Interview - Février 2007
EVANA : Vous venez de publier un nouveau livre sous le titre "Der Verrat des Menschen an den Tieren" (La Trahison des humains vis-à-vis des animaux) . En quoi ce livre se distingue-t-il de votre best-seller "Leichenschmaus – Ethische Gründe für eine vegetarische Ernährung" (La Mort à table : fondements moraux pour une alimentation végétarienne) ?
HFK : La Mort à table contient l’éventail quasi complet des méfaits que nous commettons envers les animaux. Dans mon dernier livre, j’ai voulu dégager un aspect particulier n’ayant pas encore retenu suffisamment l’attention d’après moi, à savoir qu’il s’agit là d’une trahison ; nous devons beaucoup aux animaux, pensez aux chiens guides d’aveugles, aux chiens qui nous aident à retrouver les gens ensevelis et aux animaux domestiques. Nous devrions leur en être reconnaissants. Au lieu de quoi, nous les traitons individuellement et collectivement de la manière la plus abjecte qui soit.
EVANA : Quel était le but recherché en écrivant ce livre ?
HFK : En plus de ce que j’ai déjà dit, j’ai voulu décrire le régime de terreur que nous faisons subir aux animaux. J’ai voulu montrer aussi que notre comportement vis-à-vis d’eux est en contradiction totale avec toutes nos convictions morales. Enfin, j’ai cherché à montrer comment on peut mettre un terme à cette situation effroyable.
EVANA : En ce moment, on parle beaucoup du philosophe des droits de l’animal Peter Singer. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
HFK: Les déclarations de Singer en faveur de l’expérimentation animale et le fait qu’il ait ensuite relativisé ces propos et qu’il se soit rétracté ont mis en lumière la contradiction fondamentale qui existe dans son éthique, à savoir la contradiction entre utilitarisme et principe d’égalité. Je pense que la mise en lumière de cette contradiction est une bonne chose.
EVANA : Quelle est la portée de ce « scandale » pour le rôle à venir de Singer dans le mouvement pour les droits de l’animal ?
HFK : Plus important que toutes les discussions théoriques et déclarations individuelles, il y a le fait que Singer a mieux que personne introduit la pensée rationnelle dans le domaine de la pensée éthique envers les animaux. Quand on pense à l’irrationalité scandaleuse qui caractérise traditionnellement cette pensée, il est presque impossible d’apprécier le mérite de Singer à sa juste valeur.
EVANA: Avez-vous le sens de l’humour ?
HFK : Drôle de question, pourquoi n’aurais-je pas le sens de l’humour ?
EVANA: Parce que l’on entend bien souvent, même de personnes qui vous sont acquises, que M. Kaplan est sombre et négatif.
HFK : Il faut distinguer deux choses. Tout d’abord, le sujet de mes écrits : on ne peut sérieusement reprocher à quelqu’un de ne pas avoir d’humour quand il cherche à décrire fidèlement le massacre permanent que subissent les animaux dans les abattoirs et les laboratoires. Ce que les animaux endurent n’a rien de drôle ni de joyeux. Ira-t-on reprocher à quelqu’un de ne pas décrire avec humour l’horreur des camps de concentration nazis ou bien les actes de torture commis dans les prisons de la CIA ?
EVANA : Il n’y a donc aucune issue au désespoir ?
HFK : Si ! En lisant mes textes, vous verrez que je ne cherche jamais à enjoliver le destin épouvantable des animaux. Mais, dans le même temps, je cherche à montrer concrètement aux humains comment ils peuvent contribuer à changer les choses.
Par ailleurs, je me réfère sans cesse au parallèle porteur d’espoir qui existe entre le mouvement pour les droits de l’homme et le mouvement pour les droits de l’animal. Autrefois, l’esclavage avait pignon sur rue, maintenant il est voué aux gémonies.
Jadis, les droits de l’animal ne dépassaient pas le cadre de cercles minoritaires. Ils sont désormais universels, du moins dans leur revendication.
EVANA : Vous disiez tout à l’heure qu’il faut distinguer deux choses.
HFK : La première est la description réaliste et idoine de ce que nous faisons subir aux animaux. La seconde concerne ma philosophie personnelle de la vie.
EVANA : Et là vous êtes quelqu’un de drôle ?
HFK (riant) : D’une certaine manière, oui. Dès lors qu’il n’est pas question de catastrophes, de camps de la mort ou encore d’actes de torture, j’ai sans cesse l’occasion de constater que j’ai bien plus d’humour que la plupart de mes semblables.
EVANA : Comment est-ce que cet humour s’exprime ?
HFK : Dans ma famille, il y a une expression qui m’est consacrée : « Et ça te fait rire ! » Quand les autres sont accablés par leurs soucis ou qu’ils sombrent dans la déprime, je me mets à rire et j’essaie de voir ce qu’il y a de drôle dans la situation.
EVANA : Comment expliquez-vous ce flegme ?
HFK : Depuis des décennies, je lutte quotidiennement contre le sort effroyable que nous réservons aux animaux ; cela contribue beaucoup à relativiser ce qui préoccupe communément les êtres humains.
EVANA : La souffrance aiderait-elle à vivre ?
HFK : En un sens, oui. Par rapport aux souffrances des animaux, nos soucis et nos préoccupations sont généralement dérisoires.
EVANA : D’où vient votre intérêt pour les animaux ? Y a-t-il eu un événement décisif dans votre vie ?
HFK : Les animaux ne m’intéressent pas en tant que tels. Je ne suis ni un ami des chevaux ni un inconditionnel des chats – encore que pour ces derniers… Ce qui me mobilise, c’est l’incroyable injustice qui caractérise notre comportement envers les animaux et les souffrances indicibles qui en découlent.
Je ne me souviens pas d’un événement–clef. Je dirais plutôt que c’est le spectacle répété de cadavres d’animaux dans les magasins qui m’a sensibilisé à ce scandale.
EVANA : Quels projets avez-vous maintenant ?
HFK : Tout d’abord, un livre va paraître, qui de prime abord n’a rien à voir avec les animaux : La Joie, étincelle divine – le bonheur entre souffrance et mort. Bien sûr, quand on y regarde de près, la souffrance et la douleur ont hélas un rapport avec les animaux. Après cela, je ferai paraître un recueil d’aphorismes.
EVANA : Quel est votre prochain projet en relation avec les droits de l’animal ?
HFK : Je poursuis actuellement mon projet d’une éthique extrêmement simple. Le mot-clef en sera « précepte éthique universel ». Cela sera construit sur des bases biologiques, psychologiques et naturellement éthiques.
EVANA : Une nouvelle année a commencé ; comment voyez-vous l’avenir du mouvement pour les droits de l’animal ?
HFK : C’est une question difficile ; on note des tendances contradictoires. Par exemple, il y a lieu de se réjouir que la FAO ait fini par reconnaître que la production de viande est une folie. À l’inverse, il me semble que la publicité pour la viande est plus envahissante et plus éhontée que jamais.
EVANA : Quel bilan tirez-vous de cela ?
HFK : En fait, je suis optimiste. Je vais vous raconter une petite anecdote : il y a quelques décennies, je passais pour un fanatique pathologique de la sécurité. En effet, j’avais installé des ceintures de sécurité et des appuis-tête dans ma voiture, des détecteurs de fumée dans ma maison, et par ailleurs je portais des vêtements clairs pour que les automobilistes me voient mieux dans l’obscurité.
Aujourd’hui, tout cela est généralement admis ou même imposé par la loi. Il y a donc une évolution collective vers plus de raison, même si aucun homme sensé n’ira prétendre que ses semblables sont devenus plus raisonnables.
EVANA : Quel est le rapport avec les animaux ?
HFK : Une évolution analogue est en cours sur le plan moral. Certes, je n’ai pas l’impression que mes semblables soient devenus plus moraux ces derniers temps. Il n’en demeure pas moins que les revendications politiques et de société le sont devenues.
Pensez par exemple à notre comportement vis-à-vis des personnes âgées, des handicapés, des droits de l’enfant, des droits de la femme ou bien à l’abolition de la peine de mort. La collectivité est devenue plus raisonnable et plus morale que les individus qui la constituent. Et cela va conduire aussi à l’avènement des droits de l’animal.
EVANA : Concrètement parlant, comment voyez-vous l’avenir ?
HFK : L’interdiction de fumer constitue un changement profond et spectaculaire au sein de notre société. Il y a dix ans encore, qui aurait pensé que cela fût possible ? Quoi qu’il en soit, plus encore que d’exclure les fumeurs, il serait sensé de marginaliser les mangeurs de viande comme étape intermédiaire en vue de l’interdiction totale de la viande.
Les mangeurs de viande ne devraient avoir le droit de s’adonner à leur vice que sur le pas de la porte ou bien dans des arrière-salles. Par ailleurs, tout produit carné devrait porter la mention suivante : « La consommation de viande tue les animaux, nuit gravement à votre santé, détruit notre environnement et contribue à la faim dans le monde. »
EVANA : Monsieur Kaplan, nous vous remercions pour cet entretien.
Source/Quelle: Helmut F. Kaplan
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