[Mention spéciale à Alain Finkielkraut qui, même s’il ne veut pas aliéner la littérature et la philosophie à un « combat », aussi noble soit-il, est un des rares philosophes français à aborder publiquement la question animale, que ce soit dans les émissions qu’il anime ou lors de ses propres conférences, comme en témoigne celle qu’il donna sur Vassili Grossman le 12 mars dernier à Paris.]
Emission du samedi 29 mars 2008
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/repliques/index.php?emission_id=14
HUMANISME ET BARBARIE
Avec Elisabeth de Fontenay, Philosophe, professeur à l'université de Paris-Sorbonne I, et Roger-Pol Droit, écrivain, philosophe, Chroniqueur au journal Le Monde.
Elisabeth de Fontenay, Le silence des bêtes, Fayard – 1998
L'Antiquité fut en quelque sorte un âge d'or pour les bêtes. Car si les hommes offraient des animaux en sacrifice à Dieu, aux dieux, ils s'accordaient sur leur statut d'êtres animés et avaient pour elles de la considération. Certes, bien des questions demeuraient ouvertes, et les philosophes de ce temps ne manquèrent pas de s'entredéchirer en tentant d'y répondre. Les animaux pensent-ils ? Sont-ils doués de raison ? Ont-ils la même sensibilité que nous ? Faut-il s'interdire de les manger ? Mais pourquoi donc restent-ils silencieux ?
Depuis que Dieu s'est fait homme, que le Christ s'est offert en sacrifice tel un agneau, c'est-à-dire depuis l'ère chrétienne, la condition de l'animal a radicalement changé. Désormais les philosophes se préoccupent surtout de verrouiller le propre de l'homme et de ressasser les traits qui le différencient des autres vivants, lesquels sont considérés comme des êtres négligeables : tenus pour des machines (Descartes) et à l'occasion comparés à des pommes de terre (Kant). Des hommes d'esprit et de coeur font bien sûr exception, au XVIIIe siècle surtout. A leur suite, Michelet dénoncera prophétiquement l'injustice faite aux animaux et annoncera que c'est compromettre la démocratie que de les persécuter.
Au XXe siècle, une certaine littérature vient renforcer de nouveaux courants philosophiques pour rappeler que la manière dont nous regardons les bêtes n'est pas sans rapport avec la façon dont sont traités quelques-uns d'entre nous, ceux que l'on déshumanise par le racisme, ceux qui, du fait de l'infirmité, de la maladie, de la vieillesse, du trouble mental, ne sont pas conformes à l'idéal dominant de la conscience de soi.
Ce livre expose avec clarté la façon dont les diverses traditions philosophiques occidentales, des Présocratiques à Derrida, ont abordé l'énigme de l'animalité, révélant par là même le regard que chacune d'elle porte sur l'humanité. C'est pourquoi on peut le lire aussi comme une autre histoire de la philosophie.
- Note de l'éditeur -
Roger-Pol Droit, Généalogie des barbares, Odile Jacob - 18 octobre 2007
De tous côtés, aujourd'hui, resurgit le mot « barbare ». Pour parler du terrorisme ou pour critiquer l'Occident. Pour désigner les massacres du XXe siècle ou pour annoncer l'avenir qui menace. Pour dire la violence extrême ou le vandalisme ordinaire. Que signifie donc ce terme ? À quoi sert-il ? Pour le comprendre vraiment, il faut remonter le temps, reconstituer les aventures d'un vocable aux mille sens. Il faut revenir à sa naissance chez les Grecs, retracer ses mutations romaines, chrétiennes, médiévales, suivre ses éclipses, ses renaissances, ses contradictions jusqu'à nos jours.
D'Homère à Freud, de Platon à Nietzsche, de saint Paul à Michelet, cette grande enquête historique, philosophique et littéraire dessine les lignes de force de la représentation des barbares et de la barbarie dans la pensée occidentale. Avec ce livre, on n'emploie plus « barbare » de la même manière et on dispose de clés essentielles pour envisager autrement la barbarie contemporaine.
- 4e de couverture -
Elisabeth de Fontenay, Sans offenser le genre humain, Albin Michel - mars 2008
Dix ans après avoir, dans Le Silence des bêtes, arpenté les diverses traditions occidentales qui, des Présocratiques à Jacques Derrida, ont abordé l’énigme de l’animalité, Elisabeth de Fontenay s’expose au risque et à l’urgence des questions politiques qui nous font face aujourd’hui et auxquelles il nous faut répondre. L’homme se rend-il coupable d’un crime lorsqu’il tue ou fait souffrir une bête ? Faut-il reconnaître des droits aux animaux ?
Cette approche philosophique qui s’essaie à travers sept perspectives différentes atteste, on ne s’en étonnera pas, un refus constant de dissocier le parti des bêtes et celui de l’exception humaine.
Elisabeth de Fontenay est philosophe et auteur de plusieurs livres devenus des classiques, notamment de la somme à laquelle cet ouvrage fait suite : Le Silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité (1998).
Élisabeth de Fontenay et Marie-Claire Pasquier, Traduire le parler des bêtes, L'Herne - mars 2008
« C’est parce que le mutisme des voix animales est une sorte de fleuve des enfers, un Achéron, que j’ai souhaité intituler cet exposé « le rameau d’or ». On découvre en effet, chez Virgile et Michelet, dans le lien que l’historien entretient au poète, l’évocation d’une secrète analogie entre les animaux et les morts, entre les endormis que sont les animaux et les à demi vivants que sont pour nous les morts. Autres qu’il est difficile, voire dangereux d’approcher. Avant de les rencontrer, il faut se munir d’un mot de passe, d’un schibboleth, d’un rituel, d’un instrument orphique, ce qui n’exclut cependant pas l’effort et l’endurance. Ce pouvoir énigmatique, on peut le nommer indifféremment, finesse de l’oreille ou don de la traduction. La grâce est accordée à certains et refusée à d’autres, qui permet d’entendre et de comprendre le parler des à jamais silencieux, et d’administrer un remède à cette immémoriale séparation entre les bêtes et les hommes qu’on nomme pompeusement la différence zoo-anthrologique »
Marie-Claire Pasquier est Professeur émérite à l’Université de Paris X-Nanterre, spécialiste du théâtre américain et traductrice de Virginia Woolf, Gertrude Stein, Norman Maclean, William Kennedy, Kaye Gibbons, David Edgar, Will Self, David Treuer. Elle prépare avec Jean-Michel Déprats l’édition des Oeuvres de Tennessee Williams dans la Pléiade.