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Presse - Page 11

  • L’égalité passe par la pénalisation du client (Le Monde)

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    LE MONDE | 28.11.2013 à 09h19 • Mis à jour le 28.11.2013 à 10h09 |

    Christine Delphy (Sociologue), Françoise Héritier (Anthropologue) et Yvette Roudy (Ancienne ministre des droits des femmes)

    La simple cohérence veut qu'après le droit de cuissage et le harcèlement sexuel (accès sexuel obtenu par le pouvoir), après le viol (obtenu par la force), ce séculaire droit masculin conféré par l'argent, l'achat d'acte sexuel, soit à son tour remis en cause.

    Dès les années 1980, les études du sociologue suédois Sven Axel Mansson débusquaient, dans la prostitution, un système fortement conservateur, un « espace homosocial libéré des exigences égalitaires des femmes » « l'ordre ancien est restitué ». En 2004, la seule enquête nationale jamais menée en France mettait au jour un imaginaire sexuel souvent fondé sur la domination, la violence et la chosification de l'autre.

    « REMETTRE LES FEMMES À LEUR PLACE »

    Manifestations sportives, signatures de contrats, fins de soirée arrosées… Au nom d'une idée – datée – de la virilité, le client achète le pouvoir d'imposer son bon plaisir à des femmes qui se voient ainsi retirer le droit, pourtant chèrement conquis, de lui dire non. En se dédouanant d'un billet, il exprime son appartenance à un monde masculin traditionnel qui entend « remettre les femmes à leur place ».

    Ce qui le caractérise, c'est l'indifférence morale. « Quand je mange un bifteck, je ne me demande pas si la vache a souffert », dit l'un d'entre eux, interrogé sur le risque d'exploiter une victime de la traite. « Tu n'as que ça ? », lance un autre à la tenancière d'un bar à hôtesses. Le huis clos prostitutionnel est le lieu emblématique du mépris, voire de la haine des femmes, qui s'expriment sur les forums des sites d'« escort » où les commentaires rivalisent de sexisme et de racisme.

    Ce qu'achète le client prostitueur, c'est le droit d'échapper aux règles et aux responsabilités qui fondent la vie en société. Dans la prostitution, il trouve le dernier espace qui le protège du devoir de répondre de ses actes : un territoire d'exception où les violences et humiliations qu'il exerce sont frappées de nullité, au prétexte qu'il a payé. Il est pourtant, comme le montrent toutes les enquêtes, le premier auteur des violences subies par les personnes prostituées : insultes, agressions, viols et même meurtres. Et les travaux actuels montrent qu'il est à la source d'atteintes graves à leur santé physique et psychologique.

    Ces mises au jour progressives n'empêchent pas ce consommateur de plus en plus décomplexé de faire son marché dans un vivier de femmes dont les parcours sont marqués par la précarité, les violences, les proxénètes et les réseaux. Faut-il rappeler que le protocole de Palerme (Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, 2000) comme la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, dite de Varsovie (2005) demandent aux Etats de « décourager la demande » qui est à l'origine de la traite des êtres humains ? Ces textes invitent à adopter des mesures sociales, culturelles, éducatives, mais aussi législatives pour y parvenir.

    EXIGENCE DE COHÉRENCE

    Inévitablement, les résistances sont nombreuses. Pour s'opposer à la remise en cause de ce droit séculaire sont invoqués les risques de clandestinité (l'aveu même de la dangerosité du tête-à-tête avec le client !) ou encore le pragmatisme.

    Pénaliser les clients n'obéit pas à un goût pour la répression, mais à une exigence de cohérence. Comment se satisfaire du statu quo ? Des personnes prostituées considérées comme des délinquantes, des clients comme des innocents, des étrangères exposées à la menace de l'expulsion quand il faudrait les protéger des réseaux qui les exploitent…

    Comment avancer dans la prévention de la prostitution et la création d'alternatives si aucune sanction ne vient responsabiliser ceux qui en sont les moteurs ? A quoi bon multiplier les incantations sur la lutte contre les violences ou l'égalité entre les filles et les garçons, si le droit de les fouler au pied reste préservé dans la prostitution ?

    Seule une politique courageuse pourrait faire reculer cet archaïsme indigne de nos démocraties et libérer la sexualité, non seulement de l'ordre moral et de la violence, mais aussi du carcan du marché. Cette révolution culturelle permettrait de mesurer enfin la volonté des hommes de considérer les femmes comme des égales, de leur reconnaître des désirs, le même droit qu'eux au plaisir et une place à égalité dans la société.

     Cette tribune est également signée par

    Olympia Alberti, écrivaine ; Eva Darlan, comédienne, écrivaine ; Claudine Legardinier, auteure, en collaboration avec Saïd Bouamama, du livre " Les Clients de la prostitution, l'enquête " (Presses de la Renaissance, 2006) ; Florence Montreynaud, historienne ; Coline Serreau, cinéaste.

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2013/11/28/l-egalite-passe-par-la-penalisation-du-client_3521324_3232.html?xtmc=le_monde_violence_femmes&xtcr=2

  • A propos de la pétition de 30 Millions d'Amis "Pour un nouveau STATUT JURIDIQUE de l'animal"

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    Commençons par donner l'exemple nous-mêmes : si nous "aimons" les animaux, si vraiment nous les respectons, si réellement nous ne les prenons pas pour des meubles mais comme des êtres sentients, alors cela suppose précisément de les reconnaître pour ce qu'ils sont : des personnes pourvues de droits fondamentaux en vertu de cette sentience même, et qui n'ont pas à être utilisées de quelque manière que ce soit pour satisfaire nos propres fins.

    Ne pas utiliser autrui, cela signifie ne consommer AUCUN produit d'origine animale.

    Le traitement n'est pas le problème : c'est l'utilisation qui l'est.

    DEVENONS VEGANS.

    Si nous ne sommes pas végans, inutile de signer cette pétition, qui émane elle-même - c'est un comble d'hypocrisie - de non-végans :

    http://www.30millionsdamis.fr/agir-pour-les-animaux/petitions/signer-petition/pour-un-nouveau-statut-juridique-de-lanimal-22.html

  • L'"élite" française

    Jocelyn Mafféis, élève à l'Ecole des mines de Paris, est mort quelques jours après sa première rentrée.
    Hommage à Jocelyn Mafféis

    Mourir aux Mines

    LE MONDE | 22.11.2013 à 17h41 • Mis à jour le 24.11.2013 à 10h43 | Par Nathalie Brafman et Pascale Krémer

    Les cours avaient à peine commencé. Mercredi 18 septembre, dix jours seulement après sa rentrée en première année à l'Ecole des mines de Paris, et quelques heures avant un départ en week-end d'intégration qu'il appréhendait, Jocelyn Mafféis, 19 ans, est tombé du septième étage de la résidence étudiante de cette école. Il est mort six jours plus tard à l'hôpital.

    Etait-ce un suicide, un accident ? Après enquête préliminaire, l'affaire a été classée sans suite par le parquet le 25 octobre, pour absence d'infraction. Ses parents, qui veulent comprendre, envisagent de porter plainte contre X. Ils dénoncent la légèreté de l'enquête menée par le commissariat du 5e arrondissement parisien. Le téléphone portable et la clé USB de Jocelyn leur ont été rendus au lendemain de sa chute sans aucune analyse. Ils ont eux-mêmes récupéré l'ordinateur dans la chambre d'étudiant. « On ne sait rien de ses dernières connexions Internet, regrettent-ils. L'analyse de sang s'est limitée à une recherche d'alcoolémie. Et le policier chargé de l'enquête a découvert, en nous le rendant, le contenu du sac de Jocelyn. » A l'intérieur, ses lunettes, qu'une myopie profonde l'obligeait à porter constamment, étaient cassées.

    Qui résoudra, par ailleurs, le mystère des fenêtres de la Maison des Mines et des Ponts ? Selon la direction de l'école, ces larges ouvertures en PVC, dangereuses car placées à mi-hauteur dans l'escalier, sont fermées, poignées ôtées. Comment Jocelyn Mafféis a-t-il pu, alors, se jeter ou tomber de l'une d'elles ? Aucun élève n'a, semble-t-il, été témoin de la scène. « Peut-être Jocelyn a-t-il forcé une fenêtre ? », suppute le directeur adjoint de l'école, Jérôme Adnot. A mains nues, pourtant, la manoeuvre semble très difficile. A moins que « quelqu'un d'autre ne l'ait ouverte ?, poursuit Jérôme Adnot. Le personnel aère à certaines heures… ».

    S'ils doutent de la thèse du suicide et malgré l'absence d'alcool dans le sang de Jocelyn ce jour-là, ses parents n'en dénoncent pas moins le contexte de bizutage et d'alcoolisation qui pourrait avoir conduit au drame. Le soir de son installation à la Maison des Mines, le 8 septembre, Jocelyn Mafféis participe à une soirée « Petit Pont » organisée par le bureau des élèves (BDE) dans un restaurant du quartier Saint-Michel. Soirée à laquelle il eût été malvenu de ne pas paraître. Dès la fin du mois d'août, il avait reçu moult mails insistants du président du BDE, Paul le Floch. « C'est ton premier pas dans le monde de la Mine, alors sois présent (et en forme). »

    UN BROC ENTIER DE PUNCH !

    Jocelyn Mafféis, qui boit rarement, subit la pression du groupe. Peu avant minuit, il adresse ce SMS à sa mère : « Il y a beaucoup d'alcool mais ne t'inquiète pas, je suis encore à peu près conscient. » « On nous remplissait le verre dès qu'il était fini, se souvient un camarade de promotion . Il est tout à fait possible qu'il se soit senti obligé de boire. » Quand l'une des tables réunissant des premières années ne montrait pas assez de zèle, relate Jocelyn à ses parents le week-end suivant, la sanction tombait : et un bizuth de désigné pour boire un broc entier de punch ! Jocelyn Mafféis en fait les frais. Expérience qu'il assure ne pas vouloir revivre, quitte à se marginaliser. « Il pensait qu'au fil du temps cela s'arrangerait, témoigne sa mère. Mais je l'ai senti un peu déçu par l'école, et inquiet. »

    Car il sait qu'il sera malaisé de résister. Remise à tous les admissibles, la brochure « Abatage 2013 », conçue par le BDE avec le concours de l'école, annonce clairement la couleur, décrivant la campagne 2012 du BDE, « 89,5 litres de vodka écoulés le dimanche soir », et la « Fosse aux ours », sous-sol de la Maison des Mines, où est installé un bar, L'Octo, géré par le BDE, qui sert bière, pastis et whisky « pour t'abreuver jusqu'à plus soif », « à un prix défiant toute concurrence ». L'Octo dispose-t-il d'une licence IV ? Le directeur de la résidence, Jean-Pascal Guilpart, et son président, délégué général de la Fondation Mines-ParisTech, Antoine Battistelli, disent n'en rien savoir. Sur les murs du bar, en tout cas, rien n'est affiché.

    Après le « Petit Pont », deux autres soirées sont prévues, tout aussi « strictement incontournables », selon le BDE, pour devenir de vrais Mineurs. Jeudi 12 septembre, en boîte de nuit. Lundi 16 septembre, à la « Fosse aux ours », où, « dans une ambiance jungle, il te faudra réveiller l'animal qui sommeille en toi ». Jocelyn Mafféis décide de ne pas y aller. Avant cela, il a déjà renoncé, le 10 septembre, à la première « soirée Biéro » de L'Octo (tous les mardis, des litres de bière y sont éclusés, à 2 euros la pinte) et, le 11 septembre, au cocktail avec champagne à volonté de L'Oréal, venu présenter ses métiers aux Mineurs.

    A cette énumération, Jérôme Adnot s'agace. « Si vous me dites qu'il y a présence d'alcool à la Maison des Mines, je vous dis oui. Il doit même y avoir de la drogue. » Mais le directeur adjoint de l'école réfute un lien avec la mort de Jocelyn Mafféis, et juge même « inacceptable » de laisser penser qu'on ait pu le forcer à boire. « Dans ces soirées, la moitié des filles et 20 % des garçons ne boivent pas… »

    Dans la nuit suivant sa chute du 7e étage de la Maison des Mines, Jocelyn Mafféis devait partir pour quatre jours en week-end d'intégration, sous la coupe du BDE – quoique avec une surveillance de l'école. Un mail l'avait averti : « Un week-end dont vous ne vous souviendrez pas, mais que vous n'oublierez jamais. » « Cela ne l'emballait pas du tout », se souvient sa mère. Il le redoutait, même, a confié à la police son compagnon de chambrée. Au retour suivrait le stage de géologie de deux semaines, où, le soir, « tu navigues de bar en bar perdu au fin fond des Alpes », selon la brochure du BDE. Puis deux semaines de « parrainage » avec « une liste de défis tous plus barrés les uns que les autres ».

    « Des beuveries à n'en plus finir, avec vomis dans la chambre, déguisements, bains dans les fontaines publiques, tout cela s'appelle du bizutage », rappelle Marie-France Henry, présidente du Comité national contre le bizutage, avec laquelle les parents de Jocelyn Mafféis ont pris contact. Pratique désormais interdite. Depuis la loi du 17 juin 1998, le « fait, pour une personne, d'amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations, ou de réunions liées aux milieux scolaires et socio-éducatifs » est puni de six mois de prison et de 7 500 euros d'amende. Depuis cette loi, le terme bizutage a disparu du vocabulaire. Désormais, on parle d'« intégration ». Dans certaines écoles, des chartes de bonne conduite ont été mises en place, dans d'autres, l'alcool a été banni pour éviter les dérapages. Mais des excès perdurent. Marie-France Henry s'interroge. « Jocelyn a-t-il ressenti une overdose de tout cela ? Il est fréquent que des jeunes gens avec de vraies valeurs, qui ont tant travaillé pour intégrer une école, ressentent dans ces moments une grande déception, et en soient fragilisés. »

    S'il s'est suicidé, Jocelyn Mafféis ne l'avait pas prémédité. Il avait acheté la chemise à carreaux requise pour le week-end d'intégration. Prévu d'assurer le samedi 12 octobre une permanence à son club de go. Le matin de sa chute, il avait même promis à un camarade de l'y emmener plus tard. « Il s'était inscrit au club de basket et de littérature, voulait développer la pratique du jeu de go à l'école. Le matin même, il faisait preuve d'un esprit travailleur en réussissant son test d'informatique, note le directeur adjoint. Inexplicable… »

    UNE RÉFÉRENCE, QUELQU'UN DE SOLIDE...

    Extrêmement brillant mais partageur de ses savoirs, et soucieux de préserver ses loisirs du week-end au plus fort de l'année de math spé, dans la classe « double étoile » des élèves les plus prometteurs. D'abord réservé mais ensuite liant, affable, aimant plaisanter. Une référence, quelqu'un de solide, optimiste, sûr de ses valeurs humanistes… Voilà le portrait que dressent de lui son professeur de mathématiques du très prestigieux lycée Louis-le-Grand à Paris (« Je n'ai jamais identifié chez lui une quelconque forme de fragilité psychologique, ce qui n'est pas le cas de tous les élèves »), la proviseure de son ancien lycée Marie-Curie de Sceaux, ainsi que ses nombreux camarades.

    « Cuit », comme tout le monde après ses deux années de classes préparatoires et les interminables concours d'entrée en école d'ingénieurs, Jocelyn Mafféis avait ensuite passé des vacances sereines, selon ses parents. Il regrettait d'avoir échoué au concours d'entrée à l'Ecole normale supérieure. Appréciait néanmoins à sa juste valeur son arrivée dans une autre école de haut niveau. « Mais il avait lu les mails, vu des vidéos sur l'intégration aux Mines, indique sa mère. Nous avons le sentiment qu'il était pris dans un vrai dilemme. Faire, ou non, ce qu'il réprouvait, pour s'intégrer. » Le suicide lui a-t-il permis d'échapper à ce dilemme ?

    Au milieu de la nuit du 18 au 19 septembre, quelques heures seulement après la chute de leur camarade, les 96 autres élèves de sa promotion sont partis en car faire la fête durant quatre jours. Jocelyn Mafféis n'était pas mort, justifie, gêné, le directeur adjoint de l'école : « Fallait-il laisser ces jeunes enfermés dans leur résidence étudiante ou leur permettre de partir, sous surveillance, partager une occasion de se connaître mieux en faisant leurs jeux stupides ? Nous leur avons conseillé de faire attention les uns aux autres, nous ne voulions pas d'épidémie… » Ensuite s'est installé le silence. Trois élèves seulement ont accepté de témoigner, requérant l'anonymat. Une dizaine était présente à l'enterrement. Le directeur de l'école n'a pas reçu les parents. Ils le regrettent. C'eût été l'occasion de lui faire part d'un souhait : que l'intégration aux Mines ne se résume plus à une longue beuverie.

    http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2013/11/22/mourir-aux-mines_3518991_3224.html?xtmc=mourir_aux_mines&xtcr=3

  • Prostitution. Laurence Noëlle : "À chaque client,
 je me sentais souillée" (L'Humanité)

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    Alors que la proposition de loi visant à sanctionner les clients de prostituées, déposée par deux députées PS, sera examinée mercredi soir ou vendredi et votée mercredi 4 décembre, rencontre avec Laurence Noëlle qui, à dix-sept ans, met le pied 
sur le trottoir et devient une ombre parmi les ombres.

    L’auteure de Renaître de ses hontes (1) raconte ses années d’épreuves dramatiques 
et de combat 
pour fuir le système prostitutionnel.

    Laurence Noëlle nous ouvre les portes de son salon, en Bretagne. Elle replie les jambes, bien calée dans son divan. Et raconte, devance souvent les questions, déballe tout. Elle est restée vingt-huit ans dans le silence. Puis, en avril 2013, elle est sortie de l’ombre en publiant un livre, Renaître de ses hontes.

    À quarante-six ans, elle met sur page toutes ces années de violences, d’abus sexuels et de prostitution, l’expérience « la plus destructrice » de sa vie. Pénalisation des clients, abolition de la prostitution ou encore « libre choix » des personnes qui louent leur corps, Laurence Noëlle se prononce sur les débats actuels et témoigne, à visage découvert, de l’enfer de la prostitution. Une façon pour elle de donner l’exemple à celles qui restent encore terrées dans leur souffrance.

    Aujourd’hui, cette formatrice professionnelle estime être la preuve vivante que l’on peut s’en sortir et bâtir une vie épanouie.

    Il y a quelques années, vous aviez témoigné sur la prostitution à visage couvert. Pourquoi vous dévoilez-vous aujourd’hui ?

    Laurence Noëlle. Oser me montrer fait partie de mon cheminement vers la guérison. Ce n’est pas parce que l’on comprend ce qui nous arrive que l’on en sort. Il me fallait procéder étape par étape. Avant l’écriture de ce livre, jamais je ne me serais dévoilée en public. J’avais trop honte. Mais depuis sa publication, j’avoue que je suis très perturbée. J’ai des sinusites à répétition, des nausées. Je ne peux tricher avec mon corps qui s’exprime. Comme si je subissais un nettoyage encore plus profond. C’est douloureux pour moi de sortir de l’ombre. Il faut bien que quelques-unes commencent. Je le fais pour que d’autres se l’autorisent. Pour dire qu’il est possible de s’en sortir, possible de construire sa vie autrement, possible de guérir des violences que nous avons subies.

    Beaucoup de personnes fantasment sur la call-girl. Vous, vous avez des mots durs pour décrire la prostitution que vous avez vécue…

    Laurence Noëlle. Je travaillais rue Saint-Denis, à Paris. J’étais jeune et jolie. De la chair fraîche. Je faisais une trentaine de passes par jour, je me souviens que les anciennes étaient très jalouses, car elles ne montaient quasiment plus. J’étais un automate qui montait et descendait. À l’instant où j’ai posé le pied sur le trottoir, je suis devenue une ombre parmi les ombres. J’ai perdu ma dignité d’être humain. Une partie de moi a cessé d’être vivante. J’étais devenue un objet, un déchet, dans la lignée de ce qu’avait été le début de ma vie. Je n’étais que honte et humiliation. Ça fait mieux de se dire call-girl que prostituée. Il n’empêche que ce n’est qu’une stratégie d’évitement par rapport à la honte. Les call-girls se détestent autant mais estiment avoir de la valeur à travers des clients qui possèdent eux-mêmes de la valeur. Mais le fait même que le client paie est déjà une violence. Quand on achète quelque chose, on est en droit d’être exigeant.

    Vous écrivez dans votre livre 
que la prostitution a été l’expérience la plus destructrice de votre vie. Comment faisiez-vous pour tenir ?

    Laurence Noëlle. Je le supportais en me droguant et en me saoulant. On est toutes des anesthésiées, d’une manière ou d’une autre. Il y a la prostituée, l’objet. Et il y a l’être humain. On se dissocie. J’avais énormément de dégoût à mon égard. À chaque client, je me précipitais sous la douche tellement je me sentais souillée. Humiliée. Il me fallait alors un autre verre ou un autre rail de cocaïne. Mon corps entier, et en particulier mon vagin, me faisait terriblement souffrir. La prostitution ce n’est pas Pretty Woman. Quand j’étais sur le trottoir, j’ai attendu Richard Gere, il n’est jamais venu me sauver…

    Que pensez-vous des personnes 
qui affirment se prostituer par choix ?

    Laurence Noëlle. Moi aussi je l’affirmais quand j’étais dedans. Pour se faire accepter de la société, mieux vaut parler de son libre choix que d’évoquer sa souffrance. On dit toutes que c’est notre choix quand on est en prostitution. Cela me fait penser aux personnes qui boivent. Elles affirment qu’elles savent gérer. Celles qui s’en sortent avouent en avoir souffert. Quand on est dedans, on ne voit rien, on est dans le déni. Étant petites, ne rêvaient-elles pas d’être docteur ou boulangère ? Que fait-on de nos talents et de nos richesses ? Je ne pense pas que tailler une pipe en soit un. La prostitution consiste à louer son corps à n’importe quel homme. Et ils ne sont pas tous des Brad Pitt. Demandez à une femme qui s’aime, s’estime, d’aller se prostituer. Même dans la misère, elle ne le fera pas.

    Comment êtes-vous tombée 
dans la prostitution ?

    Laurence Noëlle. La prostitution est un choix désespéré. Je suis tombée dans un réseau de proxénètes. J’étais une proie idéale : une jeune fille paumée, livrée à elle-même, assoiffée de chaleur humaine. Ayant vécu des abus sexuels dans l’enfance, je me suis considérée comme un objet puant et répugnant. Je me méprise. Dans ce cas, pourquoi s’autoriser le droit au bonheur ? La prostitution est aussi une façon de m’autopunir, moi qui culpabilisait depuis toute petite. Et puis, dans ma stratégie de survie, je me disais de me laisser faire, de ne rien dire. Je ne voulais pas être abandonnée. J’avais dix-sept ans et j’étais seule. Je préférais encore me prostituer que perdre l’amour de la maquerelle et du proxénète. J’avais aussi peur des menaces. Je m’en suis voulu de ne pas avoir fui plus tôt. J’étais tellement convaincue de n’être bonne qu’à « ça ». L’idée d’aller au commissariat ne m’a même pas effleurée.

    La prostitution est-elle une violence aussi grande que l’inceste que vous avez subi ?

    Laurence Noëlle. C’est la même chose. C’est : « Laisse-toi faire et tais-toi. Je fais ce que je veux de toi. » Dans un rapport normal, c’est le respect mutuel, l’échange. Il n’y en a pas un qui intime à l’autre d’ouvrir les cuisses, qui exige une pipe. Que fait-on du désir de l’autre, de l’amour ? Il n’y a pas d’amour dans la prostitution.

    N’est-ce pas caricatural d’affirmer que, souvent, les personnes prostituées ont subi des violences dans leur enfance ?

    Laurence Noëlle. Pas du tout. Toutes les femmes de l’ombre que je connais ont toutes vécu des histoires horribles. Ayant subi des abus sexuels enfant, à l’âge adulte, elles développent des comportements destructeurs. C’est l’humiliation qui nous fait croire que l’on n’est qu’un objet, que l’on est méprisable. Pourquoi une jeune fille va prendre un boulot à McDo pour payer ses études et une autre va se prostituer ? La différence est que l’une se respecte, s’estime, et l’autre pas. Si je m’aime, je me respecte. Je ne loue pas mon corps à n’importe quel homme.

    D’aucuns parlent de la réouverture des maisons closes, 
de la réglementation de
la prostitution. Qu’en pensez-vous ?

    Laurence Noëlle. La souffrance pour les personnes prostituées restera la même. Les clients seront toujours les mêmes, avec leurs mêmes exigences, leurs mêmes fantasmes. On parle souvent de la prostitution avec des mots châtiés. On débat pour savoir si c’est un métier, on évoque la liberté. La vérité est tue. On dit que les prostituées aiment « ça ». Mais comment peut-on aimer avoir une trentaine de rapports sexuels par nuit avec des hommes de toutes sortes, de tous âges, de tous milieux sociaux, des petits, des gros, des grands, des maigres, des agressifs, des pervers, des dépendants sexuels, des malades mentaux, des paumés ?

    Il y en a beaucoup qui méprisent les femmes et pensent encore qu’il ne peut exister que la « putain » ou la « maman ». Ceux-là vont dégazer, se venger, traiter les prostituées de tous les noms pendant les actes. Et leur faire mal. Comme les clients payent, ils s’autorisent tout. On prend la femme à sec, estimant qu’elle n’a pas besoin de préliminaires, pas besoin de mouiller. Il faut qu’un jour je puisse vraiment expliquer en détail ce qu’est une nuit avec des clients. J’ai encore du mal à en parler.

    Que pensez-vous du débat sur la pénalisation du client et sur l’abolition de la prostitution ?

    Laurence Noëlle. Mais pourquoi depuis des millénaires en est-on encore à des débats à la con ? Il y a 80 % de femmes qui souffrent et il faudrait écouter l’infime minorité ? Il faudrait empêcher que la loi passe pour celles qui, soi-disant, sont fières de se prostituer ? Oui, la pénalisation peut faire évoluer les choses. Mais ce n’est pas parce qu’existe une loi que tout se réglerait d’un coup. Elle marque les limites. L’abolition est la réponse à la question : dans quelle société voulons-nous vivre ? C’est bien parce que des personnes affirment que c’est possible que le monde change.

    Pourquoi si peu de personnes sorties de la prostitution osent parler 
à visage découvert ?

    Laurence Noëlle. Elles ont peur du regard des autres. Beaucoup sont contentes que le monde sache ce qu’est la prostitution par ma voix. Mais elles ne sont pas prêtes à se montrer à leur tour, y compris celles qui réussissent bien dans leur vie, comme cette infirmière ou cette animatrice socioculturelle que je connais. Je les comprends, moi-même j’ai eu très peur de perdre mon travail de formatrice. Et peur encore de la réaction des autres à l’égard de mes enfants, ma famille. J’ai peur d’être méprisée. Faut-il encore payer les pots cassés vingt-huit ans après m’être sortie de l’enfer de la prostitution ? On traîne ce boulet comme un détenu qui ne pourrait pas enlever le sien de sa cheville.

    Votre livre a-t-il entraîné 
des réactions hostiles à votre égard ?

    Laurence Noëlle. Pour l’instant, j’ai plutôt des messages d’empathie. Beaucoup de gens me soutiennent et me disent que mon livre peut permettre de changer les mentalités. Les retours sont chaleureux et ils me portent. En écrivant ce livre, c’est-à-dire en rassemblant les pièces du puzzle de ma vie, j’ai voulu comprendre pourquoi j’ai eu des comportements destructeurs. Et je me retrouve devant une explosion de sollicitudes, de toutes parts. Je fais partie des toutes premières femmes à sortir de l’ombre, alors que pendant vingt-huit ans, je ne pouvais pas supporter de voir des émissions ou autres films qui traitent de la prostitution ou des abus sexuels. J’ai découvert l’existence de l’Union des survivantes du trafic sexuel, aux États-Unis, qui m’a contactée pour faire partie de leur réseau. Je n’ai pas le cœur d’une militante. Je pourrais dire non à ces sollicitations, mais je pense que la vie me demande de l’être. J’ai été auditionnée à l’Assemblée nationale une première fois, le 29 mai 2013, à huis clos. En sortant, j’ai pleuré pendant des heures, mais de grâce, de joie. C’est un beau cadeau pour moi de constater que mon livre peut œuvrer à un projet de loi contre le système prostitutionnel. C’est une réalisation de soi. C’est poser sa petite pierre en ce monde et si nous en posons tous une, c’est le monde qui change.

    Comment avez-vous pu sortir 
de la prostitution ?

    Laurence Noëlle. En allant chercher de l’aide. Mais il faut choisir les bonnes personnes, celles qui ne jugent pas, celles qui prennent le temps de comprendre. La notion d’écoute est fondamentale. Celles qui m’ont aidée sont des personnes qui ont mis en avant mes qualités, qui ont cru en moi. Si on est convaincu que l’on peut s’en sortir, on se donne davantage de chance pour y arriver.

    Les moyens sont-ils suffisants ?

    Laurence Noëlle. Il est vrai qu’en dehors des associations, rien n’existe. Il n’y a aucune réinsertion sociale. Tout doit être repensé. Quand on sort de la prostitution, on est bouffé par la honte, par l’alcool, la drogue, la frigidité, par l’humiliation. On est fracassé. Si bien que l’on peut vite replonger. La société doit déplacer son regard. On doit former les travailleurs sociaux pour bien comprendre le système prostitutionnel. On aura beau mettre les moyens matériels, si on ne voit pas autrement les prostituées, rien ne changera.

    Un espoir pour les autres. Laurence Noëlle est engagée dans la lutte contre le trafic et l’exploitation sexuelle. Elle anime des conférences et formations sur l’écoute, l’accompagnement, la gestion de groupe en prévention. Elle participe 
aux activités organisées par le Mouvement du Nid, une association reconnue d’utilité publique. Elle est désormais formatrice professionnelle d’adultes, spécialisée en relations humaines et dans la prévention de toute forme 
de violence. Elle exerce aussi ses activités dans les services pénitentiaires, 
à la demande du ministère de la Justice. Ce n’est évidemment pas un hasard qu’elle ait choisi cette filière. Un bel accomplissement pour cette femme qui s’est longtemps identifiée à la honte.

    Son livre, Renaître de ses hontes, est un espoir pour toutes celles et tous ceux qui n’ont plus confiance en eux. Il redonne 
à d’autres le désir et la force de changer. Il ouvre des portes, élargit les horizons et contribue à un changement de regard sur les personnes prostituées.

    (1) Renaître de ses hontes, de Laurence Noëlle. Éditions Le Passeur, avril 2013, 18,50 euros.

    Entretien réalisé par Mina Kaci

    http://www.humanite.fr/social-eco/laurence-noelle-553508

  • Merci Sylviane Agacinski

    http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/1a/Delanoe_Zenith_2008_02_27_n20.jpg


    "La prostitution est une servitude archaïque qu'il faut faire reculer"

    LE MONDE | 20.11.2013 à 11h09 | Propos recueillis par Gaëlle Dupont

    Sylviane Agacinski, 68 ans, est philosophe. Elle a consacré de nombreux ouvrages à la question de la différence et des rapports entre les sexes et critique la marchandisation du corps humain, notamment dans Corps en miettes (Flammarion, 138 p., 12 euros). Elle défend la proposition de loi visant notamment à sanctionner les clients de prostituées, qu'une commission spéciale de l'Assemblée nationale a adoptée, mardi 19 novembre, et dont les députés débattront fin novembre.

    En 2012 vous avez signé une pétition louant le courage de la ministre Najat Vallaud-Belkacem, attaquée sur son souhait de faire disparaître la prostitution. Pourtant, elle n'est pas à l'origine du texte qui arrive à l'Assemblée. A-t-elle manqué de courage ?

    Sûrement pas. La ministre des droits des femmes était dans son rôle en rappelant que l'abolition de la prostitution est la position officielle de la France depuis 1946. Face à ceux qui réclament la légalisation du "travail du sexe" et la dépénalisation du proxénétisme, comme le Strass , il fallait réaffirmer que la prostitution est une servitude archaïque qu'il faut faire reculer. De leur côté, les députés sont dans leur rôle en faisant une proposition de loi pour pénaliser la demande, soutenus par la ministre et par les associations féministes.

    Le tollé suscité par le "manifeste des 343 salauds" publié dans "Causeur" n'est-il pas le signe que la position abolitionniste est aujourd'hui dominante dans le débat public ?

    Les 343 rigolos qui se sentent menacés dans leur virilité s'ils ne peuvent plus se payer une "pute", comme ils disent, devraient faire le trottoir pendant quelque temps, cela les aiderait peut-être à réfléchir. Il y a une totale dissymétrie entre le client qui cherche son plaisir, une fois de temps en temps, et la personne qui doit subir des relations sexuelles en série, au mépris de sa sensibilité et de son propre désir.

    Par ailleurs, les clients disent recourir à la prostitution notamment pour assouvir des fantasmes que leur partenaire répugnerait à satisfaire. C'est intéressant. Consultez, sur Internet, la tarification des "services sexuels", vous trouverez, au-delà des actes habituels, des prestations comme la douche d'urine, ou de sperme, "sur le visage de la travailleuse" , et autres pratiques spéciales. Le commerce de la chair est une négation de la personne, c'est ce que l'opinion accepte de plus en plus mal.

    La pénalisation du client n'est-elle pas une façon déguisée de prohiber la prostitution et de porter un jugement moral sur cette activité ?

    Il ne s'agit pas de savoir s'il est bien, moralement, de se vendre, mais s'il est légitime de prétendre acheter un corps, et donc de mettre fin à la vieille hypocrisie bourgeoise qui condamnait les "filles publiques" et protégeait leurs clients. Ce qui est en cause, c'est l'organisation du marché du sexe, avec ses producteurs (trafiquants et proxénètes), ses marchandises (les personnes prostituées) et ses consommateurs (les clients). Partout, dans la société, la sexualité est exclue des services, et chacun a droit à son intimité. Seul le corps prostitué perd ce droit, en tant qu'il est mis à disposition d'un public payant.

    Certaines femmes affirment avoir fait le choix de se prostituer. Peut-on leur dénier ce droit, même si elles sont minoritaires ? Ne passe-t-on pas sous silence la diversité des situations dans la prostitution ?

    On a appris, il me semble, à se méfier des sophismes sur le "libre choix". On a vu des esclaves qui voulaient le rester, on voit des travailleurs clandestins qui "choisissent" de travailler dans des caves douze heures par jour, ou des femmes qui "choisissent" de porter le voile intégral. La "liberté" de se laisser asservir est une contradiction dans les termes. Les lois sont faites pour définir les relations sociales justes et équitables, pour garantir la liberté, la dignité et la santé de chacun, et non pour abandonner les plus pauvres à l'emprise de l'argent sur leurs vies.

    Même des migrantes, considérées comme victimes de la traite par les pouvoirs publics, affirment préférer le trottoir en France à la vie dans leur pays d'origine. Pourquoi mettre en doute leur parole ?

    Personne ne peut croire que les migrantes décident, une par une, de venir se prostituer sur les trottoirs parisiens. 80 % des prostituées en France sont "importées" en masse en Europe occidentale, depuis l'Afrique, l'Europe de l'Est ou l'Asie, par des réseaux extrêmement violents. Elles ont peur. Les autres sont poussées vers la prostitution par la pauvreté. Le premier effet d'une pénalisation de la demande sera de décourager les réseaux en dissuadant les clients.

    Les associations de terrain redoutent de voir disparaître la prostitution visible, mais pas la prostitution cachée, avec des effets négatifs sur la sécurité et la santé des prostituées. Qu'en pensez-vous ?

    Le problème est-il seulement d'améliorer les conditions de la servitude sexuelle, ou bien d'en contester le principe ? En réalité, la prostitution est intrinsèquement dangereuse pour la sécurité des femmes, elle est ravageuse pour leur santé physique et mentale. Beaucoup sont obligées de se dissocier de leur corps pour pouvoir le laisser à la disposition du client. Alors, n'utilisons pas, comme toujours, l'argument hygiéniste pour mieux maintenir le statu quo, voire pour légaliser le "travail" du sexe. Posons d'abord que le corps humain n'est pas à vendre, et soyons pragmatiques ensuite.

    http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2013/11/20/la-prostitution-est-une-servitude-archaique-qu-il-faut-faire-reculer_3516983_3224.html?xtmc=sylviane&xtcr=1

  • "Le désir des hommes livré à l'industrie du prêt-à-jouir", Nancy Huston (Le Monde)

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    LE MONDE | 10.11.2013 à 20h40 • Mis à jour le 11.11.2013 à 15h14 | Par Nancy Huston (Romancière et essayiste)

    "Tous deux s'accrochaient à un fantasme plutôt que l'un à l'autre, cherchaient non à s'offrir les secrets de leur corps mais à sucer du plaisir des fissures de leur esprit. Où qu'ils se tournaient, ils se trouvaient empêtrés dans les vrilles de la honte ; tous les gros mots de leur vocabulaire se moquaient de ce qu'ils faisaient. » Personne, peut-être, ce dernier siècle, n'a réfléchi à la sexualité avec plus d'acuité que l'auteur américain James Baldwin (1924-1987). Pas sur la sexualité des Noirs ou celle des gays (bien qu'il fût lui-même, selon ses propres termes, « un nègre et un pédé »), non, sur la sexualité en général qui, comme à peu près tout dans le monde contemporain, tend à devenir une industrie capitaliste dominée par des hommes blancs.

    Le débat autour de la pénalisation éventuelle des clients des prostituées et les réactions ineptes à ce projet (genre « Manifeste des 343 salauds ») pourraient nous inciter à relire ce grand écrivain, notamment son roman Un autre pays (Gallimard, 1996) ou son essai consacré à Gide, La Prison mâle (paru dans Personne ne sait mon nom, Gallimard, 1998). « Quand les hommes n'arrivent plus à aimer les femmes, dit Baldwin à la fin de ce dernier essai, ils cessent aussi de s'aimer, de se respecter et de se faire confiance entre eux, ce qui rend leur isolement complet. Rien n'est plus dangereux que cet isolement-là, car les hommes commettront n'importe quel crime plutôt que de l'endurer. » Comme ce serait utile, pour ne pas dire merveilleux, que de temps à autre, l'on cesse de parler du « problème féminin » et que les hommes s'intéressent à eux-mêmes en tant qu'ils sont singuliers.

    Baldwin sait que la prostitution est une fausse solution à un vrai problème. « Un temps, cela lui avait paru plus simple. Mais même le plaisir simple, acheté et payé, ne mettait pas longtemps à faillir – le plaisir, s'avérait-il, n'était pas simple. (…) Peu à peu, contre son gré, il fut forcé de se rendre compte qu'il avait couru les risques ni pour tester sa virilité ni pour rehausser son sens de la vie. Il s'était réfugié dans l'aventure du dehors pour éviter les heurts et la tension de l'aventure qui, dedans, avançait inexorablement. » L'on évite de regarder ce qui se passe à l'intérieur. L'on évite de parler du sens de la vie, des difficultés d'entente entre les sexes… L'on va au plus vite : aventure du dehors.

    En France, on a beau avoir décrété la mort de Dieu et séparé l'Etat de l'Eglise, les grandes questions auxquelles Dieu et l'Eglise étaient une tentative de réponse restent entières. Elles n'ont pas été dissoutes, au XVIIIe siècle, par l'orgasme rugissant des libertins du marquis de Sade éventrant des vierges, ni, au XIXe, par la poésie sombre et sidérante d'un Baudelaire, ni, au XXe, par l'expérience des limites d'un Georges Bataille ou l'holocauste consenti d'une Pauline Réage, ni, au XXIe, par l'universelle disponibilité de putes et d'images de putes que permet le Net.

    Aujourd'hui, on se trouve dans une situation hautement paradoxale qui, n'étaient-ce les dégâts qu'elle entraîne, confinerait au comique. Grâce à nos médias performants et omniprésents, on reçoit chaque jour d'innombrables messages sauvages primitifs antiques pour ne pas dire préhistoriques : l'homme est un guerrier déchaîné meurtrier musclé violent ; la femme est une chose à décorer, à maquiller, à habiller, à déshabiller, à protéger, à sauver, à frapper et à baiser. Les hommes se rentrent dedans, en politique, en économie, en sport, sur les champs de bataille, les femmes s'occupent indéfiniment d'être belles et/ou maternelles.

    Mais comme, selon notre idéologie officielle, il n'y a pas de différence des sexes qui vaille, comme la République, tel Tartuffe, refuse de percevoir le désarroi de ses citoyens face à la liberté, l'égalité et la fraternité de ses citoyennes, il n'est que minimalement tenu compte des problèmes sexuels dans l'éducation (familiale ou scolaire) que nous prodiguons aux enfants et adolescents mâles.

    Certes il est souhaitable que les garçons aient une connaissance solide de l'anatomie féminine, de la menstruation, de la contraception… Mais qu'en est-il de leurs propres troubles troublants ? L'effet de la montée des hormones n'est pas le même chez le garçon que chez la fille. Qu'est-ce qu'avoir un corps masculin désirant, bandant, frémissant, vulnérable, bouleversé ? Que faire des fantasmes qui tourmentent ? Peut-on se donner soi-même du plaisir hors culpabilité… et hors vulgarité ? Que faire de l'amour, de la jalousie, de l'impuissance, de la dépression post-coïtale ? Que faire des passions et peurs que suscite la sexualité masculine naissante, souvent totalement obsédante ?

    Eh bien, répondent avec un bel ensemble les parents, enseignants et écrivains français : rien, puisqu'il n'y a pas de différence. Ce qui – la curiosité étant intense et les hormones puissantes – laisse le champ libre au prêt-à-jouir, la jungle envahissante de ce qui va vite et se vend bien, oui, l'équivalent rigoureux du fast-food : le fast-sex de la pornographie.

    Liberté sexuelle ? Tout juste le contraire. L'Eglise stigmatisait la sexualité, parlait de parties honteuses ; la pornographie massivement consommée jour après jour est liée aux mêmes opprobres, hontes et interdits. Elle est un monde de pure contrainte. Liberté d'expression ? Loin de là. Qui s'exprime et qu'est-ce qui s'exprime là-dedans ? La seule chose libre dans la pornographie, comme dans les McDo, ou les poulaillers sans fenêtres, ou les maïs transgéniques, c'est le marché.

    Il est bien possible que la sexualité ne puisse pas être « libérée ». Sa fonction primordiale étant la reproduction de l'espèce, elle est très littéralement une question de vie et de mort. D'où la violence parfois extrême de la jalousie sexuelle (surtout masculine). Que la fonction reproductrice puisse être désactivée, nous allouant de longues et belles années de pratiques sexuelles stériles, ne suffit pas pour bannir les affects qui l'accompagnent depuis la nuit des temps pour des raisons de survie. Sans quoi, le monde entier eût suivi le lénifiant conseil des hippies des années 1960 : « Faites l'amour, pas la guerre. »

    James Baldwin encore, dont le héros déambule dans les rues de New York : « Il n'arrivait pas à se débarrasser du sentiment qu'une sorte de peste faisait rage, même si, officiellement, on le niait tant en public qu'en privé. Même les jeunes semblaient atteints – et à vrai dire plus gravement que les autres. Les garçons en blue-jean couraient ensemble, osant à peine se faire confiance et cependant unis, tout comme leurs aînés, dans une puérile méfiance des filles. Leur démarche même, sorte de balancement anti-érotique actionné par les genoux, était une parodie tant de la locomotion que de la virilité. Ils semblaient reculer devant tout contact avec leurs organes sexuels – que soulignaient pourtant leurs habits de façon flamboyante et paradoxale. Ils semblaient – mais était-ce vrai ? et comment cela s'était-il produit ? – à l'aise avec la brutalité, habitués à l'indifférence, terrorisés par l'affection humaine. De façon bien étrange, ils semblaient ne pas s'en estimer dignes. »

    L'angoisse de vivre et de chercher un sens à la vie demeure. Prostitution et pornographie cristallisent, en ceux – et bien sûr en celles, moins nombreuses – qui les consomment, le non-contact, le non-partage, l'impersonnalisation de leur propre corps. Il faut lire James Baldwin, Rainer Maria Rilke, Tarjei Vesaas. Etudier les nus en peinture. Sauver ce qui, de l'humain, peut l'être. Tenter d'arrêter les dégâts… non pas contre les hommes, mais avec eux.

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2013/11/10/le-desir-des-hommes-livre-a-l-industrie-du-pret-a-jouir-par-nancy-houston_3511441_3232.html?xtmc=elisabeth_levy&xtcr=4

  • Gabriel Matzneff, écrivain distingué, n'en reste pas moins un pédophile et un apôtre de la pédophilie

    http://www.leoscheer.com/blog/images/gabriel%20matzneff.jpg

    Dès lors, il ne mérite pas le prix qu'on lui octroie.

    L'éthique prime sur l'esthétique.

    La liberté individuelle s'arrête là où commence celle des autres - des enfants en l'espèce.

    Porter atteinte aux droits fondamentaux d'autrui, ce n'est pas exprimer sa liberté, c'est manifester son aliénation en aliénant l'autre.

    Les artistes n'ont pas tous les droits par la seule vertu de leur talent (ou de leur absence de talent).

    Ce sont, d'abord, des citoyens, et leur statut d'artiste ne les place pas au-dessus des lois ni des principes moraux fondamentaux.

    Un jury qui décerne des prix à un pédophile cautionne la pédophilie.

    Il faut retirer le prix Renaudot Essai 2013 attribué à Gabriel Matzneff pour Séraphin, c'est la fin !

    http://www.petitions24.net/retirer_le_prix_renaudot_a_gabriel_matzneff_militant_pro_pedophil

    https://www.change.org/fr/p%C3%A9titions/membres-du-jury-du-prix-renaudot-essai-2013-retirez-le-prix-renaudot-essai-2013-attribu%C3%A9-%C3%A0-gabriel-matzneff-pour-s%C3%A9raphin-c-est-la-fin

    A lire : http://www.slate.fr/culture/80167/matzneff :

    De même que nous nous étions émus, à Slate, de voir que Gabriel Matzneff, qui affiche clairement ses rapports sexuels avec des mineurs, parfois des enfants de moins de 10 ans, puisse recevoir le prix Renaudot essai (essai, pas roman), des pétitions se sont élevées pour lui voir retirer ce prix.

    L’écrivain en est mécontent.

    Il l’écrit dans Le Point – dont il est le collaborateur régulier, et dont le directeur, Franz-Olivier Giesbert, fait partie des jurés du prix Renaudot:

    «Juger un livre, un tableau, une sculpture, un film non sur sa beauté, sa force d'expression, mais sur sa moralité ou sa prétendue immoralité est déjà une spectaculaire connerie, nos amis italiens diraient una stronzata megagalattica, mais avoir en outre l'idée malsaine de rédiger ou de signer une pétition s'indignant du bel accueil que des gens de goût font à cette oeuvre, une pétition dont l'unique but est de faire du tort à l'écrivain, au peintre, au sculpteur, au cinéaste, est une pure dégueulasserie.»

    (Pour rappel, cet homme qui emploie les mots «idée malsaine» et «dégueulasserie», c’est le même qui écrit :

    «Les petits garçons de onze ou douze ans que je mets ici dans mon lit sont un piment rare.»)

    Il poursuit:

    «Les délateurs ont toujours existé, et sous l'occupation allemande les lettres de dénonciation s'entassaient sur les bureaux de la Gestapo ou de la Milice.»

    (Matzneff est friand des points Godwin).

    Et encore:

    «Ces misérables sycophantes ne sont pas tous idiots, ils savent aussi bien que moi qu'en art, et notamment en littérature, tout est sujet, qu'il n'y a pas de grands et de petits sujets, de sujets nobles et de sujets ignobles; qu'un écrivain, c'est une sensibilité modelée par une écriture, un univers soutenu par un style. Que l'art n'a rien à voir avec la morale, absolument rien. […] Ces zozos citent des extraits "scandaleux" de mes livres, toujours les mêmes, qu'ils ont sans doute dénichés sur Internet, mais je ne crois pas qu'ils aient mes livres dans leur bibliothèque; je crois qu'ils n'ont pas de bibliothèque, qu'ils n'aiment ni la beauté, ni la liberté, ni l'art. Ce qu'ils aiment, c'est haïr, c'est dénoncer, c'est ameuter les foules anonymes d'Internet contre un homme seul.

    J'ignore quelle tronche peuvent avoir ces brûleurs de livres. Je les imagine assez bien sous le trait du type qui a tiré au fusil sur un photographe de Libération […]»

    D’abord je voudrais rassurer Matzneff : j’ai une bibliothèque.


    Ça c'est celle de ma chambre.

    Ensuite je voudrais qu'il se souvienne de la différence entre délation et dénonciation.

    Outre le fait que dénoncer les juifs pendant la guerre, c'était les promettre aux camps de concentration et à la mort, et que dénoncer le Renaudot remis à Matzneff ne porte à aucune conséquence (on va dire que je pinaille, mais j'ai le sentiment que la distinction n'est pas si mince), il n'y a rien dans la dénonciation des écrits de Matzneff de secret, de caché, de sournois.

    Matzneff revendique ses goûts pour les enfants.

    Les pétitions s'en indignent.

    Les articles sur le sujet sont signés.

    Surtout, je voudrais comprendre cet argument selon lequel «l'art n'a rien à voir avec la morale».

    Qui dit le contraire aujourd’hui ?

    Qui dit qu’une œuvre, pour être belle, devrait être conforme à une idéologie ?

    Personne ne dit : Polanski a été accusé d’abus sexuel sur mineur, donc Le Pianiste est un film horrible.

    Cantat a été condamné pour homicide involontaire, ses chansons sont devenues affreuses.

    Mais ce n’est pas parce qu’un artiste écrit/chante/réalise des œuvres d’importance, que son rôle de citoyen en est diminué.

    Et que respecter la loi n’est pas impératif pour lui.

    On écrit parfaitement bien depuis les prisons françaises.

    Les éditeurs peuvent venir chercher des textes au parloir, rien ne les empêche de les publier.

    Les jurés littéraires ne sont pas obligés de les honorer.

    Céline, l’antisémite primé

    J’aime quand on brandit Céline comme argument :

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    Mais le Renaudot qui vient d’être attribué à Matzneff n’a rien à voir.

    Il récompense un livre, un essai, qui contient des passages odieux sur la pédophilie.

    Le Renaudot remis à Céline en 1932 pour Voyage au Bout de la Nuit ne couronnait pas un essai antisémite.

    Mais un roman, qui ne l’était pas.

    Et aucun doute n’existait sur l’idéologie de Céline, qui a été condamné par la justice française.

    Par ailleurs, mais c’est un autre problème, Céline est indispensable à la littérature française.

    Gabriel Matzneff ne l’est pas.

    La pédophilie, une question de point de vue

    Dans sa tribune du Point, Matzneff se plaint d’être cloué au pilori pour ses mœurs.

    Mais Matzneff n’est pas vilipendé pour ses mœurs, ni son «style de vie».

    La pédophilie n’est pas un style de vie.

    Comme nous le rappelions sur Slate : l'abus sexuel sur mineur comprend toute relation sexuelle entre un adulte et un mineur de quinze ans, que ce dernier se dise consentant ou non et que «la contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime».

    Matzneff revendique ses actes pédophiles.

    Il ne s’agit pas, pour ses détracteurs, de faire preuve comme il le prétend de «ringardise venimeuse» en le lui reprochant.

    La ringardise est du côté de ceux qui croient que la pédophilie n’est pas si grave.

    Que les enfants restent ces «petits pervers polymorphes» décrits par Freud et qu’à ce titre, il n’y a pas d’âge pour leur mettre un pénis dans le cul.

    Mais si, il y en a un.

    Déterminé par la loi française, et non la morale populaire.

    C.P.

  • L'appel "Touche pas à ma pute" humilie les femmes (Anne Zelensky pour Le Monde)

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    « Touche pas à ma pute », tel est l'intitulé d'une pétition qui sera publiée dans Causeur de novembre. Elle est le porte-étendard du « Manifeste des 343 salauds ». Voilà un acte militant inédit : les hommes n'avouent pas aisément fréquenter les putes. Et se préoccupent plus d'utiliser ces dames que de les défendre.

    Mais ce manifeste va encore plus loin, et se réclame paradoxalement d'un autre manifeste célèbre : celui des « 343 salopes », publié en avril 1971 dans Le Nouvel Observateur, pour défendre la liberté d'avorter (« Je déclare avoir avorté »). Je suis, avec d'autres, à l'origine de ce manifeste. Une précision utile : nous n'avions pas choisi de nous appeler « salopes », ce qualificatif nous est venu du dehors, de Charlie Hebdo. Si on comprend bien, le terme de « salope » désignerait donc toute femme qui enfreint les règles de la bienséance féminine officielle, pute ou féministe.

    Dans le manifeste « Touche pas à ma pute », les signataires eux, ont choisi le terme de « salaud » par référence aux « salopes » de 1971. C'est là que je m'interroge. Quelle filiation peut-il bien y avoir entre nous, les « salopes » qui réclamions la liberté interdite de disposer de notre corps, et ces « salauds » qui réclament aujourd'hui la liberté de disposer contre rémunération et sans pénalité du corps de certaines femmes ? Dans le premier cas, il s'agit de lever une oppression, dans le second, de la reconduire. Et ce au nom du même concept : la liberté. Où est la faille ?

    Ce qui chiffonne mon sens de la logique en effet dans cette proclamation, ce n'est pas tellement qu'elle défende une forme de prostitution qui concerne une minorité de personnes, persuadées de l'avoir choisie. Ce n'est pas tellement qu'elle véhicule une contradiction majeure : elle met de côté la souffrance et l'humiliation de la majorité des « forçates » du sexe, tout en condamnant les réseaux proxénètes, qui en sont les pourvoyeurs.

    LIBERTÉ OU ASSERVISSEMENT ?

    Ce qui me chiffonne, c'est cette référence à la liberté. L'occasion est donnée une fois de plus de constater les dévoiements infligés à cette idée. Ce mot connaît depuis des décennies des accommodements qui reviennent à en faire le contraire de ce qu'elle est censée être. La doxa de notre temps s'incarne dans la trilogie : « liberté d'expression », sacralisée par la loi 1881 sur la liberté de la presse, le « touche pas à » (on est passé du pote à la pute) et le « c'est mon choix ». Le tout chapeauté par le credo : « Tout se vaut » (les arts, les cultures, les dominations) ou concept d'équivalence. Tels sont les piliers qui soutiennent l'édifice construit à la gloire de « ma » liberté. Qui ne connaît pas de limite.

    Et voilà comment la liberté de disposer de son corps, revendiquée dans le « Manifeste des 343 », se voit étendu à des pratiques -– liberté de se prostituer -– qui en constituent le contraire. Comment peut-on en effet revendiquer comme liberté ce qui en fait la bafoue ? La liste est longue dans l'histoire, de ceux et celles qui ont préféré leur esclavage à la liberté, tant sont fortes l'emprise du conditionnement et la fascination de la soumission. Des esclaves noirs affranchis qui ne voulaient pas quitter leur maître, à la fameuse héroïne d'Histoire d'O, qui consentait à être asservie, on n'en finirait pas d'énumérer les zélateurs de la « servitude volontaire ». Dans cette pétition « Touche pas à ma pute », par un tour de passe-passe pervers, la liberté est mise au service de la défense d'un esclavage de fait.

    Dans cette affaire de prostitution, personne n'est en fait libre : ni la pute ni le client. A part quelques rares exceptions, la majorité des personnes qui se prostituent le font par contrainte économique ou psychologique. Soyons sérieux : ce n'est pas une partie de plaisir d'ouvrir ses jambes à la demande, plusieurs fois par jour. Quant au client, il est pris dans un système de relation homme-femme, fondé sur le malentendu et la peur.

    Quoi de plus rassurant que le scénario prostitutionnel ? Tout y est prévu : il paye, elle exécute. Elle lui offre la satisfaction de ses fantasmes ; elle l'écoute ; elle ne le juge pas. La femme idéale en somme. Il peut régresser avec elle en toute innocence, larguer un moment tout ce qui le contraint à être un homme : les responsabilités, le sérieux, la maîtrise. Le pied, non ? Etre un homme n'est pas si facile, et on peut comprendre les délices de ce lâcher-prise. Qu'il soit inavouable est bien le signe qu'il est merveilleusement transgressif. Il faut en effet un certain goût de la provocation aux signataires du « Manifeste des salauds » pour reconnaître qu'ils vont chez les putes.

    Ce manifeste s'inscrit dans la guéguerre que se livrent les sexes. C'est la réponse du berger à la bergère. La revanche de certains hommes contre la libération des femmes passe sans doute par ce pied de nez. Tu as voulu être libre ? Eh bien, moi, ça ne m'empêchera pas d'aller chez les putes. Les femmes esclaves, j'aime. Au moins elles ne me demandent rien, elles me prennent comme je suis. Là est le hic. Le féminisme a introduit dans la bergerie des sexes le dangereux loup de la lucidité. Les femmes ne veulent plus faire semblant de prendre les hommes tels qu'ils sont, et elles en ont assez d'être prises pour ce qu'elles ne sont pas. Pouce ! Il faut inventer un autre jeu.

    Une proposition de loi visant à sanctionner par une amende les clients de prostituées et à abroger le délit de racolage public a été déposée le 14 octobre par le groupe socialiste de l'Assemblée et devrait être débattue fin novembre.

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2013/10/29/l-appel-touche-pas-a-ma-pute-humilie-les-femmes_3504547_3232.html

  • "Va faire chauffer la marmite dans la grotte" (Michel Guerrin pour Le Monde)

    http://s1.lemde.fr/image/2013/10/25/534x267/3503013_3_f916_la-chef-d-orchestre-laurence-equilbey-a-paris_ca01277293bffbf003c488837195bead.jpg

    La chef d'orchestre Laurence Equilbey à Paris, le 1er octobre 2013. | AFP/JOËL SAGET

    Dean Snow est un anthropologue audacieux. Pour lui, les auteurs des peintures ornant les grottes préhistoriques seraient des femmes. Le chercheur américain, qui a étudié huit sites en France et en Espagne, se fonde sur la taille des doigts et des mains imprimés dans la pierre. Les détails sont à lire dans Le Journal du dimanche du 20 octobre.

    Peut-être est-ce farfelu. Mais ce qui compte, c'est que pas grand monde n'a envisagé l'hypothèse. En tout cas, pas le préhistorien Jean Clottes, qui répondait ceci, en 2011, déjà dans Le Journal du dimanche : « Ce n'est pas impensable. Mais pour ma part, je ne vois pas des femmes peindre des grands tableaux de chasse. La grande chasse est une affaire d'hommes… »

    La chasse, une affaire d'hommes, et la cuisine une affaire de femmes. Les préjugés ont la vie dure. Notamment dans la culture. Imagine-t-on une femme chef d'orchestre, metteur en scène d'opéra, peintre ? Pas vraiment, puisque les statistiques montrent qu'on est loin de la parité dans la création. Plus loin encore que dans la politique ou le monde de l'entreprise.

    Deux premiers rapports sur la question ont été rendus au ministère de la culture en 2006 et 2009 par Reine Prat, chargée de mission sur la question. Quelques chiffres ont fait l'effet d'une bombe : « 84 % des théâtres cofinancés par l'Etat sont dirigés par des hommes ; 97 % des musiques que nous entendons dans nos institutions ont été composées par des hommes ; 94 % des orchestres sont dirigés par des hommes. 78 % des spectacles que nous voyons ont été mis en scène par des hommes. » Et ainsi de suite.

    De son côté, la chef d'orchestre Laurence Equilbey a piloté un master mené en 2012 par deux étudiants de l'université d'Evry sur les femmes aux postes de responsabilité dans le spectacle. Sa lecture l'a édifiée : « Je ne pensais pas à un tel désastre. »

    La Société des auteurs et compositeurs dramatiques vient pour sa part de compter le nombre de femmes programmées en France, de septembre 2013 à l'été 2014, dans des spectacles : 17 femmes chefs d'orchestre sur 574, 42 femmes solistes instrumentistes sur 271, 181 metteuses en scène sur 730… Dans certains festivals où vous irez, il n'y en aura aucune. La SACD ajoute : « 81,5 % des dirigeants de l'administration culturelle sont des hommes. »

    Ce sont les arts plastiques qui s'en sortent le mieux. Plus de 30 % des artistes exposés en France sont des femmes. Ce n'est pas glorieux, mais moins piteux que dans le théâtre et surtout dans la musique. Ce qui fait sourire Laurence Equilbey : « Je me sens souvent mieux dans une exposition d'art contemporain qu'au concert. » Chargeons un peu la barque en rappelant que, dans le rapport sur les « pratiques culturelles des Français à l'ère numérique » (ministère de la culture, 2009), on apprend que les deux tiers des romans publiés sont lus par des femmes. Autrement dit, les femmes ont de l'appétit pour se cultiver, pas pour créer.

    LE PROBLÈME DE « LA MATERNITÉ »

    Le vent n'est-il pas en train de tourner ? « Les mentalités bougent, et le sujet ne fait plus rire comme avant », dit Laurence Equilbey. Le Sénat a publié en juin un rapport dans lequel il note une « véritable discrimination » culturelle. Le Mouvement HF se fait de plus en plus pressant, avec son manifeste qui entend « démocratiser la culture par la parité ». Il y a quelques jours, le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles a montré la voie en nommant une femme à sa tête, Madeleine Louarn, directrice du Théâtre de l'Entresort, à Morlaix (Finistère).

    Et puis Aurélie Filippetti fait de la parité un cheval de bataille. La ministre de la culture exige la parité dans les jurys visant à nommer des dirigeants culturels. Et elle vient de rééquilibrer le paysage en nommant Frédérique Bredin à la présidence du Centre national du cinéma, Sophie Makariou à la tête du Musée Guimet, Irina Brook au Théâtre de Nice…

    Ces nominations ont fait grincer. Notamment l'acteur Philippe Caubère, sur le thème : la parité « n'a plus aucun sens dès qu'il s'agit d'art » (Libération daté 15 juillet). Cette réflexion ouvre une question délicate. Il y a plus de 50 % de femmes dans les conservatoires (musique ou théâtre) et plus de 60 % dans les écoles d'art. Pourquoi disparaissent-elles ensuite ? Pourquoi, ajoute Laurence Equilbey, « les filles représentent entre 25 % à 30 % des classes de chefs d'orchestre, mais sont seulement 3 % ensuite à exercer » ?

    Pour le gouvernement, la réponse est claire : les femmes sont discriminées, d'où sa politique de « discrimination positive ». Une autre réponse ouvre un terrain glissant, qui a fait déraper le compositeur en vogue Bruno Mantovani, 39 ans, patron du Conservatoire national de musique, à Paris. Le 3 octobre, sur France Musique, il a listé les raisons qui expliquent le décalage entre apprentissage et vie active pour les chefs d'orchestre : un métier « éprouvant physiquement », qui n'intéresse « pas forcément » les femmes, qui pose le problème de « la maternité ». Ne manquent plus que « l'autorité et la crédibilité » des femmes, et on tient tous les poncifs.

    Mais l'argument le plus souvent entendu chez les décideurs culturels est le suivant : je prends le meilleur, et le meilleur est un homme. Logique, ils sont plus nombreux en place. Laurence Equilbey est favorable à l'excellence, mais elle ajoute : « Pour que les femmes s'aguerrissent, il faut leur donner leur chance. On ne le fait pas. » Elle ne souhaite pas tant une discrimination positive que des « actions positives » envers les femmes. « Sinon, nous resterons dans une culture verrouillée, ce qui donnera un reflet catastrophique de notre société. »

    guerrin@lemonde.fr

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/10/25/va-faire-chauffer-la-marmite-dans-la-grotte_3502979_3232.html

  • Ces apprentis James Bond qui espionnent la gauche et les écologistes

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    Mouvements écologistes et anticapitalistes sont surveillés de près par les polices européennes. Et tous les moyens sont bons, y compris l’infiltration. Vol d’identités d’enfants décédés, relations sexuelles avec leurs « cibles »… Au Royaume-Uni, les infiltrés et leurs supérieurs ne reculent devant aucun cynisme. Certains policiers ont même eu des enfants avec les militants qu’ils espionnent. Décryptage de ces détestables pratiques qui font l’objet de virulentes critiques, et échappent à tout contrôle parlementaire ou judiciaire.

    Leurs défenseurs les comparent à des sortes de James Bond, qui fréquenteraient squats et lieux autogérés plutôt que des casinos huppés, qui participeraient à des « camps climat » ou à des actions de résistances passives plutôt qu’à de spectaculaires courses-poursuites. Ces espions au service de sa majesté, ce sont les policiers infiltrés au sein des mouvements écologistes ou anticapitalistes. Ces méthodes d’infiltration font l’objet de virulentes critiques au Royaume-Uni, depuis qu’elles ont été révélées par l’affaire Mark Kennedy. Ce policier s’est infiltré entre 2003 et 2010 au sein de groupes de la gauche radicale européenne, dont le collectif militant de Tarnac, avant d’être démasqué. Les informations transmises par Kennedy ont notamment été utilisées par la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) pour monter son dossier contre « les neuf de Tarnac ». Depuis, les affaires impliquant des infiltrés se sont multipliées.

    Leurs noms sont révélés au gré de scandales, de procès ou de plaintes qui défraient la chronique outre-Manche : Lynn Watson, une agent de police basée à Leeds, a infiltré plusieurs groupes écologistes, anticapitalistes et pacifistes entre 2003 et 2008. Simon Wellings demeure quatre ans au sein du réseau anticapitaliste Globalise Resistance, avant de se griller par un coup de fil accidentel alors qu’il transmet infos et photos dans un commissariat. Jim Sutton, infiltré au sein du mouvement Reclaim the Streets – un mouvement de réappropriation de l’espace public – à la fin des années 90, finit par avouer qu’il est policier à sa compagne militante… avec qui il a eu deux enfants ! Le couple divorce en 2009. Bob Robinson (ou Bob Lambert) et John Baker intègrent Greenpeace dans les années 80 et 90. Tous deux ont des relations amoureuses durables avec une de leurs « cibles »… Une version « réalité » de James Bond, où la subversion anticapitaliste et écologiste est combattue avec les mêmes moyens que ceux utilisés pour démanteler un réseau terroriste ou de trafic de drogue.

    Un service très spécial

    Le Royaume-Uni dispose d’une solide expérience en matière d’infiltrations des milieux activistes, pacifistes, écologistes ou anarchistes : 40 ans exactement. Tout commence en 1968. En pleine période de contestation et de manifs contre la guerre du Vietnam naît le « SDS » (Special Demonstration Squad), un « Service spécial des manifestations ». Il sera dissous en 2008. Ses pratiques font désormais l’objet de demandes d’investigations de la part de parlementaires et d’avocats après une succession de révélations plus détestables les unes que les autres.

    « Quelles sont les critères pour autoriser une infiltration ? Construire une relation avec des « cibles », y compris avoir des enfants avec elles, fait-il partie des politiques officielles de l’État ? Dans quelle mesure ces opérations d’infiltration sont-elles coordonnées au niveau européen ? », interroge le centre de recherche indépendant Statewatch, basé à Londres, qui regroupe avocats, chercheurs ou journalistes travaillant sur la question des libertés publiques [1].

    Quand l’État vole les identités d’enfants décédés

    En février, le quotidien The Guardian révèle que, pour mener à bien ses infiltrations, la police britannique « a volé les identités d’environ 80 enfants décédés pour établir des faux passeports à leurs noms » [2]. A l’exemple de « Peter Daley », infiltré au sein de mouvements antiracistes dans les années 90, qui utilise comme couverture l’identité d’un enfant de quatre ans mort de leucémie. Le vol de l’identité et du certificat de naissance facilitait l’élaboration de couvertures crédibles.

    Le procédé, dévoilé sur la place publique, est qualifié de « macabre », « irrespectueux » et « odieux » par la commission parlementaire chargée de suivre les affaires intérieures [3]. La police britannique assure aujourd’hui que de telles pratiques n’ont plus cours et a lancé une enquête interne. Jusqu’à cet été, ses chefs n’avaient toujours pas daigné entrer en relation avec les familles concernées [4]). James Bond n’est plus un gentleman.

    Des conjointes et épouses abusées

    La recherche des responsables tarde. « Il n’existe pas un fichier poussiéreux rangé quelque part au sein de Scotland Yard qui nous apportera toutes les réponses. Mais plus de 50 000 documents, papier et électronique, que nous devons passer au crible », précise la Commissaire adjointe, Patricia Gallan, en février 2013, auprès des parlementaires membres de la commission d’enquête sur le sujet. Une manière de prévenir : les réponses risquent bien de ne jamais être divulguées. D’autant que les enquêtes resteront internes.

    Une autre affaire se retrouve quasiment classée « secret défense ». En décembre 2011, après les premières révélations sur les policiers espions, huit femmes annoncent poursuivre en justice la police britannique. En cause : l’infiltration de cinq officiers au sein de « groupes promouvant la justice sociale ou environnementale ». Des agents qui, tout en cachant leurs véritables motivations, étaient devenus leurs conjoints. Les relations intimes ont duré entre sept mois et… 9 ans ! Les plaignantes s’appuient sur les articles de la Convention européenne des droits de l’Homme qui protègent la vie privée et familiale, et interdisent des traitements dégradants et inhumains. Mais, début 2013, la Haute Cour stipule que l’affaire sera traitée à huis clos, dans le secret du « Tribunal spécial sur les pouvoirs d’investigation de l’État » (Investigatory Powers Tribunal), chargé de contrôler les activités de surveillance et d’infiltration menées par la police et les services secrets britanniques.

    La jurisprudence James Bond

    Pour justifier le recours à cette législation spéciale, le juge Michael Tugendhat, n’hésite pas à se référer au fameux héros de Ian Fleming : « James Bond est le plus célèbre exemple fictif d’un membre des services de renseignement qui utilise ses relations avec les femmes pour obtenir des informations ou accéder à des personnes et des biens. (…) Ian Fleming ne s’attarde pas sur la manière dont son héros utilise la tromperie, et encore moins sur le préjudice psychologique que ces relations pourraient provoquer. Mais bien que fictif, cet exemple accrédite la vue que les services de renseignement et de police déploient depuis de nombreuses années des hommes et des femmes officiers dans le but de nouer des relations personnelles de nature intime afin d’obtenir des informations. (…) De mon point de vue, chacun, dans sa vie, doit assumer le fait que les services secrets et la police doivent, de temps en temps, déployer des officiers infiltrés, que ce soit à tort ou à raison. » Ces cas de tromperies, de manipulations, de mensonges et d’humiliations, au service de la sécurité de l’État, seront donc traitées en toute discrétion. Grâce à un roman.

    « Nous sommes indignés que la Haute Cour permette à la police (…) de garder le secret de leurs opérations abusives et manipulatrices. En comparaison, la vie privée des citoyens espionnés par la police secrète ne dispose d’aucune protection, ce qui est contraire à tous les principes que nous pourrions attendre d’une société démocratique », ont répondu les huit plaignantes. « Il est inacceptable que des agents de l’État puissent cultiver des relations durables et intimes avec des militants politiques afin de collecter de soi-disant renseignements sur les mouvements politiques. Nous avons l’intention de poursuivre ce combat. » (voir leur site).

    Quand l’infiltration se retourne contre la police

    Même les élus se voient retourner une fin de non-recevoir. Jenny Jones, vice-Présidente de la commission sur la sécurité londonienne, et élue verte de la capitale, a critiqué « l’obstruction délibérée » de la police suite à ses demandes d’informations répétées sur les opérations d’infiltration. Malgré les remous, l’opaque rideau qui recouvre ces barbouzeries ne se déchire pas.

    L’une des opérations d’infiltration menée par Mark Kennedy avait abouti à la plus grande rafle d’activistes écologistes de l’histoire britannique. 114 militants, suspectés de préparer une action contre une très polluante centrale au charbon près de Nottingham, ont été arrêtés préventivement en avril 2009. Parmi eux, 20 activistes sont poursuivis puis condamnés à de courtes peines d’emprisonnement ou des amendes. Ces condamnations sont finalement annulées car l’accusation n’avait pas communiqué l’ensemble de son dossier à la défense… dont les informations recueillies par la taupe. D’autres militants écologistes pourraient faire appel dans des affaires similaires, dont les dossiers à charge sont basés sur les informations de policiers infiltrés.

    L’Europe envahie de taupes

    Ces scandales ne se cantonnent pas au territoire britannique. Ils s’étendent au-delà des frontières du royaume, à l’Europe continentale. Pendant ses sept années d’infiltration au sein de la gauche radicale, Mark Kennedy a ainsi été « déployé » dans onze pays différents, dont la France, lors d’une quarantaine d’évènements militants (rencontres, manifestations…). Ces opérations sont coordonnées au niveau européen par un groupe spécial (European Cooperation Group on Undercover Activities, ECG), créé en 2011. L’ECG regroupe Interpol, plusieurs services de police des États membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, dont… la très démocratique Russie. L’ECG fait elle-même partie d’un groupe de travail international (IWG [5]) avec les services états-uniens ou israéliens.

    « Lorsque les forces de police et les services de renseignement s’engagent dans la coopération internationale, le grand perdant est le contrôle parlementaire. L’importance croissante des réseaux de policiers en civil rend cette situation bien plus critique », alerte en 2012 le député de gauche allemand Andrej Hunko. L’affaire des infiltrés britanniques a fait des vagues jusqu’à Berlin. Des députés du Bundestag questionnent à plusieurs reprises le gouvernement d’Angela Merkel sur le niveau d’implication de la police allemande, et des polices européennes, dans ces opérations secrètes. Le ministère de l’Intérieur précise alors qu’il n’autorise pas ses agents, y compris les agents étrangers opérant sur le sol allemand, à avoir et à entretenir des relations sexuelles dans le cadre d’une enquête.

    Les élus n’en apprendront pas beaucoup plus, « pour des raisons de confidentialité. » « L’infiltration des mouvements de gauche européens illustre cette coopération policière menée en l’absence de tout contrôle parlementaire. On ne sait toujours pas sur ordre de qui l’enquêteur infiltré opérait pendant les années de son activité », rappelle Andrej Hunko. En France, les opérations d’infiltration sont censées être réalisées sous le contrôle d’un procureur ou d’un juge d’instruction (voir le Code de procédure pénale). Mais aucun cadre juridique ou démocratique n’existe au niveau européen pour contrôler ces pratiques. Les barbouzes chargés d’espionner les mouvements de contestation ont de beaux jours devant eux.

    Ivan du Roy, avec Statewatch

    Photos : une (Wikimedia Commons), Police Only (CC Leo Reynolds), State Police (CC Julian Kliner)

    http://www.bastamag.net/article3337.html