GHOST DOG - Blog végan abolitionniste, féministe universaliste, iconoclaste - Page 153
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Nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas
LE BIEN
LE MAL« Tout ce que les nazis ont fait aux juifs, nous le faisons aux animaux. Nos petits-enfants nous demanderont un jour : où étiez-vous pendant l’Holocauste des animaux ? Qu’avez-vous fait contre ces horribles crimes ? Nous ne serons pas capables alors de donner la même excuse une seconde fois, que nous ne savions pas. »
Helmut F. KAPLAN
50 milliards d'innocents massacrés chaque année dans les abattoirs.
Vous avez le pouvoir de mettre fin à l'holocauste :
DEVENEZ VÉGÉTARIENS
GO VEGAN
" Maintenant je peux te regarder en paix,
désormais je ne te mange plus. "
KAFKA
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Les Salauds
« En pensée, Herman prononça l'oraison funèbre de la souris qui avait partagé une partie de sa vie avec lui et qui, à cause de lui, avait quitté ce monde. 'Que savent-ils, tous ces érudits, tous ces philosophes, tous les dirigeants de la planète, que savent-ils de quelqu'un comme toi ?
Ils se sont persuadés que l'homme, l'espèce la plus pécheresse entre toutes, est au sommet de la création. Toutes les autres créatures furent créées uniquement pour lui procurer de la nourriture, des peaux, pour être martyrisées, exterminées.
Pour ces créatures, tous les humains sont des nazis ; pour les animaux, la vie est un éternel Treblinka. »
Isaac B. Singer (Nobel de littérature 1978), The Letter Writer
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Jean-Jacques Rousseau : "Comme les satyres, les faunes et les sylvains"
« Toutes ces observations sur les variétés que mille causes peuvent produire dans l’espèce humaine me font douter si divers animaux semblables aux hommes, pris par les voyageurs pour des bêtes sans beaucoup d’examen, ou à cause de quelques différences qu’ils remarquaient dans la conformation extérieure, ou seulement parce que ces animaux ne parlaient pas, ne seraient point en effet de véritables hommes sauvages.
Donnons un exemple de ce que je veux dire. “On trouve, dit le traducteur de l’Histoire des voyages, dans le royaume de Congo, quantité de ces grands animaux qu’on nomme orangs-outangs aux Indes orientales, qui tiennent comme le milieu entre l’espèce humaine et les babouins (...).”
Il est encore parlé de ces espèces d’animaux anthropoformes dans le troisième tome de la même Histoire des voyages, sous le nom de beggos et de mandrills : mais, pour nous en tenir aux relations précédentes, on trouve dans la description de ces prétendus monstres des conformités frappantes avec l’espèce humaine, et des différences moindres que celles qu’on pourrait assigner d’homme à homme.
On ne voit point dans ces passages les raisons sur lesquelles les auteurs se fondent pour refuser aux animaux en question le nom d’hommes sauvages : mais il est aisé de conjecturer que c’est à cause de leur stupidité, et aussi parce qu’ils ne parlaient pas ; raisons faibles pour ceux qui savent que, quoique l’organe de la parole soit naturel à l’homme, la parole elle-même ne lui est pourtant pas naturelle, et qui connaissent jusqu’à quel point sa perfectibilité peut avoir élevé l’homme civil au-dessus de son état original. (...)
Quoi qu’il en soit, il est bien démontré que le singe n’est pas une variété de l’homme, non seulement parce qu’il est privé de la faculté de parler, mais surtout parce qu’on est sûr que son espèce n’a point celle de se perfectionner, qui est le caractère spécifique de l’espèce humaine : expériences qui ne paraissent pas avoir été faites sur le pongo et l’orang-outang avec assez de soins pour en pouvoir tirer la même conclusion. (...)
Les jugements précipités, qui ne sont point le fruit d’une raison éclairée, sont sujets à donner dans l’excès. Nos voyageurs font sans façon des bêtes, sous les noms de pongos, de mandrills, d’orangs-outangs, de ces mêmes êtres dont, sous le nom de satyres, de faunes, de sylvains, les anciens faisaient des divinités. Peut-être, après des recherches plus exactes, trouvera-t-on que ce ne sont ni des bêtes ni des dieux, mais des hommes. (...)
Quel jugement pense-t-on qu’eussent porté de pareils observateurs sur l’enfant trouvé en 1694 qui ne donnait aucune marque de raison, marchait sur ses pieds et sur ses mains, n’avait aucun langage, et formait des sons qui ne ressemblaient en rien à ceux d’un homme ? “Il fut longtemps avant de pouvoir proférer quelques paroles, encore le fit-il d’une manière barbare. Aussitôt qu’il put parler, on l’interrogea sur son premier état : mais il ne s’en souvint non plus que nous nous souvenons de ce qui nous est arrivé au berceau.”
Si, malheureusement pour lui, cet enfant fût tombé dans les mains de nos voyageurs, on ne peut douter qu’après avoir remarqué son silence et sa stupidité, ils n’eussent pris le parti de le renvoyer dans les bois ou de l’enfermer dans une ménagerie : après quoi, ils en auraient savamment parlé dans de belles relations, comme d’une bête fort curieuse qui ressemblait assez à l’homme. »
Du contrat social. Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes (1753), Union générale d’éditions, coll. « 10/18 », Paris, 1963, p. 348-353.
Le Projet grands singes
- Le Projet grands singes, par Florence Burgat
- Humanité, animalité, quelles frontières ?, par Gary L. Francione
- Des livres...
Édition imprimée — février 2007 — Page 25
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Florence Burgat : "Le Projet grands singes"
Le Projet grands singes
Il n’est point d’espèces animales qui échappent à la mainmise quasiment toujours mortelle de l’homme : il les élève de manière industrielle, les chasse, piège leurs territoires, les pêche, conduit sur elles toutes sortes d’expériences, les enferme dans des zoos, les dresse à exécuter des numéros de cirque, se plaît encore à les faire combattre...
Faut-il rappeler que l’on tue par an, en France, environ un milliard quatre-vingt millions de mammifères et d’oiseaux et quatre cent dix mille tonnes de poissons ?
La condamnation de la violence contre les animaux est fort ancienne, elle n’est en rien une préoccupation de nantis. Chaque époque jouit de tenants et d’adversaires de la cause animale : Pythagore, Porphyre, Plutarque condamnent les pratiques sacrificielles ; Montaigne réclame la bénignité pour les bêtes ; Descartes les réduit à des machines insensibles...
Claude Bernard écrit une défense de la vivisection, tandis que Victor Hugo, Lamartine, Michelet engagent la question sur le plan politique, contribuant ainsi, en Europe, à la naissance des premières lois d’une timide protection des animaux au milieu du XIXe siècle. Face à l’évidente continuité des êtres vivants, si magnifiquement pensée par Aristote, il fallut se donner les moyens d’effectuer une rupture radicale entre l’homme et ces vivants qui, comme lui, viennent au monde, souffrent, vieillissent et meurent.
On pourrait résumer les choses par le syllogisme suivant : seuls les êtres de raison ont droit à la justice et à la bienveillance ; or les animaux sont dépourvus de raison ; il n’y a donc envers eux ni justice ni injustice. Cet argument, énoncé pour la première fois par les stoïciens, pose que les devoirs de justice sont circonscrits à la seule humanité.
Cela signifie qu’aucun des éléments de proximité entre l’homme et les animaux dégagés par les savoirs positifs (proximité génétique, « protoculture », capacités langagières complexes, dispositions à l’empathie...) ne pourra remettre en cause une frontière invisible, non localisable, qui permet de discriminer l’ordre des fins (l’homme) de l’ordre des moyens (le monde animal).
Les théoriciens du droit naturel moderne (XVIIe siècle) réaffirmèrent la posture stoïcienne, en s’appuyant sur l’idée que Dieu a placé d’emblée dans l’esprit humain un entendement capable de se représenter la loi naturelle – ce que les animaux ne sauraient faire.
L’argument, laïcisé, reconduit le motif. Partant, si elles sont utiles (et le critère est large), les douleurs infligées aux animaux sont moralement acceptables. Seules les cruautés inutilement infligées sont répréhensibles, au titre que l’homme dégrade l’humanité en lui en se laissant aller à de tels actes.
La notion kantienne des devoirs indirects à l’égard des animaux rend compte de cette idée : ne pas les faire souffrir inutilement ou par plaisir est un devoir que l’homme a envers lui-même, car, en tant que privés de raison, les animaux ne sauraient faire l’objet d’aucun devoir moral.
Les animaux devinrent donc, sous la plume des philosophes, dans les laboratoires et, chemin faisant, dans le sens commun, ces fictions conceptuelles destinées à délimiter le champ de ce qui est dépourvu des qualités donnant des droits et octroyant quelque dignité.
Une telle déduction (posséder la raison pour se voir reconnaître des droits) fut d’emblée contestée, puisqu’elle place le fondement de la considération morale dans des compétences intellectuelles et non dans la capacité à pâtir.
Les études scientifiques viennent du reste conforter cette posture, en évaluant les animaux à l’aune de l’humain, les notant en fonction de leurs aptitudes à s’approcher de nos combien plus hautes performances ? Ainsi place-t-on des singes devant des ordinateurs pour voir de quoi ils sont capables...
Dans cet esprit, depuis 1993, de nombreuses personnalités, parmi lesquelles Peter Singer, professeur de bioéthique à l’université de Princeton (Etats-Unis), ont développé le Projet grands singes, aujourd’hui préconisé par les défenseurs des animaux à travers le monde.
Ce projet se fonde sur l’idée que les gorilles, orangs-outangs, chimpanzés, bonobos ont une intelligence et une sensibilité proches de l’homme, ce qui les différencie des autres animaux. Aussi méritent-ils, selon ce projet, de bénéficier de droits, certes inférieurs à ceux de l’être humain, mais supérieurs à ceux des autres animaux.
Le professeur Gary L. Francione, qui avait pourtant participé à ce projet, considère pour sa part, après réflexion, que cette thèse pourrait finir par aggraver le sort de tous les autres animaux.
Florence Burgat.
Philosophe, auteur de L’animal dans les pratiques de la consommation, PUF, coll." Que sais-je ? ", Paris, 1995.
- Humanité, animalité, quelles frontières ?, par Gary L. Francione
- Des livres...
- Comme les satyres, les faunes et les sylvains, par Jean-Jacques Rousseau
Édition imprimée — février 2007 — Pages 24 et 25
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Gary Francione : "Humanité, animalité, quelles frontières ?"
Humanité, animalité, quelles frontières ?
En 1993, un grand nombre d’experts ont élaboré en commun un livre-manifeste intitulé The Great Ape Project : Equality Beyond Humanity [Le Projet Grands singes. l’égalité au-delà de l’humanité] (1). Ce livre servait de support à un document, la Déclaration sur les grands singes anthropoïdes, à laquelle ont souscrit les initiateurs du projet ainsi que trente-quatre autres premiers signataires.
Cette déclaration établit que les grands singes « sont les plus proches cousins de notre espèce » et que ces animaux non humains « sont pourvus de capacités mentales et d’une vie émotionnelle suffisantes pour justifier leur intégration au sein de la communauté des égaux (2) ».
Ces dernières années, une littérature considérable s’est développée autour du thème de l’aptitude des grands singes, des dauphins, des perroquets, et peut-être d’autres animaux à posséder des caractéristiques cognitives que l’on pensait jusqu’alors strictement humaines (3).
Ces caractéristiques incluent la conscience de soi en tant qu’individu, la capacité à éprouver des émotions et à communiquer en utilisant un langage symbolique. Des efforts ont été faits – récemment en Espagne – pour créer avec les grands singes anthropoïdes une catégorie d’êtres vivants qui bénéficieraient d’une protection renforcée.
Le Projet grands singes a tout simplement appliqué ce que j’appelle la « théorie de la similitude de pensée (4) » de la relation humains/non-humains : les animaux doués d’une capacité de réflexion similaire à la nôtre devraient, de notre part, faire l’objet d’une considération morale et d’une protection légale plus importantes.
L’approche de la théorie de la « similitude de pensée » a donné naissance à une industrie d’éthologistes impatients d’étudier quelles sont les caractéristiques cognitives communes à l’être humain et au non-humain, et ce, paradoxalement, la plupart du temps, par le biais de l’expérimentation animale.
Or, cette théorie présente un inconvénient : elle induit que les animaux qui ne possèdent pas les qualités cognitives requises pour avoir droit au traitement préférentiel – réservé, donc, aux non-humains possédant une capacité de pensée semblable à la nôtre – seraient comparables à des objets, tout juste bons à être traités, à la rigueur, avec « humanité ».
J’ai, pour ma part, collaboré au Projet grands singes et ai compté au nombre des premiers signataires de la Déclaration sur les grands singes (5). Mais ma contribution au projet, sous forme d’essai en 1993, comme le livre que j’ai publié quelques années plus tard (6), marquent bien ma divergence sur les critères d’intégration de l’individu non humain à la communauté morale : la seule capacité de ressentir du plaisir ou de la douleur est suffisante ; aucune autre caractéristique cognitive ne doit être exigée.
La théorie de la similitude de pensée est présentée par ses concepteurs comme une avancée car elle permettrait au moins l’intégration de quelques individus non humains à la communauté des égaux. A mes yeux, cette analyse est inexacte, dans le sens où le contraire est vrai – la théorie de la similitude de pensée ne fera qu’étayer notre propension à exclure pratiquement tous les non-humains de la communauté morale.
Peut-être est-il temps d’étudier de plus près cette vaste entreprise qui consiste à subordonner la signification morale des individus non humains à des qualités cognitives plus importantes que leur sensibilité, plutôt que de tenter de déterminer si les non-humains possèdent de telles qualités cognitives, ou les possèdent d’une façon qui les rende suffisamment proches de l’homme pour mériter d’avoir une existence morale et légale.
Les humains n’ont pas le monopole de capacités cognitives telles que la confiance et le désir
Tout d’abord, la théorie de la similitude de pensée me paraît, dans un certain sens, franchement absurde. Existe-t-il une personne qui, ayant déjà vécu avec un chien ou un chat, leur dénie toute forme d’intelligence, de conscience de soi, même s’ils sont génétiquement beaucoup plus éloignés de nous que les grands singes ?
On ne peut tout simplement pas expliquer de façon plausible et cohérente le comportement de ces animaux non humains sans se référer au concept de pensée. Peut-être est-il impossible d’affirmer de façon absolue et définitive l’existence de leur part de démarches intentionnelles comparables à celles des individus utilisant le langage des signes, mais ils sont indéniablement dotés de capacités cognitives telles que la confiance, le désir, etc.
En outre, cent cinquante ans après Darwin, on peut trouver surprenant l’émoi provoqué par le fait de constater que d’autres animaux possèdent des caractéristiques habituellement réservées à l’homme. La thèse selon laquelle les êtres humains auraient des facultés mentales absolument absentes chez les animaux non humains est incompatible avec la théorie darwinienne de l’évolution, laquelle repose sur le principe même qu’il n’existe pas de spécificités purement humaines.
Cela ne veut pas dire qu’aucune différence significative ne distingue un animal se servant du langage symbolique d’un autre qui est incapable de le faire. Cela signifie simplement que l’animal détenteur d’une particularité cognitive n’est pas pour autant « qualitativement » supérieur à celui qui en est dépourvu.
Malgré ma conviction que les non-humains possèdent ces fameuses caractéristiques que nous considérons comme exclusivement humaines, je suis bien conscient qu’un débat subsiste sur ce point. C’est un fait : des distinctions entre l’intelligence humaine et celle des animaux qui n’utilisent pas le langage sont évidentes.
Mais il existe au moins deux raisons de rejeter la notion selon laquelle le critère de sensibilité des individus non humains serait insuffisant pour leur reconnaître le droit d’être membres à part entière de la communauté morale.
La première est d’abord d’ordre pratique : la théorie de la similitude de pensée induit-elle au moins de sérieux changements pour ces non-humains qui possèdent des caractéristiques cognitives très proches des nôtres ?
La seconde raison est d’ordre conceptuel et met en évidence l’impuissance de cette théorie à aborder la question morale fondamentale : pourquoi des caractéristiques autres que la sensibilité seraient-elles requises pour pouvoir appartenir à la communauté morale ?
Il est probable que la théorie de la similitude de pensée n’aura d’autre effet que de retarder le moment où il nous faudra faire face à nos obligations légales et morales envers les non-humains. Le temps que nous établissions la prétendue « preuve empirique » que certains de ces individus ont, au moins, une intelligence proche de celle de l’homme.
Cependant, même lorsque cette similitude est démontrée, nous faisons mine de l’ignorer et continuons à exploiter ces animaux. Par exemple, la proche parenté entre les humains et les chimpanzés est irréfutable. Leur ADN est pour 98,5 % semblable au nôtre.
De surcroît, ils ont un comportement mental et culturel comparable à celui de l’être humain. Nous connaissons ces ressemblances depuis longtemps déjà. D’ailleurs, l’ensemble du Projet grands singes avait pour but de démontrer de manière écrasante qu’il n’existe, entre les humains et les grands singes, aucune disparité qui justifie la mise à l’écart de ces derniers de la communauté morale.
Pourtant, nous continuons d’emprisonner les chimpanzés dans les zoos et de les utiliser comme cobayes dans des expériences biomédicales. Même Jane Goodall, qui a le mérite d’avoir « fait découvrir au public que les chimpanzés sont des individus avec des personnalités distinctes et des relations sociales complexes (7) », a refusé d’appeler au bannissement complet de l’exploitation par l’homme de ces non-humains.
Ce problème révèle la faille évidente de cette théorie de la similitude de pensée : quel degré de ressemblance avec l’homme exige-t-on d’un non-humain pour que nous le considérions comme suffisamment « semblable à nous » pour lui reconnaître une valeur morale ?
Il a été prouvé, par exemple, que les perroquets sont doués des mêmes capacités conceptuelles qu’un enfant de 5 ans. Pourtant, les animaleries continuent de vendre des perroquets. Quel degré d’intelligence exigeons-nous du perroquet pour l’accepter dans la communauté morale ? Faut-il que le perroquet ait les capacités conceptuelles d’un enfant de 8 ans ? De 12 ans ?
De la même manière, des chimpanzés ont démontré leur aptitude à se servir du langage humain. Quelle doit être l’étendue de cette aptitude à manier la syntaxe et le vocabulaire pour que nous leur reconnaissions une intelligence comparable à la nôtre ?
Nul n’affirme que les animaux devraient conduire des automobiles ou suivre des cours à l’université
L’ennui, avec ce jeu des caractéristiques particulières, c’est que les non-humains ne peuvent jamais gagner. Quand nous observons que les perroquets possèdent l’habileté conceptuelle de comprendre et de manipuler des nombres à un seul chiffre, nous exigeons qu’ils fassent de même avec les nombres à deux chiffres, pour admettre qu’ils nous ressemblent davantage.
Quand un chimpanzé prouve qu’il possède un vocabulaire étendu, nous réclamons qu’il révèle son niveau syntaxique afin de corroborer son lien de parenté avec nous. Bien entendu, nous sélectionnons pour les juger certaines aptitudes, et pas d’autres.
Car il va sans dire que nombre de non-humains en possèdent diverses, et de bien meilleures, dont nous sommes dénués. Mais il ne nous viendrait jamais à l’esprit d’appliquer à des membres de notre espèce le traitement que nous infligeons aux animaux.
Il est à craindre que la théorie de la similitude de pensée ne finisse par exiger que les animaux aient une capacité de réflexion non seulement similaire mais identique à la nôtre. Si leur intelligence n’est pas calquée sur celle des humains, ils n’auront aucune chance d’être, un jour, considérés comme membres de notre communauté morale. Et, dans le cas contraire, quelle garantie ont-ils de ne pas être victimes de discrimination ?
Après tout, il n’y a pas si longtemps encore, au XIXe siècle, les racistes se fondaient sur la phrénologie, c’est-à-dire l’étude des facultés dominantes d’un individu d’après la forme de son crâne, pour déclarer que d’autres êtres humains avaient une intelligence différente.
Posséder une intelligence identique n’est donc pas un gage de bon traitement si le désir de discriminer reste vivace. La capacité de réflexion entre les animaux qui utilisent le langage des signes et les autres laisse présumer des différences.
La théorie de la similitude de pensée ne servira de ce fait que de prescription à la poursuite de l’oppression des animaux, puisque nous sommes perpétuellement en quête d’une identité qui ne sera sans doute jamais atteinte, surtout si seul le désir de consommer des produits animaux nous anime.
Dans l’hypothèse où la théorie de la similitude de pensée aboutirait à nous faire reconnaître la personnalité de certains non-humains, tels que les grands singes anthropoïdes ou les dauphins, qu’adviendrait-il alors des espèces d’animaux qui ne pourront jamais démontrer une aptitude à utiliser le langage humain ou d’autres caractéristiques que nous associons à l’intelligence humaine ?
Cette théorie esquive la question morale sous-jacente, et cependant fondamentale : pourquoi les animaux non humains devraient-ils se distinguer par d’autres qualités que la sensibilité pour avoir le droit de ne pas être exclusivement considérés par l’homme comme des objets à son service ?
La théorie de la similitude de pensée suppose que les propriétés cognitives humaines ont une valeur morale et, de ce fait, méritent un traitement particulier. Bien entendu, rien ne justifie une telle position : en quoi les caractéristiques spécifiques à l’homme auraient-elles, au sens moral du terme, plus de valeur que celles des non-humains ?
Notre faculté de langage nous est précieuse parce que nous sommes des êtres humains, de même que l’écholocation (8) est précieuse pour les chauves-souris en tant que mammifères volants aveugles. Serions-nous enclins à dire que la faculté d’utiliser le langage symbolique possède, sur le plan moral, davantage de prix que de se guider à l’aide d’ultrasons ?
De surcroît, même si tous les animaux étaient privés de toute caractéristique cognitive particulière au-delà de la sensibilité, ou possédaient l’une de ces facultés cognitives à un degré moindre, ou d’une façon différente de l’homme, cette dissemblance ne justifierait en aucun cas que nous nous servions des animaux comme de choses.
En ce qui concerne certaines aptitudes, les différences entre l’homme et l’animal sont pourtant flagrantes. Nul n’affirme, par exemple, que les animaux devraient conduire des automobiles ou suivre des cours à l’université et, pourtant, nous sommes bien d’accord, ces différences n’expliquent en rien que nous mangions ou non les animaux, ou que nous les soumettions à des tortures dans l’expérimentation.
Dans les situations qui ne concernent que les êtres humains, c’est plus évident. Quelle que soit la caractéristique identifiée comme propre à l’homme, on en retrouvera parfois à peine la trace chez certaines personnes, et chez d’autres elle sera totalement absente. Des êtres humains souffriront d’une déficience en tous points identique à celle que nous attribuons aux non-humains.
Cette déficience peut se révéler problématique dans certaines perspectives, mais elle n’implique en aucun cas que nous fassions de ces êtres humains des esclaves ou que nous les considérions comme des objets sans valeur.
Que l’intelligence des animaux soit similaire ou non à la nôtre ne doit pas être une condition pour que nous ne respections pas le devoir moral de cesser toute exploitation des non-humains, ni primer sur le fait que ce sont des êtres sensibles.
Ce soir, vous allez vous mettre à table pour dîner. Dans votre assiette, vous allez peut-être trouver de la viande de bœuf, de volaille, ou de poisson. Vous ne pourrez alors guère échapper à une évidence : des animaux auront été tués pour composer votre repas.
En outre, vous saurez que l’animal dont vous mangerez la chair aura non seulement été tué pour vous nourrir, mais aussi souffert avant et pendant sa mise à mort. Cette prise de conscience ne devra pas reposer sur l’éventualité d’une similitude d’intelligence entre cet animal et vous, mais sur le fait qu’il était, comme vous, un être sensible n’aspirant qu’à vivre.
Et même s’il reste encore quelques incertitudes sur l’existence d’une sensibilité chez les insectes ou d’autres créatures vivantes, les millions de vaches, cochons, poulets et canards que nous tuons chaque année ne rentrent en aucun cas dans cette catégorie.
En conclusion, les initiatives comme le Projet grands singes révèlent bien moins notre préoccupation pour les grands singes que la volonté de consolider la classification spéciste (9), qui ne les reconnaîtra jamais comme membres à part entière de la communauté morale.
Et qui fera très certainement en sorte que tous les autres animaux ne franchissent jamais le seuil du cercle bien fermé des animaux-élus.
Gary L. Francione.
Professeur à la Rutgers University School of Law, Newark (New Jersey, Etats-Unis), où il dirige un enseignement consacré aux droits des animaux (www.animal-law.org). Auteur, entre autres, de : Introduction to Animal Rights, Temple University Press, Philadelphie, 2000.
(1) Paola Cavalieri et Peter Singer (sous la dir. de), The Great Ape Project, Fourth Estate, Londres, 1993. En français : Le projet grands singes. L’égalité au-delà de l’humanité, traduction de Marc Rozenbaum, One Voice éditeur, Nantes, 2003.
(2) The Great Age Project, op. cit., p. 5.
(3) NDLR : pour en savoir plus, consulter par exemple www.onevoice-ear.org ou www.animauzine.net
(4) « Our hypocrisy », The New Scientist, Londres, 4 juin 2005.
(5) « Personhood, property and legal competence », dans Great Ape Project, op. cit., p. 248-257.
(6) Introduction to Animal Rights : Your Child or the Dog ? Temple University, Philadelphie, 2000.
(7) The Great Ape Project, op. cit., p. 10.
(8) Mode d’orientation propre à certains animaux qui repèrent les obstacles et les proies au moyen d’ultrasons produisant un écho.
(9) Le spécisme (ou espécisme) est un néologisme formé pour contester la place particulière accordée à l’être humain qui ne serait qu’un animal parmi les autres.
Le Projet grands singes
- Le Projet grands singes, par Florence Burgat
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Édition imprimée — février 2007 — Pages 24 et 25
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Helmut F. Kaplan : "La consommation de viande tue les animaux, nuit gravement à la santé, détruit l'environnement et contribue à la faim dans le monde"
Interview - Février 2007
EVANA : Vous venez de publier un nouveau livre sous le titre "Der Verrat des Menschen an den Tieren" (La Trahison des humains vis-à-vis des animaux) . En quoi ce livre se distingue-t-il de votre best-seller "Leichenschmaus – Ethische Gründe für eine vegetarische Ernährung" (La Mort à table : fondements moraux pour une alimentation végétarienne) ?
HFK : La Mort à table contient l’éventail quasi complet des méfaits que nous commettons envers les animaux. Dans mon dernier livre, j’ai voulu dégager un aspect particulier n’ayant pas encore retenu suffisamment l’attention d’après moi, à savoir qu’il s’agit là d’une trahison ; nous devons beaucoup aux animaux, pensez aux chiens guides d’aveugles, aux chiens qui nous aident à retrouver les gens ensevelis et aux animaux domestiques. Nous devrions leur en être reconnaissants. Au lieu de quoi, nous les traitons individuellement et collectivement de la manière la plus abjecte qui soit.
EVANA : Quel était le but recherché en écrivant ce livre ?
HFK : En plus de ce que j’ai déjà dit, j’ai voulu décrire le régime de terreur que nous faisons subir aux animaux. J’ai voulu montrer aussi que notre comportement vis-à-vis d’eux est en contradiction totale avec toutes nos convictions morales. Enfin, j’ai cherché à montrer comment on peut mettre un terme à cette situation effroyable.
EVANA : En ce moment, on parle beaucoup du philosophe des droits de l’animal Peter Singer. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
HFK: Les déclarations de Singer en faveur de l’expérimentation animale et le fait qu’il ait ensuite relativisé ces propos et qu’il se soit rétracté ont mis en lumière la contradiction fondamentale qui existe dans son éthique, à savoir la contradiction entre utilitarisme et principe d’égalité. Je pense que la mise en lumière de cette contradiction est une bonne chose.
EVANA : Quelle est la portée de ce « scandale » pour le rôle à venir de Singer dans le mouvement pour les droits de l’animal ?
HFK : Plus important que toutes les discussions théoriques et déclarations individuelles, il y a le fait que Singer a mieux que personne introduit la pensée rationnelle dans le domaine de la pensée éthique envers les animaux. Quand on pense à l’irrationalité scandaleuse qui caractérise traditionnellement cette pensée, il est presque impossible d’apprécier le mérite de Singer à sa juste valeur.
EVANA: Avez-vous le sens de l’humour ?
HFK : Drôle de question, pourquoi n’aurais-je pas le sens de l’humour ?
EVANA: Parce que l’on entend bien souvent, même de personnes qui vous sont acquises, que M. Kaplan est sombre et négatif.
HFK : Il faut distinguer deux choses. Tout d’abord, le sujet de mes écrits : on ne peut sérieusement reprocher à quelqu’un de ne pas avoir d’humour quand il cherche à décrire fidèlement le massacre permanent que subissent les animaux dans les abattoirs et les laboratoires. Ce que les animaux endurent n’a rien de drôle ni de joyeux. Ira-t-on reprocher à quelqu’un de ne pas décrire avec humour l’horreur des camps de concentration nazis ou bien les actes de torture commis dans les prisons de la CIA ?
EVANA : Il n’y a donc aucune issue au désespoir ?
HFK : Si ! En lisant mes textes, vous verrez que je ne cherche jamais à enjoliver le destin épouvantable des animaux. Mais, dans le même temps, je cherche à montrer concrètement aux humains comment ils peuvent contribuer à changer les choses.
Par ailleurs, je me réfère sans cesse au parallèle porteur d’espoir qui existe entre le mouvement pour les droits de l’homme et le mouvement pour les droits de l’animal. Autrefois, l’esclavage avait pignon sur rue, maintenant il est voué aux gémonies.
Jadis, les droits de l’animal ne dépassaient pas le cadre de cercles minoritaires. Ils sont désormais universels, du moins dans leur revendication.
EVANA : Vous disiez tout à l’heure qu’il faut distinguer deux choses.
HFK : La première est la description réaliste et idoine de ce que nous faisons subir aux animaux. La seconde concerne ma philosophie personnelle de la vie.
EVANA : Et là vous êtes quelqu’un de drôle ?
HFK (riant) : D’une certaine manière, oui. Dès lors qu’il n’est pas question de catastrophes, de camps de la mort ou encore d’actes de torture, j’ai sans cesse l’occasion de constater que j’ai bien plus d’humour que la plupart de mes semblables.
EVANA : Comment est-ce que cet humour s’exprime ?
HFK : Dans ma famille, il y a une expression qui m’est consacrée : « Et ça te fait rire ! » Quand les autres sont accablés par leurs soucis ou qu’ils sombrent dans la déprime, je me mets à rire et j’essaie de voir ce qu’il y a de drôle dans la situation.
EVANA : Comment expliquez-vous ce flegme ?
HFK : Depuis des décennies, je lutte quotidiennement contre le sort effroyable que nous réservons aux animaux ; cela contribue beaucoup à relativiser ce qui préoccupe communément les êtres humains.
EVANA : La souffrance aiderait-elle à vivre ?
HFK : En un sens, oui. Par rapport aux souffrances des animaux, nos soucis et nos préoccupations sont généralement dérisoires.
EVANA : D’où vient votre intérêt pour les animaux ? Y a-t-il eu un événement décisif dans votre vie ?
HFK : Les animaux ne m’intéressent pas en tant que tels. Je ne suis ni un ami des chevaux ni un inconditionnel des chats – encore que pour ces derniers… Ce qui me mobilise, c’est l’incroyable injustice qui caractérise notre comportement envers les animaux et les souffrances indicibles qui en découlent.
Je ne me souviens pas d’un événement–clef. Je dirais plutôt que c’est le spectacle répété de cadavres d’animaux dans les magasins qui m’a sensibilisé à ce scandale.
EVANA : Quels projets avez-vous maintenant ?
HFK : Tout d’abord, un livre va paraître, qui de prime abord n’a rien à voir avec les animaux : La Joie, étincelle divine – le bonheur entre souffrance et mort. Bien sûr, quand on y regarde de près, la souffrance et la douleur ont hélas un rapport avec les animaux. Après cela, je ferai paraître un recueil d’aphorismes.
EVANA : Quel est votre prochain projet en relation avec les droits de l’animal ?
HFK : Je poursuis actuellement mon projet d’une éthique extrêmement simple. Le mot-clef en sera « précepte éthique universel ». Cela sera construit sur des bases biologiques, psychologiques et naturellement éthiques.
EVANA : Une nouvelle année a commencé ; comment voyez-vous l’avenir du mouvement pour les droits de l’animal ?
HFK : C’est une question difficile ; on note des tendances contradictoires. Par exemple, il y a lieu de se réjouir que la FAO ait fini par reconnaître que la production de viande est une folie. À l’inverse, il me semble que la publicité pour la viande est plus envahissante et plus éhontée que jamais.
EVANA : Quel bilan tirez-vous de cela ?
HFK : En fait, je suis optimiste. Je vais vous raconter une petite anecdote : il y a quelques décennies, je passais pour un fanatique pathologique de la sécurité. En effet, j’avais installé des ceintures de sécurité et des appuis-tête dans ma voiture, des détecteurs de fumée dans ma maison, et par ailleurs je portais des vêtements clairs pour que les automobilistes me voient mieux dans l’obscurité.
Aujourd’hui, tout cela est généralement admis ou même imposé par la loi. Il y a donc une évolution collective vers plus de raison, même si aucun homme sensé n’ira prétendre que ses semblables sont devenus plus raisonnables.
EVANA : Quel est le rapport avec les animaux ?
HFK : Une évolution analogue est en cours sur le plan moral. Certes, je n’ai pas l’impression que mes semblables soient devenus plus moraux ces derniers temps. Il n’en demeure pas moins que les revendications politiques et de société le sont devenues.
Pensez par exemple à notre comportement vis-à-vis des personnes âgées, des handicapés, des droits de l’enfant, des droits de la femme ou bien à l’abolition de la peine de mort. La collectivité est devenue plus raisonnable et plus morale que les individus qui la constituent. Et cela va conduire aussi à l’avènement des droits de l’animal.
EVANA : Concrètement parlant, comment voyez-vous l’avenir ?
HFK : L’interdiction de fumer constitue un changement profond et spectaculaire au sein de notre société. Il y a dix ans encore, qui aurait pensé que cela fût possible ? Quoi qu’il en soit, plus encore que d’exclure les fumeurs, il serait sensé de marginaliser les mangeurs de viande comme étape intermédiaire en vue de l’interdiction totale de la viande.
Les mangeurs de viande ne devraient avoir le droit de s’adonner à leur vice que sur le pas de la porte ou bien dans des arrière-salles. Par ailleurs, tout produit carné devrait porter la mention suivante : « La consommation de viande tue les animaux, nuit gravement à votre santé, détruit notre environnement et contribue à la faim dans le monde. »
EVANA : Monsieur Kaplan, nous vous remercions pour cet entretien.
Source/Quelle: Helmut F. Kaplan
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Véganisme
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Soja : désinformation de la part de "Que Choisir"
Lettre de M. Hervé Berbille à :
Mme Fabienne Maleysson - Que Choisir - 233 bd Voltaire - 75011 Paris
Objet : votre article « Du soja et des dégâts »
Madame,
Suite à l’article que vous avez publié (« Du soja et des dégâts ») paru dans le n° 441 de Que Choisir (octobre 2006), je vous prie de trouver ci-après quelques questions et remarques auxquelles je vous serais très reconnaissant et très obligé de bien vouloir répondre.
1) Après avoir lu attentivement votre article, je n’ai trouvé aucune étude attestant d’un quelconque effet délétère chez l’homme, nourrissons compris. Aussi pourriez-vous me faire parvenir les références d’une ou plusieurs études scientifiques attestant de tels effets chez l’homme ?
2) Vous indiquez que « les isoflavones pures (…) à partir de 73 g/jour (…) favorisent l’inflammation des vaisseaux sanguins ». J’attire au préalable votre attention sur le fait que cette quantité est considérable. Sachant qu’une gélule de traitement de la ménopause type Phyto-Soja© contient 35 mg d’isoflavones, il faudrait avaler 2085 gélules par jour pour obtenir cet effet inflammatoire. De même, en se basant sur vos propres mesures, il faudrait consommer plus de 128 kg de steaks de soja Gerblé© et plus d’une tonne de « yaourts » Sojasun© nature. Par ailleurs, comme vous indiquez que 200 g de tofu par jour correspondent à une « grande quantité », alors que penser de plus d’une tonne de soja par jour ?... Notez qu’à cette « dose » (plus d’une tonne par jour…), n’importe quel aliment, même l’eau potable, serait tout simplement mortel. Vous titriez pourtant en avril 2000, « Soja, l’important c’est la dose » : en l’espèce, on ne saurait mieux dire…
3) Vous indiquez, je cite, que « l’engouement [pour le soja] repose sur des considérations peu rationnelles » : en quoi faut-il que les choix alimentaires soient dictés par des considérations « rationnelles » ? Pour des motifs religieux, par définition irrationnels, certaines personnes refusent de consommer du porc ou de la viande certain jour de la semaine : cela vous paraît-il également irrecevable ? Dans ces conditions, pourquoi les amateurs de soja devraient-ils se prévaloir d’un acte « rationnel » ?
Par ailleurs, les bénéfices santé du soja sont reconnus officiellement en Malaisie, au Japon et aux Etats-Unis (au même titre que les fibres d’orge, les huiles d’olive et de colza par exemple : inutile donc d’invoquer le « lobby du soja »). Ce choix n’est donc peut-être pas aussi « irrationnel » que vous l’indiquez quand on sait par ailleurs que les maladies cardio-vasculaires constituent la première cause de mortalité en France. De même, rappeler comme vous le faites la forte progression de la production mondiale du soja ne plaide pas en faveur de votre thèse car elle traduit au contraire la forte progression de la consommation… de viande, puisque 90% du soja produit dans le monde est utilisé (gaspillé ?) pour l’alimentation animale (source : Arômes Ingrédients Additifs, Avril-Mai 2005, page 20).
En outre, cette part accrue des protéines animales dans l’alimentation mondiale constitue un véritable désastre environnemental, je cite le rapport de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), « un des premiers responsables des problèmes d'environnement », soit une menace autrement plus sérieuse pour les générations futures que les très spéculatifs effets des isoflavones de soja (source : Le Monde, 05.12.06). En admettant qu'il existe un lobby du soja, il devrait se frotter les mains quand on consomme de la viande et du lait de vache, car la consommation animale rapporte beaucoup plus aux producteurs de soja que la consommation humaine.
4) Vous volez au secours de la viande et des produits laitiers en dénonçant les « rumeurs persistantes accusant les produits laitiers de tous les maux ». Je remarque au préalable que vous reprenez à quelque chose près les termes de l’organisme chargé de la promotion des produits laitiers (Cidilait), je cite : « selon certaines rumeurs, le lait serait responsable d’au moins 60 à 70% des troubles rencontrés en médecine générale ». Pourtant, des études scientifiques publiées dans des revues faisant autorité (1 ; 2) mentionnent bel et bien un risque accru (+ 60%) de cancers ovariens chez les femmes consommant des produits laitiers, et ce pour de faibles doses (deux verres de lait par jour).
Plus intéressant encore, cette étude cosignée par Serge Hercberg (3), qui indique un risque accru de cancers prostatiques, toujours lié à la consommation de produits laitiers et à des doses également faibles (un yaourt). Ce même Serge Hercberg préconise par ailleurs via le Plan National Nutrition Santé de consommer 3 laitages par jour : ne discernez-vous pas là une incohérence ? Et que dire lorsque vous vous répandez en louanges (in Que Choisir, janvier 2006) à propos des yaourts : à quels « effets bénéfiques » documentés faites-vous allusion ? Sachez qu’il existe des aliments à base de soja (Sojasun©, Senja©, etc.) apportant également des probiotiques, dont des lactobacilles, tout en protégeant des cancers prostatiques (4) quant à eux : pourquoi cela n’est-il pas rappelé dans votre article ?
D’autre part, chez les nourrissons, de nombreuses études, dont certaines publiées dans le très prestigieux Lancet, établissent un lien entre exposition au lait de vache et le diabète de type 1 (Insulino-dépendant). D’autres études (5 ; 6), dont une publiée dans l’une des revues les plus cotées en neurosciences (Neurology) établissent un lien entre consommation de produits laitiers et un risque accru de la maladie de Parkinson. De son coté, le Pr. Walter Willet, Université de Harvard, considérée cette année encore comme la meilleure université du monde (classification de l’université Jiatong à Shanghaï), déclare : « En l’état des connaissances, il nous paraît irresponsable de faire la promotion des laitages comme on le fait dans de nombreux pays. » Enfin, le Centre international de Recherche sur le Cancer (OMS) a pris officiellement position (Communiqué de Presse, N° 165, OMS, 15 juin 2005) en indiquant, je cite, que l’on constate « une augmentation de 35% du risque de cancer colorectal chez les individus qui consomment les quantités les plus élevées de viande rouge et de préparations carnées, par rapport aux sujets en consommant le moins ». Même C. Bennetau reconnaît, je cite, les « facteurs cancérigènes de la viande », sans le moindre conditionnel (rapport CSHPF, 1996, p. 97).
Considérez-vous que le Lancet, l’American Journal of Clinical Nutrition, Neurology, l’OMS, l’Université de Harvard et le Pr. Willet, voire C. Bennetau, soient des colporteurs de rumeurs, ou bien que leurs mises en garde devraient être prises en considération et portées à la connaissance du grand public, à commencer par une revue défendant les consommateurs ?
5) Vous écrivez que « comparaison n’est pas raison » au sujet des effets bénéfiques du soja observés chez les Asiatiques et extrapolés chez les Occidentaux. Pourtant, tout votre argumentaire consiste à dire que les isoflavones de soja sont dangereuses chez l’homme à partir d’extrapolations portant sur les effets du trèfle chez des brebis, où l’on constate quelques effets, attribués de surcroît à d’autres composés (coumestanes), mais aucun réellement dangereux soit dit en passant. De plus, j’attire votre attention sur le fait que l’essentiel du soja (90%) est utilisé pour l’alimentation animale depuis plusieurs décennies, je vous cite d’ailleurs à ce sujet (in Que Choisir, avril 2000) « Bovins, porcs, poulets, poissons en ont (du soja) aujourd’hui [en fait l’utilisation du soja dans l’alimentation animale remonte bien avant avril 2000 !] au menu ».
Or, à l’exception de quelques effets sur des poissons carnivores (truites et esturgeons, qui ne sont pas dans la nature de gros consommateurs de soja…), aucun effet négatif n’a été rapporté sur les autres animaux (vous avez d’ailleurs oublié les chevaux chez qui le soja n’a aucun effet) comme vous n’auriez probablement pas manqué de le souligner, ni en 2000, ni six ans plus tard, ce qu’atteste notamment la demande toujours plus forte pour le soja destiné à l’alimentation animale (à ce sujet, le forte progression des tonnages en soja que vous citez indique une forte progression de la consommation…de viande !).
Aussi, puisque vous préférez vous baser sur des extrapolations animal/homme plutôt que de prendre en compte les effets constatés chez les Asiatiques depuis des millénaires (que je considère infiniment plus proches de l’homme occidental que les brebis…), pourquoi alors ne prenez-vous pas en considération le cas de ces animaux nourris massivement et sur plusieurs générations avec du soja, et non pas ceux nourris avec du trèfle ou de la luzerne, comme cela serait, me semble-t-il, plus logique ?
De même, le soja est largement utilisé dans les aliments pour animaux de compagnie (chiens), sans que ceux-ci s’en portent plus mal (7). Enfin, les conclusions d’une récente étude publiée dans le très sérieux British Medical Journal (Perel P : “Comparison of treatment effects between animal experiments and clinical trials : systematic review.” BMJ, doi:10.1136/bmj.39048.407928.BE) devraient vous inciter à vous défier des extrapolations et comparaisons homme/animal, je cite : « Les auteurs concluent que les discordances entre les essais chez l’homme et les modèles animaux au fait que les modèles animaux ne reproduisent pas de façon adéquate la pathologie humaine. Ces discordances peuvent avoir une grande importance dans le développement de nouveaux médicaments ou de nouvelles techniques. C’est ainsi qu’on ne retrouve pas forcément en passant chez l’homme les résultats obtenus en pharmacologie animale, ce qui conduit à l’abandon de développements très coûteux. La mise au point de modèles animaux qui soient le reflet de la pathologie humaine est donc primordiale et les communications entre les chercheurs et les cliniciens doivent être améliorées. »
6) Vous écrivez que le soja est « un produit à la mode dont on ne connaît pas grand-chose ». Pourtant, d’une part, en Asie où cette « mode » alimentaire remonte environ à 5.000 avant J.-C., le soja constitue depuis toujours la base alimentaire des Asiatiques, y compris pour plus de 80% des enfants de moins de 18 mois (8 ;9) ,ce qui contredit votre assertion selon laquelle les nourrissons asiatiques sont nourris avec des préparations à base de lait de vache : à ce sujet, merci de me communiquer l’étude sur laquelle vous vous appuyez. D’autre part, la consultation de la base de données utilisée par l’Afssa pour son rapport produit très exactement 33 935 études scientifiques aux mots clé « soy OR soybean ORisoflavones OR phyto-oestrogen ».
D’où ma question : à partir de combien d’années, voire de millénaires, et d’études scientifiques considérerez-vous que l’on pourra statuer sur l’innocuité du soja ?
7) Vous écrivez que les laits infantiles à base de soja (PPS) représentent 2,1% du marché. J’en déduis donc que les laits infantiles à base de lait de vache (PLV) représentent les 97,9% restants, soit l’écrasante majorité. D’autre part, le lait de vache contient, je cite J.M. Besle (Unité de Recherches sur les herbivores, INRA Site de Theix), « des isoflavones (…) sous une forme (= équol) qui pourrait être plus active que dans la plante d’origine » et par ailleurs, le lait de vache contient naturellement différentes hormones, dont des (véritables) oestrogènes « en grande quantité » et par définition 2000 fois plus puissants que les « phytooestrogènes », de l’IGF-1 une hormone de croissance considérée comme dopante par le Comité International Olympique et également impliquée dans les processus de cancérisation (10), de la leptine, impliquée dans le déclenchement des pubertés précoces, mais également des corticoïdes, de l’ocytocine (également cancérogène), etc.
De plus, chez les nourrissons nourris aux laits infantiles à base de lait de vache, on retrouve de plus grandes quantités d’équol plasmatiques que chez les nourrissons nourris au lait infantile à base de soja (11). De plus, on ne trouve pas de forme actives (aglycones) d’isoflavones dans le plasma des nourrissons nourris aux PPS (12), à l’inverse des enfants nourris aux PLV. Si comme vous le laissez entendre, les phyto-oestrogènes sont « néfastes » et « pervers », ne serait-il pas alors plus judicieux de votre part de proclamer « pas de lait de vache dans le biberon » et de se préoccuper davantage des quantités réellement absorbées plutôt que des quantités ingérées ? De plus, le lait humain (13) contient naturellement des phyto-oestrogènes : allez-vous saisir la DGCCRF afin que les femmes allaitantes soient également soumises à une déclaration obligatoire des teneurs en phyto-oestrogènes de leur lait ?
8) Ne voyez-vous pas une incompatibilité à dénoncer dans le même élan le « lobby du soja » ce qui, selon C. Bennetau, conduit à « gonfler les effets bénéfiques » du soja (in Que Choisir, avril 2000) et à interviewer cette même Catherine Bennetau, qui a fait financer ses travaux respectivement par deux entreprises agroalimentaires qui fabriquent des produits à base de soja (dont Arkopharma©) et mène une autre étude avec Danone© (14) ?
Pour l’anecdote, en avril 2000, toujours dans votre propre revue, C. Bennetau se présentait en victime du « lobby du soja », je cite : « lorsque l’on souhaite travailler sur les effets pervers du soja, il est quasiment impossible de trouver des crédits ». En ce qui concerne les « troublantes incertitudes » de C. Bennetau sur le soja, celles-ci renvoient à l’étude effectuée par le Dr Brian Strom (15). Pourtant, les conclusions de cette étude sont les suivantes, je cite : « la consommation de préparations pour nourrissons à base de soja n’a pas de conséquences sur la santé ni sur la reproduction ». Aussi, interrogé au sujet de l’interprétation faite par C. Bennetau de son étude, il n’est guère étonnant que B. Strom déclare, je cite à nouveau : « Le Pr. Bennetau n’a pas compris nos résultats » et ajoute : « Rien ne nous permet de déconseiller l’utilisation de préparations de soja chez les enfants » (interview complète disponible surwww.lanutrition.fr).
Le fait que C. Bennetau se permette, volontairement ou pas, une telle contrevérité ne devrait-il pas vous « inciter à la prudence », non pas tant vis-à-vis du soja, mais plutôt vis-à-vis de ses déclarations ? Ce d’autant plus que pour C. Bennetau « on aurait dû recueillir des données plus précises comme la concentration du liquide séminal en spermatozoïdes ». Or, de telles études ont été menées et concluent à une absence d’effet sur ce marqueur biologique précis (16), ni d’ailleurs sur les taux de testostérone. Toujours à partir d’extrapolations animal/homme, C. Bennetau laisse entendre que le soja peut « induire des perturbations du système reproducteur ». Mais, là encore, ni chez le nourrissons (17), ni chez l’adulte (18), de tels effets ont été observés, et ce pour les deux sexes.
Autre troublante omission relevée : C. Bennetau semble ignorer, ou ne vous relate pas, que lors de la grossesse le foetus synthétise des protéines particulières (alpha-foetoprotéines) destinées à le protéger… des oestrogènes maternels, et qui agissent également sur les isoflavones de sorte que, même si ces dernières présentaient un quelconque danger, elles ne pourraient de toute façon agir sur le foetus. Et comme il fallait s’y attendre, cette récente étude (19) publiée par le National Cancer Institute américain (difficile de passer à coté pourtant, surtout quand comme C. Bennetau on se présente comme une « spécialiste mondiale dephyto-oestrogènes ») qui indique que consommer du soja dans l’enfance réduit de 58% le risque de survenue ultérieure de cancer du sein.
9) Sur la base de vos propres mesures, 200 g de tofu, quantité selon vous à partir de laquelle s’observe « un effet bénéfique léger sur le cholestérol », apportent plus de 115 mg d’isoflavones. Par conséquent, il est impossible d’atteindre l’effet bénéfique sans « exploser » le plafond de votre propre « dose d’isoflavones à ne pas dépasser ». Aussi, comment expliquez-vous que 200 g de tofu produisent en même temps « un effet bénéfique léger sur le cholestérol (sanguin) » tout en favorisant des « effets néfastes pour les vaisseaux sanguins » ?
10) Vous écrivez que les PPS dépassent la dose limite fixée à 1 μg/l pour les substances oestrogéniques. Or, sur la base d’analyses effectuées sur le lait de vache par le Laboratoire d'Etude des Résidus et Contaminants dans les Aliments (Ecole Vétérinaire de Nantes) (publiées dans Food Chemistry, 87, (2004) 275-281), les teneurs en phyto-oestrogènes atteignent jusqu’à 400 μg/l (moyenne 120 μg/l), auxquels il faut encore ajouter les oestrogènes et les différents Polluants Organiques Persistants (dioxines, PCBs, phtalates, etc.) qui se concentrent dans le lait et qui exercent un pouvoir oestrogénique autrement plus puissant que les phyto-oestrogènes. J’attire à nouveau votre attention sur le fait que parmi les phyto-oestrogènes accumulés dans le lait de vache, on trouve une prépondérance d’équol, un phyto-oestrogène environ 10 fois plus oestrogénique que les isoflavones natives : comme vous dites, « les chiffres parlent d’eux-mêmes ». Aussi, allez-vous également saisir la DGCCRF pour interdire les préparations pour nourrissons à base de lait de vache, sachant que ces préparations contiennent plus de 50% de lait, alors que celles à base de soja contiennent seulement 14% de protéines de soja purifiées (isolat) ?...
Tant que vous y êtes, réclamez également l’interdiction des farines infantiles car les céréales peuvent contenir jusqu’à 7640 μg/kg de phyto-oestrogènes (lignanes). Reste que si votre demande aboutissait, elle conduirait mécaniquement à une interdiction des PLV (laits infantiles à base de lait de vache) pour les mêmes raisons, à savoir un « excès » de PO, et comme seules les PLV et les PPS (laits infantiles à base de soja) sont autorisées, avec quoi va-t-on nourrir les enfants qui ne sont pas allaités au sein ? Et encore, dans ce dernier cas, cela sera possible sous réserve que le lait maternel ne contienne pas de PO, auquel cas il faudra interdire aux femmes allaitantes de consommer des fruits et des légumes… et surtout des produits laitiers ! Je suis impatient de connaître la suite que donnera la DGCCRF à votre saisine.
11) Toujours au sujet des hormones et phyto-oestrogènes présents ailleurs que dans le soja, en avril 2000 vous posiez la question de savoir « si les phyto-oestrogènes qu’ils [les animaux d’élevage] ingèrent se retrouvent (…) dans nos aliments ». En ce qui concerne les produitslaitiers, je vous réponds donc sans l’ombre d’un doute que tel est bien le cas. Mais dès lors, quelle(s) conclusion(s) en tirez-vous et quelles actions comptez-vous mener ? Suggérerez-vous d’étiqueter les teneurs en phyto-oestrogènes (PO) dans les produits laitiers comme vous l’exigez pour le soja, et seulement pour le soja ? Au demeurant, cela serait très pertinent car si le PNNS ne recommande pas de consommer du soja, en revanche, il incite fortement à la consommation de produits laitiers à raison d’un minimum de 3 par jour.
Vous écrivez « Evitez aussi de les [steaks de soja] cumuler avec d’autres sources d’isoflavones ». Mais précisément, comment suivre un tel conseil si les consommateurs ne connaissent pas, d’une part les sources alimentaires d’isoflavones et, d’autre part, leur teneur ? Là encore, vous incitez implicitement à une extension de l’étiquetage des PO à l’ensemble des aliments. A ce sujet, je doute fort que l’industrie laitière, entre autres, goûte la plaisanterie, quand on sait qu’elle est récemment parvenue à faire enterrer le projet d’étiquetage des acides gras trans (cf. Revue Laitière Française, juin 2005, p. 6), molécules pourtant unanimement reconnues comme athérogènes et pro-oxydantes. Les acides gras trans, un autre sujet sur lequel « tout le monde s’assoit dessus », les associations de consommateurs comprises, alors qu’ils ne peuvent certainement pas se prévaloir, c’est le moins qu’on puisse dire, d’ « un effet bénéfique sur le cholestérol », fut-il « léger »…
Dans le même ordre d’idée, les programmes de recherche européens Eden et Credo (12 mai 2005, Prague) tirent eux aussi le signal d’alarme au sujet de l’eau du robinet, que je n’ose appeler « potable », en dénonçant je cite « les milliers de substances hormonales » qu’elle contient (pesticides, détergents, médicaments, etc. NB : le soja n’est pas mentionné). Là encore, les deux multinationales qui détiennent le monopole de la distribution de l’eau en France vont sûrement soutenir avec enthousiasme votre saisine auprès de la DGCCRF. Bien que ne disposant pas de chiffres précis, je suis absolument certain qu’en France on consomme autrement plus d’eau que de « lait » de soja. Vous remarquerez à ce sujet que les PPS étant reconstituées avec environ 1 dose de poudre pour 10 doses d’eau, si des effets hormonaux sont un jour constatés chez les nourrissons, il y a de fortes chances qu’ils soient attribuables… à l’eau ! D’ailleurs, dans son rapport (rapport CSHPF, 1996, p. 101), même C. Bennetau indiquait qu’« il me paraît souhaitable de mettre en place des contrôles sur les matières premières susceptibles d’apporter des phyto-oestrogènes » et de citer notamment, outre le soja bien entendu, « les produits carnés et laitiers » : qu’en est-il de cette louable intention dix ans plus tard ? Plus généralement, pourquoi ne vous intéressez-vous pas aux (véritables) composants hormonaux (dont l'oestradiol 17 bêta, le plus puissant oestrogène naturel connu) contenus dans le lait de vache, et pourquoi pas dans l’eau, pourtant infiniment plus consommés que le soja ?
12) Véronique Coxam indique que les isoflavones ne donnent pas de résultats probants dans la prévention de l’ostéoporose. Dont acte. Mais je suis néanmoins très surpris par cette déclaration car la même V. Coxam écrivait récemment (2003) : « Les phyto-oestrogènes méritent une mention spéciale [je cite…] parce que des données émergentes indiquent (…) qu’ils peuvent empêcher la perte osseuse » (20). Au sujet des effets hypocholestérolémiants du soja, elle s’enflamme littéralement en déclarant : « c’est désormais un fait scientifique reconnu ! » (in Consom’Action 2004, N°24, p. 7). Et enfin, V. Coxam rappelle dans le propos liminaire d’une de ses publications que « les phyto-oestrogènes sont des composés naturels avec des effets anticancéreux » (« Phytoestrogens arenatural compounds with anticancer effects ») (21). Quand on sait que les maladies cardio-vasculaires et les cancers constituent en France les deux premières causes de mortalité, pourquoi ces informations ne sont-elles pas portées à la connaissance de vos lecteurs ?...
Vous noterez que ces propriétés anti-cancéreuses du soja, pour prendre cet exemple, ne sont pas attribuables au « lobby du soja » (ni au seul soja, citons des aliments aussi courants que les crucifères, les pommes, les tomates, les fraises, etc.) mais à V. Coxam elle-même pour qui, visiblement, les connaissances sur le sujet ne sont pas « insuffisantes ». Pour votre information, la FDA envisage d’étendre l’allégation portant sur les effets préventifs du soja contre les maladies cardio-vasculaires à la prévention des cancers. Enfin, un peptide extrait du soja (Lunasin™) est en cours d’évaluation pour un traitement extrêmement prometteur des cancers (il présenterait une efficacité équivalente aux chimiothérapies mais sans le moindre effet secondaire) (22).
13) Vous écrivez que « les aliments à base de soja consommés en Asie et en Europe sont différents. Les Asiatiques mangent essentiellement du tofu (jus de soja caillé), du miso ou dunatto, alors que les Européens préfèrent, selon les pays, les produits céréaliers, les substituts de viande ou encore, comme en France, le lait (tonyu) ou les desserts à base de soja ».
a) Les termes « lait de soja » et « tonyu » ou « jus de soja » désignent exactement le même aliment. Donc, opposer la consommation de tofu des Asiatiques et la consommation de « lait » de soja des Français ne semble pas pertinent puisque précisément le tofu n’est autre que du tonyu caillé, de surcroît plus concentré en isoflavones comme l’indiquent… vos propres mesures ! Ce qui ne vous empêche pas par ailleurs d’affirmer « qu’un Français particulièrement friand de produits à base de soja en avale davantage que la moyenne des Asiatiques » (je serais là aussi très curieux de connaître vos sources) ;
b) Les Européens consomment également du miso, du natto et du tofu (vous avez testé du tofu commercialisé en France, j’en déduis qu’il doit y avoir quelques amateurs français pour ce genre de produit) et il suffit de vous rendre dans des magasins bio pour vous rendre compte de la diversité de l’offre pour l’ensemble de ces produits ;
c) Les « substituts de viande » ne sont autres que des steaks de tofu aromatisé et donc ne diffèrent guère fondamentalement du tofu des Asiatiques : prenez donc la peine de lire l’étiquette des produits que vous avez vous-même testés, à savoir les « steaks » de soja Croque Tofu© Curry et Pavot (idem Gerblé©) qui contiennent essentiellement du tofu, comme leur nom le suggère assez fortement me semble-t-il : Ingrédients : tofu frais 65%, etc.
d) Vous ne vous êtes visiblement pas aperçue que sur les huit aliments à base de soja testés par Que Choisir, trois sont fermentés (« yaourt » et « crème fraîche » Sojasun©, « yaourt » Senja©) et ce avec les mêmes ferments que pour le natto et le miso (Lactobacillus sp.), un autre n’est que du tofu (Bjorg©), 2 autres sont à base de tofu (steaks Gerblé© et Soy©), soit 75% de produits directement équivalents à ceux consommés selon vos dires, par les Asiatiques !
e) Si l’on considère les desserts qui ne sont rien d’autre que du « jus de soja », ingrédient servant à fabriquer le tofu des Asiatiques, gélifié avec des extraits d’algues (par ailleurs très consommées par les Asiatiques…), cela porte l’équivalence à 100% ! Comment pouvez-vous donc affirmer que les formes alimentaires de soja consommées par les Asiatiques diffèrent significativement de celles des Occidentaux et modifient de ce fait les effets oestrogéniques ? Je n’ai rien trouvé dans la littérature à ce sujet, si ce n’est des études qui indiquent une meilleure absorption des formes actives des isoflavones (aglycones) (23) accumulées… dans le lait de vache !
14) D’après vos analyses, le tofu, forme de soja consommée préférentiellement par les Asiatiques, apporte 57,6 mg d’isoflavones/100g, tandis que le « lait » de soja (Bjorg©) et les desserts (Bjorg© également), consommés selon vous préférentiellement par les Français, en apportent respectivement 18,88 mg/100g, soit trois fois moins, et 6,96 mg/100g, soit huit fois moins : comment expliquez-vous alors que les Français amateurs de soja « avalent » davantage d’isoflavones que les Asiatiques ? D’ailleurs, vous écrivez que les tofus contiennent de grandes quantités d’isoflavones (« on passe à la vitesse supérieure avec les tofus ») et comme (je vous cite à nouveau) « les Asiatiques mangent essentiellement du tofu », comment expliquez-vous alors « qu’un Français particulièrement friand de produits à base de soja en avale davantage (d’isoflavones) que la moyenne des Asiatiques » ?
J’ajoute que votre assertion selon laquelle un Français amateur de soja « avale » davantage d’isoflavones est fortement contredite par C. Bennetau pour qui, au contraire, les Occidentaux en général « avalent » moins d’isoflavones que les Asiatiques, je cite : « « Le contenu en isoflavones des aliments à base de soja, mais de style occidental, est considérablement plus faible » (Rapport C. Bennetau remis au CSHPF, Les Phyto-oestrogènes, 1996, p. 47).
15) Vous écrivez que « des scientifiques n’excluent pas que le métabolisme des ces populations (asiatiques) se soit, au fil des siècles, adapté à cette situation (consommation d’isoflavones) ». Pouvez-vous me citer au moins deux scientifiques qui adhèrent à cette hypothèse ? Sachez qu’elle est totalement battue en brèche notamment par l’étude « Okinawa » qui attribue essentiellement au soja la longévité et la bonne santé des habitants et exclut le facteur génétique. Je rapporte les propos d’un des auteurs de l’étude (Dr Bradley Willcox) : « Une bonne alimentation et une bonne hygiène de vie peuvent faire d’un individu qui n’a pas forcément les meilleurs gènes un centenaire ».
Par ailleurs, C. Bennetau, à ma connaissance seule tenante de cette hypothèse (« Il se peut fort bien que dans les populations asiatiques se soit produite une sélection », in Que Choisir, avril 2000), a terminé très récemment une étude pour tenter de mettre en évidence le facteur génétique, ce en quoi elle a, sans surprise (24), totalement échoué. Dans votre article d’octobre 2006, vous appelez avec C. Bennetau à ce que « des études plus poussées » soient menées pour évaluer les effets du soja. Or, lorsque ces études sont réalisées, vous ne le prenez pas en compte : dès lors, à quoi bon émettre de telles doléances ?
16) Vous attribuez la plus faible mortalité des femmes asiatiques à une introduction plus récente de la pilule contraceptive en Asie qu’en Occident. Or, précisément, ce type de contraception ne constitue pas un facteur de risque au moins en ce qui concerne le cancer du sein comme l’indique l’étude (Marchbanks et al., NEJM 346:2025-2032, Jun 27, 2002) publiée en 2002 dans le New England Journal of Medicine, la plus importante revue médicale nord-américaine, ce qui rend cette thèse peu crédible. Par ailleurs, cette étude a été également citée dans La Recherche (« La pilule innocentée »). Aussi suis-je très étonné que ni vous, ni C. Bennetau, ni M. Gerber ne l’aient relevée et continuent à propager cette idée fausse. D’autre part, la pilule contraceptive protège contre les cancers ovariens : par conséquent, on devrait observer un taux plus faible chez les Occidentales, ce qui n’est pas le cas. Ceci s’explique surtout par :
- un effet protecteur du soja, consommé par les Asiatiques, contre ce type de cancer (entre autres !) (25) ;
- un possible effet inducteur du galactose contenu dans les produits laitiers, davantage consommés par les Occidentales (26).
La littérature scientifique (limitée ici à quelques études…) réfute sans ambiguïté votre hypothèse : sur quoi vous êtes-vous appuyée ? Enfin, si les « amateurs de soja souvent ont du mal à admettre les effets néfastes du soja », c’est peut-être tout simplement parce qu’ils n’en constatent pas et qui est mieux placé qu’un amateur de soja pour constater ses hypothétiques effets néfastes ? A ce sujet, les fumeurs que je connais n’éprouvent pas, hélas pour eux, de difficulté à mesurer au quotidien les effets néfastes du tabac, et ce bien avant la survenue de l’accident fatal.
D’autre part, on ne peut exclure à la consultation de revues scientifiques et médicales sérieuses l’hypothèse selon laquelle ces « effets néfastes » n’existent peut-être pas ailleurs que dans Que Choisir, car les études scientifiques mettent précisément en évidence un meilleur état de santé général des consommateurs de soja occidentaux (27).
Autre contradiction relevée lorsque vous écrivez que « les nourrisson asiatiques reçoivent des préparations à base de lait de vache », à l’instar donc des nourrissons occidentaux (> 97% selon vos dires). Or, un peu plus loin, on peut lire que « les habitudes alimentaire (entre Occidentaux et Asiatiques) (…) sont très éloignées ». Au demeurant, entre autres études, celle publiée dans l’American Journal of Clinical Nutrition en 1998 (8) réfute totalement l’idée selon laquelle les nourrissons asiatiques sont nourris avec des préparations à base de lait de vache et indique au contraire une large prévalence du soja.
Enfin, vous indiquez pour réfuter les effets protecteurs du soja que « le profil hormonal des femmes (asiatiques et occidentales) n’a rien à voir » en raison d’une utilisation plus ancienne et plus généralisée de la pilule contraceptive chez les Occidentales, à l’inverse des Asiatiques. Mais cette thèse est également réfutée par le fait que les effets protecteurs du soja s’observent de la même façon chez les individus de sexe masculin (28) qui n’utilisent pourtant pas ce type de contraception. Ainsi, le taux de cancers prostatiques est jusqu’à dix fois moins élevé chez les Asiatiques que chez les Occidentaux (29).
17) Vous indiquez que vous allez saisir la DGCCRF au sujet des préparations pour nourrissons à base de soja (PPS). Or, je vous rappelle que la DGCCRF a déjà saisi l’Afssa qui dans son rapport (2005) indiquait que « chez les nourrissons nourris avec des préparations 1 (laits infantiles) pour nourrissons à base de soja (PPS), il n’a pas été observé jusqu’à présent de troubles particuliers. ». J’attire votre attention sur le fait que, comme son nom l’indique, la DGCCRF a vocation à réprimer les fraudes. Or, les PPS sont parfaitement légales et conformes en tous points aux législations française et européenne en vigueur. Je suis d’ailleurs très surpris lorsque M. Gerber déclare dans votre revue (octobre 2006) qu’ « une seule étude, aux Etats-Unis, a tenté de cerner les éventuels effets d’une alimentation au lait de soja dans l’enfance ». Pourtant, en consultant la même base de données que celle utilisée par l’Afssa, on obtient pas moins de 1327 études aux mots clé « soy OR soybean OR isoflavones OR phyto-oestrogens AND infant », parmi lesquelles deux études très représentatives (30 ; 15) qui furent publiées respectivement trois et quatre ans avant le rapport de l’Afssa.
En ce qui me concerne, je ne parviens pas à comprendre comment ces deux études, publiées dans des revues aussi incontournables que le Journal of American Medical Association et le Journal of Nutrition, sans compter le supplément spécialement publié sur le sujet en décembre 1998 par l’American Journal of Clinical Nutrition, véritable institution en la matière, ont pu échapper à la vingtaine de membres de l’Afssa alors qu’elles étaient disponibles depuis plusieurs années dans la banque de données utilisée par l’Afssa. Quoiqu’il en soit, espérez-vous une nouvelle saisine de l’Afssa qui conclurait « bien que depuis 2005, de nouvelles études (30) et quatorze experts américains indépendants réunis par le National Toxicology Program (31) confirment l’innocuité du soja chez les nourrissons, nous allons néanmoins interdire les PPS, et ce à l’encontre des nombreuses données scientifiques disponibles, simplement afin de donner suite à une campagne de presse » ?
18) L’Afssa pourra même ajouter « bien que le lait de vache provoque chez les nourrissons :
- des lésions de l’ADN potentiellement cancérogènes (32 ; 33) ;
- le diabète de type 1 (34) ;
- l’hématémèse (35) ;
- l’asthme (36) ;
- l’obésité (due notamment à la présence de leptine dans le lait de vache (mais pas dans le soja…), une véritable hormone qui n’a pas l’air de beaucoup vous émouvoir, également mise en cause dans la survenue des pubertés précoces : intéressant lorsque l’on sait que vous accusiez précisément le soja de tels effets en avril 2000) (37) ;
- des allergies (premier allergène alimentaire chez les nourrissons) ;
- des intolérances au lactose, et soit très vraisemblablement impliqué dans :
- la mort subite du nourrisson (implication de la bêta-lactoglobuline du lait de vache, une protéine totalement absente du lait humain… et du soja) (38) ;
- la sclérose en plaque (39) ;
- la transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (40) (ce qui au passage pourrait expliquer l’énigme de la contamination des animaux dits « naïfs »…) ;
- les pertes sanguines intestinales (41) ;
- la maladie de Crohn (42) (une « rumeur » colportée par le Lancet…) ;
Bien entendu, vous avez parfaitement le droit de contester la validité de ces travaux, bien qu’issus de la même base de données de l’Afssa. Dans ce cas, je vous invite à adresser directement vos objections aux auteurs et/ou aux revues scientifiques et médicales cités à cet égard, en prenant bien soin de mentionner, comme c’est l’usage, les biais méthodologiques que vous aurez décelés, condition nécessaire pour que vos objections soient prises en compte. Dans le cas contraire, ne pensez-vous pas qu’il y ait là, sur la base de vos propres objections faites au soja, matière à « un droit d’inventaire », voire un « bannissement » du lait de vache ?
19) Vous ironisez sur le slogan publicitaire de Sojasun© « si c’est du soja, vous avez le droit » qui, au demeurant, n’a rien de mensonger, le soja n’étant pas inscrit à ce jour sur la liste des produits stupéfiants. En revanche, l’industrie laitière ne se prive pas de communiquer sur les très hypothétiques effets santé de ses produits : Nestlé vante ses yaourts qui font maigrir alors que de leur côté, les études scientifiques indiquent au contraire un effet obésigène (43), y compris pour les produits laitiers à 0 % de MG. Pourquoi une association de consommateurs comme la vôtre ne dénonce-t-elle pas avec force cette publicité mensongère ?
20) Pourquoi ne faites-vous pas appel lors de vos interviews à des scientifiques ayant étudié le soja chez l’homme et/ou à des toxicologues ? M. Gerber n’a jamais étudié le soja, ni chez l’homme, ni chez l’animal. V. Coxam a étudié essentiellement les effets du soja chez le rat et n’a jamais mis en évidence le moindre effet secondaire. La seule étude conduite chez l’homme indique une variabilité dans la production d’équol chez l’homme : y a-t-il là motif à susciter une inquiétude particulière ? C. Bennetau de son côté a participé (elle ne les a pas conduites) à seulement deux études chez l’homme (avec Danone, citée précédemment, et V. Coxam, soit deux études en tout et pour tout à elles deux réunies, et ce sur l’ensemble de leur carrière !) dont une qui conclut que le soja augmente la population intestinale en bactéries symbiotiques (Lactobacillus sp.) (14), soit effet bénéfique (appelé « prébiotique » et observé avec la plupart des aliments d’origine végétale au demeurant) ! Là encore, j’y vois pour ma part plutôt une incitation à consommer du soja... Vous reconnaissez d’ailleurs vous-même les effets bénéfiques des Lactobacilles. Aussi, sur la base des études menées chez l’homme par les personnes que vous interviewez, considérez-vous qu’il y ait réellement matière à vouer le soja aux gémonies ?
21) Vous écrivez que « plusieurs travaux scientifiques suggèrent que les isoflavones pourraient affecter l’immunité ». Pourtant, après consultation des données disponibles on constate qu’elles indiquent un renforcement du système immunitaire par le soja (44), au même titre que l’ensemble des fruits et légumes (45 ; 46), inutile donc de vitupérer à nouveau contre le supposé « lobby du soja ». Néanmoins, pouvez-vous me communiquer au moins une référence correspondant à « plusieurs travaux » ?
22) Je suis également très surpris de constater qu’à aucun moment, ni en avril 2000, ni en octobre 2006, vous ne rappeliez que le soja compte parmi les rares sources d’acides gras essentiels oméga-3, et pas davantage que :
- le statut en oméga-3 de la population française, et ses conséquences sanitaires, sont des plus préoccupants puisque l’on consomme 0,5 à 0,7 grammes par jour pour 2 à 3 grammes requis ;
- les sources alimentaires d’oméga-3 se comptent littéralement sur les doigts d’une main (huile de colza, soja, noix, mâche,…) ;
- l’importance fondamentale des oméga-3 dans la prévention de la maladie d’Alzheimer, de certains cancers et surtout des maladies cardio-vasculaires, comme l’ont si brillamment démontré Serge Renaud et Michel de Lorgeril, les « inventeurs » du régime crétois.
Dès lors, comment expliquez-vous que le terme « d’oméga-3 » ne soit même pas mentionné une seule fois dans deux articles consacrés au soja compte tenu de l’importance fondamentale de ces acides gras ?
Plus étonnant encore, dans un autre n° de Que Choisir (mars 2002), vous reprochez cette fois-ci au soja de contenir « trop d’acides gras insaturés » (page 31). De toute ma carrière de scientifique, jamais je n’avais entendu une telle objection, surtout pour une source d’oméga 3 ! Par curiosité, demandez à Serge Renaud s’il pense que le soja contient « trop d’insaturés »... Cette objection est d’autant plus singulière que vous vantez dans ce même numéro les mérites de l’huile de colza (ô combien justifiés en l’occurrence...), pourtant infiniment plus riche en AG insaturés que le dessert au soja testé. A ce sujet, j’ai en mémoire la violente campagne de presse menée par vos confrères de 50 Millions de Consommateurs à l’époque qui réclamait, et obtint, la tête de l’huile de colza au prétexte qu’elle était dangereuse pour le coeur et ce sur la base d’expériences réalisées chez le rat chez lequel elle provoque des lésions cardiaques (au même titre que l’huile de maïs, de tournesol, etc. : petit détail « oublié » à l’époque par les détracteurs du colza…) et ce bien qu’aucune étude n’ait démontré à l’époque le moindre danger chez l’homme et, cela va sans dire, également par la suite. Vos confrères ont désormais bonne mine lorsque l’on sait qu’aux Etats-Unis cette huile peut officiellement revendiquer ses effets protecteurs… contre les maladies cardio-vasculaires !
Cette campagne anti-colza aboutit à une surconsommation d’huile de tournesol en France, absolument désastreuse en termes sanitaires (augmentation du risque cardio-vasculaire, Alzheimer, cancer, etc.). Reste que cette lamentable affaire n’empêche pas votre confrère de vous emboîter le pas et de réclamer désormais, toujours aussi péremptoire, la tête du soja... Dans ce même n° de mars 2002, je constate que les produits laitiers échappent miraculeusement à une évaluation de leurs teneurs en Acides Gras trans au prétexte, pour le moins inattendu, que vous ignorez si les acides gras trans naturels ont des effets similaires aux AG trans industriels, il fallait y penser ! A ce sujet, questionnez n’importe quel lipochimiste, il vous confirmera que l’acide élaïdique (AG trans du lait… ou des huiles hydrogénées) est tout aussi athérogène que ses homologues industriels.
23) Outre le lait de vache, la viande et l’eau déjà cités, les cosmétiques pour bébés (à l’exception des cosmétiques bio) constituent également une fenêtre d’exposition aux oestrogènes de synthèse (parabènes, cyclosiloxanes, etc.) (47) dont l’implication dans la survenue de cancers hormono-dépendants fait l’objet de fortes suspicions (48) et qui, en tout état de cause, sont autrement plus puissants que les isoflavones.
A ce sujet, il n’est jamais rappelé dans vos articles que lors d’exposition à des oestrogènes forts, les PO peuvent atténuer leurs effets (effet anti-oestrogénique), ce qui explique notamment leurs effets anticancérogènes. Sachant que par ailleurs la diffusion de ces oestrogènes de synthèse par contact dermique est plus importante que par voie digestive, que cette exposition concerne la quasitotalité des nourrissons (à l’exception des rares bébés qui bénéficient des soins corporels bio), pourquoi ces risques, pourtant dûment documentés, ne sont-ils jamais mentionnés dans vos articles ? De son côté, l’ONG Greenpeace par exemple y consacre un guide complet (guide Cosmetox) : pourquoi une telle différence d’appréciation ?
24) En avril 2000, vous écriviez : « les nourrissons ne devraient pas être nourris au lait de soja ». En octobre 2006, le conditionnel disparaît et la sentence tombe sans appel : « pas de soja chez les nourrissons ». On peut donc logiquement supposer qu’entre-temps des études mettant en évidence la dangerosité du soja sont apparues, contredisant au passage celles déjà disponibles en avril 2000. Or, en fait, les plus grandes revues scientifiques, dont des revues aussi prestigieuses que le Journal of Nutrition (49) et le Journal of American Medical Association (15), ont publié de nouvelles études confirmant la totale innocuité du soja chez les nourrissons, y compris à long terme, ce qu’admettait d’ailleurs clairement l’Afssa en 2005 (« chez les nourrissons nourris avec des préparations (laits infantiles) pour nourrissons à base de soja (PPS), il n’a pas été observé jusqu’à présent de troubles particuliers. »).
De plus, je crois pouvoir avancer que si la moindre étude avait suggéré un quelconque effet délétère chez l’homme, vous n’auriez pas manqué de la mentionner dans votre article. Aussi, comment expliquez-vous que la production de nouvelles études concordantes quant à l’innocuité des PPS chez les nourrissons vous conduise paradoxalement à surenchérir dans vos mises en garde contre le soja ?
Par ailleurs, vous critiquez vivement le commerce équitable (« Max Havelaar® : une marque qui veut se faire label », Que Choisir n° 436, avril 2006.), mais ne trouvez rien à redire au fait que Nestlé ait recours à l’esclavage des enfants dans ses plantations de cacao en Côte d’Ivoire (sources : ONG Global Exchange et Esclavage Encore, « Le goût amer du chocolat ») : le commerce équitable, même critiquable, n’est-il pas à tout prendre préférable à l’esclavage ? Et une nouvelle fois, pourquoi une telle indulgence vis-à-vis de Nestlé ?
Beaucoup moins indulgente que vous, la fondation britannique Breakthrough Breast Cancer qui finance des travaux de recherches sur le cancer a refusé une subvention de Nestlé au motif que « Nestlé met en danger la vie des mères et des enfants en bas âge en encourageant la vente de lait pour bébé en poudre dans les pays en voie de développement » (50). De plus, vos articles figurent en bonne place sur le site Internet (51) des fabricants de pesticides et d’OGM (UIPP) qui se délecte de vos diatribes contre l’agriculture biologique dont le marché et les produits sont selon vous respectivement « gangrené par la fraude » et « parfaitement déséquilibrés tout en arborant le logo AB » : je n’ose vous demander ce que vous pensez du soja bio issu du commerce équitable (52).
25) Pour conclure, j’éprouve la plus grande perplexité en constatant qu’un des membres de l’UFC, Robert Bréont, participe ès qualités, aux côtés de Silvy Auboiron (Danone), Léon Guéguen (INRA, Jouy-en-Josas) et membre du comité scientifique (sic) de Candia, Olivier Picot (Maison du lait), à une conférence destinée à promouvoir les produits laitiers (8 et 9 juin 2006, Les 8èmes entretiens de nutrition, Débat : « Les produits laitiers au coeur d’une polémique ? ») organisée par l’IFN, fondation financée par l’industrie laitière (Danone, Nestlé, fromageries Bel, Unilever, Kraft, Centre interprofessionnel de documentation et d'information laitières). L’UFC est-elle bien dans son rôle en participant à de telles opérations promotionnelles ?
Restant à votre disposition pour toutes informations complémentaires et dans l’attente de vous lire, veuillez agréer, Madame, mes salutations distinguées.
Hervé Berbille
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Références :
(1) Cramer DW et al. Galactose consumption and metabolism in relation to the risk of ovarian cancer. Lancet. 1989 Jul 8;2(8654):66-71.
(2) Larsson SC et al. Milk and lactose intakes and ovarian cancer risk in the Swedish Mammography Cohort. American Journal of Clinical Nutrition. 2004 Nov ; 80(5):1353-7.)
(3) Kesse E, Bertrais S, Astorg P, Jaouen A, Arnault N, Galan P, Hercberg S. Dairy products, calcium and phosphorus intake, and the risk of prostate cancer: results of the French prospective SU.VI.MAX (Supplementation en Vitamines et Mineraux Antioxydants) study. Br J Nutr. 2006 Mar;95(3):539-45.
(4) Sonoda T et al. A case-control study of diet and prostate cancer in Japan: possible protective effect of traditional Japanese diet. Cancer Sci. 2004 Mar;95(3):238-42.)
(5) Park M et al. Consumption of milk and calcium in midlife and the future risk of Parkinson disease. Neurology. 2005 Mar 22;64(6):1047-51.
(6) Chade AR et al. Nongenetic causes of Parkinson's disease. J Neural Transm Suppl. 2006;(70):147-51.
(7) Cerundolo R et al. Identification and concentration of soy phytoestrogens in commercial dog foods. Am J Vet Res. 2004 May;65(5):592-6.).
(8) Quak SH, Tan SP. Use of soy-protein formulas and soyfood for feeding infants and children in Asia. Am J Clin Nutr. 1998 Dec;68(6 Suppl):1444S-1446S.
(9) Messina M. Modern applications for an ancient bean: soybeans and the prevention and treatment of chronic disease. J Nutr. 1995 Mar;125(3 Suppl):567S-569S.
(10) Probst-Hensch et al. (2003). Determinants of Circulating Insulin-like Growth Factor I and Insulin-like Growth Factor Binding Protein 3 Concentrations in a Cohort of Singapore Men and Women. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 12: 739-746.
(11) Setchell KD et al. Exposure of infants to phyto-oestrogens from soy-based infant formula. Lancet. 1997 Jul 5;350(9070):23-7.
(12) Huggett AC et al. Phyto-oestrogens in soy-based infant formula. Lancet. 1997 Sep 13;350(9080):815-6
(13) Slavin JL. Phytoestrogens in breast milk--another advantage of breast-feeding? Clin Chem. 1996 Jun;42(6 Pt 1):841-2.
(14) Isoflavones and Functional Foods Alter the Dominant Intestinal Microbiota in Postmenopausal Women. Thomas Clavel*,, Matteo Fallani*, Patricia Lepage*, Florence Levenez*, Jacinthe Mathey**, Violaine Rochet*, Michèle Sérézat*, Malène Sutren*, Gemma Henderson, Catherine Bennetau-Pelissero, Françoise Tondu, Michael Blaut, Joël Doré*,2 and Véronique Coxam** * Institut National de la Recherche Agronomique, Unité d’Ecologie et de Physiologie du Système Digestif, Jouyen- Josas, France; German Institute of Human Nutrition Potsdam-Rehbruecke, Department of Gastrointestinal Microbiology, Nuthetal, Germany; ** Groupe Ostéoporose, U3M, INRA Theix, Saint Genès-Champanelle,
France; Unité Micronutriments, Reproduction, Santé, ENITA de Bordeaux, Gradignan, France; and Danone Vitapole, Nutrition and Health Research, Palaiseau, France(15) Strom BL et al. Exposure to soy-based formula in infancy and endocrinological and reproductive outcomes in young adulthood. JAMA. 2001 Aug 15;286(7):807-14.
(16) Mitchell JH et al, Effect of a phytoestrogen food supplement on reproductive health in normal males, Clin Sc 2001;100:613-618.
(17) Australia New Zealand Food Authority, Phytoestrogens - an assessment of the potential risks to infants associated with exposure to soy-based infant formula, March 1999.
(18) Kurzer MS, Hormonal effects of soy in premenopausal women and men, J Nutr 2002;132:570S-573S.
(19) Larissa Korde, National Cancer Institute, Frontiers in Cancer Prevention Research.
(20) Coxam V. Prevention of osteopaenia by phyto-oestrogens: animal studies. Br J Nutr. 2003 Jun;89 Suppl 1:S75-85.
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Martin Amis : le dernier des Mohicans
C’est l’écrivain britannique le plus haï. Alors qu’il publie en France un étincelant roman, Chien jaune, et un recueil d’essais où il règle des comptes, Guerre au cliché, Martin Amis est accusé, en Grande-Bretagne, d’être hostile à l’islam. Dans l’entretien exclusif qu’il a accordé à Didier Jacob, il se justifie.
De notre envoyé spécial à Londres
L’intelligence, une invention anglaise ? A lire Martin Amis, ce n’est même plus une question ; c’est l’évidence même. Faites une descente chez le premier libraire, ouvrez l’un des deux livres qu’il publie ces jours-ci. Il y a d’abord l’essai au titre sollersien, Guerre au cliché, qui réunit quelques-uns des articles les plus dévastateurs qu’Amis ait publiés dans la presse britannique. Dans le sulfurique, c’est même ce qu’on fait de mieux.
Amis, qui voue un culte à Saul Bellow et à James Joyce, tient par exemple que Don Quichotte « souffre d’un assez gros défaut : celui d’une illisibilité totale ». Et, pour en finir avec le supposé chef-d’œuvre de Cervantès, il ajoute : « Le géant a un gigantesque problème de poids ; et il est vieux ; et il est gâteux. » Amis ne règle pas ses comptes : il règle son compte au genre humain. John Updike ? « Un nageur olympique dans une baignoire. » Philip Roth ? « Malgré la bêtise croissante des romans de Philip Roth depuis Portnoy et son complexe (1969), la qualité de son écriture n’a cessé de s’améliorer. » Norman Mailer ? « Mailer pense avec les pieds sur terre et écrit tout ce qui lui passe par la tête. Sa prose est émaillée de changements de vitesse, de changements de décor, de cris de ralliement venus du parterre autour du ring : non, oui, OK, frappe comme ça, méfie-toi par là, regarde plus loin, bien, mal, améliore l’expression. »
On laisse au lecteur le soin d’imaginer ce qu’Amis met à Sagan, Crichton, Warhol ou encore Thatcher (« Femmes ! mais est-ce qu’elle en est vraiment une ? »). Une chose est sûre : ils dérouillent.
Un seul individu, à notre connaissance, est cependant capable d’égaler Amis essayiste : c’est Amis romancier. Dans Chien jaune, il décrit une Angleterre au quarante-huitième dessous : un journaliste tocard, Clint Smoker, amant merdique qui habite dans une demi-maison « saturée de pornographie », travaille dans un tabloïd bas de gamme, et cherche à piéger un sportif au bout du rouleau et à le photographier tandis qu’il couche avec une sous-call-girl et cogne sur une ex-petite amie. Ancien acteur, fils de gangster dont il a hérité de la sauvagerie, Xan Meo, lui, reçoit un jour un coup de matraque sur la tête, et il ne s’en remet pas : il devient fou de sexe, veut coucher avec sa femme et avec toutes les autres femmes. Pendant ce temps,on fait chanter Henry England, le roi d’Angleterre : sa fille, la princesse Victoria, a été filmée nue dans sa baignoire et la vidéo commence à circuler sur internet. England n’est pas en reste : il couche avec la fille de l’ambassadeur de Chine, une arrière-petite-fille de concubine impériale.
Chien jaune ? C’est la société britannique mise à nue par ses vicelards, même.L’auteur le plus haï du Royaume-Uni s’était exilé, pendant quelques années, en Amérique du Sud. Il vient de se réinstaller à Londres, au premier étage d’une jolie maison, près de Notting Hill. Intérieur paisible. Œuvres d’art, livres. On attendait un bulldog ; c’est un homme doux, affable, mais qui a toujours le doigt sur la formule. Il vient de publier, dans la presse anglaise, un article sur « l’horreurisme ». Et a été accusé en retour, dans le New Statesman, de considérer l’islam comme un danger pour la civilisation occidentale. Explications (lire l’intégralité de l’entretien dans le blog de Didier Jacob cette semaine).
Le Nouvel Observateur. – Comment votre roman, Chien jaune, a-t-il été accueilli en Grande-Bretagne ?
Martin Amis. – D’une façon très hostile. Je n’ai pas souvenir qu’un livre, dans l’histoire littéraire récente, ait suscité des réactions aussi violentes. Et je ne parle pas seulement de la presse, mais de n’importe quelle personne armée d’un stylo. Ils faisaient tous la queue pour me démolir.
N. O. – Vous ne viviez plus en Grande-Bretagne alors ?
M. Amis. – Je viens de m’y installer de nouveau. J’ai trouvé le pays encore plus mal en point aujourd’hui. On n’y comprend plus la plaisanterie. Pourquoi cette déchéance ? Je me demande si les Anglais n’aiment pas au fond se rabaisser. Il y a une raison historique à cela. Nous avons perdu notre influence, après la Seconde Guerre mondiale, mais nous ne nous sommes jamais considérés comme une nation humiliée. Du coup, ces blessures demeurent, dans l’inconscient de la nation. L’ascension et la chute des peuples provoquent de grands traumatismes.
N. O. – La France aussi n’a-t-elle pas été humiliée ?
M. Amis. – Ça a été même pire. Les Français ont eu à récrire la réalité de la collaboration et à en faire une histoire de la Résistance. Il n’est pas très facile de se débrouiller avec Pétain, Vichy, la déportation de 70 000 juifs… La France doit donc se relever de plus d’humiliation encore.
N. O. – Vous n’avez jamais entretenu de très bonnes relations, ni avec la presse ni avec vos compatriotes.
M. Amis. – C’est vrai. Cela vient peut-être de mon père [l’écrivain Kingsley Amis]. Je suis une sorte de prince Charles ! Mais j’ai publié, dernièrement, un livre qui a été mieux accueilli. Je peux donc dire que la Grande-Bretagne m’aime à nouveau. La vérité, c’est que je ne suis pas en phase avec l’idéologie dominante, qui se nourrit de mots en isme : le « démocratisme », l’égalitarisme, le politiquement correct, une notion d’ailleurs française, à l’origine. Merci beaucoup à la France pour cette heureuse contribution ! Rien ne peut s’opposer, en tout cas, à ce rouleau compresseur idéologique. La démocratie universellement célébrée, comme un ragoût éternellement cuit et recuit. La seule chose qui pourrait nous sauver serait un crash financier. Car ce démocratisme est une idéologie de riches, une idéologie des bons moments. Jamais ce type de discours n’aurait pu se développer pendant la Grande Dépression. On se berce d’illusions. On vit dans un monde de faux-semblants.
N. O. – On vient de vous accuser, dans un journal britannique, de détester l’islam. Qu’en est-il exactement ?
M. Amis. – Une chose est sûre, c’est que les gens, ici, font des courbettes au Pakistan et à l’islam de manière éhontée. Nous en avons tellement peur. L’été dernier, des gens dans la rue, issus des classes moyennes blanches, défilaient avec des banderoles où on pouvait lire : « Nous sommes tous du Hezbollah. » C’était leur réaction à la guerre au Liban, une réaction qui tournait notoirement à l’antisémitisme. Eh bien qu’ils en profitent tant qu’ils le peuvent, parce que le leader du Hezbollah a dit clairement ce qu’il comptait faire de nous. Nous éliminer. Tout comme les djihadistes. Pour ajouter à tous ses charmes, l’islamisme est également impérialiste. Il veut dominer le monde. Mais il y a encore des gens qui ont si peur d’offenser, et qui sont si naïfs, qu’ils s’interrogent sur les raisons de cet impérialisme. La réponse est simple, mais peu de gens ici sont encore parvenus à cette conclusion. C’est que nous avons affaire ici à quelque chose qui n’obéit pas à la raison. Il ne s’agit même pas de se venger d’un crime passé. L’islamisme est millénariste, apocalyptique, totalitaire. Et ça, les gens ne s’y font pas. Ils sont si habitués à penser qu’ils ont tort, parce qu’ils sont blancs, ou britanniques. Et ils ont peur.
N. O. – Mais que reprochez-vous à l’islam ?
M. Amis. – Ce qui est magnifique avec l’islam, c’est sa sévérité. Les autres religions se contentent de demander à leurs fidèles d’aller prier une ou deux fois par semaine. Et c’est bon. L’islam, c’est autre chose. L’islam vous suit partout, au salon, à la cuisine, dans la chambre à coucher. Vous n’êtes jamais seul avec l’islam. Vous devez tourner le dos à La Mecque quand vous déféquez. C’est une religion très peu souriante.
N. O. – Votre roman, Chien jaune, montre une Grande-Bretagne saturée de pornographie.
M. Amis. – Le sujet du livre, c’est « l’obscénification » de la vie ordinaire. La pornographie est maintenant à la surface. Les esprits sont devenus tellement plus sales que par le passé. Et pourtant je pense que l’ère de la pornographie n’a même pas commencé. Il n’est pas absurde de dire que l’éducation sexuelle de nos enfants est maintenant prise en charge par la San Fernando Valley [où l’industrie pornographique prospère aux Etats-Unis].
N. O. – Vous vous sentez meilleur écrivain aujourd’hui qu’à vos débuts ?
M. Amis. – Sans doute. Je perds moins de temps. Autrefois, je pouvais passer des heures à me heurter à un mur sans pouvoir trouver de solution. A présent, je m’assois dans un fauteuil, et je lis un livre. Quand au bout de quelques heures, ou de quelques jours, mes pieds m’emmènent d’eux-mêmes à mon bureau, c’est que je suis enfin prêt. Les écrivains expérimentés savent comment utiliser leur énergie sans la dilapider bêtement.
N. O. – Vous travaillez à un nouveau roman ?
M. Amis. – J’écris un roman très autobiographique, un peu à la manière de Saul Bellow. Nous étions très amis. Bellow a porté le genre à un degré que nul n’avait encore réussi à atteindre. C’est la première fois qu’on touchait à ce point à l’universel en portraiturant des personnes individuelles. J’écris donc un roman sur un écrivain qui écrivait des romans. Ça montre que l’école postmoderne n’est pas complètement morte.
N. O. – Il me semble que le postmoderne n’est pas très apprécié en Grande-Bretagne…
M. Amis. – C’est vrai. Il y a donc des chances que je sois de nouveau détesté ici…
Chien jaune, par Martin Amis, traduit de l’anglais par Bernard Hoepffner, Gallimard, 504 p., 22,50 euros. Egalement chez le même éditeur, Guerre au cliché, traduit de l’anglais par Frédéric Maurin, 510 p., 27,50 euros. Né le 25 août 1949 à Cardiff, Martin Amis a été rédacteur en chef de l’hebdomadaire New Statesman. Il a publié une quinzaine de livres dont London Fields, L’Information, Expérience. Il écrit régulièrement des articles dans la presse britannique.
Didier Jacob
Le Nouvel Observateur - 2200 - 04/01/2007