Brigitte Bardot : le courage et la grâce
Aujourd'hui, Brigitte Bardot a 75 ans.
L’ancienne actrice, parce qu’elle eut le mérite de délaisser, à quarante ans, le vain monde du spectacle pour embrasser la cause des animaux, mérite déjà, rien que pour cet acte de noblesse, un profond respect.
Contrairement au reste du show-biz, bouffi de gloire à peu de frais, récoltant tous les suffrages grâce à son consensualisme veule et ses navrants silences (songeons seulement à la lâche et pathétique débâcle de Francis Cabrel, qui, auteur d’une belle chanson contre la tauromachie, n’osa pas affirmer davantage ses convictions, par soumission à sa maison de disques et par peur de perdre fans et millions), cette femme eut le courage de tourner le dos à son statut de star pour empoigner son bâton de pèlerin et parler, contre vents et marées, au nom des plus faibles d’entre les faibles : ses frères nonhumains lâchement exploités, torturés et massacrés par le seul animal au monde capable de commettre le mal pour l’amour du mal : l’homme.
L’homme ou la femme capable de se détourner de lui-même pour se tourner vers les autres fait déjà preuve de supériorité.
Lorsqu’en plus la cause qu’il embrasse est la plus décriée, autrement dit lorsqu’elle est la plus juste, s’ajoute à cela une autre qualité : le courage.
Bardot a eu le courage de parler quand tout le monde se taisait, quitte à passer pour une emmerdeuse et une salope : on ne pardonne pas aux femmes d’être femmes.
Lorsque sa jeunesse fut derrière elle, on se mit à la traiter de folle et de névrosée : on ne pardonne pas aux femmes de vieillir.
Mais plus que tout, Bardot devint fasciste, cette insulte ultime brandie à tous vents, et qui ne dénonce plus rien sinon la bêtise de celui qui la prononce (sur le sens exact du mot, nous renvoyons aux dictionnaires et aux livres d’histoire, qui seuls savent de quoi il retourne).
Ce que Bardot aura fait pour les animaux depuis un demi-siècle est immense, à commencer par le réveil des consciences qu’elle a provoqué dans l’hexagone.
Un grand nombre de militants de la cause animale, aveuglés par un progressisme intransigeant qui n’est autre que la fameuse political correctness, se font un devoir de la renier hargneusement, la plupart du temps sans finesse, oubliant qu’elle est à la base de leur engagement : qui, né en France entre 1955 et 1985, a pu ne pas être imprégné, consciemment ou inconsciemment, par son aura militante ?
Plus que tout, elle a préparé le terrain sur lequel ils se battent aujourd’hui avec intelligence, courage et détermination.
Certes, Bardot n’est pas antispéciste. Bardot n’est pas végane.
Elle n’est que végétarienne, ce qui n’est pas suffisant si l’on entend abolir l’esclavage animal.
Mais elle est d’une génération pour laquelle le mot même de végétarisme était exotique, ce qui fait d’elle, qu’on le veuille ou non, une précurseuse, dans un monde alors parfaitement indifférent à la misère animale.
Si Victor Hugo, Lamartine et d’autres grands esprits avaient, en leur temps, fermement élevé la voix contre l’ignominie, le cri de Bardot était puissant et la modernité lui permit de pénétrer profondément le tissu social : après elle, plus personne ne put ignorer, en France, le calvaire des animaux massacrés pour leur fourrure, leur chair, leurs tripes.
Bardot, parce qu’elle a pris le parti des sans-voix, de ces milliards de consciences journellement massacrées par ses pareils, ne pouvait qu’être haïe par ceux-ci : l’homme n’aime guère apprendre qu’il est criminel.
Bardot, parce qu’elle ose dénoncer ce que tout le monde passe honteusement sous silence, y compris et surtout dans le monde de la protection animale, qui préfère se taire plutôt que d’essuyer les foudres des censeurs, à savoir les atrocités de l’abattage rituel, ne pouvait qu’être taxée de racisme.
Mais Bardot est-elle raciste ?
La question se pose, et la réponse est clairement non.
Bardot n’est pas raciste : elle s’oppose seulement aux tortionnaires, qu’ils soient blancs, noirs ou jaunes, qu’ils soient de confession chrétienne, juive ou musulmane.
Contrairement aux lâches pléthoriques, elle refuse de plier devant les diktats d’une bien-pensance coupable, elle refuse de taire le meurtre des animaux sous prétexte que leurs bourreaux ne seraient ni blancs ni chrétiens.
Du musulman qui renoncerait à sacrifier le mouton de l’Aïd, qui prendrait le parti de la vie contre la mort, de l’amour contre la haine, de la compassion contre la cruauté, Bardot ferait son allié.
De celui qui préfère égorger cet animal sans défense, au nom d’un Dieu qui n’exige même pas cet holocauste (et quand bien même, dirait Isaac Bashevis Singer, quand bien même Dieu serait du côté des assassins, alors il faudrait être contre Dieu, de toutes ses forces), Bardot fait son ennemi, et n’aura de cesse de dénoncer sa cruauté et sa bêtise.
A trop côtoyer l’horreur, essentiellement humaine, on court le risque de devenir misanthrope.
Aux humanistes, aux démagogues, aux philanthropes impénitents, quel meilleur argument opposer sinon l’Histoire elle-même, cette fresque de démence et de sang parachevée de génération en génération ?
Quelle plus belle preuve de l’iniquité du genre humain que sa propre chronique millénaire, ce tissu d’atrocités dépourvu de gloire et de sens ?
Quel plus beau symbole enfin de son indignité fondamentale que l’abattoir, cette industrie de mort soigneusement élaborée, qui assassine sans répit, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois-cent-soixante-cinq jours pas an, des êtres sentients, des consciences, par centaines de milliards chaque année, à seule fin de flatter son palais ?
Que vaut enfin une créature qui a réduit le vivant en esclavage et poussé le vice jusqu’à justifier sa tyrannie en en faisant un commandement de Dieu ?
Car il n’est pas jusqu’au poète des sphères qu’elle n’a confisqué à son profit, façonné à son goût, décrété à son image, et de même que l’imbécile se reconnaît à sa conviction d’être grand, de même l’humanité, victime de sa mentaphobie, n’a eu de cesse de se proclamer supérieure, quand c’est elle qui, méthodiquement et malgré tout son génie dérisoire, est en train de conduire le monde à sa perte.
Qui, œuvrant pour les droits des animaux, n’a pas vu l’enfer ?
Qui, travaillant à abolir leur exploitation, n’a pas été confronté à la barbarie radicale ?
Alors, oui, Bardot est misanthrope, non par nature, mais par fatalité.
« On ne naît pas misanthrope, on le devient », pourrait-on dire, paraphrasant Simone de Beauvoir.
Bardot est misanthrope, et nous n’aurons garde de lui reprocher ce que nous sommes nous-mêmes devenue.
Contrairement à l’homme-Narcisse, Bardot est lucide et dénonce la cruelle nature humaine. Bardot est courageuse : elle n’est pas de ceux qui prennent lâchement le parti du silence pour éviter de s’exposer à la vindicte universelle.
Cette femme affronte courageusement l’adversaire, et, à 75 ans, continue de monter bravement au créneau, harcelant les pitoyables individus qui nous dirigent et qui, parce qu’ils oublient l’essentiel : le droit à la vie des vivants, ne méritent pas la place qu’ils occupent, laquelle devrait être cédée à des êtres éclairés, sages et supérieurs.
Mais fait-on de la politique lorsqu’on réunit de telles vertus cardinales ?...
Nombreux sont ceux qui, usant de la reductio ad hitlerum, se font un devoir de traîner le nom de Bardot dans la boue.
S’attaquer à une vieille dame est non seulement lâche, mais indigne. Et, dans le cas qui nous occupe, injustifié.
A entendre ces faux preux, on devine qu’ils se sentent investis d’une mission « citoyenne », affichant un air de supériorité en soi-même tendancieux tant il respire la complaisance.
Qu’il est facile de s’en prendre à une femme déjà si unanimement détestée… Qu’il est facile de hurler avec les hommes, contre la louve.
Or qui sont-ils, ces prétendus défenseurs de la Justice, ces apôtres de la Fraternité, sinon des spécistes assassins, qui tuent ou font tuer chaque jour de leur vie des êtres sensibles qu’ils consomment sans remords, quand on sait pertinemment qu’Homo sapiens peut se passer de produits animaux pour vivre, puisqu’il n’est physiologiquement pas un carnivore ?
C’est ainsi que les fascistes sont ceux-là mêmes qui se complaisent à traiter Bardot de ce nom.
Quant à Hitler, auquel on l’a si souvent comparée, qu’on apprenne qu’il n’était pas végétarien (nous renvoyons le lecteur qui ne serait pas encore convaincu, malgré la multiplicité des preuves, aux travaux de l’historienne Elisabeth Hardouin-Fugier), qu’il a fait euthanasier les animaux des Juifs et n’aimait, parmi les chiens, que les bergers allemands, n’ayant eu par exemple que mépris pour les bichons d’Eva Braun.
Et quand bien même Hitler eût-il été végétarien, cela ne prouverait rien. C’était aussi un homme : est-ce à dire que tous les hommes sont des nazis ?
Avec les animaux, c’est certain : tous les hommes (et les femmes) le sont, et la non-vie qu’ils leur imposent est, pour reprendre le titre du bel essai de Charles Patterson, lui-même inspiré d’une phrase de I. B. Singer, un éternel Treblinka.
Mais les uns pour les autres, les hommes ne le sont pas toujours, et Bardot, elle, ne l’est certainement pas.
Cette stupidité ne pourra donc plus être dite sans que celui qui la profère passe lui-même pour un imbécile.
Bon anniversaire, Brigitte Bardot : vous êtes une grande dame, et nous vous aimons.
Méryl Pinque
Militante végane, porte-parole de Vegan.fr