Mathieu Perreault
La Presse
N'entre pas qui veut dans un laboratoire de primates.
Gants, masque, lunettes et blouse blanche ne suffisent pas. Il faut d'abord subir un examen médical pour vérifier qu'on est en bonne santé, à la fois pour sa propre sécurité et pour protéger les animaux des pathogènes humains. Vérifier que son carnet de vaccination est à jour.
Et suivre une petite formation.
Même si La Presse était disposée à respecter toutes ces exigences, aucune des quatre universités québécoises qui utilisent des singes pour leurs recherches n'a accepté qu'un photographe se rende sur les lieux.
Les universités de Montréal, McGill et Laval et le Centre Armand-Frappier de l'INRS ont invoqué des motifs allant de la nécessité de protéger les primates du stress causé par la venue d'une nouvelle personne à la « sécurité » des lieux, en référence à la crainte de devenir la cible des militants des droits des animaux.
« Si on vous permet de venir, on ne pourra pas refuser les autres demandes », a expliqué la vétérinaire Lucie Côté, responsable du laboratoire de primates de l'INRS. Santé Canada, qui a une colonie à Ottawa, a aussi refusé que La Presse y envoie un photographe.
Cache-t-on des mauvais traitements ?
« Je ne peux l'affirmer », a répondu Kathleen Conlee, spécialiste de la recherche animale à la Humane Society des États-Unis, qui estime qu'on devrait mettre un terme à la recherche sur les primates. « Mais ces laboratoires devraient savoir que leurs refus de permettre les visites incitent le public à se demander pourquoi. »
Chose certaine, les laboratoires de primates sont étroitement surveillés. Les inspections du Conseil canadien de protection des animaux ont lieu au moins tous les trois ans, selon Claude Charbonneau, du Conseil. « Chez nous, ils viennent à deux équipes de quatre personnes et restent deux semaines », a souligné le Dr Jim Gourdon, responsable du Bureau de déontologie animale à McGill.
De plus, le Comité de protection des animaux (CPA) de chaque établissement fait une inspection au moins chaque année. Il vérifie s'il y a une façon de se passer des primates ou carrément des animaux, si on a raffiné les techniques pour diminuer le stress des animaux et si on a réduit le nombre d'animaux au minimum. Les exigences sont particulièrement élevées, selon la Dre Lucie Côté.
Selon le Dr Gourdon, les projets refusés par un conseil de protection des animaux sont très rares, parce que les chercheurs connaissent bien les exigences. Par contre, moins de 10% des projets sont acceptés sans modifications : la plupart du temps, le conseil exige que le chercheur justifie mieux qu'il utilise vraiment le nombre minimal d'animaux.
Autre limite à la recherche sur les primates: leur coût, jusqu'à 5000$ par animal, selon la vétérinaire Brigitte Dubé, responsable du laboratoire de primates à l'Université Laval. « Si une étude peut être faite avec un autre animal, c'est certain que le chercheur ne va pas demander un primate », a-t-elle dit.
Les craintes relatives à la sécurité ne sont pas futiles, non plus. « Nous n'avons pas eu de vandalisme ou de menaces, mais il y a eu des cas dans des entreprises privées montréalaises », a précisé le Dr Gourdon, citant l'entreprise d'essais cliniques Lomir, dans l'Ouest-de-l'Île.
Un responsable de Lomir a confirmé à La Presse, lors d'une conversation téléphonique, qu'il y avait effectivement eu du vandalisme de la part de groupes animalistes l'an dernier. Cette personne n'a pas voulu donner son nom.
« Pourquoi mettre l'accent sur les primates alors que c'est une si petite proportion des animaux de laboratoire, moins de 0,5%, a déploré le Dr Gourdon. En tant que vétérinaire, j'ai un respect pour toute vie animale, autant pour les souris que pour les primates. »
[Que surtout le Dr Gourdon dorme sur ses deux oreilles : les authentiques défenseurs des droits des animaux se préoccupent de TOUS les animaux.]
La recherche soulève des objections
Voici les arguments de la Humane Society of America contre la recherche qui fait appel à des primates non humains.
- Personne n'a réévalué l'utilité de ces recherches, malgré le fait que chacune des 85 études faites sur des singes pour tester un vaccin contre le sida a échoué. D'autre part, des critiques ont été publiées sur la validité du chimpanzé comme modèle pour le sida, parce que la maladie qui le frappe n'est pas exactement la même.
- Les primates coûtent cher, jusqu'à un milliard par année.
- Le public s'inquiète de voir que des animaux auxquels il accorde un statut spécial sont utilisés dans des laboratoires.
- Ils sont très intelligents et sociables et peuvent souffrir psychologiquement.
Des recherches tous azimuts
- À l'Université McGill, des neurologues étudient les zones du cerveau impliquées dans la mémoire, la vision et la coordination psychomotrice en surveillant quelles zones du cerveau de primates sont activées quand ils accomplissent certaines tâches sur un ordinateur.
D'autres chercheurs s'intéressent à l'origine de la capacité humaine du langage. Comme il faut beaucoup de temps pour « former » les cobayes, leur taux de renouvellement est particulièrement bas.
- Au Centre Armand-Frappier de l'INRS, une chercheuse s'affaire à mettre au point un vaccin antigrippal qui serait efficace contre toutes les souches. Actuellement, il faut mettre au point un nouveau vaccin chaque année, parce que les souches évoluent ;
parfois, le vaccin ne donne pas les résultats escomptés parce que les souches ont évolué entre l'Asie et le Canada. Après des essais sur le furet, la chercheuse testera son vaccin sur des macaques. Si les résultats en cours sont positifs, le vaccin pourra être testé sur des humains.
- À l'Université Laval, le neurologue André Parent analyse les zones du cerveau affectées par des maladies neurodégénératives comme le parkinson, grâce à l'autopsie de primates. Il compare leur cerveau à celui d'humains qui sont morts et étaient atteints de ces maladies.
Les primates sont très peu utilisés pour des tests sur des médicaments, selon John Miller, président de l'Association internationale pour l'évaluation et l'accréditation des soins aux animaux de laboratoire. Les principales exceptions concernent certains vaccins, notamment contre le sida.
- À l'Université de Montréal, des chercheurs étudient à l'aide de primates les processus neurochimiques liés à la dyskinésie tardive qui consiste en des mouvements involontaires anormaux, souvent buccaux. Ce trouble est associé à la prise à long terme de médicaments antipsychotiques, et contre la schizophrénie.
Des chiffres assez stables
Nombre de primates non-humains utilisés en science au Canada
1975 : 4728 – 1985 : 3085 – 1995 : 1379 – 2005 : 3713
Nombre total d'animaux utilisés en science au Canada
1975 : 2,6 millions – 1985 : 2,1 millions – 1995 : 2,0 millions – 2005 : 2,5 millions
Proportion des animaux de laboratoire qui servent à des tests de nouveaux médicaments (en 2006) : 9,4%
Source : CCPA.
La recherche sur les primates non-humains au Québec :
- Université McGill: une cinquantaine de macaques.
- Université de Montréal: une douzaine de macaques et huit capucins.
- Université Laval: une soixantaine de macaques.
- Institut national de la recherche scientifique, Centre Armand-Frappier (à Laval): une vingtaine de macaques.
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