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Livre - Page 5

  • A propos de "La Raison des plus forts" : chronique de Christophe Léon

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    « De la façon dont nos sociétés affrontent [la question animale] dépend le sort de plus d’êtres chaque année qu’il n’a jamais existé d’humains à la surface de la Terre…

    Cet enjeu-là est premier. En soi, il est colossal. »

    Les animaux non-humains ont-ils une conscience ?

    La fourmi, le tatou ou l’oursin ont-ils des facultés mentales, bref sont-ils en mesure d’appréhender leur environnement et de réagir/agir en conséquence autrement que par instinct ?

    Le « propre de l’homme » est-il si propre que cela ?

    Autant de questions auxquelles tente de répondre La raison des plus forts, dans la collection Radicaux libres des éditions IMHO.

    Sous la direction de Pierre Jouventin, David Chauvet & Enrique Utria, ce livre, à travers onze essais, s’attaque de front à un dogme millénaire, celui de l’Homme tout puissant dominant la Création et ne cédant à l’animal non-humain que la part du pauvre, celle qui le réduit à l’état d’animal-machine, seulement bon à servir et à être exploité en conséquence.

    Aujourd’hui encore, dire que l’humain est un animal comme un autre et qu’il est partie (importante certes, mais partie seulement) d’un ensemble bien plus grand qui inclut toutes les espèces animales, est souvent entendu comme une grosse bêtise, voire comme une provocation.

    Et pourtant…

    « … les actes de ce colloque [le 14 novembre 2009 se tenait à l’université de Paris V René Descartes un colloque dont le thème était : "Sommes-nous prêts à élargir aux animaux notre considération ?"] tendent à justifier que le cercle de l’égalité soit désormais élargi aux animaux non-humains, de même qu’au cours des siècles se sont progressivement effacées les barrières que certains traçaient autour des notions de race, de sexe, de tribu, ou de nation. »

    Hélas, l’égalité pour les animaux non-humains n’est pas encore pour demain — en premier lieu pour des raisons purement économiques.

    Par défaut, nos modes de consommation et de marchandisation du vivant font que la viande est devenue au fil des années un produit de base de notre alimentation.

    Comment alors faire admettre que lorsque nous mangeons de la viande, de l’animal non-humain, nous ne mangeons pas quelque chose mais quelqu’un ?

    Accorder à l’animal non-humain une conscience serait lui reconnaître une fonction autre qu’utilitaire, une existence égale et comparable à l’humain.

    Cette idée est dérangeante parce qu’elle semble nous réduire, alors qu’à mieux y réfléchir elle nous grandit.

    Et inutile de prendre la science à témoin sur notre supposée supériorité génétique :

    « … notre génome, s’il est plus grand que celui de la carpe et de la poule, est moindre par rapport à celui de la souris, du lys et de l’amibe, ce qui a surpris bien des généticiens qui s’attendaient à ce que l’homme soit l’être au génome le plus grand puisque supposé le plus complexe… »

    La raison des plus forts
    bat en brèche la notion commune du « propre de l’homme » qui fait de nous des êtres différenciés de l’espèce animale, et qui nous conduit à penser que nous sommes les maîtres du monde, les Phénix incontestables de l’Univers.

    Qu’est-ce que le « propre de l’homme », si ce n’est la faculté de se prendre pour ce que nous ne sommes pas, et le moyen d’asseoir notre pouvoir sur les animaux non-humains en les exploitant, les tuant, les dévorant ou les maltraitant ?

    Dénier la conscience aux animaux autres que nous est ce que nous avons trouvé de plus commode pour nous dédouaner.

    « Le propre de l’homme n’est plus vraiment un problème de science et, comme le roi nu, il apparaît pour ce qu’il est en réalité, un jugement de valeur, une simple question de point de vue. »

    Plus loin, David Chauvet dans son essai, intitulé Les animaux, ces êtres de raison, examine le bien-fondé de ce « propre de l’homme » et ce qu’il a permis de justifier : « l’hégémonie humaine sur le reste du monde animal. »

    Nier la raison animale, faire accroire que ces êtres agissent de manière exclusivement instinctive, sans former de projet, autorise à ce qu’on les tue sans qu’il n’en soit autrement affecté que biologiquement.

    Le sacrifice de l’animal non-humain serait un sacrifice neutre.

    Alors que pour le moins, et si l’on veut rester objectif et entreprendre une démarche scientifique, il faudrait partir du principe (de précaution ?) que « la raison est peut-être présente chez certains autres animaux que l’humain » ce qui devrait nous amener à réfléchir sur nos actes.

    Et encore :

    « Les animaux ne réagissent pas aveuglément à l’environnement, ils analysent et en tirent des conséquences, comme chacun en convient à présent.

    À l’évidence, la raison ne fait pas partie du fameux « propre de l’homme ».

    Les contributions et textes complémentaires, parce qu’ils abordent un éventail complet de ce qu’on appelle la condition animale, font de
    La raison des plus forts un ouvrage essentiel, qui permet de mieux comprendre et de mieux entrevoir les enjeux écologiques, environnementaux, sociaux et politiques liés à notre interprétation du monde.

    Il ouvre une réflexion sur ce qu’entraînerait la reconnaissance de facultés mentales aux animaux , ainsi que sur les adaptations et changements que cela induirait.

    La raison des plus forts
    , un livre nécessaire, érudit et passionnant.

    La raison des plus forts, sous la direction de Pierre Jouventin, David Chauvet & Enrique Utria, col. Radicaux libres, éd. IMHO

    Pour en savoir plus : http://www.imho.fr

    Christophe Léon
    www.christophe-leon.fr

    http://www.ecologitheque.com/raison.html

  • "La Raison des plus forts" : interview de Pierre Jouventin et David Chauvet

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    Interview de Pierre Jouventin et David Chauvet,  co-directeurs, avec Enrique Utria, du livre La raison des plus forts - La conscience déniée aux animaux (éditions IMHO, collection Radicaux libres).

    chroniqué sur L'écologithèque le 23 juin 2010

    Question : Pierre Jouventin et David Chauvet (avec Enrique Utria) vous avez dirigé la réalisation de l’ouvrage La Raison des plus forts, paru aux éditions IMHO dans la collection Radicaux libres.

    Pourquoi ce livre consacré à la condition animale et, particulièrement, à la conscience animale ?

    Pierre Jouventin
    : Tout simplement parce que c’est d’actualité même si beaucoup ne s’en rendent pas compte.

    Depuis un demi-siècle, nous en savons mille fois plus sur le comportement des animaux que depuis l’aube de l’humanité et ce n’est pas du tout ce que l’on attendait.

    Pourtant, il y a un siècle et demi, Darwin nous avait appris d’une part que l’homme est issu du monde animal et d’autre part que la différence entre lui et les autres être vivants est une question de degré, non de nature.

    Or toute notre culture judéo-chrétienne définit l’homme par opposition à l’animal auquel il manquerait l’intelligence, la raison, l’abstraction, la morale, la culture, etc.

    Tout ceci est remis en question par les découvertes récentes et a été pris en compte dans les pays anglophones mais pas encore chez nous.

    La première contribution de ce volume collectif consiste donc à montrer que « le propre de l’homme » s’est dissous dans la biologie moderne et qu’il faut désormais en tenir compte en sciences humaines.

    David Chauvet
    : Paradoxalement, si la sensibilité des animaux est aujourd'hui évidente pour tout le monde, leur conscience est niée.

    Cette « mentaphobie » reflète une crainte de considérer les animaux comme de véritables individus.

    C'est à l'évidence une stratégie d'exclusion.

    Pourrions-nous aussi facilement les manger, porter leur peau, s'amuser à les chasser, entre autres, si nous ne les considérions pas comme des êtres sans conscience ?

    On oppose souvent aux défenseurs des animaux le fameux « cri de la carotte », façon de dire que les animaux non-humains et les plantes sont à situer au même niveau, qu'on peut tuer les uns comme les autres sans commettre une faute.

    Reconnaître une conscience aux autres animaux serait accepter le fait qu'ils ont une volonté, que l'on contrarie de manière parfaitement illégitime.

    Autrement dit, ce serait admettre que nous faisons d'eux des esclaves, et que le fait de les tuer, même « humainement », est un crime. 

    Question : Prétendre que les animaux non-humains ont accès à une conscience, et qu’ils ne diffèrent en rien (ou presque) de l’homme dans ce domaine, n’est-ce pas « révolutionnaire », dans le sens d’un changement radical de notre conception du monde ?

    L’animal est-il l’égal de l’homme ?

    Pierre Jouventin
    : Vous basez déjà les rapports entre l’homme et l’animal sur un rapport de force et c’est d’ailleurs ce que soulève  notre titre inspiré de La Fontaine : La raison des plus forts.

    Pourquoi faudrait-il nécessairement que l’homme soit supérieur à l’animal si ce n’était pour lui imposer sa dure loi ?

    L’homme ne serait-il pas au contraire plus moral s’il ne cherchait pas systématiquement à réduire par la force tous les autres êtres vivants, entraînant cette crise majeure de la biodiversité à laquelle nous assistons et qui n’est qu’un volet de la crise écologique dans laquelle nous entrons ?

    Personne ne prétend que l’homme ne diffère pas des autres espèces : toutes sont différentes.

    Si l’homme est une espèce originale, il n’a jamais été, scientifiquement parlant, le couronnement de l’évolution animale.

    David Chauvet
    : L'idée que les animaux sont des êtres rationnels, doués de conscience, de volonté, est sans doute encore « révolutionnaire » pour beaucoup de nos contemporains.

    Ceux-ci vivent en effet sous l'empire de préjugés confortables, tant au regard d'une dignité humaine établie aux dépens des animaux, que pour ce qui concerne la légitimité d'utiliser ces derniers comme des moyens au service de nos fins (y compris les plus superfétatoires).

    Mais, comme l'a rappelé tout à l'heure Pierre Jouventin, les scientifiques, et certains en témoignent dans La Raison des plus forts, ne mettent plus en doute l'existence de la conscience animale depuis presque un demi-siècle.

    Les preuves s'accumulent, corroborant ce que chacun pouvait facilement percevoir en observant son chien ou son chat.

    Il est vrai que peu entretiennent avec les vaches ou les cochons d'autres relations que celle qui passe par leur assiette.

    Question : La société de consommation et de marchandisation du vivant, notamment l’industrie de la viande, ne sont-elles pas fondées sur l’idée commune que l’animal n’a pas de conscience et, qu’en conséquence, on peut le tuer et le consommer « sans modération » ?

    L’élevage et l’abattage des animaux ne sont-ils pas entrés dans nos imaginaires comme une banalité qui ne choque plus personne ?

    Est-il encore possible de changer cette vision ?

    Pierre Jouventin
    : Les éleveurs, les chasseurs et les fermiers d’antan se trouvaient au moins devant un problème de conscience qu’ils écartaient pour des raisons de survie.

    Or nous ne sommes plus confrontés à cet impératif et nous ne côtoyons plus les animaux que nous mangeons.

    La plupart de nos concitoyens sont des citadins qui affectionnent les animaux de compagnie mais oublient qu’ils mangent des animaux de boucherie, souvent très sociables comme les cochons, élevés dans des conditions qui n’ont plus rien à voir avec celles des animaux de ferme d’antan.

    La société industrielle a transformé des êtres sensibles en objets de consommation et il n’est pas inutile d’en prendre conscience.

    David Chauvet : Il est fort heureusement possible de changer cette vision d'un abattage allant de soi parce que les animaux, prétendument dénués de conscience, seraient « là pour ça », comme on le dit souvent.

    Ceci plus que jamais car à aucun moment de l'Histoire nous n'avons eu autant de preuves de la conscience animale.

    Les esprits chagrins ont à cœur de la nier, comme on a pu dénier une âme aux Indiens ou aux Noirs lorsqu'il était question de justifier leur asservissement.

    Peut-être faudrait-il que les animaux aient à leur tour leur controverse de Valladolid !

    Les préjugés ont toujours eu la peau dure.

    Pour ne citer qu'un exemple, il est à mon sens profondément anormal et choquant qu'on continue d'enseigner aux élèves que l'humain est le seul « animal raisonnable » et que les animaux sont des « êtres d'instinct ».

    C'est nier tant le savoir scientifique actuel que le débat philosophique qui a lieu sur le sujet depuis des siècles !

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    Question : Pourquoi apporter de la considération à l’animal non-humain et lui accorder une conscience ?

    Cela n’entraîne-t-il pas un bouleversement de nos modes de vie ?

    Est-ce vraiment souhaitable ?

    David Chauvet
    : C'est une nécessité d'un point de vue éthique, ce qui en soi représente une raison suffisante : est-ce qu'on se demanderait aujourd'hui si l'abolition de l'esclavage des Noirs était souhaitable, bien que cela pouvait modifier l'organisation sociale et économique de l'époque ?

    Dès lors que nous n'avons pas besoin d'utiliser les animaux pour vivre (par exemple, on peut se passer de viande), il n'existe aucune justification pertinente à leur exploitation.

    Sauf le plaisir ou la tradition diraient certains, mais est-ce là ce qui doit déterminer notre conduite ?

    Nous n'aurions plus qu'à oublier toute idée d'éthique pour nous en tenir aux arguments que nous dicte notre estomac.

    Pierre Jouventin
    : Sans même devenir végétarien par éthique, nous risquons fort de ne plus avoir le choix d’ici quelques dizaines d’années et de devoir réduire notre consommation de viande pour des raisons économiques et écologiques car la production de viande coûte sept fois plus que la production de végétaux, un surcoût qui va se poser de plus en plus dans un monde où la productivité alimentaire ne parvient plus à nourrir un nombre croissant de bouches…

    Question : « Le propre de l’homme » est-il négociable ?

    Donner un statut d’égalité à l’animal non-humain, n’est-ce pas faire voler en éclat l’idée de la supériorité de l’homme et de son bon droit de disposer des autres espèces vivantes à son profit ?

    Plus généralement, sommes-nous prêts à nous considérer comme des animaux ?

    David Chauvet
    : Effectivement, nous sommes des animaux, et pourtant beaucoup d'entre nous (pas seulement les intégristes religieux) refusent de le reconnaître.

    L'espèce humaine constituerait à les entendre un règne à part !

    Ces conceptions, très lointaines des réalités scientifiques, en disent long sur l'obscurantisme dans lequel nous baignons, nous qui croyons être parvenus au firmament de la civilisation.

    D'autres cultures que la nôtre, notamment en Asie, ne sombrent pas dans ce travers anthropocentriste, au final proprement occidental.

    En Inde, les Bishnoïs considèrent le fait de tuer les animaux comme un meurtre.

    Nous avons longtemps jeté un regard condescendant sur ces autres civilisations.

    Ne serait-il pas temps de s'inspirer de ce qui, chez eux, est moralement supérieur ?

    Pierre Jouventin
    : Il est vexant d’être assimilé à un animal seulement si l’on ne parvient pas à s’émanciper des préjugés.

    Le mot « chien » peut être considéré comme une insulte ou comme un nom d’animal sans connotation péjorative et les nombreux amateurs de chiens ne me contrediront pas.

    L’homme est une espèce qui fait scientifiquement partie de la famille des primates ou singes.

    Cela peut nous défriser mais il y a plus de différence génétique entre un gorille et un chimpanzé qu’entre ce dernier et l’homme…

    Question : La compréhension de l’Autre passe-t-elle par la considération de l’animal non-humain en tant que sujet plutôt qu’objet ?

    Pierre Jouventin
    : Le problème de l’altérité est central pour définir ce qu’est un homme.

    Il y a seulement quelques dizaines d’années, les Noirs n’étaient pas considérés comme des humains mais comme des animaux, c'est-à-dire des esclaves taillables et corvéables à merci.

    Les enfants et plus récemment les femmes sont aussi passés par ce statut infériorisé puisque le droit de vote en France ne leur a été donné qu’en 1944. 

    David Chauvet
    : Il est certain que la réification des animaux a aussi des conséquences sur notre manière de percevoir certains humains.

    Ce propos est également présent dans l'ouvrage, où je démontre que la pensée de certains opposants aux droits des animaux, comme l'ethnologue Jean-Pierre Digard, fonctionne à l'égard des « espèces inférieures », comme celle des racistes à l'égard des « races inférieures ».

    Question : Écrire que « les humains sont devenus l’espèce la plus dangereuse jamais engendrée par la Nature » ne risque-t-il pas d’être compris comme une provocation ?

    Pierre Jouventin : La formulation est sans doute provocante mais quelle autre espèce a fait autant de dégâts à la planète et aux autres êtres vivants ?

    Il n’est plus temps d’être diplomate car la question se pose aujourd’hui d’une manière aiguë : si l’homme continue dans la même voie, il aura provoqué une hécatombe (animale puis sans doute humaine) et aura transformé son milieu de vie en un désert d’ici moins d’un siècle…

    David Chauvet : Comprendre ce passage du texte de la philosophe Maxine Sheets-Johnstone comme une simple provocation serait passer à coté de son propos.

    Mais il me semble à moi aussi difficilement contestable que nous sommes, parmi tous les animaux, les plus meurtriers.

    Si le propos a de quoi surprendre, c'est peut-être parce que nous aimons nous définir comme des prodiges de l'éthique, comme l'explique Estiva Reus dans l'ouvrage.

    Mais pourquoi n'appliquons-nous pas les principes moraux que nous élaborons avec fierté ?

    La contribution de Reus fournit d'excellentes explications à cela, notamment par son analyse des différentes options s'offrant à nous (par exemple, polluer ou ne pas polluer), certaines étant préférées pour le seul motif qu'elles étaient là avant les autres.

    L'humain est un animal social !

    Question : Pour terminer, les bêtes sont-elles vraiment des êtres sentants comme nous ?

    Quelle place faudrait-il leur donner sur cette Terre ?

    Et quelle place nous donner parmi elles ?

    Pierre Jouventin
    : Les bêtes sont le reflet de nous-mêmes : si nous ne parvenons pas à vivre en harmonie avec les autres êtres vivants et notre milieu de vie, l’avenir de notre espèce est compromis : dorénavant, l’écologie (science des rapports entre l’animal et son milieu) et l’éthologie (science du comportement animal) se rejoignent.

    David Chauvet
    : D'un point de vue strictement pratique, reconnaître quelque considération aux animaux ne modifierait pas fondamentalement l'organisation de notre société.

    Certes, des activités disparaîtraient, mais elles seraient remplacées par d'autres.

    Par contre,  disons-le à nouveau, il est désormais acquis que la consommation de viande, principale source de souffrance et de mort pour les animaux, représente au surcroît un très grand danger pour la planète, et pourrait avoir de fâcheuses conséquences dans un avenir de plus en plus proche.

    Notre intérêt matériel coïncide donc avec l'impératif moral de respecter les animaux. Fabrice Nicolino dans Bidoche a qualifié le «mouvement végétarien» comme étant « l’un des mouvements sociaux les plus responsables de la planète ».

    Ne serait-ce pas une bonne chose qu'on cesse de railler les défenseurs des animaux et qu'on les entende enfin ?

    Pour réagir à l'interview, laissez vos messages à : itw@ecologitheque.com, ils seront publiés après modération.

    http://www.ecologitheque.com/itwraison.html

  • Pr. Gary L. Francione cité dans un livre-hommage à Bronisław Geremek (étude "Portrait du visionnaire en politique")

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    MELANGES OFFERTS A BRONISLAW GEREMEK par ses collègues, admirateurs et amis de Pologne et de France

    Coordonné par Jacques Cortès et Henryk W. Żaliński

    Publication GERFLINT / Université Pédagogique de Cracovie

    ***

    SOMMAIRE

    13 Présentation

    Jacques Cortès, Henryk W. Żaliński, Małgorzata Pamuła

    15 Préface

    Un grand lutteur contre l’intolérance et le mal

    Jacques Le Goff

    · DEDICACES

    21 Bronku, tego nie robi się przyjaciołom

    Bronek ! Tu n’avais pas le droit de nous laisser tomber !

    Adam Michnik

    27 A Bronisław Geremek (1932-2008)

    Edgar Morin

    29 Témoignage

    Michel Wieviorka

    33 Une influence décisive

    Jean Dufournet

    · L’HOMME

    37 Bronisław Geremek par lui-même

    (à partir de ses entretiens avec Juan Carlos Vidal)

    Jacques Cortès

    53 Portrait du visionnaire en politique

    Méryl Pinque

    87 Modestie, générosité et distinction

    Tomasz Orłowski

    91 Zręczna głowa waliła w osłabiony mur

    Ne jamais se résigner, refuser obstinément la réalité de l’obstacle, chercher ses points faibles

    Marcin Kula

    · L’EUROPEEN

    101 Autour du testament européen de Bronisław Geremek

    Jacques Demorgon

    127 Faire l’Europe

    Laurent Pochat

    · L’HISTORIEN

    145 Geremek et la France

    Maurice Aymard

    157 Bronisław Geremek, badacz upośledzonych grup społecznych

    Geremek, l’historien des pauvres et des marginaux

    Henryk Samsonowicz

    Deux articles offerts au Médiéviste Geremek par deux collègues français

    165 Figures de cartes et figures de style à la cour des Estes, à Ferrare au XVe siècle : les tarots de M. M. Boiardo

    Jean Lacroix

    179 L’espace dans le Conte du Graal

    Jean Dufournet

    · DEUX TEXTES DE GEREMEK

    195 La douce France était le rêve de ma vie

    Bronisław Geremek

    Article de Geremek offert par Michel Wieviorka (dir.), in Peut-on encore chanter la douce France ? Etre français, hier, aujourd’hui, demain, Editions de l’Aube, 2007

    203 Rapport sur l’œuvre d’Edgar Morin en vue de l’attribution du titre de Docteur Honoris Causa de l’Université Pédagogique de Cracovie

    Bronisław Geremek

    Texte publié par Akademia Pedagociczna Nadorowej W Krakowie, SENAT

    Remerciements : Les photos inédites de Bronisław Geremek ont été offertes par Madame Béatrice Wieviorka.

    ISSN : 1754 - 4387

  • Parution de "La Raison des plus forts" (Collectif)

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    LA RAISON DES PLUS FORTS
    La conscience déniée aux animaux

    Collectif
    Sortie : 21 mai 2010
    Prix : 15 euros
    Collection Radicaux libres
    Format : 15 X 21 cm, 248 pages
    Distribution / Diffusion : Belles Lettres
    ISBN : 978-2-915517-52-1 / EAN : 9782915517521

    LE LIVRE

    Les avancées de la science contredisent radicalement la conception cartésienne de « l’animal-machine » ou le statut actuel de « res nullius » ou de « bien meuble ».

    Mais tandis que les preuves d’une continuité cognitive entre l’humain et l’animal s’accumulent, le sens commun continue de tenir les animaux pour des êtres sans conscience.

    Il est vrai que ce négationnisme sert de nombreux intérêts économiques, agricoles ou même ludiques.

    Sommes-nous prêts à élargir aux animaux notre considération ?

    Tel était le sujet du colloque organisé le 14 novembre 2009 à l’université Paris V René Descartes, à l’initiative des associations Droits des Animaux et Tribune pour l’animal.

    Sous un titre emprunté à La Fontaine et souvent repris depuis, les onze essais réunis dans ce volume abordent principalement la notion de conscience animale, objet d’une controverse ininterrompue depuis l’Antiquité : à partir de quand peut-on parler de conscience ?

    Quels ajustements la reconnaissance de facultés mentales aux animaux rendrait-elle nécessaires ?

    Autant de questions auxquelles les auteurs, des chercheurs issus de différents horizons : philosophes, éthologues, juristes, économistes, historiens, et des antispécistes, français et étrangers, ont cherché à répondre, offrant une réflexion particulièrement riche et poussée sur la conscience animale.

    LES AUTEURS

    La Raison des plus forts a été réalisé sous la direction de Pierre Jouventin, David Chauvet et Enrique Utria, en collaboration avec Marc Bekoff, Yves Bonnardel, Fabienne Delfour, Élisabeth Hardouin-Fugier, Olivier Le Bot, Irene Pepperberg, Estiva Reus, Maxine Sheets-Johnstone et Jean-Claude Wolf.

    Irene Pepperberg (professeur de psychologie et enseignante de cognition animale) et Marc Bekoff (professeur de biologie et confondateur avec Jane Goodall de Ethologists for the Ethical Treatment of Animals) sont deux spécialistes mondialement reconnus du comportement animal.

    LA COLLECTION

    Dirigée par Armand Farrachi, la collection Radicaux libres se propose de donner une voix à l’écologie radicale.

    Déjà parus :

    Plainte contre la France pour défaut de protection de l’ours des Pyrénées, Collectif ours et Stéphan Carbonnaux, 2010.
    Face au monstre mécanique. Une histoire des résistances à la technique, François Jarrige, 2009.
    Notre patience est à bout 1792-1793, les écrits des Enragé(e)s, Claude Guillon, 2009.
    Pour en finir avec la chasse. La mort-loisir, un mal français, Gérard Charollois, 2009.

    Éditions IMHO, 145, rue de Belleville 75019 Paris, Tél : + 33 1 47 00 75 91, presse : presse@imho.fr www.imho.fr

    « La rationalité animale ne peut se voir disqualifiée par le fait qu’elle ne recouvre pas exactement l étendue de la raison humaine. »

    http://droitsdesanimaux.net/upload/livre_raison_fort.pdf

  • "Des souris et des salopes. De la misogynie en milieu animaliste" : parution du livre de Michelle Julien

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    Des souris et des salopes. De la misogynie en milieu animaliste

    Résumé :

    Ce livre entend démontrer comment l'industrie de la publicité et la culture populaire animalisent les femmes et féminisent les animaux pour mieux banaliser leur exploitation.

    L'auteure dénonce les codes pornographiques utilisés dans certaines campagnes publicitaires de défense des droits des animaux qui encouragent la domination sexuelle et l'infériorisation des femmes.

    Sommaire :

    Remerciements

    Avant-propos

    La plus belle conquête de l’Homme

    Le lâcher de salopes

    Les PéTAsses des médias

    Porno Animalo

    Mi-Putes Mi-Soumises

    Le poids des maux…

    Shooting bitches


    Texte de quatrième de couverture :

    Une augmentation des adhésions.

    La Société Protectrice des Animaux (SPA) revendique aujourd’hui près de 80 000 adhérents.

    Ils étaient moins de 20 000 en 2001.

    La tendance est générale pour toutes les grandes associations de protection animale occidentales.

    Une majorité de femmes, dirigeantes, salariées, bénévoles et donatrices, alors que les théoriciens animalistes sont principalement masculins.

    Un discours qui se politise : les animaux sont nos égaux, il faut leur donner des droits, en calquant la « libération animale » sur celle des femmes.

    Pourtant, la protection animale reste foncièrement ancrée dans une vision conservatrice et conformiste du rôle de la femme dans notre société : de la chair fraîche, bonne à servir de défouloir, marchandisée, autochosifiée, culpabilisée, victimisée…

    Si les animalistes affirment l’égalité entre les humains et le reste des animaux, ils traitent la femme comme inférieure à l’homme et se complaisent à la « rabaisser » à la condition de l’animal.

    Reproduire les stéréotypes misogynes véhiculés par les codes publicitaires, religieux, et pornographiques.

    Renforcer les inégalités entre les hommes et les femmes.

    Le sexisme n’est pas un problème, mais la solution pour médiatiser son organisation animaliste.

    Le cynisme économique a supplanté toute revendication progressiste.

    Les associations sont converties en agences d’autopromotion qui markettent la cause animale comme « n’importe quel produit ».

    À travers la façon de communiquer des associations, le discours des militants et des acteurs de cette cause, l'auteure a pris conscience d’une dérive vers toujours plus de stigmatisation et de violence contre les femmes.

    Phénomène sociétal ?

    À moins que la misogynie soit indissociable de la protection animale...

    Depuis vingt ans, Michelle Julien est une observatrice avertie du milieu de la cause animale.

    Elle a une formation diplômante en production de documentaires (MA/PGDip Television Documentary Production, Université de Salford, UK).

    Fervente opposante à l'expérimentation animale, son précédent livre fut une immersion dans l'univers de l'expérimentation humaine : Le mondé ignoré des testeurs de médicaments.Témoignage et Enquête dans l'univers de l'expérimentation humaine (2008).

    (Enfin !) disponible chez toutes les bons libraires canadiens, et tous les autres francophones - à la commande en indiquant le numéro d'ISBN : 978-2-89239-324-8 (DG diffusion) - Dans certaines boutiques Internet, comme EsoBoutic.

    Le livre sera très prochainement  référencé, avec frais de port gratuit, sur Amazon Canada, Amazon France et Amazon UK

  • "Parodie au bord du gouffre " (Michel Tarrier)

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    Deux oiseaux symboles de notre mode de vie.

    Ça, on sait faire.

    L’humain au plus loin de la Nature, challenge réussi.

    Et maintenant : étonnons-nous !

    Parce qu’au pied du mur par la loi du système, on marche dans la combine mais on n’est pas dupes.

    Le pouvoir croit le peuple né de la dernière pluie parce que conditionné par la manufacture du comportement.

    Pris pour des cons depuis toujours, les braves gens n’ont absolument rien choisi en leur âme et conscience.

    Qui plus est les premiers donneurs d’alerte, ceux qui eurent raison trop tôt, furent toujours moqués, invectivés ou poursuivis par les gardiens du système, y compris les écologistes pionniers qui n’eurent pas les honneurs des Al-Gore et autres pharisiens du jour.

    2040 : il y aura autant de gens à mourir de faim que d’enfants à naître !

    Ne parlons surtout pas de surpopulation au sommet de Copenhague !

    LE CAPITALISME NOUS BALLADE

    Écogitations de derrière les fagots…

    Il y a ceux qui trient leurs déchets, et ceux qui les mangent.

    Au bout du rouleau, sur une planète en déliquescence, juste pour jouer les prolongations avec force d’éco-lubrifiants, l’ultralibéralisme nous promène par le bout du nez sur le chemin de ses propres repentances.

    Il nous mène en bateau en nous exhortant à faire amende honorable en son nom.

    Il nous met la tête dans le bain de son cloaque et nous devons nettoyer pour lui les écuries d’Augias.

    Et voici que nous avons pour mission nouvelle de rafraîchir l'atmosphère qu'il a réchauffée pour s'en mettre plein les fouilles.

    Et nous sentons venir l'entourloupe : le chèque qui sera émis par les plus gros pollueurs des pays nantis ira directement aux plus riches des pays pauvres.

    Voici quelques étapes initiatiques au nouveau chemin pour éco-pèlerins de bonne volonté.

    Cette grande ballade d'une récupe de justesse pour un capitalisme en sursis et repeint de vert passe notamment par :

    Le développement durable pour absoudre l’ultralibéralisme.

    L’économie verte pour justifier la mondialisation.

    Le commerce équitable en contrition de l’OMC.

    L’agriculture bio et celle raisonnée (!) pour mieux cacher le productivisme agrochimique.

    Le sacro-saint tri des déchets pour esquiver la surabondance d'emballages inutiles.

    L’écotourisme pour se dédouaner du tourisme de masse.

    L’habitat écolo-bobo comme repentance élitiste aux cités dortoirs.

    1% de moulins donquichottesques pour expier les marées noires, l'extraction des sables bitumineux et les 14 milliards de bénéfices d’une seule compagnie.

    Le Grenelle et autres pantomimes aux vœux pieux comme livre des recettes cosmétiques.

    Et bien sûr, l’overdose convenue du réchauffement climatique pour brouiller les pistes du flambeau pétrolier.

    Complétez vous-même la liste des subterfuges au consumérisme et de la bonne conscience du marché en découpant selon les pointillés démagogiques et en collectionnant les belles images du greenwashing.

    Fins stratèges, les plus gros pollueurs ont tous leurs fondations environnementalistes et financent les grands tribuns héliportés de l’écologisme poudre aux yeux, fées Carabosse d'un libéralisme décomplexé.

    Et bien d’autres plans dans l’art de décevoir pour faire des dividendes, comme en parquant des paysages pour les faire visiter, en protégeant les espèces une fois éradiquées, en reboisant de plants centimétriques des forêts séculaires abattues…, et autres rustines pour une planète exsangue.

    Il y a incompatibilité entre une société globalisée dirigée par le marché et la préservation de la biosphère.

    Je me tue à le répéter et l’on me dit pessimiste parce que lucide.

    Un univers mental ne renonce jamais à lui-même si des forces extérieures ne l'y contraignent pas.

    Le système a saturé tout l'espace disponible et est à l'origine de tensions de plus en plus fortes.

    Pour les masquer, ceux qui nous gouvernent pratiquent la politique des réalités contradictoires, nouvelle philosophie cynique de l’oxymore, totalement déroutante pour l’esprit.


    NOUS, PEUPLE DERNIER

    Les fruits de l’homme sont empoisonnés et détruisent la Terre.

    Un livre qui donne raison à ceux qui ont toujours eu tort.

    Michel Tarrier, 448 pages, chez L'Harmattan.

    Commander sur un clic :

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  • Nick Brandt : faire le portrait de l'âme des animaux

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    "Ce qui m'intéresse en définitive, ce n'est pas de créer une œuvre purement documentaire ou remplie d'action et de spectacle, comme c'est généralement la règle dans le domaine de la photographie d'animaux.

    Mais de montrer les animaux en train d'être, tout simplement.

    En train d'être avant qu'ils ne soient plus.

    Avant qu'ils cessent d'exister, à l'état sauvage en tout cas."

    http://www.lilela.net/wp-content/uploads/nick_brandt_1.jpg

    Ces propos sont tenus par Nick Brandt, artiste photographe.

    C'est un photographe animalier reconnu, acclamé par la critique et le public.

    Nick Brandt a fait le choix du noir et blanc.

    Il a laissé les téléobjectifs à la maison.

    Il s'approche ainsi, patiemment, distant de quelques mètres parfois, avec empathie, des sujets qu'il veut photographier.

    kudu-against-sky-laikipia-2003-nick-brandt.jpg

    En réalité, ce sont plus que des photos : ce sont des portraits.

    Portraits d'animaux sauvages :  lions, guépards, éléphants, rhinocéros, girafes, gnous... vivant en Afrique de l'Est, au Kenya ou en Tanzanie.

    Nick Brandt aime les animaux.

    Tous les animaux.

    Il ne les mange pas.

    Il est végan.

    Son premier ouvrage, On this earth, a été préfacé par Jane Goodall.

    Un nouvel ouvrage présentant ses oeuvres vient tout juste de sortir : L'Afrique au crépuscule, Editions La Martinière (35 €).

    Son site : http://www.nickbrandt.com/

    http://taomugaia.canalblog.com/archives/2009/10/29/15604904.html

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  • Elisabeth Hardouin-Fugier : "La protection de l'animal sous le nazisme : un recyclage français de la propagande nazie (autour des ouvrages de Luc Ferry)"

    http://www.ledevoir.com/2008/05/26/images/fer_af_260508.jpg

     

    Luc Ferry

     

    Les mânes de Goebbels exultent : au troisième millénaire, il se trouve encore des auteurs pour utiliser sa propagande et, mieux encore, pour la diffuser !

     

    S’engouffrant dans le vide laissé par les historiens du nazisme en matière de protection législative de l’animal, on peut en France, mais aussi en Suisse, en Italie, en Amérique ou en Allemagne, écrire et proclamer haut et fort d’aussi évidentes contrevérités que : « Hitler a supprimé la vivisection », affirmation tout droit venue d’une propagande nazie qu’il convient de démystifier.

     

    Le Nouvel Ordre écologique de Luc Ferry paraît en 1992 (1), l’année même du Sommet de la Terre de Rio, qui active les polémiques sur l’écologie.

     

    En Suisse, les propos de Luc Ferry sur l’animal arrivent à point nommé pour le referendum concernant « l’abolition de la vivisection, soumise en votation le 7 mars 1993 ».

     

    Le Corriere della Sera du 19 octobre 1992, très lu dans le canton italophone du Tessin, expose les conclusions du livre de Ferry, sur les liens supposés entre la protection de l’animal et le nazisme, argument largement repris dans la campagne de presse précédant le vote.

     

    C’est la proclamation d’un ensemble législatif de protection animale par le gouvernement de Hitler, et en particulier la loi du 24 novembre 1933 (Tierschutzgesetz, loi de protection de l’animal), qui incite Ferry à lier au nazisme la compassion envers l’animal.

     

    La très courte section I de cette loi (9 lignes en 2 alinéas), intitulée «Tierquälerei», (torture ou tourment infligé(e) à l’animal) apporte d’emblée un nouveau critère d’évaluation de la souffrance animale :

     

    « Il est interdit de tourmenter inutilement un animal ou de le maltraiter brutalement (2) » (souligné par nous).

     

    Le second alinéa définit « l’utilité » de la maltraitance.

     

    La section II (Prescriptions pour la protection de l’animal) est un catalogue de 14 mauvais traitements infligés aux animaux, par exemple le prélèvement des cuisses aux grenouilles vivantes (alinéa 12).

     

    La section la plus longue (III, Expérimentationsur animaux vivants), concerne l’une des plus importantes polémiques du XIXe siècle, portant sur la « vivisection ».

     

    Les sections IV et V, purement juridiques, précisent les modalités d’application de la loi, que nous désignerons désormais par « loi du 24 nov. 1933 ».

     

    Comment le gouvernement de Hitler s’empare dès 1933 du thème de la protection législative de l’animal en même temps que de l’ensemble des institutions civiles, intellectuelles et culturelles allemandes pour se parer d’un prétendu humanisme, il est aisé de le démontrer (cf. ci-dessous, chapitre I – Notre Führer aime les animaux).

     

    Il ne s’agirait là que d’un artifice de propagande parmi beaucoup d’autres, s’il n’avait connu, aujourd’hui, une postérité inattendue.

     

    Bien des auteurs français, s’appuyant en particulier sur Des Animaux et des Hommes, publié par Luc Ferry en 1994 en collaboration avec Claudine Germé, prenant pour argent comptant le mythe d’une prétendue zoophilie nazie, se chargent d’amplifier ce dernier et d’en tirer des conclusions : c’est ce que nous verrons dans le chapitre II – Naissance et croissance d’un mythe.

     

    I- « NOTRE FÜHRER AIME LES ANIMAUX »

     

    1- De la théorie à la pratique

     

    Lors de la prise de pouvoir des nazis, l’heure est à la vertu rassurante.

     

    Dès le 2 février 1933, Hitler proclame : « puisse le Dieu tout puissant prendre notre travail dans sa grâce, orienter notre volonté, bénir notre intelligence et nous combler de la confiance du peuple, car nous voulons combattre, non pour nous, mais pour l’Allemagne (3)».

     

    Joseph Goebbels, ministre de la propagande, relate dans son Journal comment il entreprend, dès mars 1933, de donner une image positive de l’homme privé Adolf Hitler, jusque-là connu en tant que politicien.

     

    Hitler est un être « aussi simple que bon », « qui ne pense qu’à son travail et à ses devoirs », « amical, aimant les enfants. »

     

    L’amour de la nature d’une part, très répandu en Allemagne, en particulier auprès des anciens membres des Wandervögel (« Oiseaux migrateurs », mouvement de jeunesse très populaire), l’amour des animaux d’autre part, apparaissent alors comme les caractéristiques de tout homme bon.

     

    Dans ses Propos de table, Hitler se proclame « Tierliebhaber » (habituellement traduit par « ami des animaux ») (4), mais, à vrai dire, amateur de chien-loup (berger allemand) exclusivement.

     

    Un Führer dérogerait de se laisser photographier, fut-ce par Hofmann (devenu le photographe officiel de Hitler) en compagnie des bichons d’Eva Braun, tout juste bons pour une femme.

     

    Dans une série de cartes postales très populaire, le photographe « surprend » Hitler sortant furtivement d’une église, une croix se profilant au-dessus de sa tête découverte, caressant des enfants ou méditant dans la nature en compagnie de sa chienne Blondie.

     

    Les textes de Hitler sur l’animal sont peu nombreux.

     

    Dans Mein Kampf, quelques passages servent à justifier, par l’exemple de la nature, la thèse raciste, la sélection naturelle et la violence.

     

    Il existe aussi quelques histoires de chiens, au front, par exemple, parfois rapportées par Baldur von Schirach, dont le chien, offert par Hitler, sautait sur quiconque faisait le salut nazi !

     

    On sait aussi, en particulier par Albert Speer, que le Führer ennuyait les hôtes de son chalet d’Obersalzberg par ses interminables tirades sur les chiens-loup.

     

    Dans les Propos de table déjà mentionnés, minutieusement consignés pour 1941 et 1942 en près de 500 pages, le mot animal apparaît 18 fois ; outre de rudimentaires justifications du néodarwinisme (« les chats n’ayant pas pitié des souris »), deux passages plus longs (pp. 241-242, 431-432) exposent le végétarisme comme hygiène de vie, puis vient l’inévitable éloge de Blondie.

     

    « Dans le nouveau Reich, il ne doit plus y avoir de place pour la cruauté envers les animaux (5). »

     

    Si telle est la théorie, la réalité est tout autre : « bonheur pour Blondie Hitler, malheur pour “Minet” Klemperer, dont le maître est Juif ! »

     

    Victor Klemperer, cousin du célèbre chef d’orchestre, survivant en Allemagne comme époux d’une Aryenne, témoigne de ce fait trop peu connu :

     

    « Je n’avais plus le droit de verser à la SPA une cotisation pour les chats, parce que, à “l’Institution allemande des chats” (vraiment, c’est ainsi que se nommait désormais le bulletin de la société, devenu organe du Parti) il n’y avait plus de place pour les créatures “perdues pour l’espèce” (Artvergessen) qui vivaient chez les Juifs.


    Plus tard, on nous a d’ailleurs enlevé, puis tué nos animaux domestiques, chats, chiens et même canaris : loin d’être des cas isolés, des turpitudes sporadiques, il s’agissait d’une intervention officielle et systématique et c’est une des cruautés dont aucun procès de Nuremberg ne rend compte... » (6)

     

    2- La loi de protection animale

     

    Les lois et décrets successifs sur la protection de l’animal font partie de la mise au pas, l’« Indoktrinierung » (7), par le nazisme, de toutes les structures de la société civile, dont le plus célèbre épisode est le bûcher constitué par des livres interdits, dit autodafé.

     

    On peut s’étonner que la loi de protection de l’animal du 24 nov. 1933 n’ait jamais été citée par les historiens comme le parfait exemple d’embrigadement par une relative persuasion, du moins dans un premier temps, avant que, le 11 août 1938, les associations de protection animale ne soient unifiées dans une structure nazifiée, dont la branche féline est évoquée ci-dessus par Klemperer.

     

    La loi du 24 nov. 1933 s’insère dans un « torrent législatif », étendu à tous les domaines, qui déferle des administrations nazies dès 1933.

     

    Pour les onze mois d’activité du seul cabinet de Hitler, cinq tomes occupent 2839 pages.

     

    En avril 1933, le Journal Officiel du Reich, publie près de trente lois sur tous les sujets imaginables.

     

    Le juriste allemand Hubert Schorn  (8) démontre que la frénésie législative nazie n’est qu’un artifice de la prise du pouvoir politique : ces textes, souvent anodins, parfois valables (classes surchargées, protection maternelle), tiennent le devant d’une scène où il se passe bien autre chose.

     

    Schorn situe dès 1934 l’illégalité installée dont un juridisme exacerbé sauve les apparences : Ulrich Linse évoque ce phénomène à propos des lois protégeant une nature dont la destruction est en cours (9) .

     

    Dans le domaine de l’animal, les textes sur l’abattage du 21 avril 1933 (4 paragraphes) et la modification du vieux code pénal (16 mai 1933) précèdent (entre autres textes) la loi du 24 nov. 1933, que Luc Ferry présente avec insistance comme une création personnelle de Hitler.

     

    Il est certain qu’une déclaration de Hitler sur la protection de l’animal aurait été inlassablement citée par la cour de ses flatteurs et obligatoirement posée en référence par les juristes, à commencer par ceux de son cabinet.

     

    Ce n’est pas le cas. Le premier commentateur de la première édition de la loi du 24 nov. 1933, dans les Législations du cabinet de Hitler (10) , fournit comme unique « justification » (« Begründung ») la volonté du peuple de protéger l’animal.

     

    De même, les thèses juridiques sur la législation animale, écrites sous le nazisme, se bornent à mentionner, et rarement, quelques passages de Mein Kampf pour justifier leur conception du monde.

     

    Aucun texte de Hitler sur la protection animale n’y apparaît, en dépit de l’obligatoire et obséquieuse révérence due au Führer, pas plus que dans le très long Kommentar de Giese et Kahler sur la loi du 24 nov. 1933, conçu dans la tradition du droit allemand, épris de justifications.

     

    Les discours de Hitler, intégralement publiés, ne semblent pas contenir le mot animal (11).

     

    Le sujet de l’animal n’apparaît pas davantage dans les plus importants recueils de sentences et pensées du Führer, publiés par la propagande nazie, couvrant tous les domaines, éthiques, religieux et culturels.

     

    Aussi nous est-il permis d’imiter saint Thomas pour ne croire que les documents visibles, en attendant la révélation des invisibles.

     

    Il n’est pas impossible que Hitler ait approuvé de quelques mots la loi qu’il signe le 24 nov. 1933, mais notre enquête ne peut accorder aucun crédit aux affirmations répétitives de Luc Ferry, toujours dépourvues de références, sur le rôle personnel tenu par Hitler dans la protection de l’animal, telles que :


    « Hitler […] en faisait une affaire personnelle » ;

     

    «… éviter la cruauté envers les animaux. C’est au nom de cette volonté chère au coeur de Hitler lui-même [que sont édictées les lois de protection] » ;

     

    «… nul hasard, en ce sens, si c’est au régime nazi et à la volonté personnelle de Hitler que nous devons, aujourd’hui encore, les deux législations les plus élaborées que l’humanité ait connues en matière de protection de la nature et des animaux » ;

     

    « Hitler tiendra à suivre personnellement l’élaboration de cette gigantesque loi (plus de 180 pages !) » (12)

     

    Par ailleurs, on connaît, par de multiples témoignages, la célèbre horreur du Führer pour l’administration et le travail législatif, parfaitement documentée par Ian Kershaw :

     

    « Dans le cadre d’un processus aussi lourd qu’inefficace, il [Hitler] obligeait à faire aller et venir les projets entre les ministères jusqu’à trouver un accord.


    C’est uniquement à ce stade, et encore sous réserve qu’il en approuvât la teneur qu’on lui avait brièvement résumée, que Hitler signait le texte, généralement sans guère se donner la peine de le lire, et en faisait une loi. » (13)

     

    La loi du 24 nov. 1933 est en réalité le résultat d’une très longue concertation entre protecteurs de l’animal, aboutissant enfin à un texte commun, rédigé vers 1927 sous la direction du juriste Fritz Korn (14).

     

    Dès lors, cette proposition est à plusieurs reprises renvoyée en boomerang entre les assemblées régionales et le Parlement du Reich, chacun se déclarant incompétent.

     

    En 1933, une fois de plus et semble-t-il très tôt, le projet est envoyé au nouveau gouvernement.

     

    Il aboutit dans le cabinet de Hitler.

     

    Les commissions juridiques, surchargées d’ouvrage, trouvent le travail « tout prêt dans les tiroirs », selon un témoignage recueilli en 1970 auprès du professeur A. Ketz, qui avait pris part aux travaux préparatoires avant 1933 (15).

     

    Les juristes nazis utilisent visiblement ce travail législatif, considérable en dépit de sa brièveté, impossible à élaborer dans d’aussi courts délais.

     

    Dans la section II (catalogue des interdictions) apparaissent les demandes de nombreux auteurs bien antérieurs.

     

    Les nazis saisissent évidemment l’occasion pour centraliser sous leur coupe les associations protectrices de l’animal.

     

    Néanmoins, la loi du 24 nov. 1933 réalise enfin l’unification juridique nationale et le regroupement des données en un unique texte de référence, depuis longtemps espéré par les juges.

     

    La rédaction en est judicieuse et les sanctions aggravées.

     

    La liste des interdictions de la IIe section, désormais pénalisées, est perçue comme une victoire sans précédent.

     

    En fait, la jurisprudence des années nazies ne semble guère montrer de changements effectifs dans le traitement des animaux.

     

    Cependant, la loi du 24 nov. 1933, claironnée au-delà des frontières, reçoit un accueil favorable en France.

     

    Le ministère nazi de la Propagande récupère ce succès international.

     

    Certains hauts dignitaires, comme Heinrich Himmler, proclament que cette législation est une preuve du haut degré de civilisation de l’Allemagne nazie.

     

    Joseph Goebbels ne semble pas être intervenu personnellement dans la loi du 24 nov. 1933.

     

    Cependant, sa ligne de propagande explicitement tracée en 1933 – donner un visage humain au Führer – a été parfaitement suivie.

     

    Plus d’un demi-siècle plus tard, ce « visage humain » de Hitler s’enrichit encore, grâce à L. Ferry, « d’une volonté d’éviter la cruauté envers les animaux, chère au coeur de Hitler lui-même (16) ».

     

    Hermann Göring a fait mieux encore.

     

    Son scoop : « les nazis ont supprimé la vivisection », se retrouve dans la France de 1999, sous la plume de Paul Ariès : « Les nazis étaient, eux, antivivisectionnistes  (17). »

     

     

    II- NAISSANCE ET CROISSANCE D’UN MYTHE

     

    1- Les surprenants artifices de Luc Ferry

     

    Dans son ouvrage de 1994, Des animaux et des Hommes, Luc Ferry publie (p.513) un fragment de l’édition de 1939 du Kommentar (écrit, rappelons-le, par Giese et Kahler) sous forme de traduction des 9 premières lignes (et demi) de la page 19.

     

    Ferry intitule cet extrait : « Article 1 de la Loi du 24 novembre 1933 sur la protection des animaux : La cruauté envers les animaux, Berlin, le 24 novembre 1933 ».

     

    Luc Ferry appose sous ce fragment les signatures de Hitler, « du ministre de la Justice Dr Gürtner, du ministre de l’Intérieur et du ministre de Tutelle Göring ».

     

    Ces signatures ne figurent évidemment pas sous ce fragment du Kommentar écrit par Giese et Khaler.

     

    De plus, Göring n’a pas signé la loi du 24 nov. 1933, comme le montre le Journal Officiel allemand du 25 novembre 1933.

     

    Par son intitulé et ces signatures, Luc Ferry montre clairement qu’il fait passer le commentaire pour la loi elle-même.

     

    Un passage de son livre de 1992 (18) reflète la même imprécision, confusion ou artifice.

     

    En d’autres termes, L. Ferry confond le commentaire et la loi du 24 nov. 1933 dont il ne cite ni analyse aucun extrait.

     

    Certes, un Kommentar explique la loi plus longuement que nos Circulaires d’application, mais ne peut en aucun cas être substitué à la loi du 24 nov. 1933, publiée in extenso dans le Kommentar (pp. 262 à 268).

     

    De plus, sur la page 19, citée par L. Ferry, se trouve la référence de la loi au Journal Officiel allemand (RGBl. S. 987) que Ferry n’a pas consulté.

     

    Aussi peut-on s’étonner que de nombreuses références au Journal Officiel allemand soient extraites du texte du Kommentar et placées par Ferry en notes de bas de page (19).

     

    De prime abord, cette pseudo-érudition impressionne les lecteurs.

     

    Moi-même, j’ai été tellement intriguée que j’ai finalement été incitée à me reporter aux Reichsgesetzblatt (J.O. allemand) originaux, tous disponibles à Paris !

     

    On a vu que dès 1992, Ferry attribue à la loi de 1933, qu’il ne connaît pas, « une ampleur à nulle autre pareille » (20).

     

    En 1998 et dans une publication de l’UNESCO, il en précise la longueur : « Hitler tiendra à suivre personnellement l’élaboration de cette gigantesque loi (plus de 180 pages !) » (21).

     

    La criante invraisemblance de tels renseignements ne décourage pas les plumes des suiveurs (22).

     

    Jean-Pierre Digard (23), entre autres, conseille à ses lecteurs de se reporter « aux textes législatifs du IIIe Reich réunis par Ferry et Germé ».

     

    Plus théâtrale encore est la mise en vedette de la signature de Hitler auprès de la (prétendue) loi du 24 nov. 1933 (ou plutôt au lieu de la signature des auteurs du Kommentar !).

     

    La signature des lois par Hitler est une réalité juridique consécutive à la prise de pouvoir du 30 janvier 1933, donnant à Hitler un pouvoir législatif encore accru en avril 1933 ; c’est un fait purement politique, qui ne dénote en rien un intérêt particulier du Führer pour l’animal.

     

    Cette mise en scène d’une évidence juridique vise évidemment à souder un nom d’horrible mémoire à un texte.

     

    Il est à peine croyable que pareil artifice ait pu impressionner quiconque, mais c’est pourtant le cas de Djénane Kareh Tager qui, dans L’Actualité religieuse (15/7/1996, p. 24) écrit : « l’exergue de la loi est signé Adolf Hitler » ; le terme exergue, étranger au vocabulaire législatif, trahit le passage du domaine de la réalité juridique à celui de l’imaginaire.

     

    L'unique référence de Luc Ferry à la prétendue implication personnelle de Hitler en faveur de l’animal est constituée par le texte tardif (1938) ouvrant l’édition de 1939 du Kommentar.

     

    Krebs, directeur du regroupement nazi de toutes les associations protectrices de l’animal, le mentionne comme une « instruction de notre Führer » accompagnant la phrase : « dans le nouveau Reich, il ne doit (ou : devra, futur de proximité) plus y avoir la moindre place pour la cruauté envers les animaux ».

     

    Partant de cette référence, unique et issue de la propagande nazie, au moment de la confiscation de toutes les associations protectrices, Ferry la transforme en « formule d’Hitler (sic) qui inaugure la Tierschutzgesetz » (24).

     

    Selon Le Point (25), la phrase serait tirée d’un « discours d’Hitler (sic) » expression citée sans référence.

     

    Selon Ferry, Hitler fait de cette loi une « affaire personnelle » ou encore : « Hitler tiendra à suivre personnellement l’élaboration de cette gigantesque loi (180 pages) » (26).

     

    L’imagination de Luc Ferry n’est pas moindre lorsqu’il s’agit de la « vivisection ».

     

    2- L’animal dans l’univers nazi

     

    Dès la fin août 1933, Hermann Göring lance le scoop d’une prétendue suppression de la vivisection, bientôt confirmée par la circulaire provisoire du 13 septembre 1933, valable quelques semaines, jusqu’à la promulgation de la loi du 24 nov. 1933, dont elle préfigure la IIIe section.

     

    On y supprime le mot, (vivisection) mais non la chose (expérimentation sur l’animal vivant).

     

    Le scoop « La vivisection est supprimée en Allemagne » est habilement présenté comme un texte législatif, ou du moins officiel, assorti de terribles peines pour les contrevenants, passibles du camp de concentration – sanction qui a sans doute permis la fermeture de certains laboratoires et la suppression des remuantes associations opposées à la vivisection et portant ce nom.

     

    La nouvelle fait aussitôt le tour du monde, relayée par le réseau radiophonique allemand très développé en Amérique, et par les associations protectrices.

     

    Dans les faits, la loi du 24 nov. 1933 reprend bien des dispositions antérieures : une habilitation pour les chercheurs surveillant étroitement l’expérimentation, l’emploi recommandé de l’anesthésie si possible, la mise à mort rapide des animaux expérimentés, la limitation des expériences à but pédagogique, la publication des résultats réservée aux seules revues scientifiques, etc.

     

    Luc Ferry juge la sollicitude nazie envers l’animal de laboratoire « en avance de cinquante ans (et même plus) sur son temps ».

     

    C’est « en retard de 57 ans » qu’il faut écrire, puisque la première réglementation, anglaise, date de 1876, suivie par deux actes prussiens des 22 fév. 1885 et 20 avr. 1930, et de bien d’autres législations de pays européens.

     

    Luc Ferry se montre plus prudemment allusif au sujet de l’accusation dénonçant les protecteurs de l’animal qui auraient prôné le remplacement des animaux de laboratoire par des hommes, en particulier dans les camps de concentration.

     

    Il se contente d’écrire : « l’alliance de la zoophilie la plus sincère n’en est pas restée aux paroles, mais s’est incarnée dans les faits (27)», et réserve à ses nombreux interviews la clef de cette ultime et terrifiante conséquence de la protection de l’animal.

     

    La lecture des Procès de Nuremberg, en particulier ceux des médecins, relatés par F. Bayle, ruine cette abominable allusion : on y repère au moins trois laboratoires d’animaux établis dans des camps de concentration et une cinquantaine de témoignages montrant que de multiples expériences sur l’animal, souvent publiées, ont précédé les affreuses expériences sur des « sujets humains » (28).

     

    Ferry croit voir dans la loi de 1933 la fin de l’anthropocentrisme : « Ce n’est pas l’intérêt de l’homme qui serait ici l’arrière-fond : il est reconnu que l’animal doit être protégé en tant que tel (wegen seiner selbst) ».

     

    Cette dernière formule est en effet utilisée par le Kommentar.

     

    Il est vrai que la loi de 1933 provient de protecteurs soucieux d’ouvrir une brèche dans l’ancienne conception, la seule acceptable et acceptée au début du XIXe siècle, qui vise seulement à limiter les répercussions de la maltraitance de l’animal sur la moralité humaine.

     

    Pourtant, et de façon contradictoire, le Kommentar met immédiatement (p. 15) en garde son lecteur : la loi du national-socialisme assurant une protection plus efficace de l’animal qu’auparavant « pose la question de savoir si l’animal pourrait être considéré comme susceptible d’avoir une personnalité juridique qui lui vaudrait une prétention subjective à la protection...

     

    À cette question, il faut répondre par non, le porteur de droit ne peut qu’être l’homme seul ou bien la communauté humaine, et non pas un animal (souligné par nous)...

     

    L’animal sera, juridiquement parlant, considéré comme une chose (als Sache gewertet) ».

     

    Le dommage atteignant un animal appartenant à un tiers ne peut être pris en compte qu’en considération du § 303 du code pénal, dans la mesure où l’acte ne constituerait pas aussi un acte de torture.

     

    C’est dire que l’animal continue à être considéré comme n’importe quel autre bien.

     

    Cette idée est développée ou exprimée ensuite par des juristes nazis, démontrant la soumission juridique de l’animal à l’homme (évidemment aryen !).

     

    Il suffit ici de citer la thèse d’Albert Lorz (29) devenu le spécialiste des manuels de la législation animale allemande jusqu’à nos jours.

     

    Lorz écrit que c’est un point tout à fait élémentaire de la morale, que l’homme puisse user et abuser de l’animal à ses propres fins.

     

    Pour une traduction plus exacte, il faudrait utiliser l’expression consacrée par le droit de la propriété : user et abuser, exprimée par deux paires de verbes allemands, benutzen und abnutzen, brauchen und verbrauchen, les second termes marquant une dégradation supplémentaire allant jusqu’à l’anéantissement de « l’objet », c’est-à-dire la mort de l’animal, mais paradoxalement en excluant « missbrauchen » (maltraiter).

     

    Cette conception de l’animal comme simple objet de propriété reste proche du droit romain ; elle inviterait, dans une plus longue discussion, à nuancer une trop simpliste opposition entre une tradition nordique prétendue favorable à l’animal et une zone aussi ensoleillée que prétendue cartésienne, exaltant l’homme.

     

    Quant à la prétention nazie de protéger tous les animaux, y compris les sauvages, dans laquelle Luc Ferry voit un danger pour l’humanisme et l’humanité, c’est une fanfaronnade de la loi du 24 nov. 1933, qui ne concerne, dans la pratique et même dans son expression, que les seuls animaux domestiques, à l’exception toutefois des poissons et des grenouilles.

     

    Un simple coup d’oeil sur la liste des « nuisibles » chassables en toutes circonstances ou sur les « plus basses espèces » à privilégier dans l’expérimentation animale, suffit à démentir la prétendue égalité nazie de tous les animaux.

     

    Dès le début du texte de 1933, on a vu que le critère de la souffrance acceptable par la loi est l’utilité.

     

    Cette subjectivité, autrement dit l’intérêt de l’homme, autorise de facto l’expérimentation sur l’animal qui, sans cette clause, n’aurait pu faire l’objet de la IIIe section de la loi du 24 nov. 1933.

     

    Ce critère de l’utilité achève de démoder et remplace le concept de « publicité » du vieux code pénal : une cruauté exercée sur un animal était répréhensible dans le seul cas où elle était perpétrée en public, car elle est alors censée blesser la sensibilité des témoins.

     

    Pour tourmenter un animal sans être sanctionné, il suffisait de se cacher.

     

    La suppression d’un tel critère reste une victoire pratique de la protection animale, mais non pas une victoire théorique.

     

    En effet, le critère d’utilité de la souffrance infligée est établi en fonction de l’homme et fort rarement de l’animal (par exemple un soin vétérinaire), et la loi du 24 nov. 1933 n’est en réalité qu’une facette nouvelle de l’anthropocentrisme.

     

    Au critère de la publicité, qui, du moins, reflétait une certaine sensibilité ainsi que le poids accordé à l’opinion publique, est substitué celui d’une évaluation tout aussi arbitraire : qui jugera si le bloc de pierre imposé au cheval de carrière est trop lourd ou si la corrida est indispensable à la santé mentale de ses spectateurs ?

     

    Quels sont les critères de l’utilité ?

     

    Loin d’être assassiné par les nazis, comme le proclame Ferry, l’anthropocentrisme tire une reconnaissance officielle de la législation du 24 nov. 1933 ; désormais, ce qui est utile pour l’homme prime tout.

     

    C’est d’ailleurs à ce parti juridique que se rattache pleinement Luc Ferry lui-même, à son insu, puisqu’il recommande, en 1998, d’éviter des « souffrances inutiles » (30) à l’animal !

     

    3. Les suiveurs de Luc Ferry

     

    Dès la publication du Nouvel Ordre écologique, de nombreux auteurs répercutent les affirmations de Ferry, en général sans citer leur source.

     

    François Reynaert renforce le vocabulaire de Ferry en écrivant dans le Nouvel Observateur que le Führer a « exigé » la loi de protection animale (31).

     

    Dans sa thèse juridique, soutenue à l’Université de Nantes, Martine Leguille-Balloy va jusqu’à écrire : « Ne faudrait-il pas se remémorer que Hitler fut le plus grand protagoniste de la protection animale dans notre siècle ? » (32).

     

    En 1993, Janine Chanteur reprend l’argument de Ferry pour nourrir sa défense de l’anthropocentrisme :

     

    « L’inclinaison [du national-socialisme] à reconnaître un droit aux animaux plutôt qu’aux hommes» (souligné par nous) exprime un renversement de situation menaçant. »

     

    L’auteur ne pose même pas la question de la vraisemblance de son affirmation ; elle l’admet comme une évidence que Jean-Pierre Digard formule, plus nettement encore, en ces termes :

     

    « Avec Hitler, souvent photographié en compagnie de ses bergers allemands favoris, et la législation du IIIe Reich, qui fut plus favorable qu’aucune autre aux animaux, nous quittons la fiction pour l’histoire » (souligné par nous).

     

    D’autres auteurs, en particulier catholiques (33), mettent en garde contre une législation protectrice de l’animal, au nom de la même contrevérité ; pas plus que Luc Ferry, ils ne sont conscients que le Catéchisme de l’Église catholique (§ 2418) reprend à son compte le critère de la loi du 24 nov. 1933 de l’« utilité » de la souffrance infligée à l’animal, et lui donne une large extension.

     

    La boursouflure typique du mythe, présente chez Ferry (une loi de 180 pages, une bibliographie sur l’animal de 600 pages (34) !) s’amplifie diversement chez ses imitateurs.

     

    Janine Chanteur (35) l’étend à la mémoire collective par la formule : « on se rappelle » signifiant que le fait cité (« l’inclinaison... du national-socialisme à reconnaître un droit aux animaux plutôt qu’aux hommes ») est inscrit dans une mémoire collective, qu’il est une partie intégrante d’un lot de connaissances reconnu par tous, admis comme une évidence sans démonstration, donc devenu un axiome.

     

    L’amplification des arguments avancés peut atteindre l’absurde.

     

    On lit, par exemple :

     

    « Les législations de 1933 et 1934 en Allemagne nazie étaient les premières dispositions légales de défense du droit des animaux et de la protection de la nature ».

     

    Mieux encore :

     

    « Le national-socialisme – le premier régime au monde à avoir codifié la protection des animaux et de la nature » (souligné par nous).

     

    On pourrait croire ces affirmations sorties du ministère de Goebbels, mais, en réalité, ces lignes proviennent d’articles donnés pour informatifs, publiés en 1999 dans la presse française de grande diffusion, par une journaliste et par l’un des généticiens français censé faire autorité en matière d’éthique (36).

     

    Dans ce trop court essai, nous avons tenté de jalonner les étapes d’un tortueux périple de désinformation.

     

    Parti d’une base factice, la propagande nazie, appuyée sur des confusions fondamentales et sur des affirmations sans fondement, l’argumentation, au fil des répétitions, accueille avec empressement des enflures mythiques, des données « plus grosses que nature ».

     

    Le discours devient un stéréotype, expulsé du domaine rationnel en tant qu’axiome, dont il est, par définition, inutile de vérifier la validité.

     

    Il reste à s’interroger sur les motifs qui incitent à diaboliser la démarche protectrice de l’animal, par contamination avec un personnage hors norme, Hitler.

     

    Il nous suffit aujourd’hui de constater que la majorité de ces auteurs, universitaires de haut rang, juristes, philosophes, religieux catholiques, scientifiques, journalistes d’importants quotidiens, professionnels de la réflexion et de l’information, emboîtent, sans la moindre hésitation, le pas cadencé d’une désinformation qui pourrait devenir un cas d’école.

     

    ***

     

    Notes


    (1) Luc Ferry, Le Nouvel Ordre écologique, l’arbre, l’animal et l’homme, Paris, Bernard Grasset, 1992 (désormais abrégé en : Ferry 1992).

    (2) Texte officiel dans le Reichsgesetzblatt, Journal Officiel du Reich, n°132, du 25 novembre 1933, pp. 987-988, une colonne p. 989. Traduction du Bulletin juridique du Comité International, BJCI, 1933, pp. 33-37. La traduction de Tierquälerei peut paraître faible, l’usage le plus répandu, y compris dans les dictionnaires réputés, étant de traduire Quälerei par torture.

    (3) Discours radiodiffusé de Hitler, 1/2/1933, cité par Alfred Grosser, Hitler, la presse et la naissance d’une dictature, Paris, Armand Colin, 1959, p. 134.

    (4) Henry Picker, Hitlers Tischgespräche in Führerhauptquartier, 1941-1942 (Propos de table dans le Quartier général du Führer, 1941-1942), Stuttgart, Seewald Verlag, 1976, 3e édition, annotée, p. 92. La traduction : « amateur d’animal » est aussi proposée.

    (5) « Avant-propos » in Cl. Giese et W. Kahler, Das deutsche Tierschutzrecht, Berlin, Freiburg, Otto Walter, 1939 (désormais abrégé par nous en Kommentar), cité par Luc Ferry et Claudine Germé, Des Animaux et des Hommes, Paris, Librairie Générale Française, 1994, en particulier pp. 506, 507, 513, 514 (désormais abrégé en : Ferry 1994). Autre écrit de Luc Ferry qui sera désormais cité en abrégé : « L’Europe des nations face aux droits des animaux », dans L’Éthique du vivant, Denis Noble et Jean-Didier Vincent (dir.), UNESCO, 1998, abrégé en : Ferry 1998.

    (6) Victor Klemperer, La Langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 1996, Leipzig, 1975, p. 140.

    (7) On trouve plus souvent : « Gleichschaltung ».

    (8) Hubert Schorn, Die Gesetzgebung des National Sozialismus als Mittel des Machtpolitik, Frankfurt aM., Vittorio Klostermann, 1963, p. 19.

    (8)

    (9) Ulrich Linse, Ökopax und Anarchie, Deutsche Taschenbuch Verlag, 1986, p. 50.

    (10) Werner Hoche, Die Gesetzgebung..., op. cit., Heft I, p. 702, 712 ; commentaires reproduits dans le Deutscher Reichsanzeiger und Preussischer Staatsanzeiger n° 281, 1/12/1933, puis dans les introductions successives de Giese, Reichsgesetzblatt, Teil I, 25/11/1933, n°132, p. 989.

    (11) Max Domarus, Hitler Reden und Proklamationen, 1932-1945, Neustadt Schmid, 1962.

    (12) Ferry 1992, p. 182 ; 1992, p. 206 et 1994, p. 514 ; 1992, p. 29 ; 1998, p. 73, dans l’ordre des citations. Ce type de déclaration est souvent repris, avec des variantes, par exemple dans Le Point, « Les animaux ont-ils des droits », 1/4/1995, pp. 85-90.

    (13) Ian Kershaw, Hitler, essai sur le charisme en politique, Paris, Gallimard essais, 1995, p. 753.

    (14) Fritz Korn, Die strafrechtliche Behandlung der Tierquälerei, Meissen, Bohlmann, 1928, et « Die Tierquälerei in der Rechtsprechung », in Archiv für Rechtspflege in Sachsen, VI, 1929, pp. 331-340 ; également F. Korn, Kommentar zum Reichs-Tierschutzgesetz vom 24 November 1933, Meissen, Matthaüs Hohlmann, sans date (semble dater des premiers mois de 1934).

    (15) Barbara Schröder, Das Tierschutzgesetz vom 24.11.1933 zur Dokumentation der Vorgeschichte und der Änderungsvorschläge, Inaugural Dissertation zur Erlangung des Grades eines Doktors der Veterinärmedizin an der Freien Universität Berlin, 1970. pp. 9 à 11.

    (16) 1992, p. 206.

    (17) Golias, nov.-déc. 1996, « Les amis des bêtes », p. 36.

    (18) Ferry, 1992 : « On y trouve rassemblées, en quelque trois cents pages serrées, toutes les dispositions juridiques relatives à la nouvelle législation, ainsi qu’une introduction exposant les motifs “philosophiques” et politiques d’un projet dont l’ampleur, en effet, n’est alors à nulle autre pareille » (p. 181). « [Les trois lois] portent, hors celle du Chancelier, les signatures des principaux ministres concernés : Goring, Gürtner, Darré, Frick et Rust » (p. 182).

    (19) Ferry 1994, 6 références page 512.

    (20) 1992, pp. 181-182.

    (21) 1998, p. 73. Rappelons qu’elle tient sur 2 pages 1/3 au J.O. allemand.

    (22) Jean-François Six, « Existe-t-il un droit de l’animal ? », dans Pour une éthique du transport et de l’abattage des animaux de boucherie, 24/10/1995, Paris, INRA, Interbev, pp. 3-44 ; « L’animal est-il un sujet de droit ? », dans L’Homme et l’animal, un débat de société, Paris, INRA éditions, 1999, pp. 41-59.

    (23) Jean-Pierre Digard, Les Français et leurs animaux, Paris, Fayard, note 73, p. 247. « Le national-socialisme allemand, qui eut la législation la plus favorable aux animaux », affirme-t-il également dans « La compagnie de l’animal », dans Boris Cyrulnik (dir.), Si les lions pouvaient parler, Paris, Gallimard Folio, p. 1054.

    (24) 1992, p. 183.

    (25) Le Point, 1/4/1995, p. 89.

    (26) Respectivement : 1992, p. 182 et 1998, p. 73.

    (27) 1992, p. 184.

    (28) Élisabeth Hardouin-Fugier, « L’Animal de laboratoire sous le nazisme », C.D. rom, Recueil Dalloz 19/2002 et site internet Dalloz ; François Bayle, Croix gammée contre caducée, les expériences humaines en Allemagne pendant la Deuxième guerre mondiale, L’auteur, 1950

    (29) Albert Lorz, Die Tiermisshandlung in Reichstierschutzgesetz, Günsburg, Karl Mayer 1936, p. 39.

    (30)1998, p. 75.

    (31) Le Nouvel Observateur, n° 1460, 1992, p. 18.

    (32) Évolution de la réglementation de protection des animaux dans les élevages en Europe, 2 avril 1999.

    (33) Parmi les auteurs soulignant le prétendu lien entre nazisme et protection de l’animal : Jean-François Six, op. cit., 1995, pp. 3-44 ; L’homme et l’animal, un débat de société, 1999, pp. 41-59 ; Jean-Pierre Digard, op. cit., 1999, p. 215 ; René Coste, Dieu et l’écologie, éditions ouvrières, Paris, 1994, p. 33.

    (34) 1992, p. 80, note 9.

    (35) Janine Chanteur, Du Droit des bêtes à disposer d’elles-mêmes, Paris, le Seuil, 1993, p. 11.

    (36) Sophie Gherardi, « La Deep Ecology comme anti-humanisme », Le Monde des Débats, mai 1999, p. 15 ; Axel Kahn, « Haro sur l’humanisme », L’Humanité, jeudi 30 déc. 1999, pp. 12-13.

     

    Elisabeth Hardouin-Fugier, "La protection de l'animal sous le nazisme", Luc Ferry ou le rétablissement de l'ordre, éditions Tahin Party, 2002, p.129-151.

     

    http://bibliodroitsanimaux.site.voila.fr/hardouinfugierloinazie.html

  • Livre : "L'Animal est-il une personne ?" d'Yves Christen (Flammarion)

    http://multimedia.fnac.com/multimedia/images_produits/ZoomPE/2/7/8/9782081224872.jpg

    Yves Christen L’Animal est-il une personne ?
    Flammarion 2009 / 24 € - 157.2 ffr.537 pages
    ISBN : 978-2-08-122487-2
    FORMAT : 15cm x 24cm

    L'auteur du compte rendu : Alain Romestaing est maître de conférences en Littérature française à l’IUT Paris Descartes. Il est membre de l’équipe de recherche EA 4400 – « Écritures de la modernité » de l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, au sein de laquelle il travaille notamment sur les problématiques littéraires du corps, sur l’œuvre de Jean Giono (Jean Giono. Le corps à l’œuvre, Honoré Champion, 2009) et sur l’animalité (équipe du programme transversal de recherches : « Animalittérature »).

    Yves Christen est à la fois un scientifique (biologiste spécialisé dans les domaines de la génétique et des neurosciences) et un vulgarisateur (il a été rédacteur en chef de la revue La Recherche et responsable de la rubrique scientifique du Figaro Magazine).

    Il a en outre introduit en France la sociobiologie (L’Heure de la sociobiologie, Albin Michel, 1979).

    Enfin, il s’est également fait connaître pour son intérêt à la fois scientifique et affectif pour des léopards dans Le Peuple léopard. Tugwaan et les siens (Michalon, 2000).

    Toutes ces caractéristiques nourrissent son dernier ouvrage, L’Animal est-il une personne ?, qui est une somme passionnée et passionnante sur l’état des connaissances scientifiques (éthologie, génétique, neurosciences, primatologie, zoologie…) concernant des qualités découvertes chez les animaux (léopards donc, mais aussi éléphants ou baleines, araignées sauteuses ou labres nettoyeurs, chimpanzés, bonobos, gorilles, chiens, chèvres, corbeaux…) alors même qu’elles ont été ou sont encore désignées comme des «propres» de l’homme.

    L’auteur opère donc une vaste récapitulation des données concernant ce qui est censé faire défaut aux animaux (la deuxième partie énumère ces supposés manques : de raison, de socialité, d’émotion, de langage, de « théorie de l’esprit » c'est-à-dire de l’aptitude de se mettre mentalement à la place d’un autre, de culture...) ou ce que les humains sont censés avoir en plus (la troisième partie s’attaque à l’anthropocentrisme et à l’idée d’une supériorité génétique, cérébrale, ou en matière de liberté, de droits).

    Cette double récapitulation est encadrée par une première partie en guise d’introduction (à moins que celle-ci ne se réduise au très court prologue sur l’ambivalence du mot « personne » entre « autoglorification » et « insignifiance ») et une dernière partie synthétisant les apports des études précédemment décrites pour (continuer de) répondre à la question de l’ouvrage telle qu’elle est modulée par le prologue : « personne ou personne ? »

    La problématique n’est donc pas très rigoureusement définie, au prétexte que l’auteur « confesse un bien piètre goût pour les discussions sans fin sur » le sens précis du mot «personne» !

    Citant le biologiste moléculaire Francis Crick, Yves Christen pense qu’on « ne gagne pas de bataille en débattant à perte de vue sur ce qu’on entend par le mot bataille » (pp.19-20).

    C’est là quasiment une clé méthodologique : de l’action et des faits !

    Si la première partie dit clairement ce que l’auteur entend par « personne animale », elle insiste surtout sur le constat d’une nouvelle attitude à la fois scientifique et populaire par rapport aux animaux, se caractérisant par une plus grande sensibilité, voire par de l’amour (p.17), et sur l’enjeu intellectuel de ce changement : « la relation à ces autres vivants mérite de nouvelles analyses, qui les prennent en compte en tant que sujets » (p.19).

    De même, les enjeux éthiques précis concernant la reconnaissance du statut de personne animale seront régulièrement abordés et développés, notamment à propos de l’expérimentation sur les animaux ou de leurs droits…

    En d’autres termes, le titre de l’ouvrage est une interrogation oratoire plus qu’une question soulevant une problématique : Yves Christen répond par l’affirmative dès le début.

    L’objet du livre est bien davantage de montrer comment « l’approche scientifique et expérimentale », notamment de ces dernières années, « semble ruiner l’absurde vision de l’insignifiance de la bête » (prologue).

    À partir de là, le livre est en effet un impressionnant recensement des observations, expérimentations, découvertes permettant de dépasser la pauvreté de la notion d’instinct quand on parle des comportements animaux, recensement dont se dégagent les positions épistémologiques actuelles, les polémiques, et même certains changements dans les a priori des scientifiques : l’auteur, en historien des sciences, fait malicieusement remarquer que les expérimentateurs toujours soucieux de se démarquer du sens commun découvrent que les animaux nous comprennent, mais avec une réticence telle qu’« on se demande si certains expérimentateurs d’aujourd’hui […] n’auraient pas a priori tendance à favoriser l’hypothèse d’une compétence mathématique plutôt que celle d’une captation de la pensée d’autrui » (p.183) !

    Ce genre de remarque fondée sur une connaissance à la fois intellectuelle et concrète du monde scientifique fait souvent le sel d’un essai au ton très personnel : l’auteur n’hésite pas à nous présenter des personnes, qu’il s’agisse d’évoquer le divorce d’un couple de chercheurs et du changement consécutif de leurs objets de recherche (p.112) ou de plaisanter sur l’apparence d’un collègue (« Sapolsky est un drôle de chercheur. Allure de hippie de la bonne époque, mais rien à voir avec un marginal. Il enseigne à Stanford […] », p.265).

    De même, il racontera son vécu, ses rencontres, sa position par rapport aux animaux (« faire une personne [de la bête] ne revient pas à la considérer comme une personne humaine », p.410) [et pourquoi donc ?] ou par rapport à l’expérimentation animale (on ne peut y renoncer [FAUX, M. Christen !] mais il faut la soumettre à l’inconfort d’une réflexion éthique « en situation complexe », p.411).

    Enfin il expose sa conviction intime, « contre l’avis de la plupart des spécialistes », « que la théorie de l’esprit comme la conscience doivent être largement répandues dans le monde vivant » (p.179).

    Cette dimension personnelle du livre et la conscience de « l’évolution de notre sensibilité et de nos représentations médiatisées de l’animal » auraient pu permettre, cependant, plus de compréhension sur les certitudes anciennes, fussent-elles philosophiques et fondées sur un humanisme ayant « placé l’homme sur un piédestal en vertu de l’ignorance des époques passées » (p.412).

    Descartes en effet, coupable d’avoir réduit l’animal à une machine (et bien qu’il ait contribué à fonder la démarche scientifique moderne au nom de laquelle Yves Christen le condamne), en prend pour son grade, ainsi que nombre de philosophes de la singularité humaine, de Heidegger à Luc Ferry.

    De manière plus générale, il est dommage que les sciences humaines soient négligées, notamment quand il s’agit de se poser la question de la vie sociale des animaux (chap. 5), l’auteur réduisant le débat sur la question à ce qu’il présente comme un dialogue de sourds entre lui et Antoine Spire sur France Culture (p.80).

    On peut s’étonner notamment de l’absence de toute référence au travail de Jean-Marie Schaeffer (La Fin de l’exception humaine, Gallimard, 2007) dont le discours critique concernant la thèse de la singularité de l’être humain prévalant encore dans les sciences humaines émane donc de ces mêmes sciences humaines et rencontre bien des analyses d’Yves Christen !

    Mais ce dernier, répugnant, comme on l’a vu, « aux discussions sans fin », préfère par tempérament et par formation s’appuyer sur des « savoirs certes encore fragmentaires, mais objectifs », reposant sur « des découvertes empiriques menées dans la nature et en laboratoire » (p.412).

    On ne saurait trop lui en vouloir, ces savoirs étant présentés avec clarté, précision et vivacité et mis en perspective aussi bien par rapport à l’histoire des sciences de l’animal que par rapport au futur : de façon assez surprenante (et peut-être un peu contre-productive du point de vue de l’argumentation en faveur de la personne animale), Yves Christen établit un court rapprochement final entre « le mouvement de personnalisation » concernant les animaux et l’autonomisation des robots conçus selon le « modèle des vivants fabriqués par la sélection naturelle » (p.408).

    Il se projette même dans le dernier chapitre en pleine science-fiction.

    L’expérience du Néerlandais Willie Smits qui a mis des Webcams à la disposition des grands singes dont il s’occupe conduit en effet l’auteur à imaginer que « demain tous les orangs du monde […] se trouvent interconnectés et échangent des idées » (p.413).

    Alors, on ne pourra plus douter « qu’il faille les traiter comme des personnes » !

    Mais alors, il ne s’agit plus d’objectivité scientifique : « à force de […] pousser [cette « grosse pierre au sommet d’une colline » que sont le livre de Christen et l’initiative de Willie Smits], à coup sûr elle va dégringoler la pente. Nul ne sait où elle aboutira, mais quelque chose va se passer qu’il ne sera pas possible d’interrompre » (p.414).

    Peut-être n’est-il pas si mal que des philosophes, des sociologues, des écrivains ou des psychologues continuent de penser la singularité de la personne humaine aussi bien que celle de la personne animale…


    Alain Romestaing

    http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=85&srid=428&ida=11211

    A lire également sur parutions.com:

  • Livre : "La Mentaphobie tue les animaux", par David Chauvet

    L'image “http://www.droitsdesanimaux.net/materiel/images/livre_mentaphobie.jpg” ne peut être affichée car elle contient des erreurs.

    Cet essai traite de la stratégie d'exclusion consistant à denier aux animaux toute conscience, à les réduire à l'"instinct", pour justifier les traitements qui leur sont infligés.

    Une telle indigence se présentait de manière diffuse tant qu'elle n'était pas nommée, ce qui est désormais le cas.

    La mentaphobie tue les animaux, essai très documenté, est suivi d'une version révisée et annotée de La volonté des animaux, épuisé dans sa précédente édition.

    En savoir plus...

    http://www.droitsdesanimaux.net/materiel/marchandising.php?materiel=48