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Humeurs - Page 80

  • André Dufour : "L'Occident n'a pas inventé le racisme"

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    Seuls les «Occidentaux» sont racistes.


    C’est du moins ce que ne cessent de clamer, non seulement les ennemis de la culture et des valeurs occidentales, mais aussi nos propres auto flagellants à leur service. Or, sans trop remonter le cours de l’Histoire, nous avons assisté au Rwanda à un génocide d’une ethnie Noire africaine commis par un autre groupe ethnique Noir, au sein d’un même pays. Et le racisme des Arabes du Soudan à l’encontre des Noirs du Darfour surpasse de loin en horreur et en nombre de victimes les discriminations que connurent quelques Etats sudistes des USA ou celles d’Afrique du Sud au temps de l’apartheid. Et les Thaïlandais du Sud, égorgés par les musulmans de la minorité malaisienne pour leur seul crime d’être des Thaïs, même pas musulmans, ne sont malheureusement plus là pour témoigner de la bienveillance, de la tolérance de l’amour qui caractérisent l’Islam.

    Je crois aussi savoir que les Asiatiques chinois, coréens, japonais ne font pas preuve d’une tendresse immodérée à l’encontre des Blancs, des Noirs ou de leurs immigrés. Mais il nous restait le «bon Sauvage», le Peau Rouge que le cinéma de mon enfance présentait comme d’infâmes pillards, chasseurs de scalps et massacreurs de familles Blanches, avant que par un retournement politiquement correct, ils soient désormais présentés comme des individus aux sentiments nobles, généreux, éternellement roulés, massacrés et persécutés par les salauds de Blancs.

    Cela n’empêche pas «Danse avec les loups» d’être un film grandiose. Disons seulement que le cinéma, qui obéit davantage aux effets de mode qu’à l’objectivité historique, se soumet à la loi du marché. Cela dit, mon antiracisme est satisfait de voir les «Peaux Rouges» traités de façon moins négative que durant mon enfance. Ne sont-ils pas nos frères en humanité ? Et puis patatras ! Voilà que la nation Cherokee, sortie de la misère grâce aux possibilités légales que lui offre son statut de nation à part, enclavée dans le territoire des Etats-Unis, décide de pratiquer la «préférence nationale» et raciale en retirant la "nationalité" cherokee aux descendants d’esclaves noirs fugitifs qui avaient trouvé refuge sur leur territoire, ainsi que les métis de Noirs et Cherokees et ce, afin qu’ils ne puissent bénéficier des richesses de cette «réserve».

    Chez nous on appelle ça la Préférence Nationale et c’est présenté comme quelque chose de raciste. Oui mais, ne nous y trompons pas, ce qui, venant des Blancs, est mauvais et raciste, doit-il être stigmatisé quand cela vient des Noirs, Rouges, Jaunes ou Musulmans ? Alors, qu’on se le dise, il n’y a pas de racisme Noir, Jaune, Peau-Rouge, Arabe. Eux, ce sont des victimes. Point barre !

    Pour qu’il y ait racisme, il faut une race.

    C’est une lapalissade. Même si ce mot appliqué à des êtres humains est ignoble lorsque l’on connaît l’usage qui en fut fait, point n’est besoin d’être un anthropologue pour constater qu’il existe des groupes humains d’une diversité physique «visible». Tout un chacun croit pouvoir reconnaître dans son vis-à-vis un Noir, un Asiatique, un Maghrébin, un Amérindien, un Européen sans pour autant en tirer quelque jugement de valeur. Ou alors, il faudrait bannir ces appellations comme le fait le politiquement correct américain qui remplace «Black» par le ridicule «Coloured», ce qui ne semble pas avoir grand effet sur la pigmentation ni sur le mépris et l’hostilité que les racistes lui manifestent, de même que devenu «technicien de surface», le balayeur n’en continue pas moins de balayer.

    Ces différences physiques sont inscrites dans le patrimoine génétique de chacun d’entre nous qui constitue notre part de déterminisme. C’est ce déterminisme qui différencie la «race» de la religion, de l’idéologie, de la nationalité ou de la culture. On peut changer de nationalité, on peut, parfois non sans risques, renier la religion dans laquelle on a été éduqué et en adopter une autre ou les rejeter toutes. On peut adhérer à une idéologie ou la rejeter, mais on ne peut pas changer de morphologie ou de couleur d’épiderme.

    Dès lors il est légitime de critiquer ou de combattre une idéologie ou une religion dans la mesure où nous pensons que ses adeptes se trompent ou sont trompés et qu’elles représentent une menace non seulement pour nos valeurs, notre liberté, notre vie mais aussi pour ceux qui sont soumis à cette idéologie. Par contre on ne peut pas dénigrer, discriminer ou combattre des individus pour leur seule appartenance à une «race» supposée qui ne résulte du reste pas d’un choix délibéré, tout en se prétendant non raciste.

    Les préjugés raciaux ne datent pas d’aujourd’hui, et l’humanité a connu des situations encore pires au cours du passé proche et lointain. Le racisme est lié aux conquêtes impérialistes et nationalistes où les vainqueurs assortissaient de mépris les populations soumises par les armes. L’antisémitisme, qui est une forme de racisme, est un cas à part que nous aborderons plus loin. Une chose est certaine et doit être affirmée haut et fort :

    L’Occident n’a pas inventé le racisme.


    Lorsque les Normands envahissent l’Angleterre, les conquérants manifestent condescendance et mépris envers les paysans saxons. Mais l’Inde avec sa hiérarchie des castes pratiquait déjà le racisme bien avant notre Occident. Et que dire des Africains qui, dans leurs guerres, faisaient des vaincus des esclaves et en tiraient profit en les vendant aux Arabes. Le mépris manifesté par ces derniers envers ceux en qui ils ne peuvent se résoudre à voir autre chose que des esclaves, se manifeste aujourd’hui de façon ô combien cruelle au Darfour.

    C’est le 19ème siècle qui, avec l’essor des nationalismes et des impérialismes, a vu naître le racisme mondain et intellectuel anti-Juif. Il n’est que de lire n’importe quel roman ou pièce de théâtre de l’époque pour constater que ce racisme relevait d’une évidence et d’une convention sociale. Si c’est en Allemagne qu’apparaît le néologisme «antisémitisme» forgé, soit dit en passant, par un homme de gauche, ce mot avec l’idée qu’il véhicule s’est propagé comme une traînée de poudre dans toutes les langues européennes, le terrain ayant été bien préparé par une judéophobie diffusée, non seulement par une droite héritière du «bon vieil» antijudaïsme chrétien, mais, de façon plus «moderne» par des penseurs de gauche tels que Joseph Proudhon, père du socialisme français qui prônait la déportation des Juifs d’Europe vers l’Asie. Il est vrai que xénophobe (et misogyne, rappelons le à Ségolène), le très socialiste Proudhon voulait aussi expulser les Belges ! Je le dis pour tordre le cou à ce mythe qui fait de l’antisémitisme et de la xénophobie un attribut de la droite alors que la gauche vertueuse en est exonérée.

    C’est le point de départ d’une confusion mentale entretenue par le gauchisme et l’islamisme et ses relais médiatiques tels que Nouvel Obs ou Le Monde justement.

    Le mot antisémite apparaît à une époque où les linguistes établissent une classification des langues en fonction de leurs racines communes : nous avons ainsi le groupe linguistique indo-européen, lui-même subdivisé entre autres par les familles latines, germaniques, slaves sans pour autant constituer des races, sachant que la langue d’un peuple dominant finit par se substituer à celle d’un pays dominé, sans qu’il y ait pour autant mutation raciale. Il y eut ainsi jusqu’à récemment un mouvement de va et vient entre Pologne et l’Allemagne, entre germanophones et slavophones, sans que les Sorabes ou Kaschoubs, slaves absorbés par l’Allemagne, ou les Allemands silésiens et poméraniens, annexés à présent par la Pologne, soient passés de la «race slave» à la «race» germanique ou l’inverse. Siégeant à l’Académie française, Léopold Senghor n’était pas pour autant de «race» latine. C’est dans cette vision que les linguistes classèrent l’hébreu dans la famille linguistique sémitique avec l’araméen, l’arabe entre autres. Bien que ne parlant plus l’hébreu depuis deux millénaires, en dehors de son usage liturgique, les Juifs d’Allemagne, tous germanophones et, probablement, génétiquement mélangés au cours de plus de deux millénaires de diaspora, furent catalogués «sémites», non pas par les linguistes, mais par des cuistres idéologues hostiles aux Juifs et généralement favorables aux Arabes.

    Contrairement donc au détournement de sens que pratiquent aujourd’hui les islamistes et leurs relais pro arabes et pro palestiniens, l’antisémitisme vise exclusivement les Juifs et pas du tout les Arabes ni, par une extension abusive, les Musulmans. On peut donc être Arabe (supposé sémite) et parfait antisémite, ce qui fut le cas du Muphti de Jérusalem qui, dans les années 1930 à 45, copinait avec Hitler dont il soutenait activement les objectifs génocidaires anti-juifs et cela reste fréquemment le cas de nos jours dans le monde arabe et musulman. La majorité des propos et des actes antisémites recensés en France sont imputables à des personnes issues de l’immigration arabo musulmane.

    L’antisémitisme est un racisme singulier en ce sens que, contrairement aux persécutions par Eglise médiévale qui ne visait pas à exterminer les Juifs mais à les intégrer par conversion, l’antisémitisme moderne a des motivations «temporelles», je n’ose dire «laïques». Il frappe indistinctement les Juifs «visibles», les Juifs assumés et les Juifs parfaitement assimilés, y compris les convertis au Catholicisme ou au Protestantisme. Les Juifs ne constituant pas une race au sens morphologique du terme, il a fallu inventer une race juive et lui prêter des traits illustrés par des caricaturistes. Il a fallu aussi, tant en terres d’islam que chrétiennes, leur imposer un accoutrement spécifique ou un signe, brassard, rouelle puis étoile jaune pour qu’ils puissent être reconnus comme tels, chose qui serait superflue pour les Noirs par exemple. Ce n’est donc pas sans raison que la LICRA, organisation luttant contre toutes formes de racisme, a associé tout en les distinguant dans son sigle le R de racisme et le A de l’antisémitisme, tandis que le Mrap, initialement Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et pour la Paix en a modifié la lecture par «mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entres les Peuples», relecture qui en dit long sur ce «mouvement» légué par le Stalinisme dans son apogée et à présent instrument au service de l’activisme islamique. De toute évidence le Mrap, dans ses quelques gènes marxistes, ne reconnaît pas les Juifs comme un peuple, tandis que dans ses gènes staliniens et sa greffe islamiste, il les exclut de l’amitié entre les peuples. Et pourtant, même athée, même parfaitement assimilé, même converti, même s’il a fait changer son nom, un Juif ne peut échapper à la malveillante vigilance des antisémites.

    Or c’est par référence à l’antisémitisme dont les Juifs, croyants ou non, ont tant souffert que l’islamisme, idéologie totalitaire amalgamant religion, politique, lutte armée, chantage, violence et terrorisme, entend faire interdire toute expression, toute critique, toute recherche historique, toute confrontation de textes, tout commentaire de l’actualité jugés défavorables ou peu propices à l’Islam. De Khomeiny, qui en est semble-t-il l’auteur, et d’Ahmadinejad au MRAP et au Monde Diplomatique, le néologisme «islamophobe» est une arme de guerre pour stigmatiser comme raciste et bâillonner toute expression non complaisante à l’égard de l’Islam.

    Mais comme il n’y a pas de racisme sans race, il reste à prouver que l’Islam, dans tous les aspects que nous lui connaissons, est une race. Autant dire que le bolchévisme, le nazisme, le fascisme, le maoïsme, le végétarisme ou l’anthropophagie sont des races et par voie de conséquence, que leurs opposants sont des racistes. Le Mrap, qui fut l’instrument du stalinisme avant de devenir l’auxiliaire de l’Islamisme, est le mieux placé pour le croire.

    L’accusation d’islamophobie présentée comme un racisme est donc une imposture qui sort du même tonneau que les tristement célèbres procès de Moscou et établit leur parenté totalitaire.

    Selon l’attitude envers les religions, on peut parler de tolérance ou d’intolérance, certainement pas de racisme. Ou alors, le Vatican qui vient de confirmer son hostilité à la Franc-maçonnerie serait raciste. Nul ne le pense pourtant et bon nombre de Catholiques, néanmoins sympathisants ou membres de la franc-maçonnerie, déplorent cette position anachronique et passent outre, le haut clergé ne disposant plus, alors que c’est encore le cas en terre d’islam, du bras séculier pour envoyer l’hérétique ou l’indocile au bûcher.

    Les Français sont-ils racistes ?

    Nous savons comment les islamistes implantés en France, redoutant toute critique et confrontation qui désavantagerait l’Islam, s’évertuent, par le recours à la dénonciation d’un prétendu racisme, à interdire toute critique même constructive de l’islam et de ses livres saints.

    Les Français sont-ils racistes ? Un récent sondage d’opinion établi par «expression-publique.com» nous éclaire sur cette question, même si la méthode employée n’est pas strictement conforme aux techniques des quotas utilisées par les instituts de sondage. Les personnes répondant au questionnaire devaient dire s’ils éprouvent à divers degrés de la sympathie ou de l’hostilité à pour chacun des 7 groupes humains ci-après :



    Que peut-on déduire de ces chiffres ? Pour ma part, je constate d’abord qu’aucun des groupes humains n’est épargné par des préjugés défavorables (même les Catholiques dans une France «fille aînée de l’église», encore que la part musulmane des internautes doit certainement peser dans le score défavorable de 18%, pas très éloigné du pourcentage de musulmans en France. Reste en faveur des Catholiques 70% d’opinions favorables. Cela étant dit, dans leur immense majorité, les Français sondés ne sont pas xénophobes (71% favorables aux Etrangers), ni racistes (77% favorables aux asiatiques, 60% aux Noirs, 65% aux Juifs). Le mauvais «score» des Maghrébins doit être comparé avec celui, le plus défavorable, des Musulmans (53% d’opinions défavorables) qui ne se recoupe pas avec celui des Maghrébins (46% d’opinions favorables contre 35% d’opinions défavorables) et encore moins en tenant compte des Noirs d’origine africaine, majoritairement musulmans. Le pourcentage de 60% d’opinions favorables aux Noirs mériterait d’être affiné pour connaître la part d’Antillais et d’Africains chrétiens. Sans avoir de chiffre précis, on peut constater que les opinions défavorables aux Noirs et aux Maghrébins et celles défavorables à l’Islam ne se recouvrent pas.

    Il n’y a donc pas d’identité entre le préjugé raciste, qui reste largement minoritaire, et une opinion majoritairement défavorable à l’Islam. Les Français, semble-t-il, n’aiment pas qu’on mette constamment sa religion en avant et qu’on l’instrumentalise à des fins politiques. Les Français n’aiment pas cet incessant harcèlement des musulmans «représentatifs», cette remise en cause des valeurs et des usages d’une société qui les a accueillis et amélioré leur niveau de vie, estimant que c’est aux nouveaux venus de s’adapter aux us, coutumes et valeurs du pays d’accueil et non à celui-ci de se plier à leurs exigences. C’est sans doute là qu’il faut chercher la clef du record d’opinions favorables détenu par les Asiatiques : on ne peut leur reprocher aucun activisme communautariste, religieux ou politique, aucune revendication spécifique, aucune émeute ; ils ne sont probablement pas plus vertueux que les autres mais, issus d’une civilisation plurimillénaire, ils ont appris les règles du savoir vivre qui en font des concitoyens fréquentables.

    L’islam est aussi jugé à travers l’état de guerre permanent et la kyrielle d’attentats aveugles qu’il impose aux quatre coins du monde, à travers les prises et exécutions exhibées d’otage. Si le racisme est fait de comportements et de propos malveillants envers une autre population, il est incontestable que ce sont les Musulmans qui, dans un nombre trop important, se conduisent en racistes contre les autres habitants de la France. Ce n’est donc pas à nous mais aux Musulmans de faire un effort en vue d’améliorer l’image que les Français se font de l’Islam.

    Mais à quoi bon se lancer dans un long développement ? L’Islam, dans sa phase djihadiste qui le traverse, ne cherche pas à plaire mais à intimider. Toute cette agitation, ces procès des caricatures, ces offensives du voile, ces exigences des piscines réservées aux Musulmanes, cette tendance à éliminer la viande de porc des cantines scolaires et d’entreprises, ces pressions des organisations wahhabites, ces «Mrapitudes» et autres «Halditudes» n’ont qu’un seul objectif : introduire dans notre système pénal le délit de blasphème. Nul, dans un premier temps du moins, ne nous forcera à nous convertir à la religion de Mahomet, mais rien ne pourra se faire, s’enseigner ou se dire sans l’aval de l’Islam. C’est ce que dans cette religion d’amour, de tolérance et de paix on appelle la dhimmitude. On mesure alors mieux le rôle pervers joué par les penseurs hémiplégiques qui grouillent dans nos médias imprimés ou télévisés tels que Le Monde, Le Monde Diplomatique, le Nouvel Obs nauséeux et autres Libés «sartréeuses».

    Mise à mort de Cassandre

    C’est vieux comme l’humanité et Cassandre l’a payé de sa vie, les gens n’aiment pas ceux qui les dérangent dans la quiétude de leurs certitudes. On les excommunie comme l’ont fait nos «élites intellectuelles» contre ceux qui révélaient au monde incrédule le caractère criminel du stalinisme et autres maoïsmes et, comme nos actuelles «élites» friquées des beaux quartiers le font encore contre ceux qui voient clair avant eux et le font savoir. Au besoin, ceux qui dénoncent les mensonges et clament la vérité, on les tue. Nos élites prennent alors une mine chagrinée en ajoutant sentencieusement «ils l’ont un peu cherché». Nous n’avons donc d’autre choix que d’aboyer avec la meute politiquement correcte, ce qui nous vaudra de temps en temps un «su-sucre» ou de déplaire en disant tout haut, tel l’enfant de la fable d’Andersen, ce que tout le monde voit mais n’ose croire ni, a fortiori, dire tout haut que l’empereur est nu.

    André Dufour pour LibertyVox

       http://www.libertyvox.com/article.php?id=242   

     

  • Philippe Val, Le Pen et les animaux

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      Merci à Philippe Val de remettre une fois de plus les       
      pendules à l'heure (N.d.A.).          
           
      Lundi matin, Le Pen sur France Inter. Dans le cadre de la         
      tranche 7h-9h30, spéciale présidentielle, la règle du jeu         
      consiste à faire la revue de presse et choisir un invité,         
      et enfin à répondre aux questions des auditeurs. Après         
      une revue de presse laborieuse — où l’on s’aperçoit que le             
      journalisme, quoi qu’en pensent les foules farcies à TF1,         
      c’est quand même un métier —, voici donc l’invitée.              
      C'est sa collègue au Parlement européen, madame        
      Schenardi, membre du  groupe Identité, tradition,        
      souveraineté (ITS), tout un programme.  Mais il se        
      trouve que madame Schenardi est une farouche           
      défenseuse de  la cause animale. Pourquoi pas ?        
      Elle est sans doute de bonne foi.  Nicolas Demorand,            
      cherchant la faille, pose alors la question : « Est-ce        
      que c’est bien politique ? » Hélas, oui, ça l’est. Si la        
      chose — le respect que l’on doit aux animaux, et la        
      lutte contre la souffrance animale — était entendue        
      par tous, ce ne serait pas politique. Mais comme        
      personne d’autre n’en parle, ça le devient.         
      Et, malheur  pour les bêtes, il se trouve qu’elles ont        
      le pire des défenseurs, puisque, dorénavant, vouloir        
      améliorer leur condition équivaudrait à prendre sa        
      carte du Front national. Selon cette logique de crétin,        
      si Le Pen boit de l’eau fraîche pendant la canicule,         
      il faudrait se laisser mourir de soif pour ne pas risquer        
      d’être assimilé à un fasciste, sous prétexte qu’on a        
      la même réaction en cas de forte chaleur.            
      Il faut le dire haut et fort, Le Pen et Schenardi ont raison       
      de dire ce qu’ils disent. La tradition humaniste de la        
      gauche n’a toujours pas fait litière des imbécillités        
      cartésiennes sur les animaux-machines. Descartes        
      était un génie, il a fait ce qu’il a pu — et il a pu        
      beaucoup — pour rendre compatibles la civilisation        
      chrétienne et l’essor des savoirs, mais sur les animaux,        
      il a pensé comme une enclume…            
      S’il n’y avait pas une continuité entre l’homme et        
      l’animal, cela voudrait dire que Dieu a créé l’homme        
      à part. D’abord les animaux et le reste, pour faire joli        
      dans le jardin, puis l’homme, pour qu’il en jouisse.            
      Nier la continuité, c’est adhérer — la plupart du temps      
      sans le savoir — aux thèses théologiques de la       
      création du monde… Mais l’admettre, c’est accepter       
      que la civilisation inclut nécessairement dans sa            
      recherche d’une vie plus douce et plus heureuse       
      non seulement le recul de la souffrance animale,       
      mais l’interdiction de toutes les formes de tortures       
      infligées aux plus faibles que l’homme.            
      Évidemment, que ce soit Le Pen qui soulève la question      
      va contribuer à braquer ceux qui sont indifférents       
      au sort des bêtes, et qui vont trouver là un argument      
      à leur indifférence. On ne peut rien contre       
      l’abrutissement volontaire des abrutis. Mais pour les       
      autres, c’est un problème. En effet, que vaut pour les       
      animaux d’être défendus par un homme dont le       
      programme politique se fonde sur l’irrespect pour les         
      autres hommes ? Comment quelqu’un qui parle des       
      attentats du 11 septembre qui ont fait plus de trois       
      mille morts comme d’un incident et des chambres à       
      gaz comme d’un point de détail de notre histoire         
      peut-il s’indigner des conditions de transport des       
      animaux de boucherie ? C’est évidemment une       
      provocation supplémentaire.            
      Dans la même émission, Le Pen a défendu le collège       
      musulman de Lyon, créé à l’instigation de l’Union des       
      organisations islamiques de France (UOIF), où toutes       
      les filles iront voilées. Qu’on approuve qu’un être       
      humain soit réduit à une impureté qui doive aller à       
      l’école dissimulée sous un voile tout en s’indignant      
      du sort fait aux bêtes révèle au mieux une pensée      
      chaotique, au pire, un cynisme idéologique qui n’est      
      pas sans rappeler les délicatesses de Hitler, premier      
      promulgateur des lois de protection animale. Le jour      
      où la gauche aura compris, elle aussi, que s’humaniser,      
      c’est aussi s’animaliser, elle aura fait un petit bond en      
      avant. Le Pen — qui ne se fait guère d’illusions sur le      
      soutien que pourrait lui apporter ce qu’il appelle le      
      « lobby juif » —, en défendant les animaux, cherche à      
      capter un lobby bien plus large encore, celui des solitaires      
      à animal… Réduire la question de la cohabitation des     
      animaux et des hommes* à un débat pour ou contre Le     
      Pen est une sorte de suicide intellectuel et politique. C’est     
      oublier que la vertu romaine a disparu corps et bien dans     
      les cirques où se mélangeaient les sangs des animaux et   
      des hommes.            
               
      Philippe Val            
         
      * Ce n’est pas Le Pen qu’il faut interroger sur ce sujet, mais         
      une de nos grandes philosophes, Elisabeth de Fontenay,   
      dont le magnifique ouvrage Le Silence des bêtes, la   
      philosophie à l’épreuve de l’animalité, aux éditions Fayard,   
      est une référence en la matière.            

  • André Glucksmann : "Nihilisme ou civilisation ?"

    L'image “http://perseides.hautetfort.com/images/medium_Glucksmann.jpg” ne peut être affichée car elle contient des erreurs.

    Galia Ackerman -Votre thèse sur le terrorisme a fait couler beaucoup d'encre : derrière chaque terroriste - disiez-vous après l'attentat contre le World Trade Center -, il y a un nihiliste qui s'ignore. Un an plus tard, le pensez-vous toujours ?

    André Glucksmann - Oui, je maintiens mon diagnostic. Notre concept de « terrorisme doit être revu de fond en comble à la lumière du 11 septembre. Douze mois déjà. Les décombres de Ground Zero sont déblayés, mais les conséquences morales et mentales du plus grand attentat terroriste de l'Histoire nous rongent, obscures, inquiétantes et pas encore élucidées. Jadis tout combattant irrégulier, n'importe quel « partisan sans uniforme pouvait être catalogué, voire stigmatisé, comme terroriste. La chute des Twin Towers met à l'ordre du jour la menace spécifique et indépassable d'un terrorisme radicalement dévastateur, l'hybris nihiliste. Il ne s'agit point là d'une invention idéologique, diffusée par d'épouvantables faucons nichés à la Maison-Blanche ; il s'agit d'une perception immédiate véhiculée planétairement par le choc des images dans le fracas des effondrements. Après coup, on s'emploie à « raison garder , c'est-à-dire souvent à ratiociner, à escamoter. Mais, sur le moment, on perçoit en mondovision une folie destructrice avec laquelle il faudra vivre et, dans la mesure du possible, survivre.

    G. A. - Mais pourquoi ce nom de « Ground Zero pour désigner le périmètre de la catastrophe ?

    A. G. - L'appellation consacre une étrange impression de déjà-vu. Le baptême fut instantané, aucun journaliste ne revendique de droits d'auteur. Entre le nom et la chose, l'insolite adéquation parut sauter aux yeux. Interrogeons cette évidence, si évidente que nul ne l'ausculte : à l'origine, « Ground Zero nomme le cœur de l'explosion nucléaire qui eut lieu le 16 juillet 1945 à 5 h 29 quelque part au Nouveau Mexique - dernière expérience scientifiquement contrôlée avant le largage de la Bombe sur le Japon. Ainsi, avant toute interprétation, théorisation ou manipulation, le 11 septembre est vécu à chaud par ceux qui le subissent comme par ceux - la terre entière - qui le contemplent, dans l'horizon d'un Hiroshima-bis. Intuition ineffaçable d'un terrorisme d'ampleur nucléaire à disposition de n'importe quel acheteur de cutter ! « Notre avenir repose entre nos mains , déclara le président des États-Unis, Harry Truman, en annonçant Hiroshima. L'opinion et les intellectuels firent chorus : « Nous voilà revenus à l'an Mille, chaque matin nous serons à la veille de la fin des temps (J.-P. Sartre). Tous mortels, tous embarqués, et chacun responsable de la survie. On oubliera vite. Pendant près de cinquante ans, le sort du monde demeura l'apanage de quelques décideurs à la tête des rares puissances nucléaires. Le futur de l'espèce se jouait à huis clos, dans le cercle fermé des grands et supergrands, tandis que cinq milliards de terriens vaquaient aux affaires courantes. Le 11 septembre change tout.

    G. A. - En quoi, précisément, le 11 septembre change-t-il tout ?

    A. G. - Manhattan exhibe la possibilité d'un Hiroshima-bis, le pouvoir annihilateur se démocratise radicalement. L'arme absolue ne repose plus sagement dans les silos supposés contrôlés par de puissants supposés contrôlables. Désormais, notre voisin de palier concocte peut-être une imprévisible opération-suicide qui nous laisserait aussi pantois que les étudiants de Hambourg apprenant qu'un de leurs compagnons s'est délibérément percuté contre les Twin Towers. Pareille insécurité planétaire s'avère sans précédent. Une courte phrase de George Bush en souligna la portée dans ce fameux discours sur l'état de l'Union où il vitupéra l'« axe du Mal . Passés quasi inaperçus des critiques comme des thuriféraires, quelques mots avouent ce qu'aucun président des États-Unis n'osa jamais proférer ni concevoir : « Time is not on our side , le temps ne travaille pas pour nous. Jusqu'à ce jour, les Américains avançaient dans l'Histoire « with God on our side , comme le chantait (ironiquement) Bob Dylan. C'est fini, de l'aveu même d'un Number One parfaitement imperméable aux sirènes des sourires contestataires. Les enfants des écoles auront beau entonner « God bless America et le dollar poursuivre sa référence et sa révérence à l'Être suprême, rien n'y fait : la Providence divine, technologique ou financière ne garantit plus, envers et contre tout, la marche vers le bonheur de l'Amérique et du monde. Du jour au lendemain, l'humanité se découvre exposée au défi post-nucléaire. Une capacité de dévastation massive restée jusqu'alors privilège des grandes puissances se trouve mise à la portée de toutes les mains, de nombreuses bourses et de millions de têtes fanatisées, manipulées ou quelque peu dérangées. Seul un optimiste inoxydable peut imaginer les sites hypersensibles et dangereux définitivement à l'abri. Les stocks pétroliers ou les centrales nucléaires civiles sont-ils davantage invulnérables aujourd'hui que ne l'étaient les Twin Towers hier ? Les bombes humaines proliférant ça et là, qui pourrait exclure un Tchernobyl délibérément provoqué ? Chaque matin nous serons à la veille de la fin des temps.

    G. A. - En quoi ce terrorisme-là diffère-t-il du terrorisme auquel nous étions accoutumés ?

    A. G. - A Manhattan, n'importe qui est assassiné. N'importe qui se trouvant dans un pourtour défini. Le pourtour peut être réduit à une seule personne : un tortionnaire se permet n'importe quoi sur le corps de sa victime. Cela peut être une ville : Guernica déjà, Manhattan ou Grozny. Le terrorisme nihiliste est différent du terrorisme d'une guérilla qui vise une armée. Mais la différence doit chaque fois être réaffirmée sous peine de s'effacer. Il ne faut pas confondre une violence irrégulière qui résiste aux armes par les armes - propre à toutes les stratégies révolutionnaires, indépendantistes et anti-colonialistes - et une violence tous azimuts qui use de la terreur contre des populations désarmées. Le terroriste russe qui retient son bras, ne lance pas sa bombe et épargne ainsi l'archiduc pour ne pas tuer sa femme et ses enfants, constitue, c'est regrettable, une exception dans l'histoire des insurrections contemporaines. Voyez - autre exception mais combien symbolique ! - le divorce entre Mandela et sa femme Winnie. En joyeuse nihiliste, elle dirigeait une bande de voyous qui tuaient à loisir dans Soweto. Mandela, pour sortir sans massacres de l'apartheid, dut rompre avec elle et ses semblables. Toute violence use de la menace. Seule la violence nihiliste s'abandonne à un terrorisme très spécifique, même s'il prolifère au XXe siècle, à savoir le meurtre indiscriminé, l'assassinat massif des civils. De l'une à l'autre la pente est glissante ; l'usage indifférencié du terme « terrorisme couvre maints dévergondages. Manhattan n'illustre pas les méfaits de la violence en général ; Manhattan incarne l'assomption d'une violence très spécifique : celle du terrorisme nihiliste.

    G. A. - Le président russe Vladimir Poutine a soutenu l'intervention américaine en Afghanistan en la plaçant sur le même plan - celui de la lutte anti-terroriste - que la guerre menée par l'armée russe en Tchétchénie. Partagez-vous cette analyse ?

    A. G. - Pas du tout. La courte et excellente offensive américaine a réalisé exactement ce que Poutine n'est jamais parvenu à faire. Les Américains n'ont pas rasé Kaboul ; Poutine a réduit Grozny en poussière, premier point. Deuxième point : les Américains ont trouvé sur le terrain des amis qui leur ont évité d'avoir à bombarder à fonds perdus des populations civiles. Ils ont réussi à faire sortir les Talibans de Kaboul et à les bombarder sur leur ligne de front. Les Américains appuyaient des alliés locaux ; l'armée de Poutine, elle, ne distingue pas ; elle massacre, torture et met à feu et à sang toute la Tchétchénie. Vous tenez là deux types de guerres menées par des puissances industrielles modernes. La première est une guerre libératrice de peuples opprimés, de femmes asservies qui désormais respirent un peu plus librement. La deuxième est une guerre d'anéantissement de la population que j'appelle une guerre nihiliste.

    G. A. - Il est évident que, sur le plan des valeurs, nous partageons les mêmes idéaux que les Américains. Comment expliquez-vous l'antiaméricanisme qui sévit en France et qui tend à se répandre en Europe ?

    A. G. - On peut discuter telle ou telle stratégie de Washington sans être antiaméricain. J'ai critiqué en son heure (1967) la politique d'escalade de Mac Namara au Vietnam. Il reconnut lui-même quelques années plus tard s'être épouvantablement fourvoyé. En revanche, l'antiaméricanisme relève d'une américanophobie congénitale qui substitue à la critique rationnelle une haine venimeuse, voire délirante, dont aujourd'hui le « diable Bush fait les frais. Les racines de l'antiaméricanisme européen et français ne sont guère mystérieuses. 1°) Il y a la jalousie et la crainte qui entoure quasi automatiquement le Numéro l du moment. Voyez déjà Thucydide : la prééminence d'Athènes suscite la rivalité des autres cités grecques au bénéfice de Sparte, de la Perse et, finalement, de la Macédoine. 2°) Il y a l'incompréhension traditionnelle qui embarque l'« ancien monde et le « nouveau dans des polémiques sans fin. Dès l'origine, les Pères fondateurs se félicitaient d'avoir délaissé une Europe corrompue, épinglée par la suite belliciste (1914) ou lâche (Munich), tandis que les Européens s'offusquent de la naïveté, de l'inculture ou de l'arrogance attribuées, non sans réciproque arrogance, à leur progéniture : les parvenus d'outre-Atlantique. 3°) Il y a le ressentiment d'avoir à être reconnaissant : les débarquements américains ont permis aux démocraties de survivre en sauvant l'Europe du fascisme et du communisme. Aujourd'hui encore, le Vieux continent supporte mal d'être pris en défaut lorsque seule la puissance américaine se montre capable d'intervenir efficacement pour instaurer la paix dans les Balkans, en Afghanistan et jusque sur l'ilôt du Persil (1). 4°) Il y a l'économisme, cette idéologie commune à la droite et à la gauche, qui postule que la planète est soumise à la domination des intérêts financiers et industriels. Wall Street épaulé par Hollywood gérerait le « Système . Les États-Unis se trouveraient donc responsables de tous les maux de l'univers. Vu l'état du monde, on épingle sans peine le supposé « hyper-puissant manitou en le stigmatisant Grand Satan.

    G. A. - Comment expliquez-vous la brusque résurgence de ces préjugés séculaires depuis le 11 septembre ?

    A. G. - Par une panique rentrée. Le problème n'est pas l'antiaméricanisme de toujours, mais son actuelle explosion et prolifération. Les non-Américains veulent dormir tranquilles. Ils fantasment en se persuadant que la menace nihiliste concerne exclusivement les États-Unis : le Numéro 1 l'a bien cherché, pas de fumée sans feu, les victimes sont responsables de leur malheur, l'empire est puni par où il pèche, sa violence se retourne contre lui. Corollaire de cette stratégie d'escamotage psychologique : il ne faut pas surévaluer l'importance des attentats du 11 septembre. Ce ne sont là - explique un hebdomadaire français réputé sérieux, sous la plume d'un ex-conseiller du président Mitterrand - qu'« escarmouches de nomades . La diabolisation de la Maison-Blanche permet ainsi de forclore l'événement nihiliste - il ne s'est rien passé, le quatrième avion n'est pas tombé, les Twin Towers se sont suicidées, la CIA mène le jeu… à défaut du Mossad. L'antiaméricain rassure paradoxalement l'Europe et le monde : les Yankees sont traumatisés, leur angoisse du terrorisme ne nous concerne pas, attendons qu'ils se calment. S'ils prennent au sérieux l'« escarmouche du 11 septembre, ils exagèrent. Lorsque le sage désigne la lune, l'imbécile regarde le doigt, dit un proverbe chinois. Lorsque, après la boucherie de Manhattan, une population se sent en danger, l'antiaméricain accuse cette population.

    G. A. - À côté du Satan américain, on a mentionné le Satan israélien. En effet, dans certains cercles, en France et ailleurs, l'antisionisme - teinté de forts relents d'antisémitisme - apparaît souvent comme une composante de l'antiaméricanisme. La propagande arabe et l'extrême droite, qu'elle soit européenne ou américaine, se rejoignent sur ce thème : les États-Unis gouvernent le monde, et ils sont eux-mêmes gouvernés par les Juifs ou les sionistes qui, en fin de compte, tirent les ficelles. A travers l'antiaméricanisme, n'opère-t-on pas un retour au vieux mythe du complot judéo-maçonnique qui a fait tant de ravages au XXe siècle ?

    A. G. - Il existe une équivalence de toujours entre l'Angleterre d'abord, pour être historiquement précis, l'Amérique ensuite et, enfin, les Juifs. Ainsi, déjà, dogmatisait Joseph de Maistre. Selon lui, la Révolution française puise sa virulence dans les influences protestante, maçonnique, juive et anglaise. L'Amérique a pris la succession. Pour Staline comme pour Hitler (pour les conservateurs français également et une grande partie de la gauche de l'époque), l'Amérique est juive. Les Juifs estimés apatrides sont carrément identifiés à l'impérialisme. New York c'est Jew York. Quand l'antisémitisme paraît une abomination eu égard à quelques expériences historiques cuisantes, l'antiaméricanisme prend le relais. Exemple : l'Allemagne. Réciproquement, quand l'antiaméricanisme est inavouable compte tenu des étroites relations des potentats du lieu avec les banques et les intérêts américains, - exemple : l'Arabie saoudite - l'antiaméricanisme passe à l'arrière-plan et l'antijudaïsme, l'antisémitisme, l'antisionisme occupent le devant de la scène. Derrière l'Amérique, c'est la civilisation des Lumières qui est visée. Le Juif, tout comme l'Américain, incarne, primo, la libre circulation des capitaux (Rothschild en tant que banque internationale) ; secundo, la libre circulation des idées et la remise en question des dogmes (Einstein) ; tertio, la libre circulation des sentiments, des pulsions, la remise en question des vertus traditionnelles (Freud, mais aussi toute une pléiade d'écrivains et d'artistes) ; et, finalement, la libre circulation des images (Hollywood « infesté dans les années 1930 par la juiverie internationale émigrée d'Europe). Donc, Hollywood, Wall Street, la science internationale (puisque la science, par définition, n'a pas de frontières), toute cette circulation mondiale qui date des Lumières est imputée, comme un crime, à la puissance dominante. Cette puissance dominante a été l'Angleterre et la France aux yeux des Allemands du XVIIIe siècle, puis l'Europe occidentale - Allemagne comprise - aux yeux des Russes du XIXe siècle. Aujourd'hui, pour les trois quarts de la planète, l'horreur dominante est l'Amérique et ses dépendances, à savoir Israël, l'Europe et peut-être le Japon. Le Juif se voit ainsi propulsé « représentant de l'Occident éclairé . Dussé-je choquer des Juifs pieux et révulser orthodoxes ou intégristes, depuis trois siècles, le « sale Juif n'en est pas moins l'incarnation par excellence de l'homme des Lumières aux yeux de tous ceux qui les exècrent.

    G. A. - Je voudrais revenir à cet « axe du Mal dont a parlé George Bush. Est-ce très américain de voir le monde en noir et blanc, de le diviser en « bons et « méchants ?

    A. G. - Surprenante incompréhension mondiale dès qu'un Américain ouvre la bouche ! Qu'est-ce qui choque tellement dans le discours de Bush ? Qu'il se réclame du Bien ? Allons donc ! Quand Bush a parlé de « croisade , il y eut de justes réticences et récriminations. Mais il s'est corrigé dans la journée en visitant une mosquée et en y prononçant le discours approprié. En général, les Américains savent reconnaître leurs erreurs et ne se prennent pas définitivement pour des anges. Ce qui choque, c'est qu'ils osent désigner quelque chose comme le Mal. Ce qui me choque, en revanche, c'est l'incapacité de tant d'experts, de politiques et de gens ordinaires à travers le monde de dire : « Manhattan, c'est mal. Günter Grass, par exemple, a déclaré - dénégation symptomatique -, que la réaction américaine orchestre beaucoup de tapage « pour trois mille Blancs tués . Il est pourtant facile de constater que les Blancs n'étaient pas les seules victimes de ces attentats. Et que la qualité du crime ne se résume pas à sa quantité. Les terroristes se sont arrogé, à la face du monde, le droit nihiliste de tuer n'importe qui. Et ce principe du « n'importe qui annonce l'assomption mondialisée d'un nihilisme dont Dostoïevski reniflait déjà l'odeur dans la Sainte Russie. Au fond, ce qui heurte tant dans les affirmations de Bush sur l'"axe du Mal" (comme par le passé, dans l'appellation "empire du Mal " dont Ronald Reagan avait affublé l'URSS), c'est le mot "Mal". Les Américains osent l'employer, tout comme Soljénitsyne et Jean Paul II. Comme Aristote pointant que "la méchanceté humaine est quelque chose d'insatiable". Comme Machiavel moquant les belles âmes qui susurrent "il est mal de dire du mal du mal". La désignation de l'"axe du Mal" a cassé la prétendue coalition anti-terroriste censée mobiliser tous les États du monde contre le régime des Talibans. Poutine s'est senti visé, de même que les dirigeants chinois. Il n'a pas tort. Car sous prétexte de lutte contre le terrorisme, certains gouvernants - qui ne se privent pas d'être eux-mêmes terroristes à l'occasion - se permettent de réduire au silence leurs indépendantistes, leurs opposants, leurs démocrates et leurs résistants, voire de les liquider, comme c'est le cas en Tchétchénie ou au Tibet.

    G. A. - Sur ce point, vous donnez donc raison à George Bush…

    A. G. - Le stalinisme nord-coréen vient, ces dernières années, de tuer par la famine plusieurs millions de ses sujets. Les rares humanitaires sur place témoignent d'une détresse poussée jusqu'au cannibalisme. Le palmarès criminel du dictateur irakien n'est un secret pour personne. Quant au khomeinisme, qui continue à hanter l'Iran, on espère seulement que l'opposition démocratique a quelque espoir de s'en débarrasser. Parler d'« axe est plus discutable, ne serait-ce qu'à cause de la référence historique à l'alliance Berlin-Rome-Tokyo des années fascistes. Le nihilisme actuel fonctionne plutôt en réseaux, les solidarités criminelles sont plus lâches, mais plus étendues et plus occultes. Derrière ces puissances que l'on nomme à juste titre des « États voyous , on peut découvrir d'autres États, tentés de parrainer la voyoucratie mondiale : la Russie, par exemple, qui protège la Corée du Nord, développe son commerce nucléaire avec l'Iran et signe de mirobolants contrats pétroliers avec le régime irakien. J'ajoute à la liste l'Arabie saoudite, dont le rôle dans le financement des mouvances islamistes, de l'Afghanistan à l'Algérie, est désormais établi. Constatons que les rapports de force qui décident de l'avenir de la planète se sont radicalement transformés ; la nature même de ce qu'on entend par « force a muté. Les rapports de puissance sont devenus des rapports de nuisance.

    G. A. - Depuis combien de temps ce processus a-t-il commencé ?

    A. G. - Dans l'Europe classique issue du Traité de Westphalie en 1648, les grands États décidaient souverainement de leur mode de vie. Leur survie était rarement en cause ; on se faisait la guerre pour des provinces et du prestige. La vocation de construire l'emportait sur la capacité de détruire. Deuxième étape : les guerres mondiales et les totalitarismes ont formidablement développé l'art d'anéantir. Reste que les blocs et les empires revendiquaient encore une prise sur l'avenir, une faculté de promouvoir les forces productives. Hitler se vantait, autant que Staline, de résoudre les problèmes du capitalisme, de passer au-delà des crises, de supprimer le chômage, etc. Les totalitarismes se réclamaient d'un projet industriel, social, économique. Les puissances qui s'affrontaient disposaient d'une capacité d'édifier un monde (que les uns traitaient de meilleur et les autres d'infernal) autant que d'une capacité d'écraser l'adversaire. C'était corrélé : les grandes puissances ajoutaient la puissance de faire à la puissance de défaire. Aujourd'hui, la puissance de défaire l'emporte sur la puissance de faire. Exemple type : l'adjonction de la Russie au G7. Ce n'est pas sa prospérité économique qui a convaincu les Sept de la coopter. C'est plus simplement son pouvoir destructeur. Pas seulement le fait que la Russie possède le deuxième arsenal nucléaire du monde, mais aussi que ce deuxième ou troisième marchand d'armes de la planète est capable d'accroître le chaos mondial dans des proportions inouïes. On a beau dire que la bourse de Moscou compte moins que celle de Singapour, c'est la puissance de dévastation qui définit le statut de grande puissance. Ce qui est vrai de la Russie est également vrai pour les pointures plus réduites. N'importe quel État, organisation ou même groupuscule mesure son pouvoir à sa capacité de nuisance. Pour tenir en échec la plus grande armée du monde, il a suffi que le général Aïdid-père et le général Aïdid-fils squattent un quartier de Mogadiscio. L'éradication de ces gangsters coûtait cher en hommes ; les Américains ont reculé devant le prix de l'opération.

    G. A. - Pourquoi faut-il s'inquiéter de l'apparition de ce nouveau rapport de force à l'échelle mondiale ?

    A. G. - Pour maintenir l'équilibre de la terreur qui réglait la guerre froide, les « grands s'étaient dotés d'une capacité nucléaire double. Ils possédaient une « première frappe susceptible d'atteindre douloureusement, voire de rayer de la carte, un adversaire potentiel, et ils tenaient en réserve une « seconde frappe qui les sanctuarisait : si l'alter ego d'en face s'avisait de tirer le premier, la victime, fût-elle anéantie, se vengerait à titre posthume en punissant l'agresseur d'une seconde frappe tout aussi meurtrière. La réciprocité des menaces apocalyptiques assurait ainsi une fragile paix dissuasive, mais une paix quand même. Le défi post-nucléaire du terrorisme à grande échelle modifie la donne. En se dénucléarisant, la capacité de première frappe s'est « démocratisée et démultipliée. L'extermination massive ne relève plus du monopole des grands et des supergrands nucléaires. Par contre, la sanctuarisation nécessite encore et toujours une capacité de seconde frappe. S'il prétend officier dans la cour des grands en minimisant ses risques, un État voyou a le choix entre deux stratégies : ou bien il s'inféode à un parrain lui-même sanctuarisé par une arme absolue ; ou bien il s'autonomise en se procurant discrètement un arsenal terrifiant susceptible d'échapper aux interventions, chirurgicales ou pas, d'une coalition anti-terroriste.

    G. A. - C'est apparemment la solution qu'a choisie Saddam Hussein…

    A. G. - L'Irak est un cas d'école. À l'heure du défi post-nucléaire, le couplage d'une volonté terroriste sans foi ni loi et d'une panoplie d'armes exterminatrices maintenues hors d'atteinte permet d'envisager l'impensable. Qu'a-t-il manqué à Milosevic pour perpétuer ses purifications ethniques ou à Saddam pour digérer définitivement le Koweït ? Une capacité de seconde frappe, un parapluie nucléaire ou bactériologique à l'abri duquel un nihiliste s'autorise n'importe quelle transgression. Tel est le problème que pose, à ce jour, le dictateur irakien. Tel est le problème que poserait demain un nouveau Ben Laden abrité dans quelque silo infernal, plutôt que dans les grottes anachroniques de Tora Bora. Une possible et menaçante sanctuarisation des voyous nihilistes ne rétablit nullement le statu quo dissuasif, mais substitue à l'équilibre de la terreur le déséquilibre mondialisé des terrorismes.

    G. A. - Un an après Manhattan, quel est pour vous l'enseignement principal qu'il faut tirer de cet événement ?

    A. G. - Que les citoyens lucides et les démocrates doivent se préparer à affronter non plus un adversaire supposé absolu, mais une adversité redoutable et polymorphe, pas moins implacable. Je la nomme avec Dostoïevski « nihilisme . Hitler est mort, Staline est enterré, le bloc de l'Est démantelé, mais un nihilisme exterminateur sévit sous des drapeaux divers. Ground Zero à Manhattan, table rase à Grozny, famines politiques en Corée du Nord et en Zambie : la terreur artisanale ou institutionnelle bat le rappel en Asie comme en Afrique. Avant le 11 septembre, la thèse dominante stipulait que depuis la chute du mur de Berlin « nous étions hors de danger. Les grands de ce monde ne semblaient plus soumis à la fragilité de leur vie terrestre ; les pays riches et les capitales nanties vivaient à l'abri. On s'inquiétait peu des conflits périphériques intitulés par les stratèges « conflits de faible intensité , si douloureux fussent-ils pour ceux qui les supportaient. Un éphémère sentiment de définitive immunité, d'éternelle extraterritorialité, inspira la thèse de la « fin de l'Histoire , cette ridicule prophétie de la disparition des périls. Il faut réapprendre que l'Histoire est tragique et que nous n'avons pas cessé d'exister au bord de l'abîme.

    G. A. - Et à peine avait-on décrété la « fin de l'Histoire , que la Yougoslavie s'embrasait…

    A. G. - Quand Milosevic annonça ses opérations en 1991, tous les grands de l'Europe occidentale estimèrent qu'avec quelques promesses de crédits et d'aide économique, ils auraient tôt fait de ramener l'homme à une raison bien-pensante et irénique : plutôt la paix et l'argent que la guerre et la destruction. Milosevic a pensé autrement. Trompeuse illusion que celle qui prescrit qu'il suffit d'attendre, que le temps travaille pour la démocratie, qu'une Providence garantit l'avenir au nom de Dieu, du Marché ou du Progrès social ! Ladite illusion fait accepter tous les malheurs du monde en nous inclinant à croire qu'ils sont sans importance : sans importance vingt années de guerre en Afghanistan ; sans importance le sort des femmes afghanes ; sans importance les souffrances de la population tchétchène ; sans importance le fait qu'il eût suffi de 5 000 soldats pour interrompre le génocide d'un million de Tutsis au Rwanda ; sans importance la mort, à peine mentionnée par les journaux, de deux à trois millions de personnes dans le nord-est du Congo ; sans importance qu'il y eut, malgré tout, 200 000 tués au cœur de l'Europe en dix ans. Autant d'anodines banalités, à l'exception peut-être du Kosovo, dont tout à coup la population jetée hors de ses frontières menaçait de peupler nos banlieues et de troubler nos équilibres municipaux. Il fallut bien intervenir. Pour des raisons morales, comme on l'a prétendu ? J'en doute. Lorsque Poutine martyrise la Tchétchénie, mais enferme les réfugiés chez lui (2), la question d'une intervention européenne, fût-elle simple protestation verbale ou pression diplomatique, ne se pose pas.

    G. A. - En quoi le 11 septembre est-il une date historique ?

    A. G. - Le 11 septembre est et restera un moment de vérité parce qu'il oblige à prendre en compte le principe de réalité. Constat : ce qui se passe en Afghanistan concerne le sort du centre de New York. Conclusion : négliger les trois quarts de l'humanité risque de coûter cher. Paraphrasons Talleyrand : oublier hier l'Afghanistan et aujourd'hui la Tchétchénie, pire qu'un crime, c'est une faute. Pire qu'un crime moral, notre désintérêt traduit une paralysie du cerveau. Mettons les points sur les i. Remarquons qu'il ne tient qu'aux Tchétchènes de se « benladiniser ou non. Ils pourraient ourdir des attentats-suicides sur des objectifs civils. Raffineries et centrales nucléaires ne sont évidemment pas hors de portée de leur courage séculaire ou de leur habileté légendaire. Il y a 100 000 Tchétchènes dispersés dans la grande Russie, tous bouleversés par la dévastation de leurs villages et de leurs familles. Si la douleur ne l'emporte pas, ne les rend pas fous au point d'attaquer des objectifs dévastateurs, remercions-les. Ils sont en train de nous sauver car, contrairement aux déclarations de nos dirigeants au moment de Tchernobyl, les nuages nucléaires ne s'arrêtent pas aux frontières. Est-il réaliste de laisser pourrir des situations incendiaires dont l'Afghanistan fut le paradigme ? Les Russes ont envahi ce pays pendant dix ans, détruit les structures morales et sociales de la population, massacré probablement un million de personnes (dont 80 000 intellectuels, dit-on), rendu une population analphabète et semé des ruines où s'installèrent bientôt en maîtres - aveuglement américain et pakistanais aidant - les plus gangsters, les plus salauds et les plus fanatiques : les Talibans. On connaît la suite. Après Manhattan, l'Occident accorda aux Russes, derechef pompiers pyromanes, un chèque en blanc. Gare aux dégâts !

    G. A. - Je ne sais pas qui a dit que les grandes circonstances engendrent les grands hommes. Qui sont, pour vous, les grands leaders mondiaux d'aujourd'hui ?

    A. G. - Dans la mesure où tous ont cultivé l'illusion de la fin des périls, il n'y a pas de grands leaders à l'exception de Vaclav Havel. Mais il existe des gens conscients. Quand Sergueï Kovaliev, compagnon de Sakharov, ancien prisonnier du goulag, proteste dans Grozny dévasté (première capitale européenne rasée depuis Varsovie en 1944 !) et apostrophe les Occidentaux (« Pourquoi cirez-vous les pompes du « minable Monsieur Poutine ? ), j'estime que c'est un grand homme de notre époque. Je sais que tout le monde se moquera de moi, comme tout le monde s'est moqué de moi lorsque j'ai affirmé qu'Alexandre Soljénitsyne était le mont Everest et que, par rapport à lui, Brejnev, malgré ses divisions, n'était que les Buttes-Chaumont…

    G. A. - Vous avez souligné le fait que les terroristes du 11 septembre étaient des gens occidentalisés et instruits. Comment expliquez-vous leur haine envers l'Occident, leur désir de le détruire même au prix de leur propre vie ?

    A. G. - Le monde occidental fascine et bouleverse les sociétés traditionnelles. Sur toute la planète, nos contemporains découvrent que les mœurs ancestrales, les croyances d'antan, les religions établies sont sujettes à contestation et nullement infaillibles. Situation déjà décrite dans les dialogues socratiques, où les adolescents d'Athènes assaillent leurs aînés de multiples « pourquoi et repèrent que les anciens peuvent d'autant moins répondre qu'ils ne se sont jamais interrogés. L'Occident introduit partout l'ébranlement. Les sociétés traditionnelles vivent dans l'éternité, sans « pourquoi . Certes, la question du « pourquoi mobilise implicitement les mythes des origines ; elle dynamise les contes et légendes, mais elle n'est pas posée en tant que telle. On ne se demande pas : « Pourquoi dois-je m'interdire l'inceste ? ou « Pourquoi me défend-on certaines formes de violence ? L'Occident introduit le questionnement. Voilà qui démolit, qui déconcerte, qui dépouille les infaillibilités traditionnelles. Les populations ainsi brassées, ainsi déracinées, supportent mal une aussi fondamentale mise à l'épreuve. Tel est le problème des Talibans en particulier et des intégristes en général.

    G. A. - Le rapport ambigu qu'entretenaient les Talibans par rapport à l'Occident était particulièrement flagrant en matière de mœurs. Pourquoi, par exemple, insistaient-ils à ce point sur le port de la burkah ?

    A. G. - Dans l'Afghanistan traditionnel les femmes portaient le voile, mais sans obligation absolue. Certaines s'en dispensaient, notamment dans les villes. Tout à coup, l'uniforme fut imposé inconditionnellement. En vertu de quoi ? Qu'est-ce que les « étudiants en théologie imaginent sous la burkah, qu'il faut absolument dissimuler ? Leurs pères et leurs grands-pères voyaient une mère, une femme, une fille légitimes qu'ils conservaient jalousement, en tant que père, époux ou frère, à l'abri des regards étrangers. En revanche, la fièvre du taleb révèle que l'objet voilé n'est plus cet être traditionnel - sœur, mère, épouse, - mais la femme. Quelle femme ? Celle que sa culture originelle ignorait et qu'il découvre dans les films hindous et les posters des stars internationales ! L'étudiant en théologie pense et imagine à l'occidentale, il a un cinémascope dans la tête et se débat contre ses propres fantasmes. Il n'est plus l'homme immémorial, il n'est plus l'homme de la religion. Par la loi de la burkah, il fait barrage à sa propre occidentalisation. Il est déjà un Occidental, mais un Occidental qui ne s'accomplit pas, qui ne s'accepte pas, un Occidental refoulé, extrêmement malheureux, qui n'a trouvé d'autre solution que de rendre encore plus malheureux les autres, ses sœurs, sa mère, sa femme. Mais c'est sa propre obsession qu'il poursuit, sa honte qu'il fuit jusqu'à la négation de soi. Au terme de son autodestruction, il s'allume bombe humaine. Nous vivons le paradoxe d'une occidentalisation de la planète qui détruit les religions en les politisant. La politisation des religions traditionnelles marque le commencement de leur fin. La sexualisation des us et coutumes ancestraux annonce leur décomposition.

    G. A. - Quel est, pour vous, le plus grand danger auquel le monde est confronté ?

    A. G. - Rêver debout. Croire que nous nous sortons aussi sains d'esprit que saufs de corps d'un terrible XXe siècle qui additionne deux guerres mondiales, quarante-cinq ans de guerre froide et soixante-dix ans de révolution totalitaire, avec en prime quelques génocides. Imaginer qu'il suffit que les armes se taisent pour que les esprits se rassérènent et que le bon sens démocratique gouverne la planète relève de la farce ! Une guerre qui se prolonge, prolifère et devient totale engendre une pathologie nihiliste que Thucydide nommait, il y a deux millénaires, « peste . Les tabous se désagrègent, les respects se dissolvent, les scrupules sautent, on s'autorise toutes les violences, on s'accorde n'importe quelle licence, on jouit des risques suprêmes en vivant un permanent et infini renversement des valeurs. Cette peste mentale, si bien diagnostiquée à Athènes par l'historien antique, Ernst Jünger l'a chantée à l'issue de la Première Guerre mondiale ; elle affecte et infecte aujourd'hui les cinq continents. Sauf que la lucidité d'un Thucydide fait défaut à nos élites, toujours promptes à parier qu'une Providence éradiquera le terrorisme d'un coup de baguette magique. Le danger immédiat est de céder à la panique, en tentant d'occulter la dure réalité du défi post-nucléaire. Premier délire dénégateur : celui des antiaméricains qui expliquent doctement que l'« Empire étant puni pour ses péchés, les simples citoyens, « travailleurs-travailleuses , n'ont rien à craindre et ne sont nullement concernés. Un deuxième délire, anti-musulman celui-là, stigmatise en bloc un milliard trois cents millions de terriens qui n'ont pas bénéficié des révélations judéo-chrétiennes. Comme si l'intégrisme islamiste ne s'attaquait pas en premier lieu aux musulmans : voyez l'Afghanistan, voyez l'Algérie ! Oublie-t-on qu'Al Qaïda mobilise les fils de bonne famille recrutés dans les couches les plus occidentalisées d'Arabie et d'Égypte ? Ben Laden trompe ; Oriana Fallaci et Samuel Huntington se trompent en évoquant un conflit de civilisations ou la guerre des religions. Le terrorisme intégriste n'est pas un archaïsme hérité d'un passé dépassé, les anges exterminateurs surgissent de la face noire, massacreuse et nauséabonde de notre hyper-modernité. Le « frère islamiste qui sacrifie les autres et lui-même est le jumeau de l'« homme de fer bolchevique, la duplication du « héros fasciste qui jure « vive la mort ! . Troisième délire : celui des éradicateurs étatistes qui cultivent la naïveté de croire que le terrorisme demeure l'apanage exclusif des irréguliers sans État. C'est oublier hier, notre passé immédiat, le sanglant XXe siècle, ses idéologies dévastatrices, ses États terroristes ; c'est refuser la réalité d'aujourd'hui : voyez, encore une fois, le palmarès des armées russes en Tchétchénie. C'est négliger que le terrorisme, loin de se limiter à des pulsions maniaques, met en œuvre une tactique politique et rationnelle de prise et de conservation du pouvoir. Ben Laden entendait diriger l'Arabie saoudite et le Pakistan. Avec ou sans Allah, il ouvre la voie à nombre de princes post-modernes qui se croiront plus futés que lui. Quatrième délire : le préjugé du développement invincible et irréversible. Même son de cloche au dernier Forum économique mondial (qui, cette fois, eut lieu à New York et non à Davos) et au rassemblement parallèle de Porto Alegre : le problème du 11 septembre n'est pas un vrai problème, car le vrai problème est celui de la pauvreté. Dès qu'on aura résorbé la misère du monde, soit par les moyens libéraux de Davos-New York, soit par les moyens moralo-sociaux de Porto Alegre, il n'y aura plus de terrorisme. En attendant une aussi souhaitable et universelle extinction du paupérisme, si nous ne bloquons pas les terreurs nihilistes par des moyens plus appropriés, nous serons tous morts ! Pour ma part, j'ai essayé de montrer dans mes livres, et tout au long de cette interview, que la crise morale, spirituelle que nous vivons - et dont l'expression la plus spectaculaire est la tentation nihiliste - ne saurait se réduire aux effets d'une infrastructure économique. L'ébranlement est évidemment social, culturel et politique, il met en cause la démocratie, la tolérance et notre refus de regarder le Mal en face. Il ne faut pas oublier qu'au moins la moitié de l'humanité a applaudi, plus ou moins discrètement, aux exploits de Mohammed Atta (3). Beaucoup ont trouvé ces actes légitimes, justes retours du balancier. Nombreux sont les candidats à la succession de Ben Laden. Vu la maigreur des moyens nécessaires et le prix des cutters dans tous les Monoprix du globe, l'avenir reste en débat. Et en suspens. Le passé s'éloigne à Bangkok comme à Rome, le futur hésite à Paris comme à New York, notre planète errante devient un tout. Insolite communauté de vertiges, unifiée par l'angoisse d'une désormais vertigineuse responsabilité on ne peut plus partagée. Cela s'appelle une civilisation, une et indivisible depuis Socrate jusqu'à Ben Laden compris. Nihilisme ou civilisation : ce défi n'est pas issu d'une quelconque barbarie qui nous serait étrangère, il n'est pas lancé par quelques créatures infrahistoriques ou extraterrestres. Depuis Parmenide, Hamlet et Hiroshima la civilisation se réveille et se révèle à la croisée des chemins de l'être et du ne pas être. Puis illico s'assourdit afin de ne s'incommoder point.

     

    Notes :

    (1) Caillou inhabité; qui suscita, pendant l'été; 2002, un retentissant et anachronique conflit entre le Maroc et l'Espagne que seul Colin Powell sut régler, face à l'impuissance européenne.

    (2) À la différence des Kosovars qui purent fuir les exactions serbes en Albanie et en Macédoine, les Tchétchénes, enfermés, ne peuvent se réfugier qu'en Ingouchie, partie de la Russie. Ainsi, ils n'échappent jamais à la vindicte de Moscou.

    (3) Au Caire, jeune homme de bonne famille, à Hambourg, étudiant discret et prolongé, à New York, assassin de 3 000 personnes à la tête de son commando-suicide.

    http://www.politiqueinternationale.com/revue/article.php?id=231&id_revue=12&content=texte

  • Retour sur l'affaire Abdelkader Bouziane, honteusement relaxé par le tribunal correctionnel de Lyon

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    Extraits de l'interview de l'imam de Vénissieux publiée par Lyon Mag en avril 2004 dans un dossier intitulé : "Islamisme: Les banlieues lyonnaises contaminées".
     
    L'ennemi est dans la place. 
     
    • Pour vous, la femme est l'égale de l'homme ?
    - «Non. Exemple: elle n'a pas le droit de travailler avec des hommes parce qu'elle pourrait être tentée par l'adultère (…)»
    • La femme doit être forcément soumise à l'homme ?
    - «Oui, car le chef de famille, c'est toujours l'homme. Mais il doit rester juste avec sa femme: ne pas la frapper sans raison, ne pas la considérer comme une esclave»
    • C'est pour ça que vous êtes pour la polygamie ?
    - «Oui, un musulman peut avoir plusieurs femmes, mais attention, quatre au maximum. Et il y a des conditions. (…)»
    • Mais pourquoi la femme ne peut pas avoir plusieurs hommes ?
    - «Parce qu'on ne saura pas qui est le père des différents enfants!(…)»
    • Et vous êtes pour la lapidation des femmes ?
    - «Oui, car battre sa femme, c'est autorisé par le Coran, mais dans certaines conditions, notamment si la femme trompe son mari. (…) Mais attention, l'homme n'a pas le droit de frapper n'importe où. Il ne doit pas frapper au visage mais viser le bas, les jambes ou le ventre. Et il peut frapper fort pour faire peur à sa femme, afin qu'elle ne recommence plus. (…)»
    • Vous souhaitez que la France devienne un pays islamiste ?
    - «Oui, car les gens seraient plus heureux en se rapprochant d'Allah. D'ailleurs Allah punit les sociétés qui s'enfoncent dans le péché avec des tremblements de terre, des maladies comme le sida…(…)»
    • Franchement, souhaiteriez vous vraiment l'installation d'un République islamique en France ?
    - «Oui, mais pas seulement pour la France. Je souhaite que le monde entier devienne musulman.»
    • Mais c'est un appel à la guerre sainte !
    - «Non, car il y a un verset du Coran qui dit qu'il ne faut pas obliger les gens à se convertir à l'islam. Moi je ne veux pas élever la voix, frapper ou commettre des attentats pour convertir les gens à l'islam.»
    • Vous condamnez les attentats de Ben Laden ?
    - «Je ne peux pas condamner Ben Laden tant qu'il n'y a pas de preuves que c'est vraiment lui qui a organisé les attentats à New York et à Madrid. Mais si on me prouvait que c'est lui, je le condamnerais, car ces attentats vont à l'encontre du but qu'ils poursuivent.»
    • Pas de pitié pour les victimes de ces attentats ?
    - «Je vous répète que c'est un grand péché de poser une bombe, car Allah est en colère quand on tue des innocents.»
    • Mais reconnaissez-vous que vos prêches poussent à la haine de l'Occident ?
    - «Non, car même si je critique l'Occident, je demande toujours aux musulmans qui m'écoutent de respecter la loi du pays où ils vivent.»

  • Chahla Chafiq : La censure au nom de l'islam

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    Ce texte a été présenté lors de l'intervention de Chahla CHAFIQ, écrivaine d'origine iranienne exilée en France, auteure d'ouvrages sur l'islamisme et ses conséquences sociopolitiques et culturelles, dont le Nouvel Homme islamiste, la prison politique en Iran (Félin, 2002), et nouvelliste, auteure du recueil de nouvelles Chemins et brouillard (Metropolis, 2005) le 24 février 2006 lors de la soirée organisée par l'Association du Manifeste des libertés au théâtre du soleil, à la Cartoucherie de Vincennes.

    Le monstre est sorti de la bouteille

    Chahla Chafiq

    Il suffit de voir les incidents diplomatiques provoqués par les caricatures danoises et les drapeaux brûlés pour constater qu'il s'agit là d'une affaire politique qui jette, encore une fois, la lumière sur la montée de l'islamisme et qui informe sur la menace grandissante du retour en force de la religion dans le politique. Ces faits sont si évidents qu'on pourrait évoquer à leur propos le proverbe persan : « Les rayons de soleil, preuves du soleil. » Mais il ne suffit pas d'avancer ces évidences pour clarifier les énormes enjeux politiques qui s'expriment à travers ce type d'incidents et qui ne seront visibles et lisibles qu'en prenant du recul vis-à-vis du conjoncturel pour voir les processus dans lesquels s'inscrivent ces incidents. Revenons donc aux processus, aux faits qui ont rendu possible la progression de l'islamisme, ce phénomène d'idéologisation de l'islam en tant qu'alternative politique.

    Car, en approchant l'islamisme, nous n'abordons pas seulement une idéologie portée par des groupes, nous approchons aussi un contexte et une époque. Pour le comprendre, il faut revenir à la cristallisation de plusieurs éléments qui se sont formés au cours du XXe siècle.

    Premièrement, il faut rappeler l'étouffement du politique et la perversion de la politique sous les régimes dictatoriaux dans les pays dits musulmans, y compris ceux qui ont gagné la lutte anticoloniale et acquis leur indépendance. Il s'agit là de ce que j'appelle la « modernité mutilée » qui consiste en l'acceptation de la modernisation tout en refusant la modernité (dont la démocratie, les droits de l'homme, l'égalité hommes-femmes). Le culturel et le cultuel sont utilisés par les dictatures pour justifier ce refus.

    En second lieu, il faut évoquer le soutien des pouvoirs occidentaux en vue de leurs intérêts économiques et/ou politiques aux dictatures des pays dits musulmans. Du même, durant la guerre froide, pour combattre l'Union soviétique, ces pouvoirs ont bel et bien soutenu l'islamisme. Ainsi, paradoxalement, pour combattre le totalitarisme soviétique qui se voulait « universaliste », le « particularisme » islamiste fut instrumentalisé. Il favorisa alors le développement de cette nouvelle forme de totalitarisme qui se nourrit du rejet de l'universel.

    Nous voyons donc que l'islamisme n'est pas un phénomène anhistorique, mais une idéologie qui s'inscrit dans le processus de la modernité en tant qu'adversaire politique de cette modernité. Il s'agit d'un projet politique antidémocratique et totalitaire qui s'épanouit dans un contexte de vide engendré par la perversion du politique sur le plan local et international. Il se développe là où le croisement entre les mauvais calculs des pouvoirs occidentaux et les logiques dictatoriales des gouvernants locaux étouffe le politique, bloque le développement social, culturel et humain et fait obstacle à la citoyenneté. Le spectacle désolant des foules manipulées, soumises à l'ordre des leaders islamistes, et qui crient, brûlent et tuent au nom de l'islam, donne en fait à voir l'annihilation de l'individu en tant que sujet et être singulier.

    On entend beaucoup parler dans cette affaire de l'humiliation imposée au peuple musulman par l'Occident, mais cela ne fait que camoufler la vraie réduction sociale, culturelle et psychologique produite par la destruction du politique dans ces sociétés et qui va de pair avec la victimisation de soi et la diabolisation de l'Occident. La montée de l'islamisme met en scène cette misère politique, nourrie du despotisme régnant depuis des décennies, et soutenant les systèmes d'autorité traditionnelle qui facilitent la soumission aux chefs parlant au nom de l'islam.
    Or, le monde ne se réduit pas aux gouvernants et aux pouvoirs dominants. Où sont les autres personnages dans ce tableau ? Quel est le rôle joué par les forces de la société civile dans ces pays et dans les pays occidentaux ? Qu'ont fait et font les intellectuel(le)s ici et là-bas ?

    Ils partagent, pour beaucoup, le tourment d'être les « alliés du colonisateur dominant », de « trahir la cause des dominés colonisés en offensant l'islamisme ». Fascinés par l'expression des dominés, aveuglés par l'amour du « peuple » et écrasés par la victoire du capitalisme qui avance, sans cœur, ni âme, ils tombent dans le piège du silence ou, pire encore, virent vers la complaisance. Une erreur d'optique fatale.

    C'est ainsi que Michel Foucault a confondu le discours islamiste avec l'expression de l'âme du peuple. Il nous a quitté trop tôt, hélas, pour observer comment cette âme fut manipulée au profit des gouvernants, qui se sont enrichis alors que le pauvre peuple devenait plus pauvre et que l'Iran, sous cette nouvelle forme de domination totalitaire qu'est l'islamisme, s'est engouffré dans la corruption, responsable du développement des maux sociaux. Aujourd'hui, le délire totalitaire autour de la oumma, une et unifiée, sous le drapeau de l'islam face au diable de l'Occident, vire au fascisme avec la revendication de l'anéantissement d'Israël, exprimant ainsi la profondeur de son antisémitisme par la volonté de la suppression de l'altérité juive.

    Mais cette guerre va de pair avec la terreur imposée aux musulmans eux-mêmes et justifiée par la sacralisation des discriminations entre les femmes et les hommes, entre les « bons » et les « mauvais » musulmans. Les mécanismes de la répression exigent la désignation permanente d'ennemis à supprimer. La machine de propagande totalitaire est dans une marche incessante de diabolisation des ennemis désignés et emploie habilement toutes les idéologies mobilisatrices du « sens » : populisme, anti-impérialisme, anti-occidentalisme, nationalisme.

    N'est-il pas vrai que beaucoup, dans les processus que nous avons évoqués plus haut, ont conclu une alliance objective avec les islamistes pour soutenir les intérêts des nations, des peuples et des dominés ? Tout comme beaucoup de dominants l'ont fait en vue d'intérêts économiques et politiques.

    Et voilà que le monstre est sorti de la bouteille.

    Une fois le monstre sorti de la bouteille, bien qu'il soit important de revenir sur ces processus, il ne faut cependant pas s'en contenter. Il est urgent de revenir sur les enjeux actuels qui placent la démocratie face à ce projet antidémocratique. Si nous constatons que c'est une lutte politique, il faudra bien prendre au sérieux la question des rapports de forces. Les islamistes constituent bel et bien de multiples tendances ; il existe bel et bien des contradictions en leur sein. Or, ce n'est que le renforcement des rangs des défenseurs de la démocratie qui les fera agir autrement que par des menaces de destruction. La démocratie, nous l'entendons comme un projet d'autonomie, est par essence antitotalitaire, car l'égalité des citoyens y constitue la base de l'autonomie collective. C'est dire que le devenir public est inséparable de l'autonomie individuelle et responsable constituant le citoyen libre. Chacun(e) est invité(e) aujourd'hui à défendre cette liberté responsable.

    Enfin, au nom de la responsabilité, certains avancent qu'il vaudrait mieux ne pas dépasser certaines lignes rouges avec l'islam pour ne pas provoquer les islamistes. Hélas, l'expérience dément cette prudence. Salman Rushdie fut condamné pour avoir exploré ce sujet dans la fiction, domaine du doute par excellence, alors que Taslima Nasreen fut condamnée pour avoir avancé ses convictions anticléricales et que beaucoup d'autres écrivains et artistes se sont trouvés sur la liste noire des islamistes tout en se déclarant croyants et musulmans de bonne foi. Il ne s'agit pas donc des lignes rouges de l'islam, mais du fait que les islamistes sont en train de mobiliser les ignorances, les haines et les peurs afin d'avancer leurs lignes stratégiques et politiques. La seule façon possible de les faire reculer est de tenir bon sur les principes démocratiques.

  • Soja : désinformation de la part de "Que Choisir"

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    Lettre de M. Hervé Berbille à :

    Mme Fabienne Maleysson - Que Choisir - 233 bd Voltaire - 75011 Paris

    Objet : votre article « Du soja et des dégâts » 

    Madame,

    Suite à l’article que vous avez publié (« Du soja et des dégâts ») paru dans le n° 441 de Que Choisir (octobre 2006), je vous prie de trouver ci-après quelques questions et remarques auxquelles je vous serais très reconnaissant et très obligé de bien vouloir répondre.

    1) Après avoir lu attentivement votre article, je n’ai trouvé aucune étude attestant d’un quelconque effet délétère chez l’homme, nourrissons compris. Aussi pourriez-vous me faire parvenir les références d’une ou plusieurs études scientifiques attestant de tels effets chez l’homme ?

    2) Vous indiquez que « les isoflavones pures (…) à partir de 73 g/jour (…) favorisent l’inflammation des vaisseaux sanguins ». J’attire au préalable votre attention sur le fait que cette quantité est considérable. Sachant qu’une gélule de traitement de la ménopause type Phyto-Soja© contient 35 mg d’isoflavones, il faudrait avaler 2085 gélules par jour pour obtenir cet effet inflammatoire. De même, en se basant sur vos propres mesures, il faudrait consommer plus de 128 kg de steaks de soja Gerblé© et plus d’une tonne de « yaourts » Sojasun© nature. Par ailleurs, comme vous indiquez que 200 g de tofu par jour correspondent à une « grande quantité », alors que penser de plus d’une tonne de soja par jour ?... Notez qu’à cette « dose » (plus d’une tonne par jour…), n’importe quel aliment, même l’eau potable, serait tout simplement mortel. Vous titriez pourtant en avril 2000, « Soja, l’important c’est la dose » : en l’espèce, on ne saurait mieux dire…

    3) Vous indiquez, je cite, que « l’engouement [pour le soja] repose sur des considérations peu rationnelles » : en quoi faut-il que les choix alimentaires soient dictés par des considérations « rationnelles » ? Pour des motifs religieux, par définition irrationnels, certaines personnes refusent de consommer du porc ou de la viande certain jour de la semaine : cela vous paraît-il également irrecevable ? Dans ces conditions, pourquoi les amateurs de soja devraient-ils se prévaloir d’un acte « rationnel » ?

    Par ailleurs, les bénéfices santé du soja sont reconnus officiellement en Malaisie, au Japon et aux Etats-Unis (au même titre que les fibres d’orge, les huiles d’olive et de colza par exemple : inutile donc d’invoquer le « lobby du soja »). Ce choix n’est donc peut-être pas aussi « irrationnel » que vous l’indiquez quand on sait par ailleurs que les maladies cardio-vasculaires constituent la première cause de mortalité en France. De même, rappeler comme vous le faites la forte progression de la production mondiale du soja ne plaide pas en faveur de votre thèse car elle traduit au contraire la forte progression de la consommation… de viande, puisque 90% du soja produit dans le monde est utilisé (gaspillé ?) pour l’alimentation animale (source : Arômes Ingrédients Additifs, Avril-Mai 2005, page 20).

    En outre, cette part accrue des protéines animales dans l’alimentation mondiale constitue un véritable désastre environnemental, je cite le rapport de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), « un des premiers responsables des problèmes d'environnement », soit une menace autrement plus sérieuse pour les générations futures que les très spéculatifs effets des isoflavones de soja (source : Le Monde, 05.12.06). En admettant qu'il existe un lobby du soja, il devrait se frotter les mains quand on consomme de la viande et du lait de vache, car la consommation animale rapporte beaucoup plus aux producteurs de soja que la consommation humaine.

    4) Vous volez au secours de la viande et des produits laitiers en dénonçant les « rumeurs persistantes accusant les produits laitiers de tous les maux ». Je remarque au préalable que vous reprenez à quelque chose près les termes de l’organisme chargé de la promotion des produits laitiers (Cidilait), je cite : « selon certaines rumeurs, le lait serait responsable d’au moins 60 à 70% des troubles rencontrés en médecine générale ». Pourtant, des études scientifiques publiées dans des revues faisant autorité (1 ; 2) mentionnent bel et bien un risque accru (+ 60%) de cancers ovariens chez les femmes consommant des produits laitiers, et ce pour de faibles doses (deux verres de lait par jour).

    Plus intéressant encore, cette étude cosignée par Serge Hercberg (3), qui indique un risque accru de cancers prostatiques, toujours lié à la consommation de produits laitiers et à des doses également faibles (un yaourt). Ce même Serge Hercberg préconise par ailleurs via le Plan National Nutrition Santé de consommer 3 laitages par jour : ne discernez-vous pas là une incohérence ? Et que dire lorsque vous vous répandez en louanges (in Que Choisir, janvier 2006) à propos des yaourts : à quels « effets bénéfiques » documentés faites-vous allusion ? Sachez qu’il existe des aliments à base de soja (Sojasun©, Senja©, etc.) apportant également des probiotiques, dont des lactobacilles, tout en protégeant des cancers prostatiques (4) quant à eux : pourquoi cela n’est-il pas rappelé dans votre article ?

    D’autre part, chez les nourrissons, de nombreuses études, dont certaines publiées dans le très prestigieux Lancet, établissent un lien entre exposition au lait de vache et le diabète de type 1 (Insulino-dépendant). D’autres études (5 ; 6), dont une publiée dans l’une des revues les plus cotées en neurosciences (Neurology) établissent un lien entre consommation de produits laitiers et un risque accru de la maladie de Parkinson. De son coté, le Pr. Walter Willet, Université de Harvard, considérée cette année encore comme la meilleure université du monde (classification de l’université Jiatong à Shanghaï), déclare : « En l’état des connaissances, il nous paraît irresponsable de faire la promotion des laitages comme on le fait dans de nombreux pays. » Enfin, le Centre international de Recherche sur le Cancer (OMS) a pris officiellement position (Communiqué de Presse, N° 165, OMS, 15 juin 2005) en indiquant, je cite, que l’on constate « une augmentation de 35% du risque de cancer colorectal chez les individus qui consomment les quantités les plus élevées de viande rouge et de préparations carnées, par rapport aux sujets en consommant le moins ». Même C. Bennetau reconnaît, je cite, les « facteurs cancérigènes de la viande », sans le moindre conditionnel (rapport CSHPF, 1996, p. 97).

    Considérez-vous que le Lancet, l’American Journal of Clinical Nutrition, Neurology, l’OMS, l’Université de Harvard et le Pr. Willet, voire C. Bennetau, soient des colporteurs de rumeurs, ou bien que leurs mises en garde devraient être prises en considération et portées à la connaissance du grand public, à commencer par une revue défendant les consommateurs ?

    5) Vous écrivez que « comparaison n’est pas raison » au sujet des effets bénéfiques du soja observés chez les Asiatiques et extrapolés chez les Occidentaux. Pourtant, tout votre argumentaire consiste à dire que les isoflavones de soja sont dangereuses chez l’homme à partir d’extrapolations portant sur les effets du trèfle chez des brebis, où l’on constate quelques effets, attribués de surcroît à d’autres composés (coumestanes), mais aucun réellement dangereux soit dit en passant. De plus, j’attire votre attention sur le fait que l’essentiel du soja (90%) est utilisé pour l’alimentation animale depuis plusieurs décennies, je vous cite d’ailleurs à ce sujet (in Que Choisir, avril 2000) « Bovins, porcs, poulets, poissons en ont (du soja) aujourd’hui [en fait l’utilisation du soja dans l’alimentation animale remonte bien avant avril 2000 !] au menu ».

    Or, à l’exception de quelques effets sur des poissons carnivores (truites et esturgeons, qui ne sont pas dans la nature de gros consommateurs de soja…), aucun effet négatif n’a été rapporté sur les autres animaux (vous avez d’ailleurs oublié les chevaux chez qui le soja n’a aucun effet) comme vous n’auriez probablement pas manqué de le souligner, ni en 2000, ni six ans plus tard, ce qu’atteste notamment la demande toujours plus forte pour le soja destiné à l’alimentation animale (à ce sujet, le forte progression des tonnages en soja que vous citez indique une forte progression de la consommation…de viande !).

    Aussi, puisque vous préférez vous baser sur des extrapolations animal/homme plutôt que de prendre en compte les effets constatés chez les Asiatiques depuis des millénaires (que je considère infiniment plus proches de l’homme occidental que les brebis…), pourquoi alors ne prenez-vous pas en considération le cas de ces animaux nourris massivement et sur plusieurs générations avec du soja, et non pas ceux nourris avec du trèfle ou de la luzerne, comme cela serait, me semble-t-il, plus logique ?

    De même, le soja est largement utilisé dans les aliments pour animaux de compagnie (chiens), sans que ceux-ci s’en portent plus mal (7). Enfin, les conclusions d’une récente étude publiée dans le très sérieux British Medical Journal (Perel P : “Comparison of treatment effects between animal experiments and clinical trials : systematic review.” BMJ, doi:10.1136/bmj.39048.407928.BE) devraient vous inciter à vous défier des extrapolations et comparaisons homme/animal, je cite : « Les auteurs concluent que les discordances entre les essais chez l’homme et les modèles animaux au fait que les modèles animaux ne reproduisent pas de façon adéquate la pathologie humaine. Ces discordances peuvent avoir une grande importance dans le développement de nouveaux médicaments ou de nouvelles techniques. C’est ainsi qu’on ne retrouve pas forcément en passant chez l’homme les résultats obtenus en pharmacologie animale, ce qui conduit à l’abandon de développements très coûteux. La mise au point de modèles animaux qui soient le reflet de la pathologie humaine est donc primordiale et les communications entre les chercheurs et les cliniciens doivent être améliorées. »

    6) Vous écrivez que le soja est « un produit à la mode dont on ne connaît pas grand-chose ». Pourtant, d’une part, en Asie où cette « mode » alimentaire remonte environ à 5.000 avant J.-C., le soja constitue depuis toujours la base alimentaire des Asiatiques, y compris pour plus de 80% des enfants de moins de 18 mois (8 ;9) ,ce qui contredit votre assertion selon laquelle les nourrissons asiatiques sont nourris avec des préparations à base de lait de vache : à ce sujet, merci de me communiquer l’étude sur laquelle vous vous appuyez. D’autre part, la consultation de la base de données utilisée par l’Afssa pour son rapport produit très exactement 33 935 études scientifiques aux mots clé « soy OR soybean ORisoflavones OR phyto-oestrogen ».

    D’où ma question : à partir de combien d’années, voire de millénaires, et d’études scientifiques considérerez-vous que l’on pourra statuer sur l’innocuité du soja ?

    7) Vous écrivez que les laits infantiles à base de soja (PPS) représentent 2,1% du marché. J’en déduis donc que les laits infantiles à base de lait de vache (PLV) représentent les 97,9% restants, soit l’écrasante majorité. D’autre part, le lait de vache contient, je cite J.M. Besle (Unité de Recherches sur les herbivores, INRA Site de Theix), « des isoflavones (…) sous une forme (= équol) qui pourrait être plus active que dans la plante d’origine » et par ailleurs, le lait de vache contient naturellement différentes hormones, dont des (véritables) oestrogènes « en grande quantité » et par définition 2000 fois plus puissants que les « phytooestrogènes », de l’IGF-1 une hormone de croissance considérée comme dopante par le Comité International Olympique et également impliquée dans les processus de cancérisation (10), de la leptine, impliquée dans le déclenchement des pubertés précoces, mais également des corticoïdes, de l’ocytocine (également cancérogène), etc.

    De plus, chez les nourrissons nourris aux laits infantiles à base de lait de vache, on retrouve de plus grandes quantités d’équol plasmatiques que chez les nourrissons nourris au lait infantile à base de soja (11). De plus, on ne trouve pas de forme actives (aglycones) d’isoflavones dans le plasma des nourrissons nourris aux PPS (12), à l’inverse des enfants nourris aux PLV. Si comme vous le laissez entendre, les phyto-oestrogènes sont « néfastes » et « pervers », ne serait-il pas alors plus judicieux de votre part de proclamer « pas de lait de vache dans le biberon » et de se préoccuper davantage des quantités réellement absorbées plutôt que des quantités ingérées ? De plus, le lait humain (13) contient naturellement des phyto-oestrogènes : allez-vous saisir la DGCCRF afin que les femmes allaitantes soient également soumises à une déclaration obligatoire des teneurs en phyto-oestrogènes de leur lait ?

    8) Ne voyez-vous pas une incompatibilité à dénoncer dans le même élan le « lobby du soja » ce qui, selon C. Bennetau, conduit à « gonfler les effets bénéfiques » du soja (in Que Choisir, avril 2000) et à interviewer cette même Catherine Bennetau, qui a fait financer ses travaux respectivement par deux entreprises agroalimentaires qui fabriquent des produits à base de soja (dont Arkopharma©) et mène une autre étude avec Danone© (14) ?

    Pour l’anecdote, en avril 2000, toujours dans votre propre revue, C. Bennetau se présentait en victime du « lobby du soja », je cite : « lorsque l’on souhaite travailler sur les effets pervers du soja, il est quasiment impossible de trouver des crédits ». En ce qui concerne les « troublantes incertitudes » de C. Bennetau sur le soja, celles-ci renvoient à l’étude effectuée par le Dr Brian Strom (15). Pourtant, les conclusions de cette étude sont les suivantes, je cite : « la consommation de préparations pour nourrissons à base de soja n’a pas de conséquences sur la santé ni sur la reproduction ». Aussi, interrogé au sujet de l’interprétation faite par C. Bennetau de son étude, il n’est guère étonnant que B. Strom déclare, je cite à nouveau : « Le Pr. Bennetau n’a pas compris nos résultats » et ajoute : « Rien ne nous permet de déconseiller l’utilisation de préparations de soja chez les enfants » (interview complète disponible surwww.lanutrition.fr).

    Le fait que C. Bennetau se permette, volontairement ou pas, une telle contrevérité ne devrait-il pas vous « inciter à la prudence », non pas tant vis-à-vis du soja, mais plutôt vis-à-vis de ses déclarations ? Ce d’autant plus que pour C. Bennetau « on aurait dû recueillir des données plus précises comme la concentration du liquide séminal en spermatozoïdes ». Or, de telles études ont été menées et concluent à une absence d’effet sur ce marqueur biologique précis (16), ni d’ailleurs sur les taux de testostérone. Toujours à partir d’extrapolations animal/homme, C. Bennetau laisse entendre que le soja peut « induire des perturbations du système reproducteur ». Mais, là encore, ni chez le nourrissons (17), ni chez l’adulte (18), de tels effets ont été observés, et ce pour les deux sexes.

    Autre troublante omission relevée : C. Bennetau semble ignorer, ou ne vous relate pas, que lors de la grossesse le foetus synthétise des protéines particulières (alpha-foetoprotéines) destinées à le protéger… des oestrogènes maternels, et qui agissent également sur les isoflavones de sorte que, même si ces dernières présentaient un quelconque danger, elles ne pourraient de toute façon agir sur le foetus. Et comme il fallait s’y attendre, cette récente étude (19) publiée par le National Cancer Institute américain (difficile de passer à coté pourtant, surtout quand comme C. Bennetau on se présente comme une « spécialiste mondiale dephyto-oestrogènes ») qui indique que consommer du soja dans l’enfance réduit de 58% le risque de survenue ultérieure de cancer du sein.

    9) Sur la base de vos propres mesures, 200 g de tofu, quantité selon vous à partir de laquelle s’observe « un effet bénéfique léger sur le cholestérol », apportent plus de 115 mg d’isoflavones. Par conséquent, il est impossible d’atteindre l’effet bénéfique sans « exploser » le plafond de votre propre « dose d’isoflavones à ne pas dépasser ». Aussi, comment expliquez-vous que 200 g de tofu produisent en même temps « un effet bénéfique léger sur le cholestérol (sanguin) » tout en favorisant des « effets néfastes pour les vaisseaux sanguins » ?

    10) Vous écrivez que les PPS dépassent la dose limite fixée à 1 μg/l pour les substances oestrogéniques. Or, sur la base d’analyses effectuées sur le lait de vache par le Laboratoire d'Etude des Résidus et Contaminants dans les Aliments (Ecole Vétérinaire de Nantes) (publiées dans Food Chemistry, 87, (2004) 275-281), les teneurs en phyto-oestrogènes atteignent jusqu’à 400 μg/l (moyenne 120 μg/l), auxquels il faut encore ajouter les oestrogènes et les différents Polluants Organiques Persistants (dioxines, PCBs, phtalates, etc.) qui se concentrent dans le lait et qui exercent un pouvoir oestrogénique autrement plus puissant que les phyto-oestrogènes. J’attire à nouveau votre attention sur le fait que parmi les phyto-oestrogènes accumulés dans le lait de vache, on trouve une prépondérance d’équol, un phyto-oestrogène environ 10 fois plus oestrogénique que les isoflavones natives : comme vous dites, « les chiffres parlent d’eux-mêmes ». Aussi, allez-vous également saisir la DGCCRF pour interdire les préparations pour nourrissons à base de lait de vache, sachant que ces préparations contiennent plus de 50% de lait, alors que celles à base de soja contiennent seulement 14% de protéines de soja purifiées (isolat) ?...

    Tant que vous y êtes, réclamez également l’interdiction des farines infantiles car les céréales peuvent contenir jusqu’à 7640 μg/kg de phyto-oestrogènes (lignanes). Reste que si votre demande aboutissait, elle conduirait mécaniquement à une interdiction des PLV (laits infantiles à base de lait de vache) pour les mêmes raisons, à savoir un « excès » de PO, et comme seules les PLV et les PPS (laits infantiles à base de soja) sont autorisées, avec quoi va-t-on nourrir les enfants qui ne sont pas allaités au sein ? Et encore, dans ce dernier cas, cela sera possible sous réserve que le lait maternel ne contienne pas de PO, auquel cas il faudra interdire aux femmes allaitantes de consommer des fruits et des légumes… et surtout des produits laitiers ! Je suis impatient de connaître la suite que donnera la DGCCRF à votre saisine.

    11) Toujours au sujet des hormones et phyto-oestrogènes présents ailleurs que dans le soja, en avril 2000 vous posiez la question de savoir « si les phyto-oestrogènes qu’ils [les animaux d’élevage] ingèrent se retrouvent (…) dans nos aliments ». En ce qui concerne les produitslaitiers, je vous réponds donc sans l’ombre d’un doute que tel est bien le cas. Mais dès lors, quelle(s) conclusion(s) en tirez-vous et quelles actions comptez-vous mener ? Suggérerez-vous d’étiqueter les teneurs en phyto-oestrogènes (PO) dans les produits laitiers comme vous l’exigez pour le soja, et seulement pour le soja ? Au demeurant, cela serait très pertinent car si le PNNS ne recommande pas de consommer du soja, en revanche, il incite fortement à la consommation de produits laitiers à raison d’un minimum de 3 par jour.

    Vous écrivez « Evitez aussi de les [steaks de soja] cumuler avec d’autres sources d’isoflavones ». Mais précisément, comment suivre un tel conseil si les consommateurs ne connaissent pas, d’une part les sources alimentaires d’isoflavones et, d’autre part, leur teneur ? Là encore, vous incitez implicitement à une extension de l’étiquetage des PO à l’ensemble des aliments. A ce sujet, je doute fort que l’industrie laitière, entre autres, goûte la plaisanterie, quand on sait qu’elle est récemment parvenue à faire enterrer le projet d’étiquetage des acides gras trans (cf. Revue Laitière Française, juin 2005, p. 6), molécules pourtant unanimement reconnues comme athérogènes et pro-oxydantes. Les acides gras trans, un autre sujet sur lequel « tout le monde s’assoit dessus », les associations de consommateurs comprises, alors qu’ils ne peuvent certainement pas se prévaloir, c’est le moins qu’on puisse dire, d’ « un effet bénéfique sur le cholestérol », fut-il « léger »…

    Dans le même ordre d’idée, les programmes de recherche européens Eden et Credo (12 mai 2005, Prague) tirent eux aussi le signal d’alarme au sujet de l’eau du robinet, que je n’ose appeler « potable », en dénonçant je cite « les milliers de substances hormonales » qu’elle contient (pesticides, détergents, médicaments, etc. NB : le soja n’est pas mentionné). Là encore, les deux multinationales qui détiennent le monopole de la distribution de l’eau en France vont sûrement soutenir avec enthousiasme votre saisine auprès de la DGCCRF. Bien que ne disposant pas de chiffres précis, je suis absolument certain qu’en France on consomme autrement plus d’eau que de « lait » de soja. Vous remarquerez à ce sujet que les PPS étant reconstituées avec environ 1 dose de poudre pour 10 doses d’eau, si des effets hormonaux sont un jour constatés chez les nourrissons, il y a de fortes chances qu’ils soient attribuables… à l’eau ! D’ailleurs, dans son rapport (rapport CSHPF, 1996, p. 101), même C. Bennetau indiquait qu’« il me paraît souhaitable de mettre en place des contrôles sur les matières premières susceptibles d’apporter des phyto-oestrogènes » et de citer notamment, outre le soja bien entendu, « les produits carnés et laitiers » : qu’en est-il de cette louable intention dix ans plus tard ? Plus généralement, pourquoi ne vous intéressez-vous pas aux (véritables) composants hormonaux (dont l'oestradiol 17 bêta, le plus puissant oestrogène naturel connu) contenus dans le lait de vache, et pourquoi pas dans l’eau, pourtant infiniment plus consommés que le soja ?

    12) Véronique Coxam indique que les isoflavones ne donnent pas de résultats probants dans la prévention de l’ostéoporose. Dont acte. Mais je suis néanmoins très surpris par cette déclaration car la même V. Coxam écrivait récemment (2003) : « Les phyto-oestrogènes méritent une mention spéciale [je cite…] parce que des données émergentes indiquent (…) qu’ils peuvent empêcher la perte osseuse » (20). Au sujet des effets hypocholestérolémiants du soja, elle s’enflamme littéralement en déclarant : « c’est désormais un fait scientifique reconnu ! » (in Consom’Action 2004, N°24, p. 7). Et enfin, V. Coxam rappelle dans le propos liminaire d’une de ses publications que « les phyto-oestrogènes sont des composés naturels avec des effets anticancéreux » (« Phytoestrogens arenatural compounds with anticancer effects ») (21). Quand on sait que les maladies cardio-vasculaires et les cancers constituent en France les deux premières causes de mortalité, pourquoi ces informations ne sont-elles pas portées à la connaissance de vos lecteurs ?...

    Vous noterez que ces propriétés anti-cancéreuses du soja, pour prendre cet exemple, ne sont pas attribuables au « lobby du soja » (ni au seul soja, citons des aliments aussi courants que les crucifères, les pommes, les tomates, les fraises, etc.) mais à V. Coxam elle-même pour qui, visiblement, les connaissances sur le sujet ne sont pas « insuffisantes ». Pour votre information, la FDA envisage d’étendre l’allégation portant sur les effets préventifs du soja contre les maladies cardio-vasculaires à la prévention des cancers. Enfin, un peptide extrait du soja (Lunasin™) est en cours d’évaluation pour un traitement extrêmement prometteur des cancers (il présenterait une efficacité équivalente aux chimiothérapies mais sans le moindre effet secondaire) (22).

    13) Vous écrivez que « les aliments à base de soja consommés en Asie et en Europe sont différents. Les Asiatiques mangent essentiellement du tofu (jus de soja caillé), du miso ou dunatto, alors que les Européens préfèrent, selon les pays, les produits céréaliers, les substituts de viande ou encore, comme en France, le lait (tonyu) ou les desserts à base de soja ».

    a) Les termes « lait de soja » et « tonyu » ou « jus de soja » désignent exactement le même aliment. Donc, opposer la consommation de tofu des Asiatiques et la consommation de « lait » de soja des Français ne semble pas pertinent puisque précisément le tofu n’est autre que du tonyu caillé, de surcroît plus concentré en isoflavones comme l’indiquent… vos propres mesures ! Ce qui ne vous empêche pas par ailleurs d’affirmer « qu’un Français particulièrement friand de produits à base de soja en avale davantage que la moyenne des Asiatiques » (je serais là aussi très curieux de connaître vos sources) ;

    b) Les Européens consomment également du miso, du natto et du tofu (vous avez testé du tofu commercialisé en France, j’en déduis qu’il doit y avoir quelques amateurs français pour ce genre de produit) et il suffit de vous rendre dans des magasins bio pour vous rendre compte de la diversité de l’offre pour l’ensemble de ces produits ;

    c) Les « substituts de viande » ne sont autres que des steaks de tofu aromatisé et donc ne diffèrent guère fondamentalement du tofu des Asiatiques : prenez donc la peine de lire l’étiquette des produits que vous avez vous-même testés, à savoir les « steaks » de soja Croque Tofu© Curry et Pavot (idem Gerblé©) qui contiennent essentiellement du tofu, comme leur nom le suggère assez fortement me semble-t-il : Ingrédients : tofu frais 65%, etc.

    d) Vous ne vous êtes visiblement pas aperçue que sur les huit aliments à base de soja testés par Que Choisir, trois sont fermentés (« yaourt » et « crème fraîche » Sojasun©, « yaourt » Senja©) et ce avec les mêmes ferments que pour le natto et le miso (Lactobacillus sp.), un autre n’est que du tofu (Bjorg©), 2 autres sont à base de tofu (steaks Gerblé© et Soy©), soit 75% de produits directement équivalents à ceux consommés selon vos dires, par les Asiatiques !

    e) Si l’on considère les desserts qui ne sont rien d’autre que du « jus de soja », ingrédient servant à fabriquer le tofu des Asiatiques, gélifié avec des extraits d’algues (par ailleurs très consommées par les Asiatiques…), cela porte l’équivalence à 100% ! Comment pouvez-vous donc affirmer que les formes alimentaires de soja consommées par les Asiatiques diffèrent significativement de celles des Occidentaux et modifient de ce fait les effets oestrogéniques ? Je n’ai rien trouvé dans la littérature à ce sujet, si ce n’est des études qui indiquent une meilleure absorption des formes actives des isoflavones (aglycones) (23) accumulées… dans le lait de vache !

    14) D’après vos analyses, le tofu, forme de soja consommée préférentiellement par les Asiatiques, apporte 57,6 mg d’isoflavones/100g, tandis que le « lait » de soja (Bjorg©) et les desserts (Bjorg© également), consommés selon vous préférentiellement par les Français, en apportent respectivement 18,88 mg/100g, soit trois fois moins, et 6,96 mg/100g, soit huit fois moins : comment expliquez-vous alors que les Français amateurs de soja « avalent » davantage d’isoflavones que les Asiatiques ? D’ailleurs, vous écrivez que les tofus contiennent de grandes quantités d’isoflavones (« on passe à la vitesse supérieure avec les tofus ») et comme (je vous cite à nouveau) « les Asiatiques mangent essentiellement du tofu », comment expliquez-vous alors « qu’un Français particulièrement friand de produits à base de soja en avale davantage (d’isoflavones) que la moyenne des Asiatiques » ?

    J’ajoute que votre assertion selon laquelle un Français amateur de soja « avale » davantage d’isoflavones est fortement contredite par C. Bennetau pour qui, au contraire, les Occidentaux en général « avalent » moins d’isoflavones que les Asiatiques, je cite : « « Le contenu en isoflavones des aliments à base de soja, mais de style occidental, est considérablement plus faible » (Rapport C. Bennetau remis au CSHPF, Les Phyto-oestrogènes, 1996, p. 47).

    15) Vous écrivez que « des scientifiques n’excluent pas que le métabolisme des ces populations (asiatiques) se soit, au fil des siècles, adapté à cette situation (consommation d’isoflavones) ». Pouvez-vous me citer au moins deux scientifiques qui adhèrent à cette hypothèse ? Sachez qu’elle est totalement battue en brèche notamment par l’étude « Okinawa » qui attribue essentiellement au soja la longévité et la bonne santé des habitants et exclut le facteur génétique. Je rapporte les propos d’un des auteurs de l’étude (Dr Bradley Willcox) : « Une bonne alimentation et une bonne hygiène de vie peuvent faire d’un individu qui n’a pas forcément les meilleurs gènes un centenaire ».

    Par ailleurs, C. Bennetau, à ma connaissance seule tenante de cette hypothèse (« Il se peut fort bien que dans les populations asiatiques se soit produite une sélection », in Que Choisir, avril 2000), a terminé très récemment une étude pour tenter de mettre en évidence le facteur génétique, ce en quoi elle a, sans surprise (24), totalement échoué. Dans votre article d’octobre 2006, vous appelez avec C. Bennetau à ce que « des études plus poussées » soient menées pour évaluer les effets du soja. Or, lorsque ces études sont réalisées, vous ne le prenez pas en compte : dès lors, à quoi bon émettre de telles doléances ?

    16) Vous attribuez la plus faible mortalité des femmes asiatiques à une introduction plus récente de la pilule contraceptive en Asie qu’en Occident. Or, précisément, ce type de contraception ne constitue pas un facteur de risque au moins en ce qui concerne le cancer du sein comme l’indique l’étude (Marchbanks et al., NEJM 346:2025-2032, Jun 27, 2002) publiée en 2002 dans le New England Journal of Medicine, la plus importante revue médicale nord-américaine, ce qui rend cette thèse peu crédible. Par ailleurs, cette étude a été également citée dans La Recherche (« La pilule innocentée »). Aussi suis-je  très étonné que ni vous, ni C. Bennetau, ni M. Gerber ne l’aient relevée et continuent à propager cette idée fausse. D’autre part, la pilule contraceptive protège contre les cancers ovariens : par conséquent, on devrait observer un taux plus faible chez les Occidentales, ce qui n’est pas le cas. Ceci s’explique surtout par :

    - un effet protecteur du soja, consommé par les Asiatiques, contre ce type de cancer (entre autres !) (25) ;

    - un possible effet inducteur du galactose contenu dans les produits laitiers, davantage consommés par les Occidentales (26).

    La littérature scientifique (limitée ici à quelques études…) réfute sans ambiguïté votre hypothèse : sur quoi vous êtes-vous appuyée ? Enfin, si les « amateurs de soja souvent ont du mal à admettre les effets néfastes du soja », c’est peut-être tout simplement parce qu’ils n’en constatent pas et qui est mieux placé qu’un amateur de soja pour constater ses hypothétiques effets néfastes ? A ce sujet, les fumeurs que je connais n’éprouvent pas, hélas pour eux, de difficulté à mesurer au quotidien les effets néfastes du tabac, et ce bien avant la survenue de l’accident fatal.

    D’autre part, on ne peut exclure à la consultation de revues scientifiques et médicales sérieuses l’hypothèse selon laquelle ces « effets néfastes » n’existent peut-être pas ailleurs que dans Que Choisir, car les études scientifiques mettent précisément en évidence un meilleur état de santé général des consommateurs de soja occidentaux (27).

    Autre contradiction relevée lorsque vous écrivez que « les nourrisson asiatiques reçoivent des préparations à base de lait de vache », à l’instar donc des nourrissons occidentaux (> 97% selon vos dires). Or, un peu plus loin, on peut lire que « les habitudes alimentaire (entre Occidentaux et Asiatiques) (…) sont très éloignées ». Au demeurant, entre autres études, celle publiée dans l’American Journal of Clinical Nutrition en 1998 (8) réfute totalement l’idée selon laquelle les nourrissons asiatiques sont nourris avec des préparations à base de lait de vache et indique au contraire une large prévalence du soja.

    Enfin, vous indiquez pour réfuter les effets protecteurs du soja que « le profil hormonal des femmes (asiatiques et occidentales) n’a rien à voir » en raison d’une utilisation plus ancienne et plus généralisée de la pilule contraceptive chez les Occidentales, à l’inverse des Asiatiques. Mais cette thèse est également réfutée par le fait que les effets protecteurs du soja s’observent de la même façon chez les individus de sexe masculin (28) qui n’utilisent pourtant pas ce type de contraception. Ainsi, le taux de cancers prostatiques est jusqu’à dix fois moins élevé chez les Asiatiques que chez les Occidentaux (29).

    17) Vous indiquez que vous allez saisir la DGCCRF au sujet des préparations pour nourrissons à base de soja (PPS). Or, je vous rappelle que la DGCCRF a déjà saisi l’Afssa qui dans son rapport (2005) indiquait que « chez les nourrissons nourris avec des préparations 1 (laits infantiles) pour nourrissons à base de soja (PPS), il n’a pas été observé jusqu’à présent de troubles particuliers. ». J’attire votre attention sur le fait que, comme son nom l’indique, la DGCCRF a vocation à réprimer les fraudes. Or, les PPS sont parfaitement légales et conformes en tous points aux législations française et européenne en vigueur. Je suis d’ailleurs très surpris lorsque M. Gerber déclare dans votre revue (octobre 2006) qu’ « une seule étude, aux Etats-Unis, a tenté de cerner les éventuels effets d’une alimentation au lait de soja dans l’enfance ». Pourtant, en consultant la même base de données que celle utilisée par l’Afssa, on obtient pas moins de 1327 études aux mots clé « soy OR soybean OR isoflavones OR phyto-oestrogens AND infant », parmi lesquelles deux études très représentatives (30 ; 15) qui furent publiées respectivement trois et quatre ans avant le rapport de l’Afssa.

    En ce qui me concerne, je ne parviens pas à comprendre comment ces deux études, publiées dans des revues aussi incontournables que le Journal of American Medical Association et le Journal of Nutrition, sans compter le supplément spécialement publié sur le sujet en décembre 1998 par l’American Journal of Clinical Nutrition, véritable institution en la matière, ont pu échapper à la vingtaine de membres de l’Afssa alors qu’elles étaient disponibles depuis plusieurs années dans la banque de données utilisée par l’Afssa. Quoiqu’il en soit, espérez-vous une nouvelle saisine de l’Afssa qui conclurait « bien que depuis 2005, de nouvelles études (30) et quatorze experts américains indépendants réunis par le National Toxicology Program (31) confirment l’innocuité du soja chez les nourrissons, nous allons néanmoins interdire les PPS, et ce à l’encontre des nombreuses données scientifiques disponibles, simplement afin de donner suite à une campagne de presse » ?

    18) L’Afssa pourra même ajouter « bien que le lait de vache provoque chez les nourrissons :

    - des lésions de l’ADN potentiellement cancérogènes (32 ; 33) ;

    - le diabète de type 1 (34) ;

    - l’hématémèse (35) ;

    - l’asthme (36) ;

    - l’obésité (due notamment à la présence de leptine dans le lait de vache (mais pas dans le soja…), une véritable hormone qui n’a pas l’air de beaucoup vous émouvoir, également mise en cause dans la survenue des pubertés précoces : intéressant lorsque l’on sait que vous accusiez précisément le soja de tels effets en avril 2000) (37) ;

    - des allergies (premier allergène alimentaire chez les nourrissons) ;

    - des intolérances au lactose, et soit très vraisemblablement impliqué dans :

    - la mort subite du nourrisson (implication de la bêta-lactoglobuline du lait de vache, une protéine totalement absente du lait humain… et du soja) (38) ;

    - la sclérose en plaque (39) ;

    - la transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (40) (ce qui au passage pourrait expliquer l’énigme de la contamination des animaux dits « naïfs »…) ;

    - les pertes sanguines intestinales (41) ;

    - la maladie de Crohn (42) (une « rumeur » colportée par le Lancet…) ;

    Bien entendu, vous avez parfaitement le droit de contester la validité de ces travaux, bien qu’issus de la même base de données de l’Afssa. Dans ce cas, je vous invite à adresser directement vos objections aux auteurs et/ou aux revues scientifiques et médicales cités à cet égard, en prenant bien soin de mentionner, comme c’est l’usage, les biais méthodologiques que vous aurez décelés, condition nécessaire pour que vos objections soient prises en compte. Dans le cas contraire, ne pensez-vous pas qu’il y ait là, sur la base de vos propres objections faites au soja, matière à « un droit d’inventaire », voire un « bannissement » du lait de vache ?

    19) Vous ironisez sur le slogan publicitaire de Sojasun© « si c’est du soja, vous avez le droit » qui, au demeurant, n’a rien de mensonger, le soja n’étant pas inscrit à ce jour sur la liste des produits stupéfiants. En revanche, l’industrie laitière ne se prive pas de communiquer sur les très hypothétiques effets santé de ses produits : Nestlé vante ses yaourts qui font maigrir alors que de leur côté, les études scientifiques indiquent au contraire un effet obésigène (43), y compris pour les produits laitiers à 0 % de MG. Pourquoi une association de consommateurs comme la vôtre ne dénonce-t-elle pas avec force cette publicité mensongère ?

    20) Pourquoi ne faites-vous pas appel lors de vos interviews à des scientifiques ayant étudié le soja chez l’homme et/ou à des toxicologues ? M. Gerber n’a jamais étudié le soja, ni chez l’homme, ni chez l’animal. V. Coxam a étudié essentiellement les effets du soja chez le rat et n’a jamais mis en évidence le moindre effet secondaire. La seule étude conduite chez l’homme indique une variabilité dans la production d’équol chez l’homme : y a-t-il là motif à susciter une inquiétude particulière ? C. Bennetau de son côté a participé (elle ne les a pas conduites) à seulement deux études chez l’homme (avec Danone, citée précédemment, et V. Coxam, soit deux études en tout et pour tout à elles deux réunies, et ce sur l’ensemble de leur carrière !) dont une qui conclut que le soja augmente la population intestinale en bactéries symbiotiques (Lactobacillus sp.) (14), soit effet bénéfique (appelé « prébiotique » et observé avec la plupart des aliments d’origine végétale au demeurant) ! Là encore, j’y vois pour ma part plutôt une incitation à consommer du soja... Vous reconnaissez d’ailleurs vous-même les effets bénéfiques des Lactobacilles. Aussi, sur la base des études menées chez l’homme par les personnes que vous interviewez, considérez-vous qu’il y ait réellement matière à vouer le soja aux gémonies ?

    21) Vous écrivez que « plusieurs travaux scientifiques suggèrent que les isoflavones pourraient affecter l’immunité ». Pourtant, après consultation des données disponibles on constate qu’elles indiquent un renforcement du système immunitaire par le soja (44), au même titre que l’ensemble des fruits et légumes (45 ; 46), inutile donc de vitupérer à nouveau contre le supposé « lobby du soja ». Néanmoins, pouvez-vous me communiquer au moins une référence correspondant à « plusieurs travaux » ?

    22) Je suis également très surpris de constater qu’à aucun moment, ni en avril 2000, ni en octobre 2006, vous ne rappeliez que le soja compte parmi les rares sources d’acides gras essentiels oméga-3, et pas davantage que :

    - le statut en oméga-3 de la population française, et ses conséquences sanitaires, sont des plus préoccupants puisque l’on consomme 0,5 à 0,7 grammes par jour pour 2 à 3 grammes requis ;

    - les sources alimentaires d’oméga-3 se comptent littéralement sur les doigts d’une main (huile de colza, soja, noix, mâche,…) ;

    - l’importance fondamentale des oméga-3 dans la prévention de la maladie d’Alzheimer, de certains cancers et surtout des maladies cardio-vasculaires, comme l’ont si brillamment démontré Serge Renaud et Michel de Lorgeril, les « inventeurs » du régime crétois.

    Dès lors, comment expliquez-vous que le terme « d’oméga-3 » ne soit même pas mentionné une seule fois dans deux articles consacrés au soja compte tenu de l’importance fondamentale de ces acides gras ?

    Plus étonnant encore, dans un autre n° de Que Choisir (mars 2002), vous reprochez cette fois-ci au soja de contenir « trop d’acides gras insaturés » (page 31). De toute ma carrière de scientifique, jamais je n’avais entendu une telle objection, surtout pour une source d’oméga 3 ! Par curiosité, demandez à Serge Renaud s’il pense que le soja contient « trop d’insaturés »... Cette objection est d’autant plus singulière que vous vantez dans ce même numéro les mérites de l’huile de colza (ô combien justifiés en l’occurrence...), pourtant infiniment plus riche en AG insaturés que le dessert au soja testé. A ce sujet, j’ai en mémoire la violente campagne de presse menée par vos confrères de 50 Millions de Consommateurs à l’époque qui réclamait, et obtint, la tête de l’huile de colza au prétexte qu’elle était dangereuse pour le coeur et ce sur la base d’expériences réalisées chez le rat chez lequel elle provoque des lésions cardiaques (au même titre que l’huile de maïs, de tournesol, etc. : petit détail « oublié » à l’époque par les détracteurs du colza…) et ce bien qu’aucune étude n’ait démontré à l’époque le moindre danger chez l’homme et, cela va sans dire, également par la suite. Vos confrères ont désormais bonne mine lorsque l’on sait qu’aux Etats-Unis cette huile peut officiellement revendiquer ses effets protecteurs… contre les maladies cardio-vasculaires !

    Cette campagne anti-colza aboutit à une surconsommation d’huile de tournesol en France, absolument désastreuse en termes sanitaires (augmentation du risque cardio-vasculaire, Alzheimer, cancer, etc.). Reste que cette lamentable affaire n’empêche pas votre confrère de vous emboîter le pas et de réclamer désormais, toujours aussi péremptoire, la tête du soja... Dans ce même n° de mars 2002, je constate que les produits laitiers échappent miraculeusement à une évaluation de leurs teneurs en Acides Gras trans au prétexte, pour le moins inattendu, que vous ignorez si les acides gras trans naturels ont des effets similaires aux AG trans industriels, il fallait y penser ! A ce sujet, questionnez n’importe quel lipochimiste, il vous confirmera que l’acide élaïdique (AG trans du lait… ou des huiles hydrogénées) est tout aussi athérogène que ses homologues industriels.

    23) Outre le lait de vache, la viande et l’eau déjà cités, les cosmétiques pour bébés (à l’exception des cosmétiques bio) constituent également une fenêtre d’exposition aux oestrogènes de synthèse (parabènes, cyclosiloxanes, etc.) (47) dont l’implication dans la survenue de cancers hormono-dépendants fait l’objet de fortes suspicions (48) et qui, en tout état de cause, sont autrement plus puissants que les isoflavones.

    A ce sujet, il n’est jamais rappelé dans vos articles que lors d’exposition à des oestrogènes forts, les PO peuvent atténuer leurs effets (effet anti-oestrogénique), ce qui explique notamment leurs effets anticancérogènes. Sachant que par ailleurs la diffusion de ces oestrogènes de synthèse par contact dermique est plus importante que par voie digestive, que cette exposition concerne la quasitotalité des nourrissons (à l’exception des rares bébés qui bénéficient des soins corporels bio), pourquoi ces risques, pourtant dûment documentés, ne sont-ils jamais mentionnés dans vos articles ? De son côté, l’ONG Greenpeace par exemple y consacre un guide complet (guide Cosmetox) : pourquoi une telle différence d’appréciation ?

    24) En avril 2000, vous écriviez : « les nourrissons ne devraient pas être nourris au lait de soja ». En octobre 2006, le conditionnel disparaît et la sentence tombe sans appel : « pas de soja chez les nourrissons ». On peut donc logiquement supposer qu’entre-temps des études mettant en évidence la dangerosité du soja sont apparues, contredisant au passage celles déjà disponibles en avril 2000. Or, en fait, les plus grandes revues scientifiques, dont des revues aussi prestigieuses que le Journal of Nutrition (49) et le Journal of American Medical Association (15), ont publié de nouvelles études confirmant la totale innocuité du soja chez les nourrissons, y compris à long terme, ce qu’admettait d’ailleurs clairement l’Afssa en 2005 (« chez les nourrissons nourris avec des préparations (laits infantiles) pour nourrissons à base de soja (PPS), il n’a pas été observé jusqu’à présent de troubles particuliers. »).

    De plus, je crois pouvoir avancer que si la moindre étude avait suggéré un quelconque effet délétère chez l’homme, vous n’auriez pas manqué de la mentionner dans votre article. Aussi, comment expliquez-vous que la production de nouvelles études concordantes quant à l’innocuité des PPS chez les nourrissons vous conduise paradoxalement à surenchérir dans vos mises en garde contre le soja ?

    Par ailleurs, vous critiquez vivement le commerce équitable (« Max Havelaar® : une marque qui veut se faire label », Que Choisir n° 436, avril 2006.), mais ne trouvez rien à redire au fait que Nestlé ait recours à l’esclavage des enfants dans ses plantations de cacao en Côte d’Ivoire (sources : ONG Global Exchange et Esclavage Encore, « Le goût amer du chocolat ») : le commerce équitable, même critiquable, n’est-il pas à tout prendre préférable à l’esclavage ? Et une nouvelle fois, pourquoi une telle indulgence vis-à-vis de Nestlé ?

    Beaucoup moins indulgente que vous, la fondation britannique Breakthrough Breast Cancer qui finance des travaux de recherches sur le cancer a refusé une subvention de Nestlé au motif que « Nestlé met en danger la vie des mères et des enfants en bas âge en encourageant la vente de lait pour bébé en poudre dans les pays en voie de développement » (50). De plus, vos articles figurent en bonne place sur le site Internet (51) des fabricants de pesticides et d’OGM (UIPP) qui se délecte de vos diatribes contre l’agriculture biologique dont le marché et les produits sont selon vous respectivement « gangrené par la fraude » et « parfaitement déséquilibrés tout en arborant le logo AB » : je n’ose vous demander ce que vous pensez du soja bio issu du commerce équitable (52).

    25) Pour conclure, j’éprouve la plus grande perplexité en constatant qu’un des membres de l’UFC, Robert Bréont, participe ès qualités, aux côtés de Silvy Auboiron (Danone), Léon Guéguen (INRA, Jouy-en-Josas) et membre du comité scientifique (sic) de Candia, Olivier Picot (Maison du lait), à une conférence destinée à promouvoir les produits laitiers (8 et 9 juin 2006, Les 8èmes entretiens de nutrition, Débat : « Les produits laitiers au coeur d’une polémique ? ») organisée par l’IFN, fondation financée par l’industrie laitière (Danone, Nestlé, fromageries Bel, Unilever, Kraft, Centre interprofessionnel de documentation et d'information laitières). L’UFC est-elle bien dans son rôle en participant à de telles opérations promotionnelles ?

    Restant à votre disposition pour toutes informations complémentaires et dans l’attente de vous lire, veuillez agréer, Madame, mes salutations distinguées.

    Hervé Berbille

    ___________

    Références :

    (1) Cramer DW et al. Galactose consumption and metabolism in relation to the risk of ovarian cancer. Lancet. 1989 Jul 8;2(8654):66-71.

    (2) Larsson SC et al. Milk and lactose intakes and ovarian cancer risk in the Swedish Mammography Cohort. American Journal of Clinical Nutrition. 2004 Nov ; 80(5):1353-7.)

    (3) Kesse E, Bertrais S, Astorg P, Jaouen A, Arnault N, Galan P, Hercberg S. Dairy products, calcium and phosphorus intake, and the risk of prostate cancer: results of the French prospective SU.VI.MAX (Supplementation en Vitamines et Mineraux Antioxydants) study. Br J Nutr. 2006 Mar;95(3):539-45.

    (4) Sonoda T et al. A case-control study of diet and prostate cancer in Japan: possible protective effect of traditional Japanese diet. Cancer Sci. 2004 Mar;95(3):238-42.)

    (5) Park M et al. Consumption of milk and calcium in midlife and the future risk of Parkinson disease. Neurology. 2005 Mar 22;64(6):1047-51.

    (6) Chade AR et al. Nongenetic causes of Parkinson's disease. J Neural Transm Suppl. 2006;(70):147-51.

    (7) Cerundolo R et al. Identification and concentration of soy phytoestrogens in commercial dog foods. Am J Vet Res. 2004 May;65(5):592-6.).

    (8) Quak SH, Tan SP. Use of soy-protein formulas and soyfood for feeding infants and children in Asia. Am J Clin Nutr. 1998 Dec;68(6 Suppl):1444S-1446S.

    (9) Messina M. Modern applications for an ancient bean: soybeans and the prevention and treatment of chronic disease. J Nutr. 1995 Mar;125(3 Suppl):567S-569S.

    (10) Probst-Hensch et al. (2003). Determinants of Circulating Insulin-like Growth Factor I and Insulin-like Growth Factor Binding Protein 3 Concentrations in a Cohort of Singapore Men and Women. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 12: 739-746.

    (11) Setchell KD et al. Exposure of infants to phyto-oestrogens from soy-based infant formula. Lancet. 1997 Jul 5;350(9070):23-7.

    (12) Huggett AC et al. Phyto-oestrogens in soy-based infant formula. Lancet. 1997 Sep 13;350(9080):815-6

    (13) Slavin JL. Phytoestrogens in breast milk--another advantage of breast-feeding? Clin Chem. 1996 Jun;42(6 Pt 1):841-2.

    (14) Isoflavones and Functional Foods Alter the Dominant Intestinal Microbiota in Postmenopausal Women. Thomas Clavel*,, Matteo Fallani*, Patricia Lepage*, Florence Levenez*, Jacinthe Mathey**, Violaine Rochet*, Michèle Sérézat*, Malène Sutren*, Gemma Henderson, Catherine Bennetau-Pelissero, Françoise Tondu, Michael Blaut, Joël Doré*,2 and Véronique Coxam** * Institut National de la Recherche Agronomique, Unité d’Ecologie et de Physiologie du Système Digestif, Jouyen- Josas, France; German Institute of Human Nutrition Potsdam-Rehbruecke, Department of Gastrointestinal Microbiology, Nuthetal, Germany; ** Groupe Ostéoporose, U3M, INRA Theix, Saint Genès-Champanelle,
    France; Unité Micronutriments, Reproduction, Santé, ENITA de Bordeaux, Gradignan, France; and Danone Vitapole, Nutrition and Health Research, Palaiseau, France

    (15) Strom BL et al. Exposure to soy-based formula in infancy and endocrinological and reproductive outcomes in young adulthood. JAMA. 2001 Aug 15;286(7):807-14.

    (16) Mitchell JH et al, Effect of a phytoestrogen food supplement on reproductive health in normal males, Clin Sc 2001;100:613-618.

    (17) Australia New Zealand Food Authority, Phytoestrogens - an assessment of the potential risks to infants associated with exposure to soy-based infant formula, March 1999.

    (18) Kurzer MS, Hormonal effects of soy in premenopausal women and men, J Nutr 2002;132:570S-573S.

    (19) Larissa Korde, National Cancer Institute, Frontiers in Cancer Prevention Research.

    (20) Coxam V. Prevention of osteopaenia by phyto-oestrogens: animal studies. Br J Nutr. 2003 Jun;89 Suppl 1:S75-85.

     

  • Martin Amis : le dernier des Mohicans

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    C’est l’écrivain britannique le plus haï. Alors qu’il publie en France un étincelant roman, Chien jaune, et un recueil d’essais où il règle des comptes, Guerre au cliché, Martin Amis est accusé, en Grande-Bretagne, d’être hostile à l’islam. Dans l’entretien exclusif qu’il a accordé à Didier Jacob, il se justifie.

    De notre envoyé spécial à Londres

    L’intelligence, une invention anglaise ? A lire Martin Amis, ce n’est même plus une question ; c’est l’évidence même. Faites une descente chez le premier libraire, ouvrez l’un des deux livres qu’il publie ces jours-ci. Il y a d’abord l’essai au titre sollersien, Guerre au cliché, qui réunit quelques-uns des articles les plus dévastateurs qu’Amis ait publiés dans la presse britannique. Dans le sulfurique, c’est même ce qu’on fait de mieux.

    Amis, qui voue un culte à Saul Bellow et à James Joyce, tient par exemple que Don Quichotte « souffre d’un assez gros défaut : celui d’une illisibilité totale ». Et, pour en finir avec le supposé chef-d’œuvre de Cervantès, il ajoute : « Le géant a un gigantesque problème de poids ; et il est vieux ; et il est gâteux. » Amis ne règle pas ses comptes : il règle son compte au genre humain. John Updike ? « Un nageur olympique dans une baignoire. » Philip Roth ? « Malgré la bêtise croissante des romans de Philip Roth depuis Portnoy et son complexe (1969), la qualité de son écriture n’a cessé de s’améliorer. » Norman Mailer ? « Mailer pense avec les pieds sur terre et écrit tout ce qui lui passe par la tête. Sa prose est émaillée de changements de vitesse, de changements de décor, de cris de ralliement venus du parterre autour du ring : non, oui, OK, frappe comme ça, méfie-toi par là, regarde plus loin, bien, mal, améliore l’expression. »

    On laisse au lecteur le soin d’imaginer ce qu’Amis met à Sagan, Crichton, Warhol ou encore Thatcher (« Femmes ! mais est-ce qu’elle en est vraiment une ? »). Une chose est sûre : ils dérouillent.

    Un seul individu, à notre connaissance, est cependant capable d’égaler Amis essayiste : c’est Amis romancier. Dans Chien jaune, il décrit une Angleterre au quarante-huitième dessous : un journaliste tocard, Clint Smoker, amant merdique qui habite dans une demi-maison « saturée de pornographie », travaille dans un tabloïd bas de gamme, et cherche à piéger un sportif au bout du rouleau et à le photographier tandis qu’il couche avec une sous-call-girl et cogne sur une ex-petite amie. Ancien acteur, fils de gangster dont il a hérité de la sauvagerie, Xan Meo, lui, reçoit un jour un coup de matraque sur la tête, et il ne s’en remet pas : il devient fou de sexe, veut coucher avec sa femme et avec toutes les autres femmes. Pendant ce temps,on fait chanter Henry England, le roi d’Angleterre : sa fille, la princesse Victoria, a été filmée nue dans sa baignoire et la vidéo commence à circuler sur internet. England n’est pas en reste : il couche avec la fille de l’ambassadeur de Chine, une arrière-petite-fille de concubine impériale.

    Chien jaune ? C’est la société britannique mise à nue par ses vicelards, même.L’auteur le plus haï du Royaume-Uni s’était exilé, pendant quelques années, en Amérique du Sud. Il vient de se réinstaller à Londres, au premier étage d’une jolie maison, près de Notting Hill. Intérieur paisible. Œuvres d’art, livres. On attendait un bulldog ; c’est un homme doux, affable, mais qui a toujours le doigt sur la formule. Il vient de publier, dans la presse anglaise, un article sur « l’horreurisme ». Et a été accusé en retour, dans le New Statesman, de considérer l’islam comme un danger pour la civilisation occidentale. Explications (lire l’intégralité de l’entretien dans le blog de Didier Jacob cette semaine).

    Le Nouvel Observateur. – Comment votre roman, Chien jaune, a-t-il été accueilli en Grande-Bretagne ?

    Martin Amis. – D’une façon très hostile. Je n’ai pas souvenir qu’un livre, dans l’histoire littéraire récente, ait suscité des réactions aussi violentes. Et je ne parle pas seulement de la presse, mais de n’importe quelle personne armée d’un stylo. Ils faisaient tous la queue pour me démolir.

    N. O. – Vous ne viviez plus en Grande-Bretagne alors ?

    M. Amis. – Je viens de m’y installer de nouveau. J’ai trouvé le pays encore plus mal en point aujourd’hui. On n’y comprend plus la plaisanterie. Pourquoi cette déchéance ? Je me demande si les Anglais n’aiment pas au fond se rabaisser. Il y a une raison historique à cela. Nous avons perdu notre influence, après la Seconde Guerre mondiale, mais nous ne nous sommes jamais considérés comme une nation humiliée. Du coup, ces blessures demeurent, dans l’inconscient de la nation. L’ascension et la chute des peuples provoquent de grands traumatismes.

    N. O. – La France aussi n’a-t-elle pas été humiliée ?

    M. Amis. – Ça a été même pire. Les Français ont eu à récrire la réalité de la collaboration et à en faire une histoire de la Résistance. Il n’est pas très facile de se débrouiller avec Pétain, Vichy, la déportation de 70 000 juifs… La France doit donc se relever de plus d’humiliation encore.

    N. O. – Vous n’avez jamais entretenu de très bonnes relations, ni avec la presse ni avec vos compatriotes.

    M. Amis. – C’est vrai. Cela vient peut-être de mon père [l’écrivain Kingsley Amis]. Je suis une sorte de prince Charles ! Mais j’ai publié, dernièrement, un livre qui a été mieux accueilli. Je peux donc dire que la Grande-Bretagne m’aime à nouveau. La vérité, c’est que je ne suis pas en phase avec l’idéologie dominante, qui se nourrit de mots en isme : le « démocratisme », l’égalitarisme, le politiquement correct, une notion d’ailleurs française, à l’origine. Merci beaucoup à la France pour cette heureuse contribution ! Rien ne peut s’opposer, en tout cas, à ce rouleau compresseur idéologique. La démocratie universellement célébrée, comme un ragoût éternellement cuit et recuit. La seule chose qui pourrait nous sauver serait un crash financier. Car ce démocratisme est une idéologie de riches, une idéologie des bons moments. Jamais ce type de discours n’aurait pu se développer pendant la Grande Dépression. On se berce d’illusions. On vit dans un monde de faux-semblants.

    N. O. – On vient de vous accuser, dans un journal britannique, de détester l’islam. Qu’en est-il exactement ?

    M. Amis. – Une chose est sûre, c’est que les gens, ici, font des courbettes au Pakistan et à l’islam de manière éhontée. Nous en avons tellement peur. L’été dernier, des gens dans la rue, issus des classes moyennes blanches, défilaient avec des banderoles où on pouvait lire : « Nous sommes tous du Hezbollah. » C’était leur réaction à la guerre au Liban, une réaction qui tournait notoirement à l’antisémitisme. Eh bien qu’ils en profitent tant qu’ils le peuvent, parce que le leader du Hezbollah a dit clairement ce qu’il comptait faire de nous. Nous éliminer. Tout comme les djihadistes. Pour ajouter à tous ses charmes, l’islamisme est également impérialiste. Il veut dominer le monde. Mais il y a encore des gens qui ont si peur d’offenser, et qui sont si naïfs, qu’ils s’interrogent sur les raisons de cet impérialisme. La réponse est simple, mais peu de gens ici sont encore parvenus à cette conclusion. C’est que nous avons affaire ici à quelque chose qui n’obéit pas à la raison. Il ne s’agit même pas de se venger d’un crime passé. L’islamisme est millénariste, apocalyptique, totalitaire. Et ça, les gens ne s’y font pas. Ils sont si habitués à penser qu’ils ont tort, parce qu’ils sont blancs, ou britanniques. Et ils ont peur.

    N. O. – Mais que reprochez-vous à l’islam ?

    M. Amis. – Ce qui est magnifique avec l’islam, c’est sa sévérité. Les autres religions se contentent de demander à leurs fidèles d’aller prier une ou deux fois par semaine. Et c’est bon. L’islam, c’est autre chose. L’islam vous suit partout, au salon, à la cuisine, dans la chambre à coucher. Vous n’êtes jamais seul avec l’islam. Vous devez tourner le dos à La Mecque quand vous déféquez. C’est une religion très peu souriante.

    N. O. – Votre roman, Chien jaune, montre une Grande-Bretagne saturée de pornographie.

    M. Amis. – Le sujet du livre, c’est « l’obscénification » de la vie ordinaire. La pornographie est maintenant à la surface. Les esprits sont devenus tellement plus sales que par le passé. Et pourtant je pense que l’ère de la pornographie n’a même pas commencé. Il n’est pas absurde de dire que l’éducation sexuelle de nos enfants est maintenant prise en charge par la San Fernando Valley [où l’industrie pornographique prospère aux Etats-Unis].

    N. O. – Vous vous sentez meilleur écrivain aujourd’hui qu’à vos débuts ?

    M. Amis. – Sans doute. Je perds moins de temps. Autrefois, je pouvais passer des heures à me heurter à un mur sans pouvoir trouver de solution. A présent, je m’assois dans un fauteuil, et je lis un livre. Quand au bout de quelques heures, ou de quelques jours, mes pieds m’emmènent d’eux-mêmes à mon bureau, c’est que je suis enfin prêt. Les écrivains expérimentés savent comment utiliser leur énergie sans la dilapider bêtement.

    N. O. – Vous travaillez à un nouveau roman ?

    M. Amis. – J’écris un roman très autobiographique, un peu à la manière de Saul Bellow. Nous étions très amis. Bellow a porté le genre à un degré que nul n’avait encore réussi à atteindre. C’est la première fois qu’on touchait à ce point à l’universel en portraiturant des personnes individuelles. J’écris donc un roman sur un écrivain qui écrivait des romans. Ça montre que l’école postmoderne n’est pas complètement morte.

    N. O. – Il me semble que le postmoderne n’est pas très apprécié en Grande-Bretagne…

    M. Amis. – C’est vrai. Il y a donc des chances que je sois de nouveau détesté ici…

    Chien jaune, par Martin Amis, traduit de l’anglais par Bernard Hoepffner, Gallimard, 504 p., 22,50 euros. Egalement chez le même éditeur, Guerre au cliché, traduit de l’anglais par Frédéric Maurin, 510 p., 27,50 euros. Né le 25 août 1949 à Cardiff, Martin Amis a été rédacteur en chef de l’hebdomadaire New Statesman. Il a publié une quinzaine de livres dont London Fields, L’Information, Expérience. Il écrit régulièrement des articles dans la presse britannique.

    Didier Jacob

    Le Nouvel Observateur - 2200 - 04/01/2007

    http://livres.nouvelobs.com/parutions/p2200/a2200_131.html

  • Soutien à Robert Redeker

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    Pétition de soutien en faveur de Redeker :

    http://www.petitionredeker.info/index.php?petition=2&pour_voir=oui&lettre=16

    Le texte par quoi le scandale arriva :

    Voici le texte intégral du philosophe et enseignant Robert Redeker * publié sous forme de tribune dans Le Figaro du 19 septembre 2006 sous le titre "Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ?".

    « Les réactions suscitées par l’analyse de Benoît XVI sur l’islam et la violence s’inscrivent dans la tentative menée par cet islam d’étouffer ce que l’Occident a de plus précieux qui n’existe dans aucun pays musulman : la liberté de penser et de s’exprimer.

    L’islam essaie d’imposer à l’Europe ses règles : ouverture des piscines à certaines heures exclusivement aux femmes, interdiction de caricaturer cette religion, exigence d’un traitement diététique particulier des enfants musulmans dans les cantines, combat pour le port du voile à l’école, accusation d’islamophobie contre les esprits libres.

    Comment expliquer l’interdiction du string à Paris-Plages, cet été ? Étrange fut l’argument avancé : risque de «troubles à l’ordre public». Cela signifiait-il que des bandes de jeunes frustrés risquaient de devenir violents à l’affichage de la beauté ? Ou bien craignait-on des manifestations islamistes, via des brigades de la vertu, aux abords de Paris-Plages ?

    Pourtant, la non-interdiction du port du voile dans la rue est, du fait de la réprobation que ce soutien à l’oppression contre les femmes suscite, plus propre à « troubler l’ordre public » que le string. Il n’est pas déplacé de penser que cette interdiction traduit une islamisation des esprits en France, une soumission plus ou moins consciente aux diktats de l’islam.

    Ou, à tout le moins, qu’elle résulte de l’insidieuse pression musulmane sur les esprits. Islamisation des esprits : ceux-là même qui s’élevaient contre l’inauguration d’un Parvis Jean-Paul-II à Paris ne s’opposent pas à la construction de mosquées. L’islam tente d’obliger l’Europe à se plier à sa vision de l’homme.

    Comme jadis avec le communisme, l’Occident se retrouve sous surveillance idéologique. L’islam se présente, à l’image du défunt communisme, comme une alternative au monde occidental. À l’instar du communisme d’autrefois, l’islam, pour conquérir les esprits, joue sur une corde sensible.

    Il se targue d’une légitimité qui trouble la conscience occidentale, attentive à autrui : être la voix des pauvres de la planète. Hier, la voix des pauvres prétendait venir de Moscou, aujourd’hui elle viendrait de La Mecque ! Aujourd’hui à nouveau, des intellectuels incarnent cet oeil du Coran, comme ils incarnaient l’oeil de Moscou hier. Ils excommunient pour islamophobie, comme hier pour anticommunisme.

    Dans l’ouverture à autrui, propre à l’Occident, se manifeste une sécularisation du christianisme, dont le fond se résume ainsi : l’autre doit toujours passer avant moi. L’Occidental, héritier du christianisme, est l’être qui met son âme à découvert.

    Il prend le risque de passer pour faible. À l’identique de feu le communisme, l’islam tient la générosité, l’ouverture d’esprit, la tolérance, la douceur, la liberté de la femme et des moeurs, les valeurs démocratiques, pour des marques de décadence.

    Ce sont des faiblesses qu’il veut exploiter au moyen « d’idiots utiles », les bonnes consciences imbues de bons sentiments, afin d’imposer l’ordre coranique au monde occidental lui-même.

    Le Coran est un livre d’inouïe violence. Maxime Rodinson énonce, dans l’Encyclopédia Universalis, quelques vérités aussi importantes que taboues en France. D’une part, « Muhammad révéla à Médine des qualités insoupçonnées de dirigeant politique et de chef militaire (...) Il recourut à la guerre privée, institution courante en Arabie (...) Muhammad envoya bientôt des petits groupes de ses partisans attaquer les caravanes mekkoises, punissant ainsi ses incrédules compatriotes et du même coup acquérant un riche butin ».

    D’autre part, « Muhammad profita de ce succès pour éliminer de Médine, en la faisant massacrer, la dernière tribu juive qui y restait, les Qurayza, qu’il accusait d’un comportement suspect ».

    Enfin, « après la mort de Khadidja, il épousa une veuve, bonne ménagère, Sawda, et aussi la petite Aisha, qui avait à peine une dizaine d’années. Ses penchants érotiques, longtemps contenus, devaient lui faire contracter concurremment une dizaine de mariages ».

    Exaltation de la violence : chef de guerre impitoyable, pillard, massacreur de juifs et polygame, tel se révèle Mahomet à travers le Coran.

    De fait, l’Église catholique n’est pas exempte de reproches. Son histoire est jonchée de pages noires, sur lesquelles elle a fait repentance. L’Inquisition, la chasse aux sorcières, l’exécution des philosophes Bruno et Vanini, ces mal-pensants épicuriens, celle, en plein XVIIIe siècle, du chevalier de La Barre pour impiété, ne plaident pas en sa faveur.

    Mais ce qui différencie le christianisme de l’islam apparaît : il est toujours possible de retourner les valeurs évangéliques, la douce personne de Jésus contre les dérives de l’Église.

    Aucune des fautes de l’Église ne plonge ses racines dans l’Évangile. Jésus est non-violent. Le retour à Jésus est un recours contre les excès de l’institution ecclésiale. Le recours à Mahomet, au contraire, renforce la haine et la violence. Jésus est un maître d’amour, Mahomet un maître de haine.

    La lapidation de Satan, chaque année à La Mecque, n’est pas qu’un phénomène superstitieux. Elle ne met pas seulement en scène une foule hystérisée flirtant avec la barbarie. Sa portée est anthropologique. Voilà en effet un rite, auquel chaque musulman est invité à se soumettre, inscrivant la violence comme un devoir sacré au coeur du croyant.

    Cette lapidation, s’accompagnant annuellement de la mort par piétinement de quelques fidèles, parfois de plusieurs centaines, est un rituel qui couve la violence archaïque.

    Au lieu d’éliminer cette violence archaïque, à l’imitation du judaïsme et du christianisme, en la neutralisant (le judaïsme commence par le refus du sacrifice humain, c’est-à-dire l’entrée dans la civilisation, le christianisme transforme le sacrifice en eucharistie), l’islam lui confectionne un nid, où elle croîtra au chaud.

    Quand le judaïsme et le christianisme sont des religions dont les rites conjurent la violence, la délégitiment, l’islam est une religion qui, dans son texte sacré même, autant que dans certains de ses rites banals, exalte violence et haine.

    Haine et violence habitent le livre dans lequel tout musulman est éduqué, le Coran. Comme aux temps de la guerre froide, violence et intimidation sont les voies utilisées par une idéologie à vocation hégémonique, l’islam, pour poser sa chape de plomb sur le monde.

    Benoît XVI en souffre la cruelle expérience. Comme en ces temps-là, il faut appeler l’Occident «le monde libre» par rapport à au monde musulman, et comme en ces temps-là les adversaires de ce «monde libre», fonctionnaires zélés de l’oeil du Coran, pullulent en son sein. »

    * Robert Redeker est philosophe. professeur au lycée Pierre-Paul-Riquet à Saint-Orens de Gammeville. Prochain ouvrage à paraître: "Dépression et philosophie" (éditions Pleins Feux).

    http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/20061003.OBS4398/

  • Silence, on assassine

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    Pour les noctambules téléphages, l'émission Tracks diffusée par Arte offre un exact reflet de l'Occident moderne tel qu'il ne va plus, abonné aux "performances" et autres "expériences-limites" propres à l'art contemporain, et flanqué de la Déesse Perversion en guise de grande ordonnatrice.

     

    Ainsi apprenait-on hier soir la tenue d'une exposition de "porn art" (dans le vaste Néant il y a toujours de la place pour tout) à Pigalle, haut-lieu parisien qui voit chaque jour débarquer son lot de sous-hommes en mal de sensations fortes et de perversions en tout genre.

     

    Et la dignité humaine là-dedans ?

     

    Évacuée, au même titre que l'Art et la Beauté.

     

    Piétinée. Assassinée. Et sans aucun remords, avec délectation même. Avec férocité, avec jubilation. Et morgue. Et défi.

     

    Se battre, jusqu'à la mort, pour que l'homme ne s'avilisse pas, y compris contre sa volonté : telle doit être notre ambition et tel doit être notre devoir. 

     

    On a pu découvrir au cours de l'émission une "performeuse" québécoise dont je tairai le nom à dessein, jeune femme d'une vingtaine d'années en slip et soutien-gorge coiffée d'une tête de truie, des traces de sang partout sur le corps, faisant irruption parmi les visiteurs de l'exposition. Cette "artiste" réalise également des portraits d'elle-même, des photographies où on la voit, toujours avec sa tête de truie, en cage et tenant un long couteau de boucher.

     

    La chair est triste, décidément, alors qu'elle est pourtant si belle, une fois débarrassée des profanateurs et des scories qui la salissent, fruits hideux aussi bien du puritanisme que de la débauche (mais nous savons bien que les deux vont ensemble).

     

    Voilà, sans doute, tout ce qu'il faut haïr de la Modernité. Voilà tout ce qui, en elle, est dangereux et qu'il faut combattre, farouchement. Il est impératif de se dresser contre ceux qui veulent, en se réduisant, réduire l'humain à rien, à moins que rien.

     

    Impératif de faire barrage à ceux qui, en assassinant la dignité de l'homme, assassinent l'homme lui-même. 

  • "La grande tribu des hommes petits : retour sur le meurtre de Sohane Benziane" (Méryl Pinque)

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    LA GRANDE TRIBU DES HOMMES PETITS :

    retour sur le meurtre de Sohane Benziane

     

    « Vos femmes sont pour vous un champ de labour : allez à votre champ comme vous le voudrez. » (II, 223)

    «  Les hommes sont supérieurs aux femmes [...]. Vous réprimanderez celles dont vous avez à craindre la désobéissance ; vous les relèguerez dans des lits à part, vous les battrez. » (IV, 38)

    « Abaissez un voile sur leur visage. » (XXXIII, 57)

    Le Coran


    « Le poil est une trace, un marqueur, un symbole. De notre passé d'homme des cavernes, de notre bestialité, de notre virilité. De la différence des sexes. Il nous rappelle que la virilité va de pair avec la violence, que l'homme est un prédateur sexuel, un conquérant. »

    Éric Zemmour


    « Ben quoi, ils ont juste cramé une fille. »

    Un jeune des cités


    « La "proclamation phallique" est un signe de désarroi, d'anxiété et d'incertitude. Alors que toutes les valeurs s'effondrent, jouir est une certitude qui vous reste. [...] Plus l'intelligence se sent impuissante à résoudre et à s'imposer, et plus le coït devient l’ersatz de solution. »

    Romain Gary

     

    Le 5 octobre 2002, un jeune homme aux mains calcinées se présentait aux portes de l’hôpital Pitié-Salpêtrière.

    Parmi les infirmières de garde présentes ce jour-là, il en fut une, admirablement perspicace, qui ne tarda pas à établir le rapprochement entre ce patient et le criminel dont toute la presse parlait depuis vingt-quatre heures, qui se serait brûlé la veille en immolant - banal plaisir tôt voué au frelatage, le point d’inévitabilité éjaculatoire étant sans cesse différé sous l’action conjuguée de la pornographie et de l’ultraviolence omniprésentes - une jeune fille dans un local à poubelles de Vitry-sur-Seine.

    Ayant fourni son signalement à la police, l’infirmière fut accusée de délation par sa hiérarchie et sommée de comparaître devant le Conseil de service pour non respect du secret professionnel.

    Le jour même où Sohane Benziane fut brûlée vive, un autre crime, raciste celui-là, avait lieu à Dunkerque, mobilisant cette fois l’ensemble de la classe politique.

    Les « délateurs » furent, ici, chaudement félicités. Quant à notre infirmière, elle s’en sortit sans autre dommage, mais cette anecdote reste emblématique du malaise national.

    Ainsi la France condamna-t-elle, unanime, Joël Damman, le meurtrier de Mohamed Meghara, fauché, comme Sohane, en pleine jeunesse, à dix-sept ans.

    Rien de plus normal, dira-t-on, que cette saine réaction devant l’abject.

    L’on était cependant en droit d’attendre, au nom de nos beaux principes républicains, de notre attachement viscéral au Bien, de notre foi inébranlable en notre insurpassable espèce, laquelle, n’en doutons pas, finira par triompher d’elle-même et renaître de ses cendres puisque, selon l’unique formule sacrée ornant les frontispices de nos cités, elle le vaut bien, au moins autant de vert courroux, de fraternelle communion, de franc sursaut civilisateur de la part de ces nobles âmes en révolte, de ces vigilances du cœur armé, de ces chœurs pathétiques si prompts à s’émouvoir, face au meurtrier de Sohane, j’ai nommé Jamal Derrar, alias « Nono », digne fleuron de certaine mâle jeunesse des quartiers dont on attend tout désormais, y compris qu’ils nous consument, qu’ils revirilisent, ensemencent et peuplent la France à venir d’un même puissant et solide coup de reins.

    Nono, un homme un vrai, le sauveur de ces messieurs en débandade, le messie zemmourien, que l’on ne saurait élire tout à fait mais sur lequel on louche, quand même, avec envie, dans nos solitudes d’homoncules frustrés, parce que ce sera toujours, bêtement, de pouvoir qu’il s’agira.

    Nono, qui savait se faire respecter des femmes forcément inférieures, là-bas, sur les rivages des banlieues proches et lointaines, aussi magnifiques, barbares et fascinantes que les jungles d’émeraude de Kurtz, à la force du vit, de l’allumette et du poing.

    Nono, la résurgence d’un très vieux fantasme, un rêve de pierre, de sperme et de sang, un berserk ressuscité poussé à l’ombre des barres grises, un mec qui avait « des couilles » enfin, puisque tout semble se réduire à ça.

    Bref, un dur, qui détenait peut-être, allez savoir, intact, le principe de cette virilité fabuleuse toujours-déjà menacée, sans cesse à prouver, à reconduire, à valider en un mouvement perpétuel de surenchère, jusqu’à remettre au goût du jour de vieux usages perdus, par exemple, la condamnation des femmes au bûcher[1].

    Nono, ou l’islam au secours du mâle occidental. Foi de Malek Chebel :

    « Je suis toujours surpris par la force de conviction des chrétiens convertis à l’islam. Qu’est-ce qu’ils y trouvent ? Une virilité et une sécurité qu’il n’y a plus dans le christianisme[2]. »

    Mais cela, pour qui maîtrise son sujet – et je me targue de le connaître assez bien - n’est hélas qu’évidence.

    Et Sohane dans tout cela ?

    Le spectacle qu’offrit la France au lendemain du drame est éloquent.

    Robert Badinter, d’abord, qui ne trouva rien de mieux que d’opérer devant Alain Duhamel une gradation abjecte des meurtres qui venaient d’être commis (mais il faut dire qu’il est, avec Élisabeth déroutée[3], à bonne école), jugeant, après avoir évoqué l’assassinat de la jeune fille, « plus important encore » le crime raciste, sans seulement voir, puisque enfin l’on est tenu désormais d’ajouter quelque épithète consacrée, qu’il faut encore mettre celle-ci partout, et qualifier donc le meurtre de Sohane de sexiste, comme le souligna avec force l’avocat général  Jean-Paul Content.

    Jean-Pierre Raffarin, ensuite, alors Premier ministre, auteur d’un vibrant hommage à la mémoire du jeune Meghara suivi d’une minute de silence à la mosquée de Dunkerque, pendant que Sarkozy réunissait autour de lui les principaux représentants de la communauté musulmane.

    C’est en vain que l’on attendit, pour Sohane, pareil déploiement de sympathie.

    Le petit monde médiatique enfin, qui ne s’en sortit pas mieux : un journal télévisé de l’époque consacra dix minutes à l’agression du maire de Paris[4], cinq à Meghara, trente secondes à Benziane.

    Certes, et c’est terrible à dire, la valeur d’une femme reste toujours moindre que la valeur d’un homme, y compris dans notre bel Occident démocratique pétri de principes humanisants.

    « Ce n’est rien, ce n’est qu’une femme qui se noie », pouvait écrire ainsi La Fontaine, dont l’amende honorable (« ce sexe vaut bien que nous le regrettions, puisqu'il fait notre joie ») fleure plus encore cette misogynie bon teint qui s’épanouit partout.

    Les plus grands esprits, lorsqu’ils se mettent à parler des femmes, ou, pis, de la femme, en bien ou en mal d’ailleurs, comme s’il s’agissait de quelque espèce à part, vile ou idéale, à la lisière de l’humanité toujours, où l’une serait peu ou prou la copie conforme de l’autre (il est vrai que Pygmalion fabrique Galatée à la chaîne), excepté quelques différences anatomiques extensivement détaillées, deviennent ces non-esprits creux, vulgaires et radoteurs, ces parfaits clones dénués du plus petit atome d’intelligence, condamnés aux poncifs, aux théorèmes vaseux et aux plaisanteries de caserne.

    Pourtant ces matamores pathétiques, qui ont aujourd’hui pour nom Eric Zemmour ou Alain Soral (je ne cite que les plus médiatiques d’entre eux) sont sûrs de remporter, comme hier, tous les suffrages.

    Zemmour. Soral.

    Les mâles alpha.

    Les frères ennemis.

    Nos glorieux hommes de demain.

    La particule et l’antiparticule élémentaires, dont j’attends avec quelle impatience qu’elles s’autodétruisent lors de ces Ragnarök ultimes que l’Occident féminisé ne leur permet plus de mener, sinon le long des pages ineptes du Figaro Madame, des méandres de leurs cervelles délirantes et des tréfonds abyssaux de la sitosphère.

    De fameux agitateurs ma foi, de fiers brasseurs de bière surie, des amateurs de pissat d’âne bâté dont la vertu ne dépasse seulement pas le demi-nanomètre carré.

    Des lutteurs de foire dûment récompensés, parions-le, par trois douzaines de houris pour services rendus à la Virilité chancelante.

    Comparer le féminisme au totalitarisme, quel flair et quelle bravoure.

    Hitler et Staline doivent s’en frotter les mains, à l’heure qu’il est.

    Ainsi que tous les Derrar de la terre, et l’on sait combien ils sont nombreux.

    N’en doutons plus : le devoir de mémoire est bel et bien passé à la trappe, avec quelques autres principes substantiels, et la reductio ad hitlerum n’est donc plus seulement l’apanage de la gauche boboïsante.

    Rien ne semble devoir effrayer ces cuistres passés maîtres dans l'art de la forfaiture et du raccourci médiatique dès qu’ils abordent, la peur au bas-ventre, le dossier femmes, et surtout pas le ridicule, s’égosillant comme coqs en déroute sur leurs tas de fientes androestampillées, forts d’une souveraineté que je qualifierais, puisque je n’ai jamais dédaigné d’employer quelque mot rare, fût-ce pour qualifier l’ordinaire, d’achondroplasique.

    C’est contre de telles mauvaises fois, qui partout pullulent, que les meilleures volontés finissent toujours par buter, et qui s’avance les bras chargés de roses doit s’attendre à s’en voir fouetter le visage avec les épines, à rendre compte de chaque bonté exactement, perlée, fourbie par l’âme.

    La force, c’est de ne point lâcher les roses et de continuer sa route, mais en ayant désormais, fichée au coin du cœur, la conscience de son échec à créer des liens avec et entre les hommes.

    On ne pacifie pas tout un monde en guerre simplement parce que, brave petit soldat, on a décidé un jour de passer outre et de croire à nouveau, de tendre la main à l’ennemi imbécile, après l’avoir combattu, dans un pieux désir de fraternité.

    Seulement il est bien vrai que nous sommes seule à désirer la paix, que nous n’avons qu’une seule enfance et que le monde meurt avec elle.

    Etrange impression que la mienne, tandis que je rédige ces lignes, celle de me soustraire une seconde fois, de retourner à ma vie fantomatique et comme superposée, au lieu que j’avais désiré renaître par la grâce d’une enfance seconde, luxueuse et illusoire, et de même qu’il n’y a point tout à fait de hasard en ce monde, de même les idées s’enchaînant les unes aux autres finissent-elles par trouver leur cohérence et leur lieu d’élection.

    Me voici donc apparemment aussi éloignée de mon sujet que l’austère Sedna du soleil, et cependant je me trouve aussi proche du soleil qu’on peut l’être, puisque la vérité a toujours le tragique éclat du feu.

    Aussi vois-je, aggravés encore par la parfaite lucidité du soir, les hommes franchir les arceaux du temps avec le même front débile, et cette odieuse constance, autrement dit cet arrêt au cœur même du mouvement apparent, est bien le signe de quelque damnation irrémédiable.

    C’est néanmoins désespérément sereine (et cela confirme la ténuité de ma présence) que je referme cette courte parenthèse incandescente, et que je m’en vais poser une seconde explication à l’odieuse hiérarchie des meurtres à l’œuvre.

    Il faut y voir, bien sûr, l’influence pernicieuse de la tribu dominante des petits hommes (mais les petits hommes ne sont-ils pas partout ?) et de leurs innombrables sacculines régnant en maîtres et censeurs sur la parole vraie, condamnée dès lors à l’in-pace ainsi que ceux qui la profèrent, qui adjoignent à force de sentences moralisatrices de relativiser tout crime dont l’auteur est un jeune habitant des cités, reléguant le principe de responsabilité dans quelque obscur cul-de-basse-fosse, quand « être homme, c’est précisément être responsable[5] ».

    La France multiculturaliste, pétrie de jésuitisme et de naïveté fausse, est atteinte d’un haut mal : le déni du réel, entraînant à son tour l’euphémisme généralisé.

    C’est ainsi qu’un crime devient une incivilité, qu’un homicide volontaire se transmue, au mieux, comme dans l’affaire qui nous occupe, en « actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner », au pire en fait divers.

    C’est ainsi que, doucement, l’on donne raison au pire, et qu’après les voitures, on laisse brûler les femmes, sans que cela génère autre chose que de lénitifs rapports dans les médias, lesquels, comme l’AFP, prennent soin de ne pas mentionner la religion des assassins, alors que l’islam et sa haine des femmes sont précisément au cœur de telles affaires[6].

    On ouvre des tribunes aux barbares parce qu’on préfère perdre du terrain que d’affronter la réalité en face.

    Et l’on sait où mène ce genre d’aveuglement volontaire : à ce pire, justement, dont personne ne veut, à cette entière récupération du problème par une certaine droite extrême dénuée de toute subtilité.

    Tant que nous nous dissimulerons la vérité pour mieux continuer de dormir dans le meilleur des mondes possibles, ceux d’en face en profiteront pour aller toujours plus loin.

    De même que nous souffrons du syndrome du colonisateur, les banlieues souffrent du complexe du colonisé.

    Ce sont là deux folies parallèles, qui sont la folie même de la France.

    On objectera que Derrar, le 8 avril dernier, écopa de vingt-cinq années de réclusion pour son acte abominable, soit sensiblement la même peine que Joël Damman.

    Certes, mais outre que ce n’est point là cette perpétuité absolue que pareil crime eût méritée, ce fut bien le vent de la peur qui souffla sur la France au lendemain du drame.

    Il parut alors plus prudent, plus stratégique, plus politiquement correct à la classe dirigeante de mettre l’accent sur l’affaire Meghara, puisque enfin, disons-le tout net, le meurtrier avait pour prénom Joël et non Jamal, au risque, conscient, soupesé, accepté, de relativiser l’affaire Benziane, afin d’éviter tout nouvel incident - euphémisme cher à l’époque - dans des banlieues toujours à cran.

    Preuve supplémentaire, s’il était besoin, les trois années de patience qu’il fallut à la famille et aux associations féministes pour obtenir du maire (communiste) de Vitry qu’une stèle soit érigée à la mémoire de la victime.

    Une stèle qui sera profanée, non pas une, non pas deux, mais plusieurs fois, avec l’odieuse régularité d’une horloge, sans que cela soulève d’indignation particulière.

    Le mot d’ordre, ensuite, fut de ne point transformer Derrar en bouc émissaire.

    Aussi ce dernier n’a-t-il, à en croire la Cour, jamais eu l’intention d’assassiner Sohane.

    Seulement, à moins que ce jeune homme – dont personne ne doutera de la démoniaque candeur - ignorât tout encore des vertus combustibles de l’essence, que peut-on bien vouloir faire avec un briquet allumé près d’une fille préalablement arrosée d’un semblable liquide ?

    Parler avec elle ?

    Mais peut-être est-ce la nouvelle façon de faire la cour aux femmes, dans les banlieues, auquel cas nous serions, n’en déplaise aux cuistres, en pleine hypervirilisation française.

    Chaque homme tue ce qu’il aime, c’est bien connu.

    Le mal à l’œuvre, dans cette affaire, était autant dans le local à ordures, dansant son rituel de mort un briquet à la main, que partout autour.

    Il était autant en Derrar qu’en Tony Rocca, 23 ans, alias « Pyro » en référence à son amour des engins explosifs, un amour qui lui valut la perte de deux doigts et, détail touchant, d’un testicule.

    Rocca, petite frappe au nom tout droit sorti du ghetto italien d’East Harlem, qui maintint la porte du local fermée afin que l’autre puisse tranquillement achever son « truc de ouf » (sic) et qui, contrairement à Derrar, ne baissa nullement la tête lors du procès, mais ne cessa d’adresser des clins d’œil à sa bande.

    Le mal était en chacun de ces imbéciles hurlants, acéphales, qui, lors de la reconstitution du meurtre certain 25 mars 2003, et avec le lyrisme qu’on leur connaît, acclamèrent les bourreaux aux cris de « Pyro, Nono, on vous aime », « Nono poto pour toujours », « Nono à jamais », ou encore (légère variante) : « T'inquiète pas, on va pas t'oublier ».

    Le mal était enfin du côté de tous ceux qui ne dirent rien.

    Détail surréaliste : le sacrifice de Sohane eut lieu cité « Balzac ».

    C’est donc là-bas que nous n’oublierons pas que la France fut grande - littérairement parlant - et qu’elle donna au monde des noms illustres dont elle ne fait plus rien, jusqu’à les recycler dans des barres d’immeubles où croît l’engeance violente qui va définitivement la mettre à bas.

    Jamal Derrar, comme tous ses frères, grandit dans le mépris de l’autre sexe.

    Un mépris savamment distillé par la culture islamique (l’islam n’est-il pas « la religion masculine par excellence », dixit Chebel ?) et, indirectement, la société française, y compris par ceux qui s’érigent en sauveurs des valeurs occidentales tout en pactisant avec l’ennemi sur le dos des femmes : il est vrai que ce mépris-là reste la chose la mieux partagée du monde.

    Derrar reçut donc une éducation machiste avalisée par deux Frances pourtant farouchement antagonistes, et ces Frances-là, qui se donnent mutuellement les leçons de morale qu’elles n’appliquent pas elles-mêmes, ont le sang de Sohane sur les mains.

    J’attends, pour ma part, l’avènement d’une troisième France, une France éthique qui obéirait enfin à ses principes républicains.

    De cet éternel défaut de civilisation Sohane a payé le prix fort, elle qui mourut autant de fois qu’on salit sa mémoire.

    Qu’on s’en souvienne, lorsqu’un jour nos pas nous mèneront à Vitry-sur-Seine, et qu’alors nous foulerons le gazon pauvre qui entoure la stèle commémorative, pas très loin de cet anonyme et sinistre bâtiment « H » où mourut la jeune fille.

    Qu’on s’en souvienne, lorsque des fleurs cent fois profanées surgira la voix suppliciée, et qu’elle demandera : « Comment ce pays a-t-elle pu laisser pareille chose advenir ? »

    Que Zemmour, Soral et tous les petits hommes qui leur ressemblent s’en souviennent, au crépuscule de leur vie, s’ils sont jamais capables du moindre honneur.

    Quant à votre serviteur, elle s’en va tranquillement reprendre, après quelque candeur délibérée où elle avait posé ce si léger fardeau à ses pieds, ses vieilles hardes de misanthrope (je n’écris point misandre), abandonnant à la place quelque autre faix plus lourd qu’elle avait cru pouvoir supporter, le temps d’une confiance, parce qu’il faut bien parfois faire halte et boire, réinventer ce monde en le rêvant, bref, croire à la vertu des dialogues transversaux, même s’ils échouent toujours, pour rejoindre son propre chemin d’étoiles et de poussière, des brassées de roses entrenouées aux veines, et les yeux grands ouverts.


    Méryl Pinque (2006)

     


    [1] La dernière « sorcière » fut brûlée en terre d’Occident en 1695.

    [2] Le Point, 22 septembre 2005.

    [3] Élisabeth Badinter commit en 2003 Fausse route, piètre livre tissé d’incohérences volontaires, dénué parfaitement de rigueur analytique, monument de mauvaise foi mâtinée de malveillance à l’égard d’un féminisme qu’elle dénature pour mieux l’invalider.

    [4] On se souvient que Delanoë reçut un coup de couteau lors de la très festivissime « Nuit blanche » du 5 au 6 octobre.

    [5] Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes.

    [6] « Une jeune femme a été hospitalisée dans un état jugé très sérieux dimanche après avoir été brûlée vive par son ancien ami à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), a rapporté la police lundi. Selon les premiers éléments de l’enquête de la brigade criminelle, la jeune femme, âgée d’une vingtaine d’années, a été aspergée d’essence par le suspect dans une rue non loin de chez elle. Il a mis le feu et pris la fuite se brûlant au bras, selon des témoins. Le suspect, qui a agi par ‘dépit amoureux’, a été identifié et devait être interpellé ‘sans délai’, selon la source. La jeune femme a été admise à l’hôpital dans un état jugé très grave, a-t-on indiqué lundi. » AFP, 14 novembre 2005.

    La jeune femme en question est bien sûr Shéhérazade, 18 ans, brûlée vive le 13 novembre 2005 par un Pakistanais dont elle avait refusé les avances.

    On admirera avec quel art consommé le journaliste « noie le poisson », transmuant un meurtre sexiste en banale querelle amoureuse.

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