Grande consommatrice, l'agriculture pourrait être plus frugale mais la volonté politique fait souvent défaut.
Aurons-nous assez d'eau, en 2050, pour nourrir les 9 milliards d'habitants de la planète ?
L'agriculture en est, de loin, la plus grande consommatrice, avec 70 % des volumes.
Le message de la communauté scientifique et des praticiens du secteur est aujourd'hui clair : c'est le secteur agricole qui doit en priorité économiser l'eau si le monde veut éviter une crise des ressources hydriques, liée à la fois à l'augmentation des besoins et aux effets du réchauffement climatique.
"Il faut doubler la production agricole d'ici quarante ans et, si rien ne change, les besoins en eau pour l'agriculture doubleront aussi, explique David Molden, directeur de recherche à l'International Water Management Institute (IMWI). Nous devons impérativement produire plus avec moins d'eau."
Des solutions techniques existent.
D'abord, mieux capter et utiliser l'eau de pluie.
Mais pas forcément en construisant de nouveaux grands barrages :
"En développant de petites infrastructures de stockage, et en apportant de petites quantités d'eau au moment où la plante en a le plus besoin, on peut passer d'un rendement de dix quintaux de céréales à l'hectare à trente", explique Sami Bouarfa, spécialiste du Maghreb à l'Institut de recherche pour l'ingénierie de l'agriculture et de l'environnement (Cemagref).
De petits aménagements (cordons de pierre, par exemple) ou l'amélioration du travail du sol permettent aussi, en retenant l'humidité, d'améliorer les rendements, parfois de manière spectaculaire.
RÉGIME SANS VIANDE
L'autre grand défi est de diminuer les quantités prélevées dans les fleuves et les nappes souterraines pour l'irrigation.
"On peut gagner beaucoup en entretenant les réseaux de distribution et en utilisant le goutte-à-goutte", constate Mostafa Errahj, professeur à l'Ecole nationale d'agriculture de Meknès, au Maroc.
Cette technologie permet d'économiser environ 50 % d'eau par rapport au système traditionnel d'irrigation.
Toute la difficulté consiste à diffuser ces techniques sur le terrain.
"Quel intérêt ont les agriculteurs à utiliser moins d'eau, s'ils ne reçoivent aucune compensation ?", interroge M. Molden.
Augmenter le prix de l'eau est une option politiquement dangereuse. D'autant que les équipements d'économie en eau sont souvent coûteux.
De plus, si les subventions apparaissent indispensables, elles ne suffisent pas.
"Le changement ne peut pas se faire en un claquement de doigts, commente M. Bouarfa. On s'adresse à des millions de gens, pour la plupart de petits agriculteurs, qui risquent leur revenu. Un accompagnement est indispensable."
Pour de nombreux experts, la clé du succès réside dans l'émergence d'un secteur agricole structuré par des coopératives et des associations d'usagers de l'eau.
"Il n'y a pas de meilleur formateur, pour un agriculteur, qu'un autre agriculteur", affirme M. Bouarfa.
Au Maroc, un programme de formation, soutenu par la Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde (FARM), met ainsi en lien des agriculteurs de tout le pays.
"On sort du cadre classique où le formateur est un fonctionnaire, cela a beaucoup plus d'impact", explique M. Errahj.
Trop peu de pays font des économies d'eau en agriculture une priorité.
La pénurie menace pourtant de nombreuses régions du monde : pourtour méditerranéen, Sahel, Moyen-Orient, Asie centrale, Inde, nord de la Chine, Australie, ouest des Etats-Unis, Amérique centrale...
La crise s'y fait déjà sentir.
Les écosystèmes, surexploités, se dégradent.
De nombreux participants au Forum mondial de l'eau, qui s'est tenu en mars à Istanbul, ont appelé les Etats à sortir de l'immobilisme.
"Une meilleure gestion de l'eau en agriculture est une priorité en Inde ou en Chine aujourd'hui", relève M. Molden.
Le Maroc a mis en place un plan d'économies.
La Tunisie a réussi à stabiliser sa consommation d'eau agricole.
Reste à savoir si ce mouvement s'amplifiera et donnera des résultats rapidement pour éviter des crises aiguës.
Si les politiques strictement agricoles échouent, d'autres pourraient prendre le relais, en agissant sur les régimes alimentaires, par exemple.
Un régime sans viande ne requiert que 2 000 litres d'eau par jour par individu, contre 5 000 pour une alimentation carnée.
Une croissance des échanges de denrées alimentaires entre régions pauvres et riches en eau permettrait aussi de pallier les déficits.
Ces ajustements ont déjà lieu (des régions en déficit hydrique importent des céréales), mais sont limités, les Etats restant très attachés à leur indépendance alimentaire.
Article paru dans l'édition du 23.05.09.
http://www.lemonde.fr/planete/article/2009/05/22/les-solutions-a-la-crise-de-l-eau-ne-manquent-pas_1196635_3244.html