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Presse - Page 9

  • La solution à tous les maux de la terre ? Facile : arrêtons de procréer

    Une part stable d'irréductibles refuse d'avoir des enfants, selon une étude de l'INED. Un choix parfois pris en couple, et pas simple à assumer.

    Ils n'ont pas d'enfant et n'en veulent pas : les « no kids » toujours aussi mal vus (Gaëlle Dupont pour Le Monde)

    La famille est la valeur préférée des Français, les couples homosexuels revendiquent haut et fort leur souhait d'avoir une descendance, droite et gauche s'écharpent sur les valeurs à enseigner à nos têtes blondes… et eux restent en dehors de tout cela.

    Ils n'ont pas d'enfant, et n'en veulent pas. Un choix qui, en France, reste marginal, d'après les données publiées par l'Institut national d'études démographiques (INED) le 12 février.

    Ils sont 6,3 % des hommes et 4,3 % des femmes, selon l'enquête « Fecond », réalisée en 2010 auprès de 5 275 femmes et 3 373 hommes âgés de 15 à 49 ans par l'INED et l'Institut national de la santé et de recherche médicale (Inserm). La moitié sont en couple. Pas d'inquiétude pour les chiffres de la natalité française : ces proportions sont stables depuis une vingtaine d'années. Ce qui étonne, c'est à quel point ce choix reste mal perçu, surtout pour les femmes, qui restent assignées au rôle de mère, bien qu'elles aient largement investi la sphère professionnelle.

    DE L'AMICALE PRESSION À LA MENACE VOILÉE

    Il suffit de tendre l'oreille ou de parcourir des forums de discussion féminins pour s'en convaincre. « Je n'ai pas envie de supporter toutes les contraintes des enfants mais j'ai peur du regard des autres ! », témoignait début février une femme de 27 ans sur Doctissimo. « Tu as peut-être seulement besoin de grandir encore un peu dans ta tête pour être capable d'assumer une maternité avec bonheur », lui répondait une « mère de trois enfants ».

    Face aux « sans-enfants », toute une palette de réaction est décrite, de l'amicale pression à la menace voilée : « Tu ne seras pas une femme épanouie », « Alors c'est pour quand ? », « Ça va venir, tu verras », « Tu regretteras plus tard »… Les personnes en couple stable sont particulièrement ciblées.

    « L'arrivée d'un premier enfant fait toujours partie du parcours conjugal attendu, l'absence d'enfant pouvant renvoyer à un dysfonctionnement, analysent Charlotte Debest et Magali Mazuy, les deux auteurs de l'étude Une pression, diffuse, s'exerce sur les couples.

    TAXÉS D'ÉGOÏSME

    Vivre sans enfant, c'est prendre le risque de vivre un peu en marge. Pourquoi ? Non pour des raisons de santé ou financières, mais pour « être bien sans enfant », « rester libre » ou se consacrer à « d'autres priorités ». « L'épanouissement personnel » apparaît comme la principale motivation des personnes concernées, même si l'âge est cité après 40 ans. Les « sans-enfants » sont souvent taxés d'égoïsme, mais c'est oublier que la société envoie des injonctions contradictoires : elle valorise autant la famille (c'est-à-dire la stabilité professionnelle et conjugale, la disponibilité pour les autres) que la liberté individuelle (l'autonomie, l'épanouissement personnel, la mobilité)… Les « sans-enfants » renoncent à tout concilier et privilégient la deuxième option.

    Chez les femmes, ce sont souvent les plus diplômées, tandis que l'effet inverse est observé chez les hommes. « Les souhaits d'infécondité volontaire sont plus fréquents chez les personnes qui, par leur position sociale, sont les plus éloignées de l'idéal du “bon parent” véhiculé par la société actuelle », analyse l'INED. Un « idéal » qui reste, pour une femme, d'être peu diplômée et disponible pour sa famille, et pour un homme de ramener de l'argent à la maison grâce à ses diplômes. La marginalité des sans-enfants est la preuve que ce schéma reste bien ancré dans les représentations collectives.

    http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2014/02/12/ils-n-ont-pas-d-enfant-et-n-en-veulent-pas-les-no-kids-sont-toujours-aussi-mal-vus_4364852_3224.html

  • Chasseurs

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    Viol intrafamilial lors de parties de chasse à Rochefort : la famille condamnée.

    Le procès dans le dossier du viol intrafamilial à Rochefort s’est terminé ce mardi avec le prononcé des peines. Les six personnes poursuivies pour des viols et attentats à la pudeur commis sur une jeune fille durant plus de dix ans ont toutes été condamnées avec des peines plus ou moins lourdes.

    Le procès des membres de la famille et de connaissance de la traqueuse de Rochefort qui avait été violée à plusieurs reprises lors de parties de chasse s’est achevé ce mardi avec le prononcé des peines. Les six personnes poursuivies ont été condamnées. Le père de la jeune fille a été condamné à 9 ans de prison ferme, la mère à 6 ans de prison ferme, le parrain à 8 ans de prison ferme et un ami chasseur à 7 ans de prison ferme. Seuls les deux frères de la victime, Marc et Guy, ont été condamnés avec sursis. Ils ont écopé respectivement de 4 et 2 ans de prison avec sursis.

    La jeune fille avait tout révélé le 11 janvier 2012
     
    Le 11 janvier 2012, la victime présumée a dénoncé aux forces de l'ordre les faits qu'elle aurait subis de la part de son père, ses deux frères et l'ami de la famille. "Trois PV d'audition ont été rédigés, modifiés pendant l'audition et faxés au juge d'instruction qui n'était pas encore saisi pour ces nouveaux faits. D'autres problèmes apparaissent également, ces PV ne sont pas conformes", avait soutenu l'avocat de la mère de la victime, Me Rodeyns.

    "La jeune fille a été victime de prédateurs sexuels lors des parties de chasse, sa famille étant une proie facile"

    Les avocats de la défense avaient également mis en avant le fait que divers devoirs complémentaires qui auraient pu permettre d'amener des éléments de culpabilité, comme un test ADN ou le fait que la victime ait parlé de davantage de chasseurs dans ses auditions, leur ont à chaque fois été refusés. "La jeune fille a été victime de prédateurs sexuels lors des parties de chasse, sa famille étant une proie facile. La victime a parlé de neuf chasseurs et on n'en trouve que deux sur le banc des prévenus", avait souligné l'avocat du père de la victime.

    Le tribunal a suivi l'avis du parquet

    Les avocats de la défense avaient également déploré une violation du secret professionnel de la part de l'assistante sociale qui a accompagné la victime lors de la première dénonciation des faits. À titre subsidiaire, le père, la mère, l'un des frères de la victime et l'ami de la famille avaient plaidé l'acquittement. Le parrain et le second frère avaient demandé les sursis les plus larges. Le parquet de Dinant lui avait requis des peines allant de 2 à 9 ans de prison. Il semblerait donc que ce soit cet avis que le tribunal ait décidé de suivre. Les avocats de la défense ont jugé ces peines très lourdes.

    http://www.rtl.be/info/belgique/faitsdivers/1068506/viol-intrafamilial-lors-de-parties-de-chasse-a-rochefort-la-famille-condamnee

  • Exécution de Marius pour "raisons génétiques" : un meurtre bureaucratique aux sinistres relents

    A vomir...

    "Dis maman, c'est quoi un patrimoine génétique original ?"

    Marius, girafon en parfaite santé, a été euthanasié dimanche matin par le zoo de Copenhague. Le zoo a expliqué n'avoir pas d'autre alternative. Malgré plusieurs pétitions d'internautes scandalisés et des offres de rachat du girafon, le zoo a refusé d'adopter une autre solution.

    Selon le zoo, "il n'y avait pas d'autre choix que de ne pas laisser le girafon devenir adulte", car le zoo est tenu d'éviter la consanguinité entre girafes et la castration aurait "été cruelle et aurait eu des effets indésirables". Impossible également de transférer l'animal dans un autre zoo pour des raisons génétiques, et le réintroduire en milieu naturel aurait été impossible car l'Afrique refuse d'accueillir plus de girafes.

    Dans le cadre de l’Association européenne des zoos et des aquariums (EAZA), il est en effet tenu d’éviter la consanguinité entre girafes.

    Pour des raisons génétiques, Marius n’a pas pu trouver refuge dans l’un des autres établissements du réseau de l’EAZA qui en compte 300. Pourtant, le parc animalier du Yorkshire à Doncaster (Angleterre), membre de l'EAZA, a indiqué à la BBC avoir contacté en urgence samedi ses collègues danois pour proposer d'adopter Marius, mais ne pas avoir reçu de réponse.

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    Il était pourtant en très bonne santé.

    Un zoo suédois, non soumis à la réglementation concernant les girafes, a révélé avoir demandé à récupérer Marius, sans réponse. Un imprésario vivant à Los Angeles avait même dit avoir trouvé un acheteur qui souhaitait placer le girafon dans son jardin de Bervely Hills : "Un de mes amis a proposé de l'accueillir chez lui, mais le zoo a refusé" a-t-il tweeté. Dès l'annonce de l'euthanasie, le zoo avait fait savoir que sa politique était de ne pas vendre ses animaux.

    A force de nier l'animal, les responsables du zoo en sont devenus des psychopathes.

    La preuve, la réaction du directeur du zoo est éloquente : "Nous abattons entre 20 et 30 animaux au zoo chaque année".

    Car la consanguinité est une bonne excuse ; Marius le girafon ne devait pas avoir les "bons gènes" : Le directeur scientifique du zoo a expliqué que le zoo gardait les animaux aux meilleurs gènes pour assurer une bonne reproduction.

    Car pour ce zoo, ce n'est pas l'individu qui compte, mais l'espèce. Ou plutôt, la génétique au nom de la protection animale. L'eugénisme dans son horreur.

    Et le pire, c'est que les associations de défense des animaux trouvent visiblement ça normal :

    "L’idée de sa mort a révolté des internautes. Samedi soir, plus de 3.200 d’entre eux étaient inscrits à un groupe Facebook appelé « Sauvez Marius ». Plus de 2.500 avaient signé une pétition en danois sur skrivunder.net, et près de 2.300 une autre pétition, en anglais, sur thepetitionsite.com.
    Cependant, la campagne en faveur du girafon a été ignorée par les deux principales associations de défense des animaux danoises, Dyrenes Beskyttelse (« protection des animaux ») et Anima (pour le véganisme)".

    Marius a été exécuté avec un pistolet d'abattage en début de matinée, a indiqué le porte-parole du zoo, Tobias Stenbaek Bro.

    Le vétérinaire Mads Bertelsen a expliqué comment il avait tué l’animal après qu’il a été attiré dehors grâce à de la nourriture. "Je me suis mis derrière le girafon avec ma carabine, et quand il s’est penché pour manger, je lui ai tiré dans le cerveau. Ça semble violent, mais ça veut dire que Marius n’a rien vu venir. Il a eu son bout de pain et puis il est mort", a-t-il expliqué.

    Une autopsie était en cours, à laquelle étaient conviés les visiteurs souhaitant y assister. L'animal finira dépecé pour nourrir les fauves.

    Le zoo ne s'attendait pas à cette émotion. «C'est toujours le droit des gens de protester. Mais bien sûr nous avons été étonnés»

    Ils ont fait de son abattage (et non "euthanasie") et de son autopsie (de quoi ?) un spectacle. Pour preuve, de nombreux enfants y ont assisté :

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    Un responsable de l'Association des zoos suédois, Jonas Wahlström, a dit comprendre l'euthanasie, mais s'est étonné de l'autopsie. «Si on annonçait ça dans les zoos suédois, je crois que le personnel se ferait presque lapider.

    Si c'est cela les zoos, alors oui, il faut les boycotter. Et dénoncer le programme EAZA s'il s'avère qu'il cautionne l'eugénisme.

    A rappeler que les îles Féroé, où se tient chaque année un grand massacre de dauphins, appartiennent au Danemark.

    Et que le Danemark organise aussi des chasses aux ours blancs.

    C'EST BEAU L'EUROPE !!

    Pour écrire votre indignation (sans injures) ou poser des questions sur le fonctionnement de EAZA vis à vis de cette politique eugéniste et de cette mort indigne : info@eaza.net

    Lien : http://www.franceinfo.fr/faits-divers/un-girafon-en-parfaite-sante-euthanasie-par-le-zoo-de-copenhague-1311997-2014-02-09

    http://fr.metrotime.be/2014/02/08/news/un-girafon-promis-a-leuthanasie-au-zoo-de-copenhague/

    http://www.leparisien.fr/societe/emotion-autour-de-l-euthanasie-d-un-girafon-au-zoo-de-copenhague-08-02-2014-3572839.php

    http://fr.news.yahoo.com/girafon-parfaite-sant%C3%A9-euthanasi%C3%A9-au-zoo-copenhague-144548876.html

    Lire aussi : http://lesbrindherbes.org/2013/02/22/la-chasse-a-lours-blanc-un-loisir-en-plein-essor-qui-ne-soucie-ni-la-france-ni-le-wwf/

    http://www.liberation.fr/terre/2005/02/07/le-groenland-vend-la-peau-de-l-ours-polaire-aux-touristes_508742

    http://le-terrier-de-meghann.over-blog.com/article-danemark-ou-tuer-un-girafon-en-bonne-sante-est-considere-comme-normal-122474687.html

  • Lutter contre les stéréotypes (Jean-Marc Roirant pour Le Monde)

    La rumeur n'est jamais innocente. Notre histoire en est riche d'exemples. On a montré comment elle a accompagné le coup d'Etat de Napoléon III face à de prétendues tentatives d'attentat. Comment, après la défaite de 1870, des rumeurs de cannibalisme ont traversé certains villages de Dordogne à la recherche de boucs émissaires, justifiant des actes de barbarie. Cent ans plus tard, à Orléans, une rumeur antisémite a laissé croire que les cabines d'essayage de certains magasins de vêtements féminins étaient des pièges pour les clientes, livrées à la traite des Blanches. Cette « rumeur d'Orléans » continue de courir sous diverses formes.

    Quand la rumeur s'est installée, l'ampleur du mensonge n'importe guère. Si la rumeur a pris, c'est que ses colporteurs ont suscité un réflexe de protection des familles, le plus souvent en créant une inquiétude irrationnelle. Une inquiétude telle que la diffusion de la vérité est rarement d'un secours suffisant. Une fois que la rumeur devient un phénomène social, nourri des conversations croisées, alors elle s'entretient elle-même, crépitant de son petit feu. Dans nos sociétés dans lesquelles certains médias sont chaque jour avides de nouvelles actualités et font peu de tri, ce feu s'allume vite et devient parfois un incendie. C'est le cas lorsque cette rumeur s'attaque à l'école publique.

    Celle qui s'est propagée fin janvier dans plusieurs collèges à propos des modules ABCD de l'égalité a été une attaque organisée contre la République. Elle a été transportée par des SMS, envoyés en masse aux parents, appelant au boycottage de l'école, avec pour seul objectif de saper la confiance dans notre école publique. Les messages sont de pures élucubrations.

    Rappelons les faits. Les modules se déroulent au primaire (et pas au collège) dans 600 classes volontaires. Ils prennent place dans les enseignements existants sur les savoirs de base. Ils sont adaptés selon les niveaux. Ils ont été conçus par des professionnels et des mouvements éducatifs, dont la Ligue de l'enseignement, pour permettre aux élèves de s'interroger sur leurs différences, dans divers contextes d'apprentissage : Est-ce qu'un chevalier a le droit d'avoir peur du noir ? Est-ce que les princesses peuvent aussi jouer un rôle dans leur propre histoire ? Comment organiser des jeux de ballon mixtes ? Voici les enjeux de ces modules.

    LE RESPECT MUTUEL ET LE REFUS DE LA VIOLENCE

    L'idée est de permettre aux enfants de s'émanciper des rôles que la société a tendance à leur assigner par avance et développer le respect mutuel et le refus de la violence. Les enseignants et les animateurs sont formés pour cela. Les contenus pédagogiques des ABCD et de bien d'autres programmes d'éducation à l'égalité filles-garçons s'intègrent pleinement à l'apprentissage des savoirs fondamentaux des jeunes élèves figurant dans le socle commun des compétences de base et de culture.

    L'égalité et le respect ne sont pas une nouvelle matière, une nouvelle case à cocher dans les programmes. Ils sont une nouvelle dimension dans l'apprentissage des savoirs de base dans le cadre d'une école laïque. On est loin de la désinformation grossièrement mensongère, souvent haineuse, de ces derniers jours.

    Des attaques de ce type, il en existe chaque semaine. Mais celle qui a concerné les ABCD de l'égalité n'est pas un épisode ordinaire pour deux raisons. La première, c'est que cette rumeur a eu une perfide efficacité, parce que plusieurs personnalités publiques ne se sont pas contentées de la diffuser, mais l'ont accréditée en alimentant un faux débat sur la prétendue théorie du genre. Il y a sans doute beaucoup de paresse dans les commentaires que nous avons subis pendant plusieurs jours sur ce nouvel épouvantail.

    A l'école publique, les enseignants et les personnels ont pour mission de faire découvrir, partager et faire vivre les valeurs de la République. Ils l'ont fait de manière exemplaire en réponse aux rumeurs, et ce, le plus souvent, avec la confiance des parents, des élus locaux et avec le concours de nombreuses associations d'éducation populaire.

    L'enjeu est de taille, car faire reculer les stéréotypes et les violences sexistes, c'est combattre les violences conjugales, qui frappent 400 000 femmes chaque année. Il s'agit également de faire disparaître les souffrances d'enfants victimes d'insultes sexistes dans les cours de récréation. C'est enfin faire progresser la mixité professionnelle et reconnaître que la diversité est une richesse, y compris pour les entreprises. C'est un combat qui mérite que chacun se mobilise et assume ses responsabilités.

    Jean-Marc Roirant (Secrétaire général de la Ligue de l'enseignement)

  • Désolante capitulation gouvernementale / Le genre ne concerne pas que les "bobos" (Collectif, Le Monde)

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    Depuis des années, nous nous évertuons à répondre aux attaques à répétition contre la supposée théorie du genre. A défaut d'empêcher les caricatures, nous nous efforçons de dissiper les malentendus. Inlassablement, nous expliquons que le genre est un concept dont l'utilité a été démontrée de longue date, dans des disciplines multiples, par quantité de recherches menées dans de nombreux pays. Nous précisons que des paradigmes différents, parfois concurrents, définissent ce champ d'études : parler de la théorie du genre, au singulier, revient à nier cette richesse inséparablement théorique et empirique.

    Nous ajoutons qu'analyser la construction sociale de la différence des sexes n'implique nul déni de la réalité biologique : savoir comment un mur est bâti n'a jamais empêché de s'y cogner. Enfin, loin d'affirmer qu'on pourrait devenir homme ou femme au gré de ses fantaisies, nos travaux soulignent la force d'inertie des normes qui assignent des places différentes selon un ordre sexuel hiérarchisé. Il a certes changé depuis une ou deux générations ; les inégalités entre les sexes n'en perdurent pas moins, malgré l'égalité que revendiquent nos sociétés. S'il faut étudier les normes de genre qui continuent de reproduire cet écart entre les principes proclamés et la pratique constatée, c'est dans l'espoir de le réduire.

    Mais l'heure n'est plus à nous justifier. Désormais, c'est aux adversaires des études de genre de répondre : de quel droit peuvent-ils disqualifier tout un champ d'études dont ils ne semblent rien connaître ? Bien sûr, il était légitime que l'ouverture du mariage et de la filiation aux couples de même sexe fît l'objet d'un débat démocratique. En revanche, la validité scientifique ne saurait se décider sous la pression de la rue ou des sondages. La légitimité de la science tient à son autonomie, soit à l'évaluation par les pairs. Or tout se passe aujourd'hui comme si le savoir était sommé de se conformer aux exigences de telle ou telle chapelle, religieuse ou pas, comme si la science avait pour vocation de conforter les préjugés et non de les remettre en cause.

    UNE FABRICATION DU VATICAN IMPORTÉE EN FRANCE

    Il est vain de répondre à la désinformation par l'information. Qu'est-ce que la théorie du genre ? Une fabrication du Vatican importée en France. En 2004, dans sa « Lettre aux évêques sur la collaboration de l'homme et de la femme dans l'Eglise et dans le monde », le cardinal Ratzinger dénonçait « l'occultation de la différence ou de la dualité des sexes » : s'il « entendait favoriser des visées égalitaires pour la femme en la libérant de tout déterminisme biologique, a inspiré des idéologies qui promeuvent la mise en question de la famille, de par nature (…) composée d'un père et d'une mère, ainsi que la mise sur le même plan de l'homosexualité et de l'hétérosexualité (…) ».

    Tout l'argumentaire actuel était déjà là. Manquait seulement la formule magique : la théorie du genre, en écho aux offensives de la droite religieuse étatsunienne contre l'enseignement de la théorie de l'évolution. N'est-ce pas sur le terrain scolaire que s'est portée la bataille en 2011, contre l'introduction du « genre » dans les manuels de sciences de la vie et de la terre ? Surtout, si l'expression s'est imposée, c'est qu'en France la droite religieuse a trouvé des relais dans une droite réputée laïque : l'ignorance et l'anti-intellectualisme dénoncent la science au nom du bon sens… Ce n'est plus une frange marginale, mais un large spectre qui s'engage à droite contre la théorie du genre, de Christine Boutin à Nathalie Kosciusko-Morizet, en passant par Hervé Mariton, Henri Guaino et Jean-François Copé.

    Aujourd'hui, l'extrême droite a rejoint le combat – non plus seulement sa composante religieuse, avec les intégristes de Civitas, mais aussi les nationalistes identitaires. C'est sur le site d'Alain Soral, qui se dit « national-socialiste », que Farida Belghoul a annoncé sa « Journée de retrait de l'école ». Et c'est au lendemain des manifestations de « Jour de colère » qu'elle a bénéficié d'une couverture médiatique exceptionnelle. Bref, l'unité de toutes les droites, modérées et extrêmes, se fait aux dépens des études de genre.

    Face à ces mobilisations politiques déterminées, dans la majorité gouvernementale, certains ont d'abord hésité : le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, entend certes « lutter contre les stéréotypes de genre », mais il se déclare « contre la théorie du genre »… Cet embarras vient de se transformer en reculade sous la pression de manifestants nostalgiques de la famille à l'ancienne.

    Sur l'ouverture de la PMA aux couples de femmes, le gouvernement avait déjà cédé ; aujourd'hui, en renonçant à la loi sur la famille, il capitule avant même d'avoir combattu. On entend monter un refrain populiste bien connu : et si le genre était seulement l'affaire des « bobos » ? Le peuple n'est-il pas réfractaire à ces préoccupations élitistes ? Dès qu'on traite des femmes, des gays ou des lesbiennes, on nous explique que les classes populaires ne sont pas concernées, comme si elles étaient uniquement constituées d'hommes hétérosexuels, et comme si le genre et la sexualité n'étaient pas l'affaire de toutes et tous.

    A ceux qui craignent que le genre ne trouble la quiétude du peuple, il faut expliquer que le trouble vient de l'évolution sociale elle-même : dès lors qu'est ébranlé l'ordre ancien des hiérarchies sexuelles, les rôles des femmes et des hommes ne vont plus de soi. Faut-il regretter l'âge d'or du patriarcat, ou bien se réjouir que l'incertitude provoquée par sa remise en cause n'ouvre une marge de liberté, ou en tout cas de négociation ? Non, notre place dans le monde n'est pas fixée pour l'éternité ; aussi les études de genre travaillent-elles à rendre intelligible l'histoire qui nous traverse jusque dans notre intimité.


    Lucie Bargel, politiste, université de Nice ; Laure Bereni, sociologue, CNRS ; Michel Bozon, sociologue, INED ; Delphine Dulong, politiste, université Paris-I ; Eric Fassin, sociologue, université Paris-VIII, Rose-Marie Lagrave, sociologue, EHESS ; Sandrine Levêque, politiste, université Paris-I ; Frédérique Matonti, politiste, université Paris-I ; Florence Rochefort, historienne, présidente de l'Institut Emilie du Châtelet.

  • L'union sacrée de la droite traditionaliste, de l'islam réactionnaire et des transfuges Soral, Belghoul et Dieudonné : d'une imparable logique

    Le sexisme, l'homophobie, le conservatisme, le mépris de l'individu et du droit, et tant d'autres anti-valeurs, cimentent ce petit monde, qui se retrouve aujourd'hui uni contre l'ennemi commun : l'ABCD de l'égalité.

    Quelle ironie de voir que l'islam, défendu par la gauche tendance boboïsante, a toujours été du côté de la droite la plus conservatrice.

    Et que les ex-gauchistes Soral, Dieudonné et Belghoul se retrouvent aujourd'hui piliers de l'extrême-droite.

    Mais quelle naïveté, aussi, de la part de ceux et celles qui en font la découverte.

    Car quoi de plus logique qu'une telle union sacrée ?

    M. P.

    Dessin d'Aurel sur le boycott des écoles par des parents d'élèves.

    « Théorie du genre » : l'appel au boycott qui alarme l'école

    LE MONDE | 29.01.2014 à 11h38 • Mis à jour le 30.01.2014 à 14h52 | Par Mattea Battaglia et Stéphanie Le Bars

    Une centaine d'écoles perturbées par un absentéisme inhabituel des élèves, des syndicats d'enseignants alarmés, un ministre de l'éducation contraint de prendre la parole pour rassurer les parents : bien que limité, l'impact de la « journée de retrait de l'école », organisée vendredi 24 et lundi 27 janvier pour protester contre l'enseignement supposé de la « théorie du genre » dans les classes, a surpris tout le monde.

    Pour cette directrice d'école primaire située à Evreux, en pleine zone d'éducation prioritaire, l'inquiétude des familles a commencé à poindre jeudi 23 janvier. « Les parents avaient reçu le même texto, parfois plusieurs fois de suite, sans qu'ils sachent précisément d'où il venait, même s'il avait l'air de cibler la communauté musulmane », raconte-t-elle.

    Le message reçu pourrait prêter à sourire s'il n'avait été pris au sérieux par quelques parents : « Le choix est simple, soit on accepte la « théorie du genre » (ils vont enseigner à nos enfants qu'ils ne naissent pas fille ou garçon mais qu'ils choisissent de le devenir !!! Sans parler de l'éducation sexuelle prévue en maternelle à la rentrée 2014 avec démonstration et apprentissage de la masturbation dès la crèche ou la halte-garderie…), soit on défend l'avenir de nos enfants. »

    Lire notre décryptage : Cinq intox sur la « théorie du genre »

    « DÉSAMORCER LA POLÉMIQUE »

    Dans cette école d'Evreux très attachée au dialogue avec les familles, où l'équipe s'est portée volontaire pour expérimenter les « ABCD de l'égalité », il n'a pas fallu grand-chose pour « désamorcer la polémique », note la directrice. « Les parents inquiets sont venus me questionner. Je leur ai expliqué que le nouveau dispositif n'avait rien à voir avec la prétendue théorie du genre, qu'on travaillait sur l'égalité entre les sexes pour lutter contre les stéréotypes, contre une orientation scolaire et professionnelle depuis trop longtemps défavorable aux filles… Et ils sont repartis en disant qu'ils nous soutenaient ! » Le lendemain, 4 enfants – sur 185 – manquaient à l'appel.

    Sur l'ensemble du territoire, l'appel au boycott lancé par Farida Belghoul, figure de la seconde « marche des beurs » (1984) aujourd'hui proche de la formation d'extrême droite Egalité et réconciliation d'Alain Soral (lui-même lié à Dieudonné), a eu un « impact localisé », martèle-t-on au ministère de l'éducation.

    Une centaine d'écoles, sur 48 000, ont été perturbées. Mais près de la moitié des académies ont été concernées, avec parfois une seule école touchée, parfois une vingtaine. Dans deux écoles de Strasbourg, près d'un tiers des élèves manquaient à l'appel. D'autres se sont fait porter pâle dans des écoles du Rhône, de l'Isère, des Pyrénées-Atlantiques, de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne, du Val d'Oise, du Loiret…

    Lire le décryptage : Comment les détracteurs de la théorie du "genre" se mobilisent

    « CLIMAT NAUSÉABOND »

    Alors que de nouvelles « journées de retrait » sont programmées chaque mois, le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, a voulu « rassurer tous les parents » : « Ce que nous faisons, ce n'est pas la théorie du genre – je la refuse », a-t-il assuré à l'Assemblée.

    Les syndicats ont tous – ou presque – manifesté leur indignation face à l'écho de cette « opération » relayée sur les réseaux sociaux. « A chaque fois, c'est le même type d'écoles, le même profil de familles qui sont visées : celles des zones sensibles, s'indigne Christian Chevalier, du SE-UNSA. Des familles déjà en difficulté, dont les enfants ont le plus à pâtir d'absences », ajoute-t-il, dénonçant « des actions de guérilla contre l'école de la République réunissant l'extrême droite, les intégristes religieux, les nationalistes et les anti-républicains ».

    Analyse peu différente au SNUipp-FSU. « On assiste à une instrumentalisation des élèves sur des territoires ciblés, une campagne de calomnie à fort retentissement sur Internet qui salit l'institution et les enseignants », déplore Sébastien Sihr, qui se dit choqué par ce « climat nauséabond ». Car au-delà de la dénonciation d'une supposée « théorie du genre », c'est une défiance à l'égard de l'école qui s'exprime ici sur un mode très virulent.

    DES CRAINTES RÉELLES

    « Le ministre doit expliquer de vive voix ce qu'est son projet, qu'on ne soit plus tributaire de ce qui tourne sur Internet », estime Ahmet Ogras, président du Comité de coordination des musulmans turcs de France et vice-président du Conseil français du culte musulman, « harcelé » par des parents inquiets. De son côté, le responsable du Rassemblement des musulmans de France, Anouar Kbibech, évoque une « inquiétude mais pas d'affolement ».

    Sur les réseaux communautaires, le sujet fait débat. Mais sur le fond, les craintes sont réelles. « Sous couvert de lutter contre l'homophobie et pour l'égalité des sexes, se diffuse une propagande pour l'idéologie du genre et pour l'homosexualité », assure Abdallah Dliouah, imam dans le sud de la France, interpellé sur le sujet par des fidèles. « Ce sujet suscite une énorme émotion, car il touche à la question cruciale de la transmission des valeurs », confirme Nabil Ennasri, du Collectif des musulmans de France, qui dénonce toutefois une tentative d'entrisme de l'extrême droite dans les milieux musulmans.

    Côté enseignants, les rumeurs propagées ces derniers jours en auront sans doute déstabilisé quelques-uns. Mais pour beaucoup d'entre eux, il y a urgence à rappeler le rôle de l'école dans la lutte contre les inégalités et les discriminations liées… au genre.

    http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2014/01/29/l-appel-au-boycott-qui-alarme-l-ecole_4356195_3224.html

  • La réussite scolaire passe par la fin des stéréotypes (Marie Duru-Bellat, Le Monde)

    Si l'on n'est guère surpris par la vitesse à laquelle, à l'heure d'Internet, les rumeurs les plus folles se diffusent, on peut l'être davantage face à la violence des polémiques qui accompagnent les premiers pas des ateliers ABCD, visant à lutter contre les stéréotypes masculin/féminin auprès des élèves. Car de quoi s'agit-il ? Non de leur inculquer une quelconque théorie : on l'a dit et répété maintes fois, il n'y a pas une théorie du genre mais des travaux articulés autour de cette notion. Très simple, elle pose que le masculin et le féminin tels que nous les concevons ne découlent pas mécaniquement de la différence des corps mais résultent de constructions sociales variables selon les époques et les lieux.

    De nombreux travaux d'anthropologues (ceux de l'ethnologue Margaret Mead dans les années 1960, par exemple) ou d'historiennes (notamment ceux de l'historienne Michèle Perrot dans les années 1990) en attestent. Il ne s'agit pas de nier qu'il y a des hommes et des femmes, mais de poser tranquillement que, au-delà de ce qui est lié strictement à la reproduction (pour ceux et celles qui choisissent de se reproduire), tout est ouvert…

    L'éducation est censée ouvrir l'horizon des enfants, permettre aux jeunes d'envisager tous les possibles. Toute détermination qui viendrait biaiser le seul jeu du travail et des intérêts est condamnée : comme on refuse les discriminations selon l'origine sociale et ethnique, garçons et filles doivent avoir les mêmes chances. Mais l'école est nichée dans la société, et de multiples travaux montrent qu'à la fois les interactions pédagogiques et les contacts entre élèves sont profondément affectés par les stéréotypes du masculin et du féminin, ces représentations schématiques qui disent ce qui doit être.

    « MENACE DU STÉRÉOTYPE »

    Ainsi, il est des disciplines scolaires considérées comme convenant davantage aux garçons ou aux filles. Ce ne sont pas que des images, car les stimulations des enseignants et leurs attentes en matière de réussite vont inconsciemment se caler sur ces stéréotypes. Du côté des élèves, savoir que, vu votre sexe, vous êtes censé moins bien réussir telle ou telle tâche obère vos chances d'y réussir effectivement. Cette « menace du stéréotype » limite la réussite des filles en mathématiques. Si l'on parvient à annuler ce phénomène, en annonçant aux élèves qu'il est établi que filles et garçons réussissent pareillement à l'exercice demandé, l'écart entre les sexes disparaît.

    Ceci montre combien, en la matière, le poids des représentations est décisif, et non la nature, alors que, régulièrement, des sondages montrent que nombre de Français invoquent la nature – le cerveau, les hormones… – pour expliquer la meilleure réussite masculine en maths. De plus, les comparaisons entre pays montrent que les différences de réussite et de confiance en soi entre filles et garçons sont plus ou moins fortes, et sont plus marquées quand les classes sont mixtes.

    En effet, c'est quand ils et elles sont entre eux qu'il est primordial de se positionner comme garçon ou comme fille, faute de quoi on craint le rejet ou le harcèlement… Les garçons, notamment ceux de milieu populaire, vont craindre d'être jugés efféminés s'ils travaillent trop bien ou s'expriment de façon trop personnelle devant un texte littéraire ; les filles craindront d'être jugées peu féminines si elles surpassent les garçons en physique.

    Au total, les stéréotypes du masculin et du féminin constituent de fait un tel corset que, comme l'ont montré des travaux canadiens, l'affranchissement des stéréotypes de sexe s'accompagne d'une meilleure réussite scolaire : les élèves les plus brillants sont les filles un peu « masculines » et les garçons un peu « féminins ». Ce résultat donne à réfléchir sur le caractère délétère d'une forte différenciation des rôles de sexe.

    Aider les élèves à comprendre que leurs réussites et leurs projets n'ont pas à se couler dans des moules masculins et féminins devrait donc a priori séduire les parents. De plus, ceux-ci, dans leur vie d'adulte, ne sont pas sans percevoir ce que ces stéréotypes ont d'invalidant. Par exemple, lors des recrutements, quels que soient leurs diplômes, les femmes sont préférées là où il faudra materner, les hommes là où il faudra commander. D'où des discriminations injustes et sources d'inefficacité.

    UN ESPACE DE LIBERTÉ VERTIGINEUX

    Plus largement, dès lors que les hommes se sentent contraints à être virils – ce qui peut aller jusqu'à la violence – et les femmes féminines – ce qui peut aller jusqu'à une obsession du regard d'autrui qui détruit toute autonomie personnelle –, il est clair que les coûts de ces stéréotypes sont énormes sans qu'on perçoive leurs avantages ! Alors, comment comprendre que la notion de genre soit perçue comme une menace ? A l'évidence parce que cela ouvre un espace de liberté vertigineux ! Si les femmes et les hommes se ressemblent, peuvent occuper les mêmes rôles, peuvent avoir les mêmes comportements sans que cela choque, il n'y a plus de modèle breveté pour leurs relations : tout est à inventer et ce n'est pas facile alors que nos identités d'aujourd'hui ont été façonnées par les étayages psychologiques ou religieux et les récits, grands ou petits, définissant et opposant hommes et femmes.

    Il est tellement plus reposant de se dire que tout ça reflète la main de Dieu ou résulte de déterminismes génétiques. Qui plus est, tous ceux qui tiraient profit d'un ordre ainsi « bétonné » vont se mobiliser : les religieux pour qui Dieu a créé des hommes et des femmes et leur a donné des rôles bien distincts (comme l'ont montré les manifestations contre le mariage pour tous, dont l'assignation des femmes à la maternité a été un leitmotiv fort), les « psys » qui vivent des pathologies qu'engendrent les malaises face à ces modèles autant qu'à leur dissolution alors qu'ils restent des modèles, ou encore et peut-être tous ceux qui préfèrent se dire que leur destin les prive de tout choix ou qu'il ne faut pas brouiller les cartes alors que l'« ennemi principal » est ailleurs.

    Ces peurs ne sont pas sans fondements. Car rien ne garantit que les choix ouverts, si on lève le carcan du masculin et du féminin, vont se couler dans l'ordre existant. Les adversaires de l'égalité entre hommes et femmes sont les premiers à trembler ; car là où ils ont raison, c'est que, avec la notion de genre, on entend aussi dénoncer un état actuel des rapports entre les sexes, des rapports de pouvoir qui n'ont rien de naturel et que l'on peut donc changer…

    Mais qui accepterait aujourd'hui de revenir à une société où votre naissance, et tout ce qui va avec et qui n'est pas choisi, détermine ce que vous pouvez faire de votre vie ? C'est vrai, on ne sait pas ce que peut être une société d'égalité, mais on soupçonne quand même que c'est une perspective plus stimulante pour le XXIe siècle.


    Marie Duru-Bellat travaille à l'Observatoire sociologique du changement et à l'Institut de recherche sur l'éducation. Elle est notamment l'auteure de L'Ecole des filles (L'Harmattan, 2004) et des Inégalités sociales à l'école. Genèse et mythes (PUF, 2002).

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2014/01/30/theorie-du-genre-la-reussite-scolaire-passe-par-la-fin-des-stereotypes_4357462_3232.html

  • La corrida fait débat au Parlement : les députés prennent enfin la mesure de cette cruauté (Nouvel Obs)

    Etre contre la corrida, c'est comme être contre la chasse : ça ne mange pas de pain.
     
    C'est facile, dans le vent, non contraignant.
     
    Ca permet de se sentir bon, dans l'air du temps, progressiste, à peu de frais.
     
    A quand la cohérence (y compris dans les rangs de la "protection animale") et une mobilisation contre TOUTES les formes d'exploitation animale ?...
     
    Car ce qui se passe dans les arènes à ciel ouvert, se passe aussi derrière les murs des abattoirs.
     
    Mais reconnaître cette vérité implique de devenir végan.
     
    Voilà pourquoi ça traîne des pieds.
     
    Et Messere Gaster est toujours roi.
     
    M. P.
     
    ***
     
    Publié le 12-12-2013 à 12h10 - Modifié à 12h10
    Par 
    Juriste

    LE PLUS. Les dernières corridas de la saison 2013 n'auront pas eu lieu. Elles ont été annulées suite à des manifestations de militants anti-tauromachie, alors que, dans le même temps, plusieurs propositions de loi pour son abolition ont été défendues au Parlement. Assiste-t-on à un revirement de situation sur cette question ? C'est en tout cas synonyme d'espoir pour Muriel Fusi, juriste et militante pour les droits des animaux.

    Édité par Rozenn Le Carboulec  Auteur parrainé par Christophe Marie

     

    Le torero espagnol David Mora lors des fêtes de Bayonne, le 31/08/2013 (F.DUPUY/SIPA)

    Après un été riche en manifestations, avec notamment une action "d'interposition" le 24 août 2013 à Rion des Landes et qui s’est terminé par trois annulations de corridas (les samedis 23 novembre et 30 novembre 2013 à Lunel et à St Laurent d’Aigouze), les parlementaires semblent avoir pris la mesure de l'impatience ressentie par les Français et de leur saine colère face à l'indifférence morale à l'égard des taureaux dits de combat.

    Une déferlante parlementaire contre la corrida

    Pas moins de quatre propositions de loi pour l’abolition de la corrida ont donc été enregistrées cet automne à l’Assemblée nationale et au Sénat à l’initiative :

    - des sénateurs Roland Povinelli et Roger Madec (PS) le 7 octobre 2013,

    - de la députée Laurence Abeille (EELV) le 10 octobre 2013,

    - du député Damien Meslot (UMP) le 6 novembre 2013,

    - de la députée Geneviève Gaillard (SRC – Parti socialiste, républicain et citoyen) le 5 décembre 2013.

    On assiste en quelques mois à une déferlante parlementaire favorable à l'unification du régime juridique de la corrida dans le code pénal. L’article 521-1 du même code qui punit les sévices graves et actes de cruauté sur animaux de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende, établit en effet en son alinéa 7 une exception au profit de la corrida et des combats de coqs "lorsqu’existe une tradition locale ininterrompue".

    Alors que leur souffrance est démontrée par tous les scientifiques, les taureaux peuvent donc être torturés en toute impunité dans le tiers sud de la France uniquement, au prix d’une exception juridique inédite dans le code pénal.

    La question de la protection de l'enfance

    La Question prioritaire de constitutionnalité, tranchée le 21 septembre 2012 par le Conseil constitutionnel, a permis de mettre en évidence aux yeux du public le malaise qui entoure cette exception pénale, véritable ovni juridique qui justifie "l'exception corrida" par la tradition, alors qu'on ne compte plus les traditions cruelles qui n'ont pas résisté à l’épreuve du progrès moral.

    Outre la question du martyr des taureaux, le débat autour de la corrida soulève la question de la protection de l’enfance. Comment en effet ne pas s’inquiéter pour ces enfants parfois très jeunes (nous en avons été témoins à Rodilhan le 8 octobre 2011 et à Rion des Landes le 24 aout dernier) qui assistent aux corridas dans les gradins des arènes alors que pour le CSA la diffusion de telles images à la télévision nécessite une signalétique de catégorie II (déconseillé aux moins de 10 ans) ?

    Cette inquiétude est partagée par de nombreux spécialistes de l’enfance comme Hubert Montagner, ancien directeur de recherche à l’INSERM, qui estime que "Les blessures portées au taureau avec les banderilles puis l’épée, le sang qui coule, les conduites désespérées du taureau pour échapper aux souffrances menant à la mort de l’animal perturbent de très nombreux enfants" et "peuvent être ressenties comme un véritable traumatisme".

    Plus grave, en France une demi-douzaine d’écoles taurines (soutenues financièrement par les mairies) enseignent à des enfants de moins de 10 ans les secrets de la torture tauromachique sur de jeunes veaux.

    Ce débat dépasse le cadre du droit des animaux

    Les français ont également de quoi être scandalisés par les subventions offertes par les collectivités locales à la tauromachie. Ainsi en 2010, le Conseil général des Bouches du Rhône aurait acheté pour 63 255,00 euros de places pour assister aux corridas de la féria d’Arles. Et en décembre 2011 à Bayonne, la saison taurine qui s’achevait révélait un déficit de 400.000 euros, portant à près d’un million d’euros sur cinq ans le coût public de la temporada. Mais ce n’est pas tout puisque des centaines de millions d'euros émanent également de toute l’Union Européenne pour être versés à trois États (France, Portugal, Espagne) et soutenir une activité illégale dans la totalité des vingt-quatre autres.

    Le débat dépasse donc le cadre de la protection animale en touchant à la protection de l’enfance et à la gestion de l’argent public. Ce sont autant de raisons d’abolir la barbarie des arènes.

    Aujourd’hui, chacun d’entre nous peut agir en prenant rendez-vous avec son député (quelle que soit son étiquette politique, ces différentes propositions de loi d’origines politiques diverses ayant ouvert un champ très large) et en invoquant ces arguments auprès de lui pour tenter de briser le verrou mis par certains aficionados au gouvernement (quelques jours avant la décision du Conseil constitutionnel, Manuel Valls déclarait vouloir préserver la culture de la tauromachie).

    C'est à cette condition que l'abolition de la corrida, devenue enjeu électoral, fera progresser la dignité humaine, car il est inconcevable au XXIe siècle que l’humain se délecte encore de la torture et de la mise à mort publiques d'un animal.

     http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1053990-la-corrida-fait-debat-au-parlement-les-deputes-prennent-enfin-la-mesure-de-cette-cruaute.html

  • Christian de Duve : « Si on continue comme cela, ce sera l’apocalypse, la fin »


    Entretien paru en avril 2013

    Christian de Duve a toujours eu grande confiance en son destin. Petit, il était déjà persuadé qu’il réaliserait de grandes choses. Et aujourd’hui, il a attendu 95 ans pour raconter son histoire : il avait tant de choses essentielles à réaliser auparavant, que sa biographie pouvait franchement attendre.

    Cet homme qui, jeune, a failli se mettre en danger, par son goût pour le bridge et le poker, est notre Prix Nobel, le seul Belge vivant, reçu en 1974 pour ses découvertes en médecine, et pour ses deux compagnes d’aventure qu’il a baptisées lysosome et peroxysome.

    «  La cellule est un organisme vivant qui possède tout ce qu’il faut pour vivre et a donc des organes, très petits. J’ai eu la chance de découvrir deux de ces organes, comme si, du temps de Vésale, quelqu’un avait trouvé le foie, et quelqu’un d’autre l’estomac. Moi j’ai trouvé l’estomac de la cellule, que j’ai appelé le lysosome, et un autre organe, plus difficile à expliquer, le peroxysome, qui intervient dans des phénomènes d’oxydation, de combustion d’aliments, de graisse. »

    Tous les jours, jusqu’à il y a peu, Christian de Duve entretenait ses muscles en nageant tous les matins et en faisant quelques exercices, et ses neurones en jouant aux « Chiffres et aux Lettres ».

    Son destin est fabuleux, son parcours stimulant mais c’est son cri d’alarme qui nous terrasse, le cri d’un homme ébloui par son passé mais effrayé par l’avenir.

    «  J’ai vécu le siècle le plus extraordinaire de l’histoire de l’humanité, nous raconte-t-il dans son bureau débordant de livres. Il y a eu une série de découvertes extrêmement importantes, l’atome, le big bang, etc. Dans mon domaine, les sciences de la vie, on a fait des progrès inouïs. Quand j’étais jeune étudiant, on ne savait pratiquement rien du fonctionnement de la vie. Aujourd’hui, on sait, on comprend. Pas tout, mais beaucoup. Et c’est la recherche scientifique qui a permis cela, produisant des résultats essentiels. Et j’ai vu toutes ces découvertes. »

    L’impact réduit de la religion catholique a-t-il libéré des capacités de découvertes ?

    Je n’oserais pas dire cela. On a été un peu plus libres de penser mais pas de chercher, car on a toujours pu chercher. Lors de ma nomination comme professeur à Louvain (1948), le fait d’accepter une place dans une université confessionnelle, soumise à la doctrine catholique, m’a gêné, car la démarche scientifique n’est pas très compatible avec l’attitude dogmatique de la démarche religieuse catholique. Mais à Louvain, on ne m’a jamais obligé à renoncer à certaines recherches.

    Vous terminez votre parcours sur la Terre en lui prédisant beaucoup de tourments ?

    C’est un peu le bout de mon périple personnel, j’ai essayé de reconstituer l’histoire de la vie depuis 30 ans, de lire, réfléchir, étudier et d’écrire des livres qui rendent compte de cette réflexion.

    Vous deviez en arriver aux questions existentielles ?

    J’y suis arrivé très tard, à la 6e de mes dernières vies (1985), car j’avais jusque-là mis tout cela de côté. Et puis il y a 30 ans, je me suis intéressé à l’origine et à l’histoire de la vie, à l’avènement de l’humanité, au développement du cerveau humain : cela m’a passionné. Arrivé au but, j’ai bien dû poser la question de savoir « où allons-nous » ?

    Et c’est là que je suis inquiet. J’ai reconstitué cette longue histoire dans un cadre darwinien, en faisant intervenir la sélection naturelle, qui avantage uniquement ce qui est utile, au moment et à l’endroit mêmes. Nos ancêtres ont acquis un certain nombre de traits et propriétés génétiques, parce que ces propriétés étaient utiles à leur survie et à leur reproduction, à l’époque et l’endroit où ils vivaient. Ce qui a été privilégié alors, c’étaient des traits utiles à ce moment-là, mais pas à l’avenir. La sélection naturelle ne regarde pas en avant.

    J’en suis arrivé à la conclusion que les traits génétiques privilégiés par la sélection naturelle étaient utiles à nos ancêtres mais sont devenus néfastes pour nous. Le résultat, dans l’histoire de la vie, a été un succès extraordinaire. L’espèce humaine, si vous la comparez à tout ce qui vit et a vécu dans le monde, a réussi d’une manière exceptionnelle.

    On était quelques milliers dans le coeur de l’Afrique il y a 100.000 ans, et on est presque 8 milliards à occuper tous les endroits habitables de la Terre, à utiliser toutes les ressources disponibles, à épuiser ces ressources, à vider des océans de poissons, polluer l’environnement, le rendre inhabitable, à transformer les forêts en désert.

    Et en plus, nous avons créé des mégapoles – je suis allé à São Paulo, Tokyo, Mexico City – où les gens s’entassent et qui sont des nids de discorde. Je le vois d’une manière objective et je lance un cri d’alarme. Si on continue dans cette direction, ce sera la catastrophe, l’apocalypse.

    Comment l’homme a-t-il laissé faire cela, sciemment ?

    L’homme ne réfléchit pas à l’avenir, ne s’en préoccupe pas. Même pas les dirigeants politiques, pour qui, ce qui compte, est la date des prochaines élections, dans deux ou trois ans maximum. Lorsque j’étais enfant, on vivait un peu comme si le monde nous était donné, sans préoccupation : le monde était là pour nous servir et être exploité par l’homme.

    Ce n’est vraiment qu’à la fin de la dernière guerre qu’on s’est rendu compte brusquement que les ressources naturelles étaient finies, qu’elles risquaient d’être épuisées rapidement par le développement de l’humanité et que les conditions de vie allaient être fort diminuées.

    N’est-ce pas l’échec de la capacité des scientifiques à jouer un rôle ?

    Les scientifiques n’ont pas de pouvoir. Ils essayent d’étudier, de comprendre, éventuellement de créer du neuf, mais le pouvoir, c’est les politiques qui l’ont. Ils consultent peu les scientifiques.

    Ils sont très absents de votre livre. Comme si vous n’aviez pas eu de contacts avec eux ?

    Si on n’en parle pas, c’est qu’ils ne m’ont pas marqué. J’ai fait partie de multiples commissions d’experts, mais je n’ai pas eu le sentiment que les scientifiques étaient fort écoutés dans le monde d’aujourd’hui.

    Vous n’avez jamais pensé faire de la politique ?

    Non. Ce que j’ai fait de plus « actif », ce fut de créer mon Institut.

    Vous en appelez à des sages ?

    Le monde a besoin de guides mais encore faut-il les suivre ! Gandhi, Bouddha, Jésus, Socrate : il y a eu un certain nombre de sages mais on les a tués, on ne les a pas suivis. Ce qu’on demande à ces sages, c’est d’utiliser le cerveau que nous avons reçu de la sélection naturelle, pour faire quelque chose qu’elle ne peut pas faire : prévoir l’avenir. Et si ce résultat est néfaste, prendre des décisions.

    Mon message est simpliste : le boulier compteur. Pas besoin de regarder la télé ou de lire les journaux pour connaître ces menaces : perte de biodiversité, épuisement des ressources, des sources d’énergie, pollution de l’environnement, etc.

    Quelle est la cause de tout cela ?

    C’est nous, les hommes, les femmes, les humains ! Nous avons trop bien réussi dans la course pour la vie, et aujourd’hui nous avons créé une situation telle, que l’avenir de l’humanité est menacé.

    La science peut faire quelque chose ?

    Elle ne peut pas augmenter la surface de la terre ou ses ressources. Elle peut simplement donner des conseils. « Le » problème, c’est la démographie.

    Il faut un contrôle des naissances très strict ?

    Absolument. Quand j’étais enfant, on nous disait qu’on approchait des deux milliards d’humains sur la terre. Aujourd’hui, on a dépassé les 7 milliards. De mon vivant, la population du monde a quadruplé, dépassant les possibilités naturelles. Donc nous sommes en train, par notre nombre croissant, de rendre le monde invivable.

    Ce ne sont pas ces problèmes-là qui nous occupent. Les gens sont égoïstes ?

    Ils sont surtout aveugles. Les dirigeants se préoccupent trop peu de l’avenir éloigné de l’humanité dans le monde. Et je parle de 50 à 100 ans, pas dans des millénaires  !

    Le regain des religions vous inquiète ?

    La religion musulmane, je la trouve inquiétante, parce qu’elle est à mon point de vue particulièrement obscurantiste. Mais les chrétiens sont aussi terriblement doctrinaires.

    Je ne sais pas comment le nouveau pape va agir, mais jusqu’à présent, la contraception, la limitation des naissances a été condamnée par le Vatican. C’est scandaleux, car le seul espoir de l’humanité de survivre, est de ne pas continuer son expansion.

    Vous avez, malgré toutes ces prédictions pessimistes, un grand appétit de la vie et un grand équilibre personnel ?

    Je ne sais pas si j’ai été équilibré mais j’ai suivi ma ligne à moi. J’ai eu plusieurs vies. Mes recherches à Louvain sont le coeur de mes recherches scientifiques, mon aventure américaine a été très importante. La création de l’Institut de Duve a ensuite été une entreprise magnifique qui a très bien réussi.

    Et puis, j’ai pu commencer à étudier, réfléchir, lire et écrire et pendant 30 ans, j’ai vraiment fait un très long chemin, en écrivant chaque fois mon carnet de bord. J’ai d’abord essayé de comprendre la totalité de la cellule, après en avoir identifié les fameux deux composantes et cela a fait un livre.

    Puis de comprendre la vie – comment elle fonctionne, ce qui est commun à tout ce qui vit –, deuxième livre. Après, il y a eu logiquement ma préoccupation pour l’origine de la vie. Et puis, je suis passé à son histoire et à Darwin qui ne m’avait jamais intéressé jusque-là. De là, je suis arrivé à la dernière étape, l’avènement de l’humanité, et dans la foulée, au fonctionnement et au développement du cerveau. Ce fut un voyage, une progression logique.

    Dans ce voyage, vous avez trouvé un sens à la vie ?

    J’ai retrouvé vers la fin, un peu des souvenirs du mysticisme, de la ferveur de mon enfance, mais à la dernière minute, je m’en suis séparé. L’évolution est mon mot-clé aujourd’hui.

    Pourquoi avoir abandonné ce mysticisme ?

    J’avais abouti, à la fin de mon périple, à une vision platonicienne du monde. J’appelais « l’Ultime réalité », quelque chose qui existe en dehors et qu’on découvre. Je suis arrivé à la conclusion que toute cette notion-là est fausse et que cette réalité que je crois découvrir, est quelque chose que j’ai créé moi-même.

    C’est le produit de notre propre cerveau. Le vrai, le beau, le bien, n’est pas quelque chose qui vit en dehors de nous et que nous découvrons, mais que nous créons.

    C’est mieux ?

    Je n’ai pas de jugement de valeur à donner. C’est peut-être plus scientifiquement crédible que la notion « d’Ultime réalité ».

    Pas d’existence pour Dieu non plus dès lors ?

    Je comprends que ce soit une préoccupation pour grand nombre d’êtres humains, à la source d’au moins trois religions. Disons pour simplifier : l’existence de Dieu ne se démontre pas, et son inexistence non plus. Napoléon avait demandé à Laplace : « Et Dieu dans tout cela ? » Laplace a répondu : « Je n’ai pas besoin de cette hypothèse. » Je suis un peu comme ça.

    « Lorsque je disparaîtrai, je disparaîtrai, il ne restera rien »

    Comme la mort s’approche, prenez-vous cette perspective, comme une délivrance ?

    Je suis tout proche de la mort, je suis au bout du rouleau.

    Vous le ressentez plus fortement aujourd’hui, au bout de toutes ces années ?

    Personnellement, je suis très objectif, très serein devant tous ces phénomènes. La mort, ce serait beaucoup dire qu’elle ne m’effraye pas, mais je n’ai pas peur de l’après car je ne crois pas. Lorsque je disparaîtrai, je disparaîtrai, il ne restera rien. Ce que je dois prévoir maintenant, c’est ma propre disparition et je suis en train de le faire.

    (Nous lui confions le coup de fil que nous avons reçu de François Narmon, ex-patron de Dexia, à la veille de son euthanasie)

    Je suis dans le même état. J’ai tout prévu, mes enfants le savent, ma fille est venue de France. Si mon fils qui est aux Etats-Unis avait pu se déplacer, je me serais fait euthanasier dans les jours qui viennent. Je suis prêt. Mais je dois attendre, je voudrais revoir mon fils. Il ne peut venir qu’au mois de mai, et donc je dois survivre jusqu’en mai.

    Cela ne vous rend pas triste ?

    Ecoutez, je suis fatigué. Je ne sais pas si je réponds encore d’une manière lucide. La nuit du premier avril, je suis vraiment passé d’un côté à l’autre, j’ai passé plusieurs heures sur le sol de mon dressing. J’étais tombé, je n’ai pas pu me relever.

    C’est là que vous avez pris votre décision ?

    Elle était déjà prise avant, mais je me suis dit que cela était le signal d’alarme. Je me suis dit : « Il est temps d’y penser ». Ces confidences que je vous fais, il faudrait peut-être les garder pour le jour où je serai mort. Ce sera une belle nécrologie.

    (Il rit.)

    Cela vous soulage peut-être de penser à mourir : c’est terrible d’avoir vécu un tel progrès au cours de ce quasi-siècle, pour avoir in fine l’impression que jamais l’humanité n’a été autant en danger ?

    C’est vrai. Tout cela m’a fort perturbé et cela continue à me perturber très fort mais je n’ai jamais eu mon mot à dire. M. Di Rupo n’a jamais demandé mon avis. Les politiques ne consultent pas les scientifiques. Je comprends qu’aujourd’hui on ne consulte pas un vieillard de 95 ans, mais enfin, il y a 30 ans, quand j’étais lucide et vivant, on ne me consultait pas.

    Avez-vous des regrets en ce moment si particulier ?

    De ne pas avoir fait mieux, d’avoir surtout un peu sacrifié ma famille à ma carrière. Je l’emporte avec moi. Mais ma femme disait toujours : « Les regrets sont inutiles, Christian ».

    Biographie

    Christian de Duve est né en Grande-Bretagne en 1917, de parents belges. Inscrit à l’Université catholique de Louvain à partir de 1934, il décroche son diplôme en médecine en 1941 et celui de chimie 5 ans plus tard. Ses premières recherches portent sur l’insuline. Après un premier séjour aux Etats-Unis, il concentre son travail sur les structures cellulaires.

    Ses découvertes sur le lysosome et le peroxysome lui vaudront le prix Nobel de médecine en 1974, qu’il partage avec un autre Belge, Albert Claude, et l’Américain George Emil Palade, pour leurs travaux sur la biologie cellulaire. Sa découverte du lysosome a permis des avancées significatives dans la recherche médicale, en particulier en cancérologie.

    Son dernier ouvrage, Sept vies en une, dans lequel il conte ses mémoires de chercheur, est paru en janvier 2013.

    Il est décédé le samedi 4 mai 2013, à l’âge de 95 ans.

    http://www.lesoir.be/388102/article/actualite/belgique/2013-12-25/christian-duve-si-on-continue-comme-cela-ce-sera-l-apocalypse-fin#anchor_388104

  • Chasse : Onfray répond à Tillinac (Le Point)

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     « Le paysan de Paris », Le Point N° 2152 du 12/12/2013

    LE PAYSAN DE PARIS -

    J’avais rédigé pour « Le Point » un compte rendu du livre de Gérard Charollois intitulé Pour en finir avec la chasse. Je découvre en ouvrant le numéro qu’il  a été  intégré dans un dossier  sur les animaux et  qu’il a été soumis à Denis Tillinac pour qu’il y réponde ! Titre de ce débat qui n’a pas eu lieu et annoncé en couverture : « Chasse : Onfray et Tillinac tirent leurs cartouches ». Comme j’avais le dos tourné quand le chasseur a ajusté son tir, je souhaiterais pouvoir vraiment tirer les miennes.

    Tillinac attaque les thèses de Gérard Charollois comme si elles étaient toutes miennes – pareil procès d’intention m’avait déjà été fait lors d’un compte rendu d’un livre de Jean Soler. Et comme il avance en treillis, il tire à tort et à travers, comme après une sortie de banquet cynégétique.

    Pour les défendre, les provinciaux n’ont pas besoin de ce paysan de Paris bien connu comme éminence grise d’un président de la république de droite douze ans aux affaires, comme éditeur dans le quartier ad hoc de la capitale, comme chroniqueur à Valeurs actuelles. Pour être crédible sur ce terrain, que n’est-il éditeur dans une maison d’édition corrézienne, journaliste dans une feuille de chou locale, ou conseiller général de Brive-la-Gaillarde ! Faire le provincial à Paris n’amuse que les parisiens où, dans certains salons qui jouent en boucle le Dîner de cons, on peut entrer avec ses bottes crottées en faisant croire qu’on arrive tout droit de ses champs. Or ça n’est pas de la boue paysanne que Tillinac a sous ses chaussures, mais les crottes de chien des trottoirs de Saint-Germain-des-Prés.

    Dès lors, me prêter « un panthéisme naïf, un angélisme rétro et un mépris bobo de la ruralité »  c’est un peu mal venu quand, comme lui, on a passé sa vie à défendre la paysannerie de droite qui a pollué les nappes phréatiques, arraché les haies, exterminé les animaux sauvages,  détruit l’équilibre écologique, défendu la « chasse » réduite à l’abattage du gibier d’élevage juste sorti de cage, soutenu l’industrialisation du monde agricole subventionné par Bruxelles.

    Le catholicisme de bénitier défendu par Tillinac lui fait  nommer païen quiconque ne croit pas à son Jésus de crèche et à ses Rois Mages. Il  stigmatise l’angélisme rétro quand on appelle à ce que la tradition sanguinaire du cerveau reptilien laisse place à la modernité raisonnable du cortex. Il transforme en bobo méprisant la ruralité celui qui  vit en campagne depuis sa naissance, il y a cinquante-quatre ans, y travaille, y écrit ses livres depuis un quart de siècle et fait le nécessaire avec des Universités Populaires pour que la province ne meure pas siphonnée par le centralisme jacobin.

    L’ « héritage judéo-chrétien » a bon dos quand il s’agit de défendre « le chapon farci aux marrons ». Le péché de gourmandise n’est pas une invention de panthéiste que je sache ? Sa rhétorique de bécasses sur canapé de foie gras et de côtes de veau aux girolles doit plus au paganisme épicurien, pour le coup, qu’au catéchisme, son horizon patristique indépassable. Rappelons que son Jésus ne mange pas de ce pain-là…

    Ensuite, philosophant comme il chasse, Tillinac sort son fusil à tirer dans les coins : « la sollicitude pour l’ordre cosmique maquille un nihilisme qui refuse de hiérarchiser la Création ». Pour finir le travail,  il sort le bazooka : il voit dans le combat pour que les chasseurs cessent d’infliger la mort  pour le plaisir une « visée totalitaire » ! Qu’on se le dise : Hitler n’est pas loin, il est l’ami des abolitionnistes de la chasse…

    Le catholique cite ses références, Sade & Freud ! Comme quoi je n’ai pas tort de combattre cette paire de saints très judéo-chrétiens ! La thèse est simple : puisque l’homme est naturellement méchant, péché originel et pulsion de mort  obligent, permettons lui culturellement de l’être, ainsi, il le sera moins… Avouons que tant de dialectique montre que Tillinac fut probablement l’élève des Jésuites, mais sûrement pas celui de Descartes. Trop de catéchisme nuit au développement du cerveau philosophique !

    Puisqu’il dispose d’un fusil à plusieurs coups, Tillinac ajoute d’autres paralogismes. Un deuxième : le chasseur aime la nature et respecte le gibier qu’il « sacrifie » ! Puis un troisième : le chasseur lui manifeste même une certaine « tendresse » ! Avec des fusils, de la chevrotine, des dagues ? On fait des tendresses moins casquées, des respects moins bottés, des amours moins meurtriers ! On a les « voluptés » qu’on peut : Tillinac avoue ressentir de pareils frissons quand le fildefériste tombe à terre, que le dompteur est dévoré par les lions ou,  au rugby, « quand le plaqueur défonce le plaqué » – le fin lecteur de Feud qu’il est devrait choisir ses mots avec plus de soin… Quatrième paralogisme : vouloir réduire le sadisme, c’est l’augmenter écrit notre penseur. Ce qui relève d’une logique assez cocasse ! Jadis, dans une copie de certificat d’études, ça ne serait pas passé…

    Enfin que Tillinac fasse de moi un défenseur « nocif  (des) idéologies rédemptrices des écolos de la rive gauche » est drôle !  Passons sur la nocivité : les espèces nuisibles, c’est bon pour les chasseurs ; pour les humains, on sait où mène l’usage de pareille notion… Ensuite, renvoyer à l’idéologie, c’est l’arroseur arrosé ! Car il faut en tenir une sacrée couche, d’idéologie, pour souscrire à autant d’inepties :   Tillinac aime tuer les animaux, mais par dévotion chrétienne; Tillinac jouit du carnage, mais pour réduire le sadisme ; Tillinac verse le sang, mais pour économiser la cruauté consubstantielle au péché originel ; Tillinac massacre des créatures vivantes qui ne lui ont rien fait, mais par tendresse pour les animaux ; Tillinac s’adonne au péché de gourmandise, mais par piété catholique ; Tillinac aime la nature, mais pour mieux la ravager . Avec un pareil fusil, on préfère être insulté par Tillinac, car, vu sa logique, c’est probablement par amour qu’il ajuste son tir ! Quant à la rédemption, c’est son fond de commerce, pas le mien. Enfin,  s’il faut choisir, je préfère « écolos » à « fachos ». Pour conclure : à propos de la rive gauche, je crois savoir que c’est le quartier dans lequel il joue le paysan de cour… On ne risque pas de s’y croiser.

    ©Michel Onfray, déc 2013

    http://mo.michelonfray.fr/non-classe/le-paysan-de-paris-le-point-n-2152-du-12122013/