Merci à Philippe Val de remettre une fois de plus les
pendules à l'heure (N.d.A.).
Lundi matin, Le Pen sur France Inter. Dans le cadre de la
tranche 7h-9h30, spéciale présidentielle, la règle du jeu
consiste à faire la revue de presse et choisir un invité,
et enfin à répondre aux questions des auditeurs. Après
une revue de presse laborieuse — où l’on s’aperçoit que le
journalisme, quoi qu’en pensent les foules farcies à TF1,
c’est quand même un métier —, voici donc l’invitée.
C'est sa collègue au Parlement européen, madame
Schenardi, membre du groupe Identité, tradition,
souveraineté (ITS), tout un programme. Mais il se
trouve que madame Schenardi est une farouche
défenseuse de la cause animale. Pourquoi pas ?
Elle est sans doute de bonne foi. Nicolas Demorand,
cherchant la faille, pose alors la question : « Est-ce
que c’est bien politique ? » Hélas, oui, ça l’est. Si la
chose — le respect que l’on doit aux animaux, et la
lutte contre la souffrance animale — était entendue
par tous, ce ne serait pas politique. Mais comme
personne d’autre n’en parle, ça le devient.
Et, malheur pour les bêtes, il se trouve qu’elles ont
le pire des défenseurs, puisque, dorénavant, vouloir
améliorer leur condition équivaudrait à prendre sa
carte du Front national. Selon cette logique de crétin,
si Le Pen boit de l’eau fraîche pendant la canicule,
il faudrait se laisser mourir de soif pour ne pas risquer
d’être assimilé à un fasciste, sous prétexte qu’on a
la même réaction en cas de forte chaleur.
Il faut le dire haut et fort, Le Pen et Schenardi ont raison
de dire ce qu’ils disent. La tradition humaniste de la
gauche n’a toujours pas fait litière des imbécillités
cartésiennes sur les animaux-machines. Descartes
était un génie, il a fait ce qu’il a pu — et il a pu
beaucoup — pour rendre compatibles la civilisation
chrétienne et l’essor des savoirs, mais sur les animaux,
il a pensé comme une enclume…
S’il n’y avait pas une continuité entre l’homme et
l’animal, cela voudrait dire que Dieu a créé l’homme
à part. D’abord les animaux et le reste, pour faire joli
dans le jardin, puis l’homme, pour qu’il en jouisse.
Nier la continuité, c’est adhérer — la plupart du temps
sans le savoir — aux thèses théologiques de la
création du monde… Mais l’admettre, c’est accepter
que la civilisation inclut nécessairement dans sa
recherche d’une vie plus douce et plus heureuse
non seulement le recul de la souffrance animale,
mais l’interdiction de toutes les formes de tortures
infligées aux plus faibles que l’homme.
Évidemment, que ce soit Le Pen qui soulève la question
va contribuer à braquer ceux qui sont indifférents
au sort des bêtes, et qui vont trouver là un argument
à leur indifférence. On ne peut rien contre
l’abrutissement volontaire des abrutis. Mais pour les
autres, c’est un problème. En effet, que vaut pour les
animaux d’être défendus par un homme dont le
programme politique se fonde sur l’irrespect pour les
autres hommes ? Comment quelqu’un qui parle des
attentats du 11 septembre qui ont fait plus de trois
mille morts comme d’un incident et des chambres à
gaz comme d’un point de détail de notre histoire
peut-il s’indigner des conditions de transport des
animaux de boucherie ? C’est évidemment une
provocation supplémentaire.
Dans la même émission, Le Pen a défendu le collège
musulman de Lyon, créé à l’instigation de l’Union des
organisations islamiques de France (UOIF), où toutes
les filles iront voilées. Qu’on approuve qu’un être
humain soit réduit à une impureté qui doive aller à
l’école dissimulée sous un voile tout en s’indignant
du sort fait aux bêtes révèle au mieux une pensée
chaotique, au pire, un cynisme idéologique qui n’est
pas sans rappeler les délicatesses de Hitler, premier
promulgateur des lois de protection animale. Le jour
où la gauche aura compris, elle aussi, que s’humaniser,
c’est aussi s’animaliser, elle aura fait un petit bond en
avant. Le Pen — qui ne se fait guère d’illusions sur le
soutien que pourrait lui apporter ce qu’il appelle le
« lobby juif » —, en défendant les animaux, cherche à
capter un lobby bien plus large encore, celui des solitaires
à animal… Réduire la question de la cohabitation des
animaux et des hommes* à un débat pour ou contre Le
Pen est une sorte de suicide intellectuel et politique. C’est
oublier que la vertu romaine a disparu corps et bien dans
les cirques où se mélangeaient les sangs des animaux et
des hommes.
Philippe Val
* Ce n’est pas Le Pen qu’il faut interroger sur ce sujet, mais
une de nos grandes philosophes, Elisabeth de Fontenay,
dont le magnifique ouvrage Le Silence des bêtes, la
philosophie à l’épreuve de l’animalité, aux éditions Fayard,
est une référence en la matière.