoterroristes pour avoir fourni des cages à des entreprises qui font de l'expérimentation animale », s'indigne Philippe Prévost, directeur général de la société.
Le pire a bien failli se produire en décembre dernier, au domicile d'un fourreur de Bordeaux. Vers deux heures du matin, des activistes ont mis le feu à la porte de son garage. Sa fille, handicapée, dormait dans une chambre située juste au dessus. « Si nous n'avions pas été alertés par des passants, nous aurions pu y rester. Quand je me suis levé, il y avait de la fumée partout dans la maison », raconte le fourreur encore choqué. C'est sa troisième agression en un an ! Le forfait a été signé sur les murs du quartier par la « cellule bordelaise » de l'ALF L'association prétend ne vouloir causer que des dommages économiques et ne jamais blesser le moindre « animal, qu'il soit humain ou non humain ».
Ce n'est pas le cas du groupe d'origine anglaise ARM (Milice des droits des animaux) qui n'hésite pas à menacer la vie humaine pour défendre celle des animaux. En août 2007, l'ARM annonçait sa première opération en France. Les activistes prétendaient avoir introduit de l'eau oxygénée dans des solutions pour lentilles de vue produites par Ciba/Novartis. « Giba Vision et Novartis doivent sentir la douleur des animaux qu'ils tuent chez HLS jusqu'à ce qu'ils rompent leurs contrats », précisait l'ARM. Une situation inédite en France qui a poussé l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) à diffuser dans l'urgence un communiqué de rappel du produit. Mais selon les tests menés par le groupe pharmaceutique, aucun flacon n'aurait été contaminé.
Des méthodes plus ou moins dures pour ce même objectif : « abolir l'expérimentation animale ». One Voice, l'une des plus grosses associations opposée à l'expérimentation animale, a obtenu la signature surprise de plus de 400 députés européens pour l'arrêt de cette pratique sur les primates. Parmi les signataires français, toutes les tendances politiques sont représentées : Verts, PS, Modem, UMP, Front national. Un lobbying efficace qui inquiète les chercheurs. « Dans une première version de la nouvelle directive européenne sur l'expérimentation animale actuellement discutée à Bruxelles, il était envisagé d'exclure l'utilisation des primates dès 2014 », explique Bernard Andrieux, chargé de mission sur l'expérimentation animale au ministère de la Recherche.
« Ce serait une catastrophe pour la recherche publique. L'avance que possède la France dans certains domaines comme les maladies neurodégénératives serait anéantie, ajoute John Alexander, conseiller scientifique de Sanofi Aventis en France. Et pour Sanofi, cela poserait d'énormes problèmes. » Une analyse que partage Alain Puget, chargé de mission pour l'expérimentation animale au CNRS : « Si l'expérimentation s'arrête en Europe, elle se fera ailleurs, dans des pays où la souffrance des animaux n'est pas vraiment une préoccupation. »
(1) Stop Huntingdon Animal Cruelty, campagne internationale lancée en Grande-Bretagne, en 1999, et visant à obtenir la fermeture définitive du Huntingdon Life Sciences (HLS), l'un des plus gros centres européens d'expérimentation animale, sous-traitant de l'industrie pharmaceutique.
Repères
ANTISPECISTES : ils refusent la distinction des êtres vivants entre eux selon leur espèce. En conséquence, ils estiment nécessaire d'accorder aux animaux les mêmes droits qu'aux hommes et rejettent toute forme « d'exploitation » animale. A ce titre, ils sont « vegan », ne consommant ni n'utilisant aucun produit d'origine animal : viande, lait, oeuf, miel, fourrure, cuir...
Olivier Hertel
http://sciencesetavenirmensuel.nouvelobs.com/hebdo/parution/p734/articles/a370458-.html