Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Textes - Page 20

  • "Le triomphe de l’obscène, le mépris des victimes et la défaite du mouvement" (Vegmag)

    http://static.blogstorage.hi-pi.com/photos/ninamyers.blogspace.fr/images/gd/1259469322/La-betise-humaine-citations.jpg

    La nouvelle est tombée, sans surprise : la célèbre organisation de défense animale PETA, connue pour le sexisme de ses campagnes, va ouvrir son propre site pornographique, peta.xxx.

    Sans ironie aucune, on peut dire que la boucle est bouclée : tout tendait vers ce but, des campagnes « I’d rather go naked than wear fur  » et « Vegetarians have better sex » aux innombrables manifestations de rue en tenue légère organisées par l’association dans le monde entier.

    Sur peta.xxx, des scènes pornographiques alterneront avec des images de torture animale : la chair des unes, la chair des autres, consommées à toutes les sauces du voyeurisme.

    Des « stars du porno » ont d’ores et déjà annoncé leur participation - hautement rémunérée, cela va sans dire.

    Le mélange promet d’être explosif, les recettes juteuses, et il faudra s’attendre, si ce genre d’initiative se banalise (et il semble bien que tel soit le cas) à une recrudescence notable des actes de zoophilie et de torture à caractère sexuel sur ceux-là mêmes dont on prétend défendre les droits.

    « Nous vivons dans un monde hyper-connecté et nous sommes bien conscients que c’est en se démarquant qu’on a le plus de chances de sensibiliser de nouvelles personnes à notre cause. »

    Ces propos, qui émanent de Lindsay Rajt, la porte-parole de PETA, laissent pantois : la pornographie étant devenue la chose la plus banale du monde, comment peut-on prétendre qu’elle sert à se « démarquer » ?

    Est-ce, de la part de Mme Rajt, de la candeur, du cynisme, de la simplicité, ou les trois à la fois ?

    PETA affirme viser à l’efficacité : la pornographie est le plus sûr moyen de toucher un très large public, et de sensibiliser ainsi le maximum de gens au sort des animaux.

    Mais outre la naïveté presque touchante d’une telle croyance (depuis quand les amateurs de pornographie viennent-ils sur un site pornographique pour autre chose que du sexe ?), on se demande si cette naïveté ne sert pas en fait d’aimable camouflage à des mobiles beaucoup moins avouables : un terrible appât du gain et une inversion des valeurs qui révèle bien plus que de l’hypocrisie, presque une volonté de sape.

    Dans un tel contexte en effet, l’être nonhumain apparaît comme une victime de si peu d’importance qu’on la donne en pâture aux pervers et qu’on ridiculise le mouvement pour la défense de ses droits en faisant intervenir sur le devant de la scène, non pas des militants inspirés et dignes, mais des femmes-esclaves afin d’attirer le gogo, le machiste lambda, le beauf majeur, qui se contrefichent du sort des animaux.

    On imagine aisément ce qu’aurait été, par exemple, l’issue du mouvement pour les droits civiques aux Etats-Unis si Martin Luther King, au lieu d’entraîner à sa suite des militants sérieux et déterminés, porteurs de valeurs fortes et guidés par leurs seuls idéaux de justice, avait organisé, en vue de ratisser large, des marches de femmes noires en tenue d’Eve.

    L’issue en aurait été nulle.

    Pis : le mouvement pour les droits civiques aurait été complètement discrédité, Martin Luther King et ses partisans seraient passés pour des guignols et le message aurait été envoyé aux hommes blancs selon lequel les femmes noires étaient bien les objets sexuels qu’ils croyaient.

    La politique de ségrégation aurait perduré, se serait intensifiée et les Noirs seraient aujourd’hui encore considérés comme des citoyens de troisième ordre.

    Le propre du carnaval n’est pas de changer le monde, mais de divertir. Le divertissement, le festif : tels sont, comme par hasard, les maîtres-mots de l’époque.

    Or, défendre les intérêts des victimes, ce n’est pas faire le carnaval.

    Ce n’est pas faire la fête.

    Ce n’est pas faire n’importe quoi.

    Ce n’est pas flatter le voyeurisme des foules, ce n’est pas décrédibiliser la cause et les victimes.

    Ce n’est pas faire appel au star-system si prompt à retourner sa veste et embrasser toutes les causes, même contraires, pour autant qu’elles lui font de la publicité.

    Bref, ce n’est pas ridiculiser tout un mouvement.

    Lorsqu’un humanitaire lutte contre la famine en Afrique, il ne va pas manifester nu dans la rue, ni fonder un site X où défileront des séquences pornographiques entrecoupées d’images d’Ethiopiens mourant d’inanition.

    Cela serait considéré comme parfaitement obscène, insultant pour les victimes et totalement contre-productif.

    Pourquoi les animalistes se permettent-ils de ridiculiser ainsi leur propre cause, sinon parce qu’ils ne respectent pas la personne animale, quoi qu’ils en disent ?

    D’ailleurs (et ceci explique probablement cela), le pourcentage de militants végans est incroyablement faible au sein du mouvement, ce qui prouve bien que les autres, autrement dit la majorité, ne prennent pas les animaux au sérieux, et que le mouvement est encore à l’état embryonnaire.

    PETA et d’autres associations du même acabit (1) surfent allégrement sur la vague de vulgarité qui déferle sur notre époque et qu’elle caractérise.

    Tous les moyens sont bons, plaident ces associations, pour sensibiliser le public à la cause animale.

    Or, non, tous les moyens ne sont pas bons, et la fin ne les justifie pas tous.

    Aussi bien, le public reste parfaitement insensible au message qu’on prétend lui transmettre.

    Et d’ailleurs, quelle est la fin réellement poursuivie ici ?

    Certainement pas celle de l’exploitation animale.

    Les animaux, de cette débauche de médiocrité, sortent vaincus, et la cause discréditée.

    PETA, et toutes les organisations qui l’imitent (elles sont nombreuses à embrayer sur ce terrain, la dernière en date étant GAIA et le lancement le 9 septembre prochain de la « journée sans slip » pour protester contre la castration à vif des porcelets), ont réussi à faire passer les militants des droits des animaux pour des clowns et des débiles, incapables de comprendre qu’on ne lutte pas contre une discrimination en en exploitant une autre.

    « J’ai essayé de rendre clair que c’est mal d’utiliser des moyens immoraux pour atteindre une juste fin. » (2)

    « Aucun homme moral ne peut patiemment se conformer à l’injustice. » (3)

    Telles sont les paroles de Martin Luther King, dont nos animalistes autoproclamés feraient bien de s’inspirer.

    A leur absence de radicalité éthique, manifeste dans leur politique d’orientation welfariste et les divers partenariats marketing qu’ils forment avec les exploiteurs des animaux, s’ajoute la promotion du sexisme.

    Ce triomphe de l’obscène signe la défaite du mouvement.

    Un mouvement pour les droits des animaux ne peut faire l’apologie du sexisme ou du consumérisme sexuel.

    Il ne peut dénoncer l’animal-objet et son exploitation s’il promeut parallèlement la femme-objet et son exploitation.

    Il ne peut espérer faire évoluer l’être humain s’il flatte en lui ce qu’il doit précisément combattre.

    Il ne peut prétendre élever s’il s’abaisse lui-même.

    Le sexisme est l’un des maux endémiques dont souffre l’humanité, et il est navrant de constater qu’il est utilisé comme ressort quasi systématique de l’antispécisme.

    C’est là non seulement la marque d’un illogisme tragique, mais aussi d’une navrante stupidité.

    Nous vivons une époque où la vulgarité trône partout.

    Les médias nous en abreuvent, le juteux marché de la dépendance à la pornographie s’est organisé et bien sûr, les foules s’y sont jetées, là comme ailleurs, sans aucun esprit de résistance, sans aucune conscience d’être dupées : bien au contraire, chacun ne s’est jamais autant senti libre, au point de le marteler à chaque seconde, tout en l’étant de moins en moins.

    Il ne faudra pas, pour excuser notre passivité, invoquer plus tard la fatalité, la rapacité capitaliste ou l’influence pernicieuse d’un pouvoir qui nous manipule, mais bien notre seul abandon de nous-mêmes, la défaite de notre pensée et la cession de notre responsabilité.

    Martin Luther King – encore lui - affirmait que l’égalité raciale viendrait moins de la promulgation des lois défendant la personne que de la manière dont cette personne s’envisageait elle-même.

    Aussi nous prêterons-nous pour finir à un jeu permutatoire éloquent, en remplaçant, dans l’extrait qui suit, le mot « Noir » par le mot « femme » :

    Aussi longtemps que l’esprit est mis en esclavage, le corps ne peut jamais être libre.

    La liberté psychologique, un ferme sens d’estime de soi, est l’arme la plus puissante contre la longue nuit de l’esclavage physique. […]

    La femme sera libre quand elle atteindra les profondeurs de son être et qu’elle signera avec le stylo et l’encre de son humanité affirmée sa propre déclaration d’émancipation.

    Et avec un esprit tendu vers la vraie estime de soi, la femme doit rejeter fièrement les menottes de l’auto-abnégation et dire à elle-même et au monde :

    « Je suis quelqu’un. Je suis une personne. Je suis une femme avec dignité et honneur. J’ai une histoire riche et noble. » (4)

    Des esclaves ne sauraient libérer d’autres esclaves, et leurs exploiteurs encore moins.

    Méryl Pinque

    Vegan.fr

    Notes :

    (1) Il y a quelques mois, la SPA italienne embauchait l’acteur pornographique Rocco Siffredi, connu pour l’extrême violence misogyne de ses prestations, dans le cadre d’une campagne publicitaire contre l’abandon. En 2009, une strip-teaseuse se faisait étriper dans une vidéo de l’association hollandaise Wakker Dier (voir http://www.lepost.fr/article/2009/0…).

    (2) Letter from a Birmingham Jail, 1963.

    (3) Martin Luther King, The Autobiography of Martin Luther King, Jr., New York, Warner Books, 1998 (chap. 2).

    (4) Where Do We Go from Here ? Discours au SCLC (Southern Christian Leadership Conference), 16 août 1967.

    Mots-clés :  PETA porno sexisme animaliste

    http://www.vegmag.fr/005-actus/043-paroles-veganes/752-le-triomphe-de-l-obscene-le-mepris.html

  • "De la cohérence" (Vegmag)

    Harmonie innéfable

    http://www.vegmag.fr/005-actus/043-paroles-veganes/661-paroles-veganes-de-la-coherence.html

     De la cohérence

    Un synonyme du mot cohérence est harmonie.

    Un de ses antonymes est confusion.

    Entre la confusion et l’harmonie, notre choix devrait être fait, surtout lorsqu’il s’agit du bien de ces animaux que nous affirmons défendre.

    Souvent pourtant l’on prétend que la cohérence en ce domaine est impossible, que le monde étant régi par une exploitation animale omniprésente, nul ne serait, en pratique, en mesure d’être cohérent absolument.

    Mais c’est méconnaître une des règles morales fondamentales, à savoir que si la perfection n’existe pas, en revanche chacun se doit d’y tendre.

    Miguel d’Unamuno disait à propos de Dieu :

    « Croire en Dieu, c’est désirer qu’il existe, et c’est, en outre, se conduire comme s’il existait. »

    Il voulait dire par là que ce n’est pas tant le fait que Dieu existe ou non qui importe, mais le fait que nous nous conduisions comme si tel était le cas, et, pourquoi pas, en « accoucher » ainsi pour de bon.

    Cela vaut pour le sujet qui nous occupe.

    Peu importe qu’il soit possible ou non, dans le monde tel qu’il est, d’être absolument végan (peut-être ne le pouvons-nous pas en effet) : l’essentiel est de nous efforcer de tendre vers cet absolu par tous les moyens et autant qu’il est possible, par respect des non-humains dont nous prétendons prendre en compte les intérêts, et faire advenir, de cette façon, un monde libéré de l’exploitation animale.

    Le fait de tendre vers cet absolu respect par tous les moyens et autant qu’il est possible, c’est précisément la cohérence.

    Et la cohérence exige deux qualités cardinales : la volonté et l’humilité.

    La volonté est ce qui nous fait le plus défaut.

    Souvent nous sommes régis par des forces qui ne sont pas nôtres, tout en croyant le contraire.

    Nous sommes influençables, que ce soit par d’autres humains, la publicité, la mode ou nos faiblesses particulières qui nous empêchent d’être authentiquement libres.

    Nous nous croyons libres mais il est rare que nous le soyons, car nous pensons peu par nous-mêmes.

    Or la liberté n’est rien sans la volonté.

    Est libre celui qui conquiert, par le vouloir, son affranchissement.

    Il devient alors cet individu unique en ce qu’il est porteur de ses propres valeurs.

    L’homme volontaire est donc celui de la conscience.

    La conscience d’un humain se préoccupant moralement des autres humains lui interdit de nuire à ces derniers.

    Un humanitaire possédant la conscience de sa mission respecte l’engagement moral qui est le sien, celui de venir en aide à ses semblables.

    Un humanitaire qui déroge à sa mission n’en est plus un (ainsi de celui qui, par exemple, sera reconnu coupable d’attouchements sexuels sur des enfants qu’il devait au départ protéger).

    Il en va de même de l’animaliste.

    L’animaliste, s’il veut mériter ce nom, doit respecter son propre engagement moral, qui est de ne rien faire qui puisse nuire aux animaux.

    Un animaliste se doit donc d’être végan, à moins de reconnaître qu’il n’en est pas un dans le sens où sa volonté n’est pas assez forte pour vaincre son désir de consommer, par exemple, des œufs et du fromage alors qu’il sait que la production d’œufs et de produits laitiers, fussent-ils bios, condamne des animaux à la torture et à la mort, soit tout ce contre quoi il déclare s’opposer.

    C’est ici que l’humilité entre en jeu.

    Consentir à reconnaître son manque de volonté, et donc de conscience, suppose un pas fondamental dans la bonne direction.

    La plupart des végans sont d’anciens omnivores ou végétariens qui ont eu l’humilité de remettre en cause leur mode de vie dans le sens d’une plus grande cohérence avec leurs idéaux.

    L’éthique végane abolitionniste ne prétend pas faire preuve d’autre chose que de cohérence, c’est-à-dire d’harmonie avec les principes intangibles que tout animaliste se doit de posséder, mais aussi d’harmonie dans le monde.

    Méryl Pinque

    http://www.vegmag.fr/005-actus/043-paroles-veganes/661-paroles-veganes-de-la-coherence.html?var_mode=

  • "Le scandale "DSK" est une affaire politique" (Yvette Roudy - Le Monde)

    Ce qu'il est convenu d'appeler désormais "l'affaire DSK" peut fort bien avoir pour effet immédiat la mise à mal d'une omerta millénaire. Sans préjuger de la culpabilité ou de l'innocence de celui par qui le séisme est arrivé, il devient - inconsciemment - du fait d'un système judiciaire exceptionnel - le révélateur de pratiques sexuelles masculines ancestrales, banalisées - mais destructrices - couvertes jusqu'ici par des silences, des sourires entendus, de la majeure partie de la gent masculine de la société française, et aussi d'une part non négligeable de la gent féminine.

    Le plus stupéfiant de "l'affaire" - le plus choquant pour certains d'entre nous - aura été la manifestation immédiate d'une solidarité masculine - aveu spontané d'une connivence avérée - tentant de réduire l'événement à une banale affaire de "soubrette troussée" sans "mort d'homme", paroles venues d'intellectuels les plus respectés, de politiques les plus vénérés.

    Ces propos, tenus vingt ans après la loi sanctionnant le harcèlement sexuel, trente ans après la reconnaissance du viol comme un crime, nous montrent que la loi ne suffit pas, qu'il est plus facile de désintégrer un atome qu'une idée reçue. Ainsi, les agressions, abus, harcèlements sexuels, viols dont les femmes sont quotidiennement victimes seraient toujours pour certains hommes une simple manière d'affirmer leur supériorité de mâles dominants, sûrs de bénéficier de l'indulgence sinon de l'admiration de leurs semblables. Une sorte d'hommage, en quelque sorte, que les femmes sont priées d'accepter avec bonheur, humilité et... silence.

    Sauf que le monde a changé et les femmes aussi. Depuis peu il est vrai. A peine deux cents ans qu'elles ont droit à l'instruction. A peine soixante ans qu'elles peuvent voter. A peine cinquante ans qu'elles peuvent travailler sans autorisation de leur mari. A peine quarante ans que le mari n'est plus chef de famille. Il y a quarante ans justement, nous étions dans la rue pour exiger le droit à disposer de notre corps. A exiger son respect.

    Il faut croire que cela n'est rien au regard de siècles de domination masculine. Sans doute faut-il du temps pour que le cerveau masculin comprenne que le pouvoir politique ne met plus l'homme au-dessus des lois.

    Le droit de cuissage ne fait plus partie des privilèges des puissants de ce monde, et c'est peut-être la première leçon que nous donne cette femme de chambre, "présumée victime", noire et immigrée de surcroît. L'affaire "aura peut-être pour effet de libérer la parole des femmes". Elles vont prendre conscience qu'elles ne sont pas coupables, mais victimes. Elles n'ont plus à avoir peur, à avoir honte, à se cacher, à fuir les moqueries, les ricanements. La loi qui protège le faible des abus des plus forts est là pour elles. Du moins en France.

    Déjà, un membre de l'actuel gouvernement vient d'être contraint de donner sa démission à la suite d'une plainte pour agression sexuelle.

    Déjà, la condamnation pour harcèlement sexuel d'un sénateur et maire socialiste va peut-être finir par donner lieu à son expulsion de l'organisation à qui il doit ses mandats. Mais cela dépend des dirigeants de cette organisation, où il bénéficie de soutiens puissants.

    Déjà, nous entendons parler d'une affaire qui remonte à 2010. Le parquet de Paris vient de la ressortir du placard. Elle concerne la plainte d'une femme de chambre d'un grand hôtel parisien contre un membre éminent d'un émirat arabe, qui a eu le temps de reprendre son avion.

    La police avait classé sa plainte sans suite après l'avoir dissuadée de la maintenir. Je me souviens du temps où j'ai voulu féminiser la police. C'était en 1983, et j'avais dû entendre les gémissements d'un syndicat de policiers qui avait tenté de me persuader d'abandonner mon projet au motif que leurs épouses ne l'appréciaient pas. Nous avons aujourd'hui quelques femmes dans les commissariats. Trop peu, à l'évidence. On y ignore superbement la loi sur l'égalité professionnelle.

    Que celui par qui "l'affaire" a éclaté soit un homme politique des plus éminents n'est pas neutre. Ce qui peut se passer dans une chambre à coucher ne relève plus du sacro-saint ordre "privé". Ou alors à quoi servent les lois contre les violences domestiques ? A l'évidence, elles sont ignorées d'une bonne partie de ceux-là mêmes qui les ont votées. Leur silence a pu bénéficier à l'assassin de Marie Trintignant, qui a pu s'en tirer avec quatre à cinq années de prison. Il n'y a pas si longtemps. Pas très cher, finalement, pour un meurtre.

    Déjà Simone de Beauvoir avait dénoncé, dans un article titré "De l'urgence d'une loi antisexiste", paru dans Le Monde du 19 mars 1979, la décision de la cour d'assises des Yvelines qui avait acquitté un homme ayant frappé sa femme jusqu'à ce que mort s'ensuive et l'avait laissée agoniser sur le carreau. J'eus la faiblesse de croire qu'une loi antisexiste s'imposait en France en 1983, d'autant qu'elle faisait partie des 110 propositions du président François Mitterrand. Il suffisait d'ajouter le mot sexe à la loi antiraciste. La réaction machiste fut d'une telle violence que le projet ne fut jamais inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Et ce sont les Espagnoles du gouvernement de Zapatero qui, plus tard, en ont bénéficié.

    Ce sont les féministes qui, depuis deux cents ans, lentement, péniblement, arrachent ces lois en France. Oui, elles remettent en cause l'ordre patriarcal établi. Des hommes nous soutiennent. Trop peu. Trop discrètement. Nul n'ignore que chaque nouvelle loi en faveur des femmes affaiblit le pouvoir masculin dominant, en place depuis plus de deux mille ans. Ses défenseurs ne s'y trompent pas.

    Ce n'est pas un hasard si le viol collectif est une arme de guerre, une façon pour les jeunes voyous des quartiers de s'affirmer lâchement dans les "tournantes".

    Ce n'est pas un hasard si le dernier bastion à conquérir est justement le lieu où se votent les lois. Et ce n'est pas un hasard si peu de féministes siègent à l'Assemblée. Le pouvoir reste masculin. Cette affaire est politique. Les partis politiques peuvent commencer à balayer devant leur porte. La bonne réponse est la parité. Partout. Et maintenant.

    Yvette Roudy, ancienne ministre socialiste des droits des femmes

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2011/06/28/le-scandale-dsk-est-une-affaire-politique_1542009_3232.html

  • Petite leçon de logique : le véganisme, une nécessité morale

    vegan_if_you_want.jpg

    Vous respectez les animaux ?

    Alors ne les consommez plus : devenez végan.

    Supprimez de votre vie quotidienne tous les produits d'origine animale : viande, produits laitiers, oeufs, miel, cuir, laine, soie, etc.

    Tous ces produits sont aisément remplaçables par d'autres qui ne proviennent pas de la souffrance et de la mort de ces animaux que par ailleurs vous prétendez défendre.

    Toute utilisation des animaux est de l'exploitation.

    Il n'y a pas d'exploitation "humaine".

    La seule manière de mettre fin à l'exploitation, c'est de renoncer à tous les produits d'origine animale.

    La seule solution, c'est de devenir végan.

  • Le traitement de l’affaire DSK entretient la confusion des esprits (Osez le féminisme !)

    http://www.aufaitmaroc.com/pictures/0062/1560/photo_1305611190225-15-0.jpg

    Nous assistons depuis quelques jours à une effervescence médiatique sans précédent autour de l’inculpation pour agression sexuelle et tentative de viol de Dominique Strauss-Kahn.

    Dans ce contexte, Osez le féminisme s’inquiète du traitement de cette affaire et de plusieurs prises de parole publiques qui entretiennent de nombreuses idées reçues autour des violences faites aux femmes. 

    Dominique Strauss-Kahn est présumé innocent : rappeler ce fait et attendre les conclusions de la justice américaine devrait suffire.

    Manifestement, non.

    - Il est très peu fait état de la présumée victime dans les différents sujets.

    Certes, les informations la concernant sont très parcellaires.

    Condamner sans savoir est grave : cela remet en cause le principe fondamental de la présomption d'innocence.

    Mais jeter le soupçon sur les propos de la plaignante est également grave et dangereux.

    Grave car c'est ajouter à la souffrance de cette femme.

    Dangereux car c'est un signal clair aux victimes présentes et futures qu’il est risqué porter plainte.

    - Le déferlement de blagues sexistes auquel on assiste, parfois sous forme de palmarès, montre à quel point les violences faites aux femmes sont encore minorées dans l’imaginaire collectif.

    On assiste à une confusion grave entre liberté sexuelle et violences sexuelles.

    Les faits dénoncés, s'ils étaient avérés, ne relèveraient ni d'une "affaire de mœurs" ni d'un problème de libido envahissante.

    Ils constitueraient un crime.

    - Enfin, certaines réactions publiques relayées dans les médias révèlent une méconnaissance totale du viol comme phénomène de société.

    Évoquer le jugement porté par certains sur le physique de la jeune femme  ou parler de « profil du violeur », contribue à entretenir de nombreuses idées reçues encore tenaces dans notre société.

    Rappelons que le viol concerne toutes les catégories sociales.

    Il n’est pas réservé à un certain profil d’hommes et ne concerne pas seulement des femmes au physique très attrayant.

    Les femmes qui sont victimes de viols et tentatives de viols ont un seul point commun : être femmes et, en tant que telles, être considérées comme des objets.
     
    Osez le féminisme rappelle que chaque année en France, 75 000 femmes sont victimes de viol.

    Seules 10% d’entre elles portent plainte.

    Nombreuses sont celles qui sont astreintes au silence par une chape de plomb, celle du tabou et de la culpabilité qu’on fait peser sur elles.

    Nombreuses sont celles qui font les frais d’idées reçues largement propagées, dont la plus commune est qu’elles l’auraient bien cherché. 

    Cela peut changer.

    Cela doit changer !

    http://www.osezlefeminisme.fr/article/le-traitement-de-l-affaire-dsk-entretient-la-confusion-des-esprits

  • L'affaire DSK sert de révélateur au sexisme français

    http://www.eparsa.com/images2/anne/dsk-fmi.jpg

     

    Le bûcher du machisme français

    Plusieurs réactions aux accusations d'agression sexuelle qu'aurait commis Dominique Strauss-Kahn révèlent une culture nationale encore profondément machiste.

    On apprend dans le flot d'informations qui se déverse en continu depuis dimanche dans les médias français qu'une femme s'est fait violenter, jeter à terre et arracher son soutien-gorge par un homme politique connu, mais qu'elle n'a pourtant pas porté plainte.

    Elle aurait subi des pressions, sa carrière professionnelle s'en serait trouvée freinée.

    Ca ne semble choquer personne.

    Au contraire, tout le monde connaît cette histoire.

    On se gausse et on se pousse du coude dans les dîners en ville télévisés, en riant grassement de la narration des exploits de l'impétrant, dont les frasques sont si drôles.

    Par ailleurs, les journalistes ont toutes une anecdote personnelle salace à se raconter entre elles sur le même sujet.

    Mais rien ne filtre, c'est l'omerta.

    Pas de plainte.

    Affaire privée.

    Aux États-Unis, pays certes puritain, on ne rigole pas avec ça.

    Pas plus qu'avec les limitations de vitesse ou les files d'attente.

    Alors le jour où une petite femme de chambre du Bronx, employée modèle du Sofitel, porte plainte contre le même homme politique connu pour violence sexuelle, la police intervient et la sanction tombe illico.

    Et comment réagit-on en France ?

    Chacun se déclare abasourdi par ce fait divers sordide et choqué par l'extrême violence des images montrées sur les chaines d'information.

    Celle du désarroi et de la détresse de la victime qui, si les faits sont avérés, restera marquée à vie par cette agression ?

    Non, celle de la comparution du présumé innocent devant le juge, dont la dignité d'homme est bafouée par les caméras de télévision et la justice américaine.

    On crie au complot.

    Cela ne peut qu'être une machination, voyons !

    Devant la révélation des faits, deux femmes, Michèle Sabban et Christine Boutin, qui exercent toutes deux des responsabilités publiques, dénoncent un attentat politique, voire, un piège.

    N'est ce pas un peu lourd pour les frêles épaules de cette jeune femme qui n'arrache à personne un mot de compassion ?

    Cette petite femme de ménage aurait-elle du sécher ses larmes et se taire pour s'épargner, elle aussi, un calvaire médiatique ?

    Devait-elle réfléchir aux conséquences planétaires avant de porter plainte ?

    Peut on vraiment croire qu'elle serait l'instrument d'une terrible manipulation que seuls des méchants américains ont pu imaginer ?

    Quel délire !

    On est simplement en Amérique, et la victime a composé le 911.

    Angèle de Soli

    http://www.atlantico.fr/decryptage/dsk-machisme-affaire-femme-agression-sexuelle-99743.html

  • Affaire Strauss-Kahn : Clémentine Autain à l'honneur

    http://3.bp.blogspot.com/_BSJH7nmCiZk/TPRWbfYj7cI/AAAAAAAAAE8/ptkaY04V7Q8/s1600/feminism080421_3_250.jpg

    Une pensée pour la femme de chambre

    J’ai regardé les informations à haute dose depuis qu’a été rendue publique l’arrestation de DSK.

    A vrai dire, je suis stupéfaite par le consensus qui ressort des commentaires : tout le monde, ou presque, a une pensée pour “l’homme qui traverse une épreuve”, sa femme Anne Sinclair, sa famille, ses proches, les militants socialistes…

    Qui a une pensée pour la femme de chambre ?

    Pas grand-monde, et cela me scandalise.

    Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans la suite du Sofitel New-Yorkais.

    Mais la femme de chambre a peut-être subi une agression sexuelle et une tentative de viol.

    Elle n’est peut-etre pas folle (Jean-Marie Le Guen évoquait sur France Inter ce matin des hallucinations possibles de la jeune femme), elle n’a peut-être pas été achetée en vue d’un complot (hypothèse souvent suggérée et clairement énoncée par Michèle Sabban) mais elle est peut-être tout simplement une femme meurtrie, traumatisée, qui a subi un acte odieux et a touvé l’aide comme le courage nécessaires pour déposer une plainte - acte fort difficile dans ce type de crimes et délits.

    J’entends partout l’appel à la décence.

    La décence, c’est aussi de ne pas oublier la femme de chambre, qui traverse aussi une épreuve et a une famille qui doit vivre un sale moment.

    Dans tout ce que j’entends, je perçois à la fois une lecture de classe, qui invisibilise la femme de chambre et prends soin du dirigeant du FMI, et une lecture peu féministe de l’événement.

    Je veux dire l’omerta qui pèse sur les violences faites aux femmes, la suspiscion qui règne sur celles qui osent parler, les récits courants - livrés dans le secret de la confidence - de femmes qui sont harcelées et maltraitées par des hommes de pouvoir.

    Car le rapport de domination est une arme pour les agresseurs.

    Quelque soit la réalité de l’affaire DSK et les résultats du travail de la justice, je pense à toutes les femmes qui sont harcelées, agressées, humiliées, violées, tuées.

    http://clementineautain.fr/2011/05/16/une-pensee-pour-la-femme-de-chambre/

  • Affaire Strauss-Kahn : Jean Quatremer à l'honneur

    http://bruxelles.blogs.liberation.fr/.a/6a00d83451b56c69e2014e887454ed970d-300wi

    Dessin de Pierre Kroll à paraitre demain dans Le Soir et publié avec son aimable autorisation.

    DSK inculpé de « tentative de viol » à New York

    Dominique Strauss-Kahn ne pourra pas assister demain à l’Eurogroupe qui sera notamment consacré à la difficile situation de la Grèce.
     
    Le directeur général du FMI a été arrêté samedi 14 mai dans l’avion d’Air France en partance de New York pour Paris et placé en garde à vue.
     
    Il a ensuite inculpé "d'agression sexuelle, de séquestration de personne et de tentative de viol" par le parquet de New York.
     
    DSK aurait agressé sexuellement une femme de chambre de 32 ans qui travaillait depuis plusieurs années à l’hôtel Sofitel de New York, des faits qui doivent encore être prouvés, bien évidemment, accusation ne valant pas condamnation, faut-il le rappeler ?

    Reste que c’est la seconde fois que DSK est englué dans une affaire de sexe aux États-Unis : en 2008, il a déjà failli perdre son poste à la suite d’une relation sexuelle, révélée par le Wall Street Journal, avec l’une de ses subordonnées directes, une économiste hongroise, relation que le code de conduite du FMI bannit.

    Cette affaire, qualifiée élégamment « d’aventure d’un soir » par DSK, qui fleurait bon l’abus de pouvoir s’est soldée par un difficile sauvetage du patron du FMI et le parachutage de la jeune femme à la BERD sise à Londres.

    Les conseillers de DSK, employés d'Euro-RSCG, ont fait, il est vrai, un travail remarquable de "damage control".

    Les médias et les politiques connaissent depuis longtemps les appétits sexuels irrépressibles de DSK dont le comportement à l’égard des femmes est à tout le moins « inapproprié » (en France, on préfère dire qu’il est un « séducteur invétéré »).

    Pour l’avoir écrit en juillet 2007, sur ce blog, j’avais encouru les foudres de certains de mes collègues et d’une partie de la classe politique, sans parler de quelques internautes, qui estimaient que j’empiétais sur la « vie privée » d’un politique.

    Un argument que j’estime irrecevable comme le montre ces deux affaires : d’une part, ce qui relève de la « vie privée » est étroitement circonscrit aux relations entre adultes consentants et s’il n’y a pas harcèlement ou abus de pouvoir de quelque nature que ce soit ; d’autre part, aux États-Unis, on ne plaisante pas avec le droit des femmes : ce qui suscite souvent des ricanements entendus en France signe la fin d’une carrière outre-Atlantique.

    Or, DSK vit à Washington et dès lors son comportement doit obéir aux normes locales.

    J’ai entendu quelques réactions aujourd’hui qui n’honorent pas leurs auteurs : dans une société qui porte de plus en plus attention aux victimes, à juste titre, on semble oublier qu’il y a une victime dans cette affaire, une femme qui affirme avoir été agressée, et pas seulement un politique en détresse.

    J’ai cru me retrouver dans les années 70 où on affirmait que les femmes violées affabulaient la plupart du temps et qu’elles avaient dû le chercher.

    Surtout, s’il est exact que DSK bénéficie de la présomption d’innocence, invoquer un « complot » est d’un ridicule achevé : il n’est nul besoin que des officines sarkozystes contactent la CIA, le FBI et le NYPD avec la complicité du groupe Accor (propriétaire des Sofitel) pour faire tomber DSK, comme le montre une autre affaire qui vient brutalement de ressurgir, celle de Tristane Banon qui a été découragée de porter plainte contre DSK comme vient de le reconnaitre sa mère, une élue socialiste autrefois proche de l’ancien ministre des Finances.

    Il est vrai qu’il se trouve des gens pour croire que Ben Laden vit avec Elvis Presley et Michaël Jackson sur une île du Pacifique…

    Est-ce que cela exclut pour autant une plainte non fondée ?

    Bien sûr que non.

    A la justice de trancher.

    Mais coupable ou non, DSK vient sans doute de signer la fin de sa carrière au FMI et en France, car le procès à venir, qui prendra du temps, devrait entrainer un déballage – les procureurs américains sont sauvages - dont le patron du FMI ne sortira pas intact, tant en France que dans le monde.

    Sans compter qu’il s’agit de sa seconde sortie de route en quelques jours : il a été pris en photo montant dans la Porsche Panamera de son conseiller média (ça ne s’invente pas) Ramzi Khiroun, cette chaise à porteurs des temps modernes, attirant ainsi l’attention sur sa fortune.

    Cette fois, accusé d’avoir agressé une femme de chambre, le lumpenprolétariat des temps modernes, dans un palace dont la nuit est facturé deux fois son salaire mensuel, il attire l’attention sur ses appétits sexuels.

    Argent et sexe, voilà qui fait furieusement noblesse d’ancien régime à qui tout semblait permis…

    Une image terrible pour un parti socialiste qui veut incarner les aspirations d’un peuple durement touché par la crise et qui devrait l’encourager à se tourner vers un candidat moins encombrant.

    Reste que DSK quitte le jeu au pire moment pour la zone euro qui n’arrive pas à se sortir de la crise de la dette souveraine.

    Or, il l’a sans conteste géré, jusqu’ici, avec un grand talent, ce que tout le monde s’accorde à reconnaître.

    Autant dire que son inéluctable départ va laisser un grand vide.

    http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2011/05/dsk-inculp%C3%A9-de-tentative-de-viol-%C3%A0-new-york.html#more

  • "Le crapaud", Victor Hugo

    761px-Crapaud_commun.JPG

    Le crapaud

    Que savons-nous ? qui donc connaît le fond des choses ?

    Le couchant rayonnait dans les nuages roses ;
    C'était la fin d'un jour d'orage, et l'occident
    Changeait l'ondée en flamme en son brasier ardent ;
    Près d'une ornière, au bord d'une flaque de pluie,
    Un crapaud regardait le ciel, bête éblouie ;
    Grave, il songeait ; l'horreur contemplait la splendeur.
    (Oh ! pourquoi la souffrance et pourquoi la laideur ?
    Hélas ! le bas-empire est couvert d'Augustules,
    Les Césars de forfaits, les crapauds de pustules,
    Comme le pré de fleurs et le ciel de soleils !)
    Les feuilles s'empourpraient dans les arbres vermeils ;
    L'eau miroitait, mêlée à l'herbe, dans l'ornière ;
    Le soir se déployait ainsi qu'une bannière ;
    L'oiseau baissait la voix dans le jour affaibli ;
    Tout s'apaisait, dans l'air, sur l'onde ; et, plein d'oubli,
    Le crapaud, sans effroi, sans honte, sans colère,
    Doux, regardait la grande auréole solaire ;
    Peut-être le maudit se sentait-il béni,
    Pas de bête qui n'ait un reflet d'infini ;
    Pas de prunelle abjecte et vile que ne touche
    L'éclair d'en haut, parfois tendre et parfois farouche ;
    Pas de monstre chétif, louche, impur, chassieux,
    Qui n'ait l'immensité des astres dans les yeux.
    Un homme qui passait vit la hideuse bête,
    Et, frémissant, lui mit son talon sur la tête ;
    C'était un prêtre ayant un livre qu'il lisait ;
    Puis une femme, avec une fleur au corset,
    Vint et lui creva l'œil du bout de son ombrelle ;
    Et le prêtre était vieux, et la femme était belle.
    Vinrent quatre écoliers, sereins comme le ciel.
    – J'étais enfant, j'étais petit, j'étais cruel ; –
    Tout homme sur la terre, où l'âme erre asservie,
    Peut commencer ainsi le récit de sa vie.
    On a le jeu, l'ivresse et l'aube dans les yeux,
    On a sa mère, on est des écoliers joyeux,
    De petits hommes gais, respirant l'atmosphère
    À pleins poumons, aimés, libres, contents ; que faire
    Sinon de torturer quelque être malheureux ?
    Le crapaud se traînait au fond du chemin creux.
    C'était l'heure où des champs les profondeurs s'azurent ;
    Fauve, il cherchait la nuit ; les enfants l'aperçurent
    Et crièrent : « Tuons ce vilain animal,
    Et, puisqu'il est si laid, faisons-lui bien du mal ! »
    Et chacun d'eux, riant, – l'enfant rit quand il tue, –
    Se mit à le piquer d'une branche pointue,
    Élargissant le trou de l'œil crevé, blessant
    Les blessures, ravis, applaudis du passant ;
    Car les passants riaient ; et l'ombre sépulcrale
    Couvrait ce noir martyr qui n'a pas même un râle,
    Et le sang, sang affreux, de toutes parts coulait
    Sur ce pauvre être ayant pour crime d'être laid ;
    Il fuyait ; il avait une patte arrachée ;
    Un enfant le frappait d'une pelle ébréchée ;
    Et chaque coup faisait écumer ce proscrit
    Qui, même quand le jour sur sa tête sourit,
    Même sous le grand ciel, rampe au fond d'une cave ;
    Et les enfants disaient : « Est-il méchant ! il bave ! »
    Son front saignait ; son œil pendait ; dans le genêt
    Et la ronce, effroyable à voir, il cheminait ;
    On eût dit qu'il sortait de quelque affreuse serre ;
    Oh ! la sombre action, empirer la misère !
    Ajouter de l'horreur à la difformité !
    Disloqué, de cailloux en cailloux cahoté,
    Il respirait toujours ; sans abri, sans asile,
    Il rampait ; on eût dit que la mort, difficile,
    Le trouvait si hideux qu'elle le refusait ;
    Les enfants le voulaient saisir dans un lacet,
    Mais il leur échappa, glissant le long des haies ;
    L'ornière était béante, il y traîna ses plaies
    Et s'y plongea, sanglant, brisé, le crâne ouvert,
    Sentant quelque fraîcheur dans ce cloaque vert,
    Lavant la cruauté de l'homme en cette boue ;
    Et les enfants, avec le printemps sur la joue,
    Blonds, charmants, ne s'étaient jamais tant divertis ;
    Tous parlaient à la fois et les grands aux petits
    Criaient : «Viens voir! dis donc, Adolphe, dis donc, Pierre,
    Allons pour l'achever prendre une grosse pierre ! »
    Tous ensemble, sur l'être au hasard exécré,
    Ils fixaient leurs regards, et le désespéré
    Regardait s'incliner sur lui ces fronts horribles.
    – Hélas ! ayons des buts, mais n'ayons pas de cibles ;
    Quand nous visons un point de l'horizon humain,
    Ayons la vie, et non la mort, dans notre main. –
    Tous les yeux poursuivaient le crapaud dans la vase ;
    C'était de la fureur et c'était de l'extase ;
    Un des enfants revint, apportant un pavé,
    Pesant, mais pour le mal aisément soulevé,
    Et dit : « Nous allons voir comment cela va faire. »
    Or, en ce même instant, juste à ce point de terre,
    Le hasard amenait un chariot très lourd
    Traîné par un vieux âne éclopé, maigre et sourd ;
    Cet âne harassé, boiteux et lamentable,
    Après un jour de marche approchait de l'étable ;
    Il roulait la charrette et portait un panier ;
    Chaque pas qu'il faisait semblait l'avant-dernier ;
    Cette bête marchait, battue, exténuée ;
    Les coups l'enveloppaient ainsi qu'une nuée ;
    Il avait dans ses yeux voilés d'une vapeur
    Cette stupidité qui peut-être est stupeur ;
    Et l'ornière était creuse, et si pleine de boue
    Et d'un versant si dur que chaque tour de roue
    Était comme un lugubre et rauque arrachement ;
    Et l'âne allait geignant et l'ânier blasphémant ;
    La route descendait et poussait la bourrique ;
    L'âne songeait, passif, sous le fouet, sous la trique,
    Dans une profondeur où l'homme ne va pas.

    Les enfants entendant cette roue et ce pas,
    Se tournèrent bruyants et virent la charrette :
    « Ne mets pas le pavé sur le crapaud. Arrête ! »
    Crièrent-ils. « Vois-tu, la voiture descend
    Et va passer dessus, c'est bien plus amusant. »

    Tous regardaient. Soudain, avançant dans l'ornière
    Où le monstre attendait sa torture dernière,
    L'âne vit le crapaud, et, triste, – hélas ! penché
    Sur un plus triste, – lourd, rompu, morne, écorché,
    Il sembla le flairer avec sa tête basse ;
    Ce forçat, ce damné, ce patient, fit grâce ;
    Il rassembla sa force éteinte, et, roidissant
    Sa chaîne et son licou sur ses muscles en sang,
    Résistant à l'ânier qui lui criait : Avance !
    Maîtrisant du fardeau l'affreuse connivence,
    Avec sa lassitude acceptant le combat,
    Tirant le chariot et soulevant le bât,
    Hagard, il détourna la roue inexorable,
    Laissant derrière lui vivre ce misérable ;
    Puis, sous un coup de fouet, il reprit son chemin.

    Alors, lâchant la pierre échappée à sa main,
    Un des enfants – celui qui conte cette histoire, –
    Sous la voûte infinie à la fois bleue et noire,
    Entendit une voix qui lui disait : Sois bon !

    Bonté de l'idiot ! diamant du charbon !
    Sainte énigme ! lumière auguste des ténèbres !
    Les célestes n'ont rien de plus que les funèbres
    Si les funèbres, groupe aveugle et châtié,
    Songent, et, n'ayant pas la joie, ont la pitié.
    Ô spectacle sacré ! l'ombre secourant l'ombre,
    L'âme obscure venant en aide à l'âme sombre,
    Le stupide, attendri, sur l'affreux se penchant,
    Le damné bon faisant rêver l'élu méchant !
    L'animal avançant lorsque l'homme recule !
    Dans la sérénité du pâle crépuscule,
    La brute par moments pense et sent qu'elle est sœur
    De la mystérieuse et profonde douceur ;
    Il suffit qu'un éclair de grâce brille en elle
    Pour qu'elle soit égale à l'étoile éternelle ;
    Le baudet qui, rentrant le soir, surchargé, las,
    Mourant, sentant saigner ses pauvres sabots plats,
    Fait quelques pas de plus, s'écarte et se dérange
    Pour ne pas écraser un crapaud dans la fange,
    Cet âne abject, souillé, meurtri sous le bâton,
    Est plus saint que Socrate et plus grand que Platon.
    Tu cherches, philosophe ? Ô penseur, tu médites ?
    Veux-tu trouver le vrai sous nos brumes maudites ?
    Crois, pleure, abîme-toi dans l'insondable amour !
    Quiconque est bon voit clair dans l'obscur carrefour ;
    Quiconque est bon habite un coin du ciel. Ô sage,
    La bonté, qui du monde éclaire le visage,
    La bonté, ce regard du matin ingénu,
    La bonté, pur rayon qui chauffe l'inconnu,
    Instinct qui, dans la nuit et dans la souffrance, aime,
    Est le trait d'union ineffable et suprême
    Qui joint, dans l'ombre, hélas ! si lugubre souvent,
    Le grand innocent, l'âne, à Dieu le grand savant.

    Victor Hugo, La Légende des siècles

  • Fukushima et le reste

    http://www.franceastro.com/Actualites/admin/uploads/actus/Fin_du_monde___la_prophetie_des_Hopi_.jpg

    Nous y sommes
    Par Fred Vargas
     
    Nous y voilà, nous y sommes.

    Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.

    Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal.

    Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance, nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine. Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides àl'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout du monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.

    On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu. Franchement on s'est marrés.

    Franchement on a bien profité.

    Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.

    Certes.

    Mais nous y sommes.

    A la Troisième Révolution.

    Qui a ceci de très différent des deux premières ( la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.

    « On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.

    Oui.

    On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies. La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau. Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse).

    Sauvez-moi ou crevez avec moi
     
    Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix, on s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux. D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.

    Peine perdue.

    Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais.

    Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, – attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille - récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).

    S'efforcer.

    Réfléchir, même.

    Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.

    Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.

    Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.

    Pas d'échappatoire, allons-y.

    Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante. Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.

    A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie –une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut-être.

    A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.

    A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.
     
    Fred Vargas
    Archéologue et écrivain